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Quoi qu'il en soit, cette disposition tout administrative est étrangère à la procédure, et, bien qu'elle ait pour but d'assurer indirectement l'exécution de l'arrêt, il n'est pas nécessaire de constater son accomplissement.

§ III. Acte d'accusation.

2233. L'acte d'accusation est le premier acte de procédure qui suit l'arrêt de renvoi. L'article 241 porte : « Dans tous les cas où le prévenu sera renvoyé à la cour d'assises, le procureur général sera tenu de rédiger un acte d'accusation. »>

Cet acte fut l'une des innovations de la loi du 16-29 septembre 1791. Lorsque l'instruction préliminaire était complète, le directeur du jury dressait l'acte d'accusation, c'est-à-dire l'exposé du fait et de ses circonstances; et cet exposé était soumis au jury d'accusation, qui, guidé par ce fil conducteur, et après avoir entendu les témoins et examiné les pièces, admettait ou rejetait l'accusation. Cet acte était rédigé de concert avec la partie civile, qui pouvait même dresser le sien séparément *. Ce système avait été maintenu par les articles 223, 226 et 227 du Code du 3 brumaire an IV.

Notre Code, en conservant cette forme de la procédure, en a changé le caractère et la mission. « Aujourd'hui, disait M. Faure dans l'exposé des motifs, l'acte d'accusation se rédige avant qu'il soit dit qu'il y a lieu d'accuser; aussi le jury d'accusation admet-il souvent des actes contenant des circonstances qu'il rejetterait si les questions étaient simplement posées et que l'acte ne fût rédigé que postérieurement à la déclaration. Suivant le projet, les juges faisant les fonctions de jury statueront sur toutes les questions et n'admettront que les circonstances qui doivent être admises, de sorte que le procureur général n'aura plus dans son acte d'accusation qu'à présenter le développement des faits. » Le rapporteur du Corps législatif ajoutait : « L'orateur du gouvernement vous à fait remarquer combien il est sage d'avoir placé cet acte après l'accusation prononcée. Le contraire se pratique aujourd'hui; mais il est peu raisonnable de faire un acte d'accusation contre un individu qui n'est pas encore accusé et qui peut-être ne le sera point; d'ailleurs, il est possible que cet acte exerce une in1 et 2 L. 16-29 sept. 1791, 2o part., tit. I, art. 7, 9 et 10.

fluence dangereuse sur la détermination qu'il préjuge, il doit donc suivre et non précéder la mise en accusation. » Ainsi, dans le système du Code d'instruction criminelle, l'acte d'accusation n'est plus l'exposé des faits recueillis par l'instruction, et soumis à la décision de la juridiction qui prononce s'il y a lieu ou non à l'accusation; il n'est que le développement d'une accusation déjà admise et prononcée; il n'a plus pour objet d'éclairer l'examen de cette juridiction préliminaire, il s'adresse aux juges du fond: ce n'est plus, en un mot, l'accusation qu'il prépare, c'est le jugement.

2234. Nous n'hésitons point à dire qu'ainsi transformé, l'acte d'accusation a perdu la plus grande partie de son utilité. Il constituait, dans le système de la législation de 1791, une forme essentielle de la procédure; car il tenait la place qu'ont prise dans notre Code le rapport du juge d'instruction devant la chambre du conseil et le rapport du procureur général devant la chambre d'accusation; il résumait dans des termes exacts et précis tous les faits recueillis par l'instruction; il exposait leur caractère et leurs circonstances, il formait, en un mot, un élément indispensable de l'examen du jury d'accusation. Dans le système de la législation actuelle, quelle est sa mission? Il expose le fait et toutes ses circonstances; mais cet exposé ne se trouve-t-il pas déjà dans les motifs de l'arrêt de mise en accusation? Il fait connaître à l'accusé la marche et les charges de l'accusation; mais la communication qui est donnée à cet accusé des pièces de l'information ne lui révèle-t-elle pas bien plus utilement les faits et les preuves dont il sera fait usage contre lui? Enfin il éclaire le travail des jurés en leur exposant, au seuil même des débats, les faits qu'ils sont appelés à apprécier; mais cet exposé écrit ne fait-il pas double emploi avec l'exposé verbal que l'article 315 autorise le procureur général à faire aux jurés avant l'ouverture des débats? Et lors même que l'on admettrait que cet acte a quelques avantages, qu'il prépare à l'avance le terrain de la discussion, qu'il avertit la défense des arguments qui seront employés contre elle, enfin qu'en résumant avec clarté les faits constatés par l'instruction, il facilite le débat et l'abrége: ces avantages peuvent-ils racheter les inconvénients presque inévitables qui y sont attachés? Ne donnent-ils pas à l'accusation le droit de faire entendre sa

