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en l'état ci-joint, sont valables, et qu'elle tient leurs pouvoirs pour vérifiés; elle ordonne, en conséquence, que les noms desdits hauts jurés seront ajoutés à l'état déjà dressé et joints à son décret du 15 du présent mois.

(L'Assemblée adopte ce projet de décret.) Suit la liste des hauts jurés mentionnés au décret ci-dessus :

MM. Dujouhannel

Dijon.....
Petit.

département de l'Allier.
département du Puy-de-
Dôme.

Lanjuinais.. département de l'Ille-et-Vi-
Oblín.... laine.

Un membre, au nom du comité de division: Messieurs, votre comité de division a été chargé de l'examen d'une difficulté survenue entre le département des Vosges et celui de la Haute-Saône, relativement à la distraction de la commune de Pássavant, qu'a éprouvée le département des Vosges, et à la répartition des impositions dans ces deux départements. Voici les projets de décret qu'il m'a chargé de vous proposer :

Premier décret.

"L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de division, sur une difficulté intervenue entre les départements des Vosges et de la Haute-Saône, à raison de la distraction de la commune de Passavant, prononcée par la loi du 4 février dernier, considérant que la compensation ordonnée par la même loi de la part du département de la Haute-Saône, n'est point encore effectuée, ce qui porte des entraves à la perception des contributions de cette paroisse, qui compose quatre municipalité, décrète qu'il y a urgence. »

Second décret.

«L'Assemblée nationale décrète que la compensation à la charge du département de la HauteSaône, ne sera arrêtée définitivement qu'après que le directoire du département des Vosges aura été entendu sur cette compensation; et que jusqu'à ce qu'elle soit effectuée, les municipalités de Passavant, de la Rochère, et celles des CôtesSaint-Antoine, resteront sous l'administration du département de Vosges.

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(Après quelques débats la discussion est fermée.)

Un membre demande l'ajournement du décret et l'impression du rapport.

Plusieurs membres: La question préalable! (L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la motion d'ajournement et sur la motion d'impression.)

L'urgence a été décrétée en ces termes :

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de division, sur une difficulté qui s'est élevée entre le département des Vosges et celui de la Haute-Saône, au sujet de l'exécution du décret du 4 février 1791, qui distrait la commune de Passavant du département des Vosges, pour l'unir à celui de la HauteSaône, à charge d'une compensation de la part de ce dernier, considérant que le défaut de cette compensation a empêché, jusqu'à présent, la répartition des contributions dans le district de Darnay, décrète qu'il y a urgence. »>

Ensuite, le décret principal a été rendu en ces termes :

«L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète que l'administration du département de la Haute-Saône proposera à celle du département des Vosges la compensation ordonnée par le décret du 4 février 1791, et que jusqu'à ce que cette compensation soit effectuée, et qu'elle aít été arrêtée par un décret, la commune de Passavant restera sous l'administration du département des Vosges. »

(L'Assemblée met à l'ordre du jour, pour samedi soir, la suite de la discussion du projet de décret sur le remplacement dans les emplois vacants de l'armée.)

M. Delacroix, au nom du comité militaire, a la parole pour faire un rapport sur la pétition du sieur Pommier, ci-devant commissaire des guerres, il s'exprime ainsi :

Messieurs, le 15 de ce mois, M. Pommier, commissaire des guerres, a présenté une pétition relative à l'organisation des commissaires des guerres; cette pétition a été renvoyée au comité militaire, qui m'a chargé d'en faire le rapport.

En 1778, le sieur Pommier obtint du ministre de la guerre l'agrément, qui était nécessaire alors, pour acheter une charge de commissaire des guerres, ou prendre à loyer le titre d'un commissaire non employé; cet usage que je ne veux point qualifier ici était consacré par l'article 20 du titre lor de l'ordonnance du 14 septembré 1776. Devenu locataire d'un titre de commissaire des guerres, moyennant 700 livres par an, le sieur Pommier reçut des lettres de service et fut employé comme surnuméraire dans le département de Paris. Ces charges furent alternativement supprimées et recréées sous de nouvelles formes. Ces variations avaient pour principal objet de rançonner les commissaires des guerres. A chaque nouvelle création, on exigeait de nouvelles rétributions de ceux qui voulaient être conservés. La fortune de M. Pommier ne lui permettant pas de faire ce sacrifice, il parvint, en 1786, à obtenir du roi, pour récompense de ses services, un brevet de commissaire des guerres surnuméraire.

