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l'intention de compromettre la vie de l'enfant, qu'il n'a voulu que faire perdre les traces de sa naissance. De là la modération de la peine; de là l'absence de toute responsabilité dans le cas où des accidents suivraient l'exposition. C'est cette intention spéciale qui forme la moralité du délit. Mais si les débats, si les aveux du prévenu venaient à révéler une intention homicide, le fait changerait-il de nature? Evidemment non, car l'intention ne peut être incriminée que lorsqu'elle s'unit à un fait matériel d'exécution; or, l'exposition dans un lieu non solitaire ne pouvant ordinairement mettre les jours de l'enfant en danger, il ne resterait qu'une intention coupable sans exécution, et qui dès lors échapperait à la répression. Le fait ne pourrait être puni qu'à raison de l'intention qu'il constate par lui

même.

Nous avons examiné deux des éléments du délit: il reste à rechercher ce qu'il faut entendre par un fait d'exposition. L'art. 352 et les autres articles de la même section ne punissent que ceux qui auront exposé et délaissé ; le fait matériel de l'exposition doit donc comprendre ces deux circonstances: l'exposition proprement dite consiste dans l'acte de déposer l'enfant dans un lieu public; le délaissement consiste à l'abandonner dans ce lieu privé de toute assistance. La Cour de cassation a reconnu la nécessité de cette double circonstance par plusieurs arrêts qui portent : «< qu'il faut que l'exposition d'un enfant ait été accompagnée du délaissement de cet enfant pour

TOME VI.

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donner lieu à l'application de la peine instituée par cet article (1). »

Mais le sens du mot délaissement n'a point été fixé d'une manière précise par la jurisprudence. La Cour de cassation a décidé, dans une espèce qui se trouve suffisamment indiquée dans le texte même de son arrêt, « que si, pour qu'il y ait lieu à l'application de la disposition de cet article, il faut que l'enfant exposé ait été délaissé, il y a délaissement toutes les fois que l'enfant a été laissé seul, et que, par ce fait d'abandon, il y a eu cessation, quoique momentanée ; ou interruption des soins et de la surveillance qui lui sont dus; que, dans l'espèce où il s'agissait d'un enfant nouveau-né exposé à la porte d'une maison, il a seulement été reconnu que les inculpés, ayant remarqué, par la lumière qu'on y voyait, que les habitants n'étaient pas encore couchés, avaient frappé à cette porte, et s'étaient retirés aussitôt qu'ils avaient entendu qu'on l'ouvrait; qu'il n'est point reconnu que l'enfant ait été recueilli au moment même de l'ouverture de la porte, et que ce ne soit qu'après avoir vu que l'enfant avait passé entre les mains de quelques autres personnes qui s'étaient chargées de veiller à sa sûreté, que ceux qui l'avaient exposé se sont retirés; qu'en cet état de faits, il n'y avait donc pas eu, en faveur de l'enfant exposé, la continuité de soins et de surveillance sans laquelle

(1) Arr. cass. 7 juin 1834 el 39 avril 1835 (Journ. da dr. crim. 1834, pag. 282, et 1835, pag. 133).

s'opère nécessairement le délaissement prévu par l'art. 352 (1). »

Cette décision, appliquée aux faits de l'espèce, ne saurait être l'objet d'aucune critique. Mais, à un point de vue général, la Cour de cassation n'a-t-elle pas posé des limites trop étroites au fait de délaissement, en le faisant consister uniquement dans une interruption des soins qui sont dus à l'enfant ? Le seul fait d'abandonner cet enfant, après l'avoir exposé, n'est-il pas un fait de délaissement? Qu'importe que l'exposant ne s'éloigne qu'après avoir vu des personnes étrangères s'approcher du lieu de l'exposition? Qui l'assure que ces personnes le recueilleront et lui donneront les soins qui lui sont nécessaires? Qui lui garantit que, non moins cruelles que lui, elles ne l'abandonneront pas? Nous n'hésitons donc pas à croire qu'il y a délaissement toutes les fois que l'exposant abandonne l'enfant sans s'être assuré qu'il a été recueilli.