voix lorsque la défense ne peut encore élever la sienne? Ne permet-il pas au ministère public de présenter, sans contradiction et sans contrôle, les faits incriminés au point de vue qui lui semble le plus vrai? N'autorise-t-il pas, quand à la procédure écrite et secrète a succédé la procédure publique, un exposé écrit qui trop souvent n'est que l'enveloppe d'une sorte de réquisitoire et qui, placé sous les yeux des juges et des jurés avant tout débat, jette dans leurs esprits des impressions souvent ineffaçables et oppose sans cesse à la puissance de la preuve orale la puissance ainsi maintenue de la preuve écrite?

Au surplus, si l'acte d'accusation est un élément du débat, il n'en est point la base : cette base est tout entière dans l'arrêt de renvoi. C'est l'arrêt qui fixe le sujet et les limites de l'accusation. L'acte d'accusation ne peut que la reproduire, il ne peut ni étendre ses limites ni les restreindre. C'est l'arrêt qui est la source unique des questions qui sont posées au jury; l'acte d'accusation peut revêtir les différents chefs admis par cet arrêt de leur formule légale; il ne peut rien y ajouter. Nous développerons plus loin cette règle que nous ne faisons qu'indiquer ici pour en tirer une conséquence préliminaire : c'est que, dans le système de notre Code, l'acte d'accusation, quelle que soit l'importance usurpée que la pratique a voulu lui donner, n'est qu'un acte secondaire de la procédure; développement plus ou moins utile de l'arrêt de renvoi, il n'en est que le reflet et le corollaire; il puise dans cet arrêt toute son autorité; il n'en a aucune qui lui soit propre.

2235. L'acte d'accusation se divise en deux parties : l'exposé et le résumé; quelles sont, en premier lieu, les règles qui doivent s'appliquer à l'exposé?

Le deuxième paragraphe de l'article 241 porte: « L'acte d'accusation exposera 1° la nature du délit qui forme la base de l'accusation; 2o le fait et toutes les circonstances qui peuvent aggraver ou diminuer la peine; le prévenu y sera dénommé et clairement désigné. »

Cette disposition, bien que l'acte d'accusation n'ait plus le même objet, a été puisée presque textuellement dans la législation antérieure. L'article 15 du titre Ier de la loi du 16-29 septembre 1791 portait : « L'acte d'accusation contiendra le fait et

toutes les circonstances; celui ou ceux qui en seront l'objet y seront clairement désignés et dénommés; la nature du délit y sera déterminée aussi précisément qu'il sera possible; il sera dit qu'il a été commis méchamment et à dessein. » L'article 229 du Code du 3 brumaire an IV ne fait que reproduire ce texte.

Or, comment est-ce que la loi de 1791 entendait l'acte d'accusation? L'instruction du 29 septembre 1791 l'expliquait en ces termes : « L'acte d'accusation n'est autre chose qu'un exposé exact, mais précis, dans lequel on énonce que tel jour, à telle heure et en tel endroit, il a été commis un délit de telle et telle nature; que telle personne est l'auteur de ce délit ou soupçonnée de l'avoir commis. Cet acte doit contenir tous les détails, toutes les circonstances qui ont précédé, accompagné et suivi le délit; en un mot, présenter dans toute leur étendue les faits qui ont rapport au délit, de sorte que le lieu, le jour, l'heure, les personnes et le délit soient désignés le plus clairement possible. L'acte d'accusation n'est sujet d'ailleurs à aucune autre forme. »> C'est dans le rapprochement de ces différents textes que se trouvent les règles qui doivent régir l'acte d'accusation.