Un édit vint, en 1788, supprimer de nouveau les commissaires des guerres et les recréer sous de nouvelles formes. Dans cette circonstance, M. Pommier se vit obligé de discontinuer son service.

Au moment où l'Assemblée nationale constituante s'occupa de la nouvelle organisation des commissaires des guerres, M. Pommier s'est présenté pour obtenir une de ces places; on lui a fait différentes difficultés qui paraissent fondées sur le texte même de la loi. On lui oppose un article qui porte que, pour avoir droit aux nouvelles places de commissaires des guerres, il faut avoir moins de 45 ans, et M. Pommier ́en a 52.

La question se réduit à savoir si un citoyen qui d'abord rempli les fonctions de commissaire des guerres, qui, depuis, a reçu du roi un brevet de commissaire des guerres, en récompense du zèle et de l'activité qu'il a montrés; qui n'a discontinué son service qu'à l'époque où un édit bursal a exigé le payement d'une somme que sa fortune ne lui a pas permis de faire, peut être rangé dans la classe des citoyens qui ont acquis où possédé un titre de commissaire des guerres sans en avoir jamais exercé les fonctions, ou dans la classe de ceux que leur genre

d'études fait présumer capables de bien remplir ces places.

Votre comité militaire a pensé que la loi du 20 septembre dernier n'avait besoin d'aucune explication; que les deux dispositions qu'elle contient sont également précises; qu'elles offrent deux classes distinctes de candidats, et que le pétitionnaire n'est dans aucun des deux cas qu'elle a prévus; il m'a, en conséquence, chargé de vous proposer le projet de décret suivant :

"

L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité militaire, considérant que la disposition de la 3 section de l'article 5 du titre V de la loi du 20 septembre, relative à l'âge après lequel on n'est plus admissible aux places de commissaires des guerres, ne concerne que les citoyens qui, par le genre de leurs études et de leurs occupations, peuvent y être nommés, qu'elle n'est pas applicable à ceux qui ont déjà exercé des fonctions de commissaires des guerres, décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'interprétation demandée par le sieur Pommier.

(L'Assemblée adopte ce projet de décret.)

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Un membre, au nom du comité militaire : Messieurs, l'Assemblée nationale constituante a décrété le 4 mars dernier, que les Français qui ont obtenu la décoration de Cincinnatus, et un grade supérieur chez quelque puissance amie de la France, sont susceptibles d'obtenir des places dans l'armée, suivant les règles de couleurs prescrites par ce décret.

Cette disposition, Messieurs, restreinte comme elle l'est, ne présente qu'une véritable acception de grade et de personne aussi contraire à la justice qu'à l'égalité politique des droits. Votre comité vient aujourd'hui vous proposer de l'étendre aux militaires français de tout grade qui ont servi chez les puissances dont les armées ont été combinées avec celles de la France. Ce qui a déterminé votre comité à vous faire cette proposition, c'est une pétition que vous lui avez renvoyée, présentée par M. Michel Belzer, ce brave citoyen, dont le patriotisme et le courage ont été plusieurs fois célébrés dans l'Assemblée constituante, et qui, le 30 mai dernier, a été nommé, d'un vœu unanime, à une place de capitaine de la gendarmerie nationale dans le département du Morbihan. Il est appelé, Messieurs, dans ce département, par le vœu de tous les corps, par le vœu de tous les individus; et vous n'en serez pas surpris, quand vous saurez qu'au milieu des troubles qui ont agité ce pays. M. Belzer a vingt fois exposé ses jours pour faire entendre et respecter le langage de la loi, pour sauver la vie à plusieurs citoyens, et pour rétablir l'ordre troublé dans ce pays par les efforts combinés du fanatisme et de l'aristocratie.

