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Je m'attachai à leur montrer leur état de péché, à leur faire comprendre que la loi de Dieu ne peut consentir au salut de ceux qui l'ont trangressée ; qu'elle demande une éclatante réparation; que Jésus la lui a donnée en se plaçant sous son empire, pour obéir à tous ses préceptes et mourir sous sa malédiction; que le salut du pécheur ne se trouve plus que dans œuvre du Rédempteur, et que le moyen établi de Dieu pour y avoir part est la foi et non les œuvres; qu'au reste une foi véritable ne manque jamais d'être opérante par la charité qui est l'accomplissement de la loi. Cette doctrine leur parut (comme cela arrive toujours) une nouveauté singulière ; mais j'avais eu soin de faire parler la parole sainte plus que je n'avais parlé moi-même ; de sorte qu'ils ne se crurent pas dispensés d'y faire quelque attention.

Cependant il leur en coûtait d'abandonner leurs premières idées; ils les soutenaient chacun de son mieux, quelques-uns avec beaucoup de chaleur, surtout parmi les plus âgés. Peu à peu l'évidence dont la parole sainte a entouré la doctrine du salut se fit jour dans quelques cœurs : de jeunes hommes, jusqu'alors fortement engagés dans le monde, furent les premiers touchés et devinrent pour moi un puissant encouragement à continuer de plaider avec les autres la cause de la vérité qui se trouvait aussi celle de leur salut.... Parmi ceux qui se tenaient à l'écart, j'avais remarqué un jeune homme fort silencieux, d'un extérieur réservé et froid, qui semblait affecter le soin de se cacher dans la foule pour éviter toute conversation avec moi. Je ne sais cependant pourquoi mes regards le suivaient toujours. Ce jeune homme était Ferdinand Caulier; sa réserve m'étonnait d'autant plus qu'elle n'était pas dans le caractère des autres, encore moins dans celui de son père, que je voyais très fréquemment; et je ne pus m'empêcher d'en conclure que ma présence et ma doctrine, ou peutêtre l'une et l'autre lui étaient désagréables.

J'ai su depuis que ce jugement était fondé. Ferdinand, fort adonné aux plaisirs de son âge, me voyait avec peine, parce qu'on s'était fait une loi, lorsque j'étais à N. de passer avec moi les soirées du dimanche, au lieu d'aller, selon la coutume, aux

divertissemens du village; d'ailleurs, quoique je leur prêchasse un salut gratuit, j'insistais aussi sur le renouvellement du cœur, sur la nécessité de la conversion, sur le renoncement au monde, etc.... Comme il persistait à se tenir à l'écart, je le perdis pendant quelque temps de vue; mais le Seigneur avait les yeux sur lui, et préparait en silence la conversion de cette âme, dont il avait fait un vase d'élite pour le remplir de la bonne odeur de Christ.

Ferdinand était d'un caractère naturellement observateur et très réfléchi; rien ne lui échappait. Quoique la doctrine que je continuais à prêcher ne lui plût point, il l'avait cependant remarquée, et sa conscience lui faisait entrevoir qu'elle pourrait être vraie ; mais le monde avait trop d'empire sur lui pour qu'il cédât au premier signal; de sorte que le video meliora proboque, deteriora sequor, fut aussi son cas.

Un dimanche, après avoir entendu les deux prédications que j'étais dans l'habitude de faire, ce jour-là, à ce petit troupeau, il fut pris d'un vif désir de s'en aller passer le reste de la journée dans les divertissemens. Sa conscience lui fit quelques difficultés, mais il les eut bientôt aplanies; il partit donc sans trop s'inquiéter de la peine qu'en aurait son père ; mais vers la fin de la soirée il fut saisi d'un violent mal de tête qui l'obligea à se retirer et à se mettre au lit, et là, pour la première fois, la pensée de la mort vint se présenter à son esprit avec tant de force qu'il en fut effrayé. Cet éclair que la grace du Seigneur avait fait briller dans son âme, fut le commencement de sa conversion. Dès ce moment il forma le projet de renoncer au monde ; et comme il était doué d'une grande force de volonté, le monde en effet le perdit, dès cette heure, sans retour.