Il en résulte, en premier lieu, que cet acte n'est qu'un simple exposé, c'est là son caractère essentiel dans notre Code comme dans les lois antérieures : toute sa tâche consiste à résumer les faits de l'accusation pour en faire connaître l'objet et pour en désigner le terrain. Ainsi, ce n'est point un plaidoyer, car un plaidoyer suppose la discussion de tous les moyens du procès, et l'acte d'accusation n'est point chargé de démontrer la vérité de l'accusation, il ne fait qu'en exposer les éléments. Ce n'est point non plus un réquisitoire, car un réquisitoire est autre chose qu'un exposé; il ne se borne pas à raconter les faits, il les présente sous le point de vue qu'il leur reconnaît, et il ne les relate que pour leur imprimer le caractère qui leur appartient, il déduit leurs conséquences légales, il conclut à l'application de la loi. L'acte d'accusation, ne discut pointe, ne conclutpas, il n'examine point les faits, il les raconte; il ne débat point le système de la défense, il l'énonce; il ne soutient point le système de l'accusation, il l'expose.

De cette première règle, on peut déduire plusieurs corollaires. Le premier est que l'acte d'accusation doit être rédigé avec la plus rigoureuse exactitude; il ne fait, en effet, que résumer les

faits constatés par l'instruction, il ne peut donc substituer des opinions aux constatations de la procédure; il n'exprime pas un système, il dresse une sorte de procès-verbal des faits que la juridiction préparatoire a recueillis et examinés. Un deuxième corollaire est que cet acte doit porter l'empreinte de la plus complète impartialité : tel est l'un des caractères de l'exposé, et la loi a pris soin, d'ailleurs, de l'indiquer elle-même en prescrivant d'y insérer toutes les circonstances qui peuvent aggraver ou diminuer la peine, et, par conséquent, la criminalité de l'accusé. L'exposé doit donc être fait à charge et à décharge; il doit également relater les circonstances qui tendent à établir la culpabilité de l'agent et celles qui tendraient à prouver son innocence. Un troisième corollaire, enfin, est que cet exposé doit être bref, simple et précis bref, car il ne doit s'arrêter qu'aux points principaux du procès; s'il est surchargé de détails secondaires, de circonstances indifférentes, il fatigue l'attention, il n'éclaire pas la cause, il n'atteint pas son but; simple, car il relate les faits, il ne les apprécie pas, il analyse les procès-verbaux de l'information, il en dégage leurs résultats, et ne doit pas aller au delà; précis, enfin, car toute ambiguïté, toute obscurité dans ses termes serait une faute : l'accusation doit marcher à front découvert; elle ne doit point cacher ses armes. Son langage doit être à la fois sobre et clair, net et réservé. L'acte d'accusation, on ne saurait trop se pénétrer de cette pensée, n'est point une œuvre littéraire, c'est simplement un acte de procédure toute affectation de style doit en être bannie; toute expression véhémente rejetée il ne lui est permis de faire parler ni la langue de la passion, ni même la voix austère de la morale; il ne lui est permis ni de s'indigner au récit des faits, ni de les flétrir en passant, ni de laisser entendre une plainte, un cri, un regret. Il est etil doit demeurer un résumé sec et décoloré, mais exact et fidèle, des actes de l'instruction.

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2236. Une deuxième règle, qui se déduit également des mêmes textes, est que l'exposé doit être restreint 1° à la nature du crime qui forme la base de l'accusation; 2° au fait et à ses circonstances; 3° à la désignation de l'accusé. Tel est le cercle tracé par la loi elle a voulu faire connaître l'objet de l'accusation, les faits qui la motivent, la personne de l'accusé, et rien au

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