Voici le projet de décret :

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité militaire, décrète que l'article 3 du décret du 4 mars 1791, concernant l'admission aux emplois de l'armée en faveur des Français qui ont servi dans les armées des puissances alliées, cessera d'être restreint à ceux qui ont obtenu des grades supérieurs et la décoration de Cincinnatus; en conséquence, tout Français qui justifiera d'un service d'officier ou de quelque grade que ce soit, chez les puissances dont les armées ont été combinées avec celles de la France, sera susceptible d'obtenir des places dans l'armée de ligne et des emplois dans la gendarmerie nationale, de la même manière que s'il eut servi en France, pourvu néanmoins qu'il réunisse les qualités exigées par les décrets. »

M. Lequinio. Je demande que vous décrétiez l'urgence.

(La discussion est interrompue.)

L'officier de garde entre dans la salle et parle à voix basse à M. le Président.

M. le Président. Messieurs, l'officier de garde vient de m'annoncer que M. Delattre est ici. Je prie l'Assemblée de me fixer sur les interrogats que je dois lui faire.

Un membre: Je demande que M. le Président soit autorisé à faire à l'accusé toutes les questions qu'il jugera convenable.

(L'Assemblée adopte cette motion.)

M. Delattre est introduit à la barre.
Un profond silence règne dans l'Assemblée.
M. Vergniaud, président, procède à l'inter-
rogatoire du sieur Delattre :

M. LE PRÉSIDENT. Monsieur, votre nom?
M. DELATTRE. Delattre.

M. LE PRÉSIDENT. Comment s'écrit votre nom?
M. DELATTRE. Avec deux t.

M. LE PRÉSIDENT. Votre profession?
M. DELATTRE. Professeur en droit.

M. LE PRÉSIDENT. Avez-vous des enfants?
M. DELATTRE. J'en ai un.

M. LE PRÉSIDENT. Connaissez-vous M. de Neuilly, fermier général?

M. DELATTRE. J'ai cet honneur.

M. LE PRÉSIDENT. Votre fils a-t-il eu un emploi dans les fermes?

M. DELATTRE. Il était contrôleur général surnuméraire des fermes.

M. LE PRÉSIDENT. Votre fils a-t-il travaillé sous M. de Neuilly?

M. DELATTRE. Oui, Monsieur.

M. LE PRÉSIDENT. Connaissez-vous M. Gilbert de Voisins?

M. DELATTRE. Je le connais aussi, Monsieur. M. LE PRÉSIDENT. Savez-vous où demeure M. Gilbert?

M. DELATTRE. Non, Monsieur.

M. LE PRÉSIDENT. Savez-vous où il est ?
M. DELATTRE. Non, Monsieur.

M. LE PRÉSIDENT. Connaissez-vous M. de Calonne ?

M. DELATTRE. Peu.

M. LE PRÉSIDENT. Savez-vous où est M. de Calonne ?

M. DELATTRE. Non, Monsieur.

M. LE PRÉSIDENT. Avez-vous écrit à M. de Calonne et à M. Gilbert de Voisins?

M. DELATTRE. Oui, Monsieur, je leur ai écrit à tous les deux.

M. LE PRESIDENT. Vous rappelez-vous de la date de vos lettres?

M. DELATTRE. Je crois que c'est au commencement du mois d'octobre ou à la fin de septembre. Je ne me rappelle pas la date au juste.

M. LE PRÉSIDENT. Où est Monsieur votre fils? M. DELATTRE. Il est actuellement en Champagne, à Brantigny, où il a eu le bras cassé il y a 8 jours.

M. LE PRÉSIDENT. A-t-il fait un voyage hors du royaume ?

M. DELATTRE. Non, Monsieur.

M. LE PRÉSIDENT. L'avez-vous recommandé M. de Calonne ?

M. DELATTRE. Oui, Monsieur, en cas qu'il sortit du royaume; mais il n'en est pas sorti.

M. LE PRÉSIDENT. Savez-vous si M. de Calonne forme quelques projets relatifs à l'état de la France ?

M. DELATTRE. Non, Monsieur; je n'entre point du tout dans ces mystères-là.

M. LE PRÉSIDENT. En écrivant à M. de Calonne, lui avez-vous dit que M. Gilbert de Voisins lui donnerait des renseignements sur Monsieur votre fils?

M. Delattre. Oui, Monsieur.

M. LE PRÉSIDENT. A quel endroit avez-vous adressé votre lettre à M. de Calonne ?

M. DELATTRE. Je l'ai adressée où il se trouvait, je ne savais où il était; j'ai donné la lettre mon fils pour la lui remettre quand il le trouverait. Au surplus, je ne sais pas si je n'ai pas mis à Coblentz, au bas. Je n'en suis pas sûr.

M. LE PRÉSIDENT. Monsieur votre fils partait-il lui-même pour ce voyage, ou est-ce vous qui l'avez envoyé à M. de Calonne ?

M. DELATTRE. Monsieur, je ne l'ai pas envoyé. Mon fils a 25 ans, il est parti de son plein gré; mais il n'est pas sorti de France, j'ai l'honneur de vous le répéter. Il est actuellement avec le bras cassé, à Brantigny, auprès de Troyes.

M. LE PRÉSIDENT. Monsieur votre fils était-il porteur de la lettre que vous avez écrite à M. de Calonne ?

M. DELATTRE. Oui, Monsieur.

M. LE PRÉSIDENT. Monsieur votre fils a-t-il passé à Thionville?

M. DELATTRE. Je ne le crois pas. Il n'a pas été plus loin que Brantigny, qui est près de Troyes.

M. LE PRÉSIDENT. Savez-vous par quel événement Monsieur votre fils a eu le bras cassé ?

M. DELATTRE. Il a eu le bras cassé il y a eu hier 8 jours, en montant à cheval, parce que son cheval l'a jeté contre un arbre; le cheval s'est emporté et il l'a jeté contre un arbre où il a eu le bras cassé.

M. LE PRÉSIDENT. Y a-t-il longtemps que Monsieur votre fils est parti?

M. DELATTRE. Le 24 du mois dernier, ou le 23. M. LE PRÉSIDENT. On va vous présenter une lettre. Voyez si vous reconnaissez l'écriture de l'adresse et la signature (Un huissier présente la lettre à M. Delattre. Il regarde l'enveloppe.)

M. DELATTRE. Oui, Monsieur.

M. LE PRÉSIDENT. Vous reconnaissez l'écriture de l'adresse ?

M. DELATTRE. Oui, Monsieur.

M. LE PRÉSIDENT. La lettre aussi ?

M. DELATTRE. Oui, Monsieur : elle est de moi. M. LE PRÉSIDENT. Vous allez vous retirer; on vous fera savoir les ordres de l'Assemblée.

M. DELATTRE se retire.

M. le Président. Messieurs, on va vous faire une seconde lecture de la lettre.

M. Guadet, secrétaire, fait une nouvelle lecture de la lettre de M. Delattre. (L'Assemblée reste un moment dans l'agitation.)

1re SÉRIE. T. XXXV.

(La discussion est ouverte sur ce que la lettre peut contenir de criminel.)

M. Tartanac. Un crime de lèse-nation est dénoncé aux représentants d'un peuple jaloux de sa liberté; il doit être puni, s'il est prouvé. C'est en partant des principes garantis par la déclaration des Droits de l'homme, que je vais examiner si la lettre écrite par la personne qui a été mandée à la barre peut donner lieu à un décret d'accusation. Le signataire de la lettre a reconnu l'avoir écrite dans tout son entier. Dans ses réponses aux différents interrogats qui lui ont été faits par M. le Président, il s'est jeté dans des contradictions évidentes. Il a dit ignorer le séjour de M. de Calonne, et l'adresse porte directement à Coblentz. Il a dít ignorer si M. de Calonne faisait des projets relatifs à l'état de la France, et dans sa lettre il fait des voeux les plus ardents pour la réussite de ces divers projets, notamment pour la délivrance du roi.

Examinons si ces données, que je regarde comme incontestables, sont suffisantes pour asseoir l'accusation du crime de lèse-nation; ne nous le dissimulons pas, le décret d'accusation doit être la suite de la conviction de ce crime. Si le signataire de la lettre est en prévention du crime de lèse-nation par un décret, et qu'il soit convaincu de ce crime, il doit nécessairement payer de sa tête... (Murmures.) Prenons donc l'affaire sous les rapports les plus favorables à l'accusé. En recueillant l'ensemble, tant du contenu de la lettre que des réponses faites à M. le Président, en pesant mûrement toutes les contradictions qui atténuent les inductions qu'on pourrait en tírer, il me paraît que cet ensemble ne fournit pas des caractères suffisants pour asseoir l'accusation du crime de lèse-nation, et je le prouve. Le crime de lèse-nation est une manœuvre directe dirigée contre la nation elle-même. Or, il est possible que les projets dont M. Delattre parle à M. de Calonne soient étrangers à la nation elle-même. (Murmures prolongés.) Ces projets paraissent regarder l'esclavage du roi, puisqu'il s'en afflige. Mais à cette époque, et pendant longtemps, tous les journaux n'ontils pas annoncé dans l'intérieur des départements que le roi était dans un état d'esclavage?... (Murmures prolongés.)

Plusieurs membres: A l'ordre à l'ordre !

M. Ducos. Il faut que la liberté des opinions soit telle, qu'on puisse dire ici que M. de Calonne est un bon patriote, et être entendu.

M. Tartanac. Un particulier peut parler le langage des journaux sans être un criminel de lèse-nation. J'ai fait ma profession de foi et je défie... (Le bruit couvre la voix de l'orateur.) Eh bien, Messieurs, puisque vous ne voulez pas m'entendre, je persiste à demander qu'il n'y ait pas de décret d'accusation.

M. Grangeneuve. La fonction que l'Assemblée nationale remplit en ce moment, ne consiste pas à constater un crime de lèse-nation, mais à exécuter la mission que la Constitution lui a déléguée, d'accuser et de poursuivre, dedevant la hauté cour nationale, ceux qui seront prévenus d'attentats et de complots contre la sùreté générale de l'Etat ou contre la Constitution.

Déjà, dans ses séances précédentes, l'Assemblée nationale s'est occupée des bornes et de l'étendue que la Constitution donnait à ses pouvoirs, relativement aux complots formés contre la sûreté de l'Etat. L'Assemblée nationale a cer23

tainement caractérisé de complots les rassemblements de Coblentz et les projets des princes émigrés, quoique ces princes voulussent donner pour prétexte à leurs complots, le désir de mettre le roi en liberté. Le roi lui-même a déclaré hautement que ceux-là étaient les ennemis de l'Etat, qui, sous prétexte de le faire jouir d'une liberté qu'il avait dans toute sa plénitude, formaient des rassemblements sur les frontières de France. (Applaudissements.)

Voilà des faits bien constatés. Celui qui sera prévenu d'aller se réunir aux conjurés, sous le prétexte de la liberté du monarque, celui-là sera certainement prévenu de complot contre la sûreté de l'Etat. (Applaudisements.) Ceux qui, n'y étant pas allés, ont cherché à grossir de tout leur pouvoir le nombre des conjurés, en faisant le métier d'enrôleur, sont certainement prévenus aussi de complot contre la sûreté de l'Etat, et vous l'avez jugé ainsi dans l'affaire Varnier.

Mais le père qui, ne pouvant y aller, y envoie son fils, ne vous offre-t-il pas un double caractère de délit; non seulement il adhère à tous les complots qui se forment, non seulement il voudrait que son âge lui permit d'y aller, mais ii abuse de son autorite paternelle pour y envoyer un jeune homme de 25 ans. Il faut que le sentiment qui le porte à s'unir à ces conjurés soit bien puissant, puisqu'il ne craint pas d'y sacrifier son propre fils. De tous les accusés de complots contre la sûreté de l'Etat, celui qui en est le plus sûrement prévenu à mes yeux, c'est le père qui ne craint pas d'envoyer son fils unique augmenter le nombre des conspirateurs, et s'il est quelqu'un contre lequel vous deviez porter un décret d'accusation, c'est certainement contre ce particulier qui vient de paraître à la barre. (Vifs applaudissements.)