Tout cela se passait à mon insu. Sa réserve et sa timidité' naturelles lui faisaient garder pour lui seul ce qui se passait en lui; et j'eusse continué long-temps peut-être à l'ignorer, sans une circonstance que le Seigneur avait sans doute ménagée pour nous mettre en rapport. — Quoique j'habitasse V., parce que cette ville se trouvait au centre de ma sphère d'activité, je voyais très fréquemment le petit troupeau de N. On y avait

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contracté l'habitude de venir à plusieurs lieues au-devant de moi. Un jour ce fut le tour de Ferdinand de venir m'accueillir. Il vint jusqu'à V., et pendant cinq heures de marche, j'eus pour la première fois le loisir possible d'avoir avec lui un long entretien. Qu'on juge de mon étonnement, quand ce jeune homme, que je croyais encore si éloigné de la voie du salut, me laissa voir que la grace du Seigneur avait déjà touché son cœur, et que ses progrès dans la vie spirituelle étaient déjà sensibles! Ma joie fut vive, mais la sienne ne le fut pas moins de s'être découvert à moi. Cette première entrevue devint le fondement d'une amitié qui fut dans la suite pour lui et pour moi une source de douces jouissances. J'apprenais à connaître une belle âme, peu cultivée, il est vrai, selon le monde, mais qui montrait déjà le germe de ces graces qui se développèrent plus tard, et qui firent, de Ferdinand, l'un des Chrétiens les plus fidèles et les plus dévoués au Seigneur que j'aie connus.

Quoique la doctrine de ce salut gratuit qui fait pour le Chrétien tout le prix de la révélation, l'eût vivement frappé, quoiqu'elle tînt le premier rang dans ses pensées, il avait cependant compris de bonne heure la nécessité d'une obéissance entière au Seigneur. Il avait été particulièrement frappé du sommaire de la Loi, qui fait de l'amour le grand principe et même la fin de l'obéissance que le Seigneur attend de nous. Le caractère de sa vie chrétienne était de s'étudier à cette obéissance et de cultiver cet amour pour le Seigneur qui la rend à la fois facile et pleine de charmes. Il aimait particulièrement le jour du Seigneur. Que de fois ne l'ai-je pas vu, dans ce jour, rechercher la solitude, s'éloigner sans affectation de ce qui aurait pu le distraire, même de la société de ses frères, pour rechercher et sans doute pour savourer en paix la présence et la communion du Seigneur !

Ce fut peu de temps après sa conversion, que fut formée à N. cette entreprise du colportage de la parole sainte qui a eu dans ces contrées tant de succès. Nos essais avaient surpassé de beaucoup notre attente: partis de N. avec une bonne charge de Nouveaux-Testamens, les premiers colporteurs avaient été accueillis partout avec empressement; en péu de

jours, leurs caisses avaient été vidées. Aucune des difficultés que j'avais d'abord craint ne les avait arrêtés. Graces à la bénédiction divine et à la coopération de deux Sociétés chrétiennes, cette œuvre reçut bientôt une forme qui devait la rendre stable.

Ferdinand brûlait du désir de s'y consacrer; rien ne lui paraissait si beau ni si grand que de passer sa vie à servir le Seigneur; mais il respectait trop l'autorité de son père pour rien entreprendre sans son aveu. Il sentait d'ailleurs qu'il devait s'assurer avant tout de la volonté de Dieu, et c'est ce qu'il recherchait par la prière avec une ardeur incroyable. Cependant il n'en était pas moins scrupuleux à remplir les devoirs de sa situation d'alors. Son temps était partagé entre le travail des champs et la culture de son esprit ; il avait un grand désir de s'instruire, mais son désir se bornait à la science par excellence, à celle du salut ; je l'ai vu souvent guider d'une main sa charrue, et de l'autre tenir son Nouveau-Testament, dont il cherchait à apprendre par cœur les principaux endroits. Loin de le refroidir, le temps ne faisait qu'ajouter au désir qui le dominait de se consacrer au service du Seigneur et les succès croissans des colporteurs ne contribuaient pas peu à le faire soupirer après l'époque où il pourrait travailler comme eux, si jamais elle arrivait pour lui.

Je venais d'être amené à porter mon ministère dans la Beauce; Ferdinand fut alors sur le point de croire que toutes ses espérances allaient s'évanouir, et qu'une fois que je serais éloigné de lui, personne ne s'intéresserait plus à faire réussir le dessein qui lui tenait tant à cœur. Je le priai de n'en rien croire, et je le quittai en lui donnant l'assurance positive que je continuerais à m'employer pour lui, et que, s'il obtenait l'agrément de son père, j'espérais que le Seigneur lèverait toutes les autres difficultés, et me fournirait les moyens de l'employer aussi à l'œuvre du colportage.

Mes espérances ne furent pas trompées. Six semaines ne s'étaient pas écoulées depuis mon départ de N., que Ferdinand était déjà auprès de moi à Orléans. Nous nous rendîmes dans la Beauce, et nous commençâmes ensemble à répandre la

bonne nouvelle du salut, lui, en distribuant la Parole de vie, et moi, en l'annonçant. Comme les autres colporteurs, il écrivait un journal détaillé de ce qu'il faisait et de ce qu'il disait dans ses courses. Je crois bien faire en plaçant ici quelques extraits de ce journal. Vous voudrez bien vous rappeler, monsieur, en les lisant, qu'à cette époque Ferdinand était absolument sans autre instruction que celle qu'on reçoit au village; il connaissait assez la Parole sainte, mais il ne savait pas autre chose. Son journal n'était rédigé que pour moi, et tout ce que je demandais de lui était de me rapporter purement et simplement les faits. Les extraits qui suivent n'ont pas d'autre but que de vous le montrer tel qu'il était, dès le début d'une carrière que Dieu a honorée de tant de bénédictions.

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St.-4. le 18 janvier 1821. « Comme je demandais à un homme « de ce village s'il voulait acheter un de mes livres, il me « demanda à les voir, de quoi je fus bien content, car c'était « la première personne avec qui je pouvais parler. Mais quelle « fut ma peine, quand je l'entendis me dire que ce livre était « trop cher pour les enfans. Je lui répondis que ce livre était « très bon pour lui, car on ne peut trop lire la Parole de Dieu; « il est bien nécessaire que vous le lisiez aussi. A ces mots il « me répond: Pour le lire il faudrait observer ce qu'il enseigne, et moi je ne veux pas l'observer. Alors je lui ai de« mandé ce qu'il deviendrait donc après sa mort, à quoi il a répondu que la mort finirait tout pour lui. Là-dessus je lui « ai demandé si Jésus était ressuscité. Il m'a répondu qu'il « ne l'avait jamais vu. J'ai essayé de lui parler davantage, mais «< il ne voulait rien entendre, et je l'ai laissé là. — Plus loin, « étant entré dans une autre maison, après que j'ai eu montré « mes livres et parlé un peu, on m'a dit que j'étais protestant, puisque je parlais de Jésus-Christ. J'ai dit que j'étais chré« tien. Les protestans le sont aussi, m'a-t-on répondu. Hé bien, je suis protestant ; mais écoutez : Jésus-Christ n'a pas dit que, « pour aller au ciel, il fallût être protestant ou romain, mais il « a dit : Celui qui croit au Fils a la vie éternelle, et pour lors «< il n'y a que ceux qui croient en lui qui soient chrétiens. Celui qui ne croit point est déjà condamné. Une femme qui était

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