La question présentait moins de difficultés dans une autre espèce où Fenfant avait été déposé dans le tour d'un hospice, et recueilli par le préposé de cet hospice. La Cour de cassation a décidé que ce dépôt ne constituait point un acte de délaissement, attendu, dans la première espèce, « que la personne chargée de ce dépôt ne s'est retirée qu'après avoir vu le préposé recueillir l'enfant (2); » et dans une seconde

(1) Arr. cass. 27 juin 1820( Journ. du pal., troisième édition, tom. 15, pag. 736).

(2) Arr. cass. 30 avril 1835 (Journ. du dr. crim. 1835, p. 133).

espèce, « que la prévenue, après avoir exposé son enfant dans le tour de l'hospice, ne s'est retirée qu'au moment où elle a entendu la religieuse préposée à ce service prendre l'enfant dans le tour (1). »

Ainsi ces deux arrêts constatent, pour déclarer qu'il n'y a pas de délaissement, que l'exposant ne s'était retiré qu'après s'être assuré que l'enfant était recueilli; c'est l'application de la règle que nous venons d'énoncer. Il y aurait délaissement, au contraire, si l'exposant s'était retiré sans vérifier ce fait, lors même que l'exposition aurait eu lieu à la porte d'un hospice; c'est ce que la Cour de cassation a reconnu encore en déclarant : « que la disposition de l'art. 352 est générale; qu'elle n'établit et par conséquent n'admet aucune distinction relativement aux lieux non solitaires dans lesquels un enfant aurait été exposé et délaissé ; qu'ainsi le délit d'exposition qui y est prévu et puni, peut s'opérer par le délaissement d'un enfant à la porte d'un hospice, comme à la porte de toute autre maison particulière (2). »

Dans cette dernière espèce, l'enfant exposé était légitime, et l'arrêt a ajouté, sans qu'il eût besoin de cette considération pour justifier sa décision: << que si le décret du 19 janvier 1811 a autorisé à porter, dans certains cas, des enfants aux hospices, il a en même temps réglé quels enfants pourraient y

(1) Arr. cass. 7 juin 1834 (Journ. du dr. crim. 1836, p. 282 ).

(2) Arr. cass. 30 octobre 1812 (Journ. du pal., troisième édit., t. 10, pag. 769).

être reçus; que la faveur de la loi ne s'étend qu'à ceux qui auraieut été trouvés ou abandonnés et aux orphelins; que ce même décret a, par l'art. 2, déterminé ce qu'on doit entendre par enfant trouvé, et, par l'art. 5, quels sont les enfants qui doivent être réputés abandonnés: que, dans l'espèce, l'enfant dont il s'agit, et qui a été trouvé exposé dans le tour de l'hospice, n'était ni orphelin, ni enfant trouvé, ni enfant abandonné; qu'il n'était donc point de la classe de ceux qui pouvaient être reçus dans l'hospice, et que, par une conséquence nécessaire, il n'avait point été permis de l'y porter. » L'action de deux époux qui exposent leur enfant à l'hospice, est une action si infâme, qu'on se sent porté naturellement à adopter cette jurisprudence. Mais, d'abord, il faut remarquer que si cette exposition a précédé la déclaration de la naissance de l'enfant, ou si, dans tous les cas, elle a été faite de manière à faire perdre les traces de sa famille, il y a crime de suppression d'état, punissable, aux termes de l'art. 345, de la peine de la reclusion. Ensuite, comment la qualité de l'enfant pourrait-elle avoir quelque influence sur la nature d'un acte purement matériel, du délaissement? Cet acte, qui, dans l'esprit de la loi, consiste à laisser un être faible privé de toute assistance, n'at-il pas nécessairement le même caractère, soit que l'enfant soit naturel ou légitime? Il est plus odieux sans doute dans ce dernier cas, parce que le devoir est plus sacré; mais la loi n'a pas puni l'infraction du devoir moral; elle a jeté un voile sur l'immoralité de l'abandon; elle n'a puni qu'un acte inhumain

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