M. Saladin. Ce que j'ajouterai aux réflexions du préopinant, c'est que vous devez étendre contre le fils le décret d'accusation que vous rendrez contre le père. (Murmures. — Non! non!) Il est possible, il est plus que probable qu'il est complice de son père. Le décret d'accusation ne peut que vous mettre à portée de connaître à fond les délits qui vous sont dénoncés. J'ajoute encore qu'il ne suffit pas de ce décret contre le père et contre le fis, il faut que vous preniez les mêmes précautions que lors de l'affaire du sieur Varnier, que vous fassiez saisir les papiers des accusés, afin de connaitre s'il n'existe pas d'indices de complots. (Applaudissements.)

M. Guadet. Des deux amendements proposés par le préopinant, je combats le premier qui consiste à mettre le sieur Delattre fils en état d'arrestation, et je me fonde sur deux motifs. Le premier, c'est qu'il est très possible que le père, qui a été assez lâche pour comploter la perte de sa patrie, l'ait été assez pour tromper son fils lui-même (Murmures); c'est-à-dire qu'il ait remis à son fils une lettre dont celui-ci ignorât absolument le contenu. (Nouveaux murmures.) C'est la présomption de l'innocence. Vous avez vu par la letttre du sieur Varnier au sieur Noireau, qu'ils enròlaient des gardes qui ignoraient où ils allaient.

C'est de l'interrogatoire lui-même et des réponses fournies par le père, que je tire une seconde preuve de ce fait. On lui a demandé s'il savait où était maintenant son fils; il a répondu que son fils était en Champagne. On lui a demandé encore si son fils avait lait un voyage au delà du Rhin; il a répondu que non, et certainement la coupable sécurité

avec laquelle ila répondu sur divers points, assure l'Assemblée qu'il ne l'a pas trompée sur celui-là. Il est donc certain, d'après les réponses du père, que le fils n'a pas fait ce voyage au delà du Rhin; cela est du moins certain pour nous, qui n'avons pas la preuve du contraire. J'en tire la conséquence qu'il est possible que le fils ait ignoré le dessein du père, ou que s'il les a connus, il ait voulu tromper son père en ne les exécutant pas. (Murmures.)

Ainsi, il n'y a nuls motifs de présumer que le sieur Delattre fils ait trempé dans les projets de son père, ni de porter contre lui le terrible décret d'accusation. J'écarte donc le premier amendement de M. Saladin et j'adopte le second. En faisant faire l'inventaire des papiers du sieur Delattre, il est possible que vous trouviez des indices de complicité avec le fils, et c'est alors qu'il faudrait agir. Quant au sieur Delattre père, je pense que le décret d'accusation doit être porté contre lui. Si on ne voit pas dans sa conduite un complot contre la patrie, je ne sais plus comment il faudra le désigner.

M. Lasource. Je conviens avec le préopinant que le sieur Delattre père est coupable, mais où je ne suis plus d'accord avec lui, c'est dans les suppositions qu'il fait à l'égard du fils et qui me paraissent insoutenables. Je m'appuie sur la lettre du sieur Delattre père: il annonce au conspirateur Calonne que son fils est plein de zèle, qu'il est prêt d'embrasser et de venger la bonne cause. M. Guadet vous dit que peut-être le fils a voulu simplement tromper son père, dont il ignorait les intentions; mais va-t-on à Coblentz ou à Worms avec une lettre, sans savoir ce qu'on va y faire? Va-t-on porter une lettre à un chef de conjuration, sans être bien convaincu qu'on va servir la conjuration?

Il résulte de la déposition même du père, qu'il n'avait point engagé son fils à partir. Il nous a dit que son fils avait 25 ans et qu'il était maître de ses actes. Et on voudrait me dire que ce fils n'est pas coupable! A mes yeux, il est plus coupable qