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PIÈCES

JUSTIFICATIVES

DU TOME DEUXIÈME.

PIÈCES JUSTIFICATIVES

DU LIVRE TROISIÈME.

N. IER

PAGE 8.

Lettre de Fénelon à madame de Maintenon, du 2 août 1696.

« QUAND M. de Meaux, Madame, m'a proposé d'approuver son livre, je lui ai témoigné avec atten>> drissement que je serois ravi de donner cette marque

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publique de la conformité de mes sentimens avec un >> prélat que j'ai regardé dès ma jeunesse comme mon » maître dans la science de la religion. Je lui ai même » offert d'aller à Germigny, pour dresser, de concert » avec lui, mon approbation. J'ai dit en même temps » à MM. de Paris et de Chartres, et à M. Tronson, que » je ne voyois absolument aucune ombre de difficulté » entre M. de Meaux et moi sur le fond de la doctrine; » mais que s'il vouloit attaquer personnellement dans » son livre madame de Guyon, je ne pourrois pas » l'approuver. Voilà ce que j'ai déclaré il y a six mois. » M. de Meaux vient de me donner son livre à exami»ner; à l'ouverture des cahiers, j'ai trouvé qu'ils sont pleins d'une réfutation personnelle. Aussitôt j'ai » averti MM. de Paris et de Chartres, et M. Tronson,

» de l'embarras où M. l'évêque de Meaux me mettoit.

>> On n'a pas manqué de me dire que je pouvois » condamner les livres de madame Guyon, sans diffa» mer sa personne, et sans me faire aucun tort. Mais » je conjure ceux qui me parlent ainsi, de peser de» vant Dieu les raisons que je vais leur représenter.

>> Les erreurs qu'on impute à madame Guyon ne sont >> point excusables par l'ignorance de son sexe. Il n'est » point de villageoise grossière, qui n'eût d'abord hor>> reur de ce qu'on veut qu'elle ait enseigné; il ne s'a» git pas de quelques conséquences subtiles et éloi» gnées, qu'on pourroit, contre son intention, tirer de » ses principes spéculatifs, et de quelques-unes de ses » expressions; il s'agit de tout un dessein diabolique, » qui est, dit-on, l'ame de tous ses livres; c'est un » systême monstrueux, qui est lié dans toutes ses par» ties, et qui se soutient avec beaucoup d'art d'un » bout à l'autre. Ce ne sont point des conséquences » obscures qui puissent avoir échappé à l'attention de >> l'auteur. Au contraire, elles sont le formel et unique >> but de tout son systême. Il est évident, dit-on, et » il y auroit de la mauvaise foi à le nier, que madame » Guyon n'a écrit que pour détruire comme une im>> perfection toute la foi explicite des personnes divi»nes, des mystères de Jésus-Christ, et de son huma» nité. Elle veut dispenser les Chrétiens de tout culte » sensible, de toute invocation distincte de notre uni» que médiateur. Elle prétend éteindre dans les fidèles » toute viè intérieure et toute oraison réelle, en sup»primant tous les actes distincts que Jésus-Christ et

»ses apôtres ont commandés, et en réduisant pour tou» jours les ames à une quiétude oisive, qui exclut toute » pensée de l'entendement et tout mouvement de la » volonté. Elle soutient que quand on a fait d'abord » un acte de foi et d'amour, cet acte subsiste perpé»tuellement pendant toute la vie, sans avoir jamais >> besoin d'être renouvelé; qu'on est toujours en Dieu, » sans penser à lui; et qu'il faut bien se garder de réi» térer cet acte: elle ne laisse aux Chrétiens qu'une >> indifférence impie et brutale entre le vice et la ver» tu, entre la haine éternelle de Dieu et son amour » éternel, pour lequel il est de foi que chacun de nous » a été créé; elle défend comme une infidélité toute >> résistance réelle aux tentations les plus abominables; »>> elle veut que l'on suppose que dans un certain état » de perfection où elle élève les ames, on n'a plus >> besoin de concupiscence: qu'on est impeccable, in» faillible, et jouissant de la même paix que les bien» heureux; et qu'enfin, tout ce qu'on fait sans ré>> flexion, avec facilité, et par la pente de son cœur, » est fait passivement et par une pure inspiration. >> Cette inspiration, qu'elle attribue à elle et aux siens, » n'est pas l'inspiration commune des justes; elle est » prophétique; elle renferme une autorité aposto» lique, au-dessus de toute loi écrite; elle établit une » tradition secrète sur cette voie, qui renverse la tra>>dition universelle de l'Eglise.

>> Voilà ce qu'on dit; je soutiens qu'il n'y a point » d'ignorance assez grossière pour pouvoir excuser une » personne qui avance tant de maximes monstrueuses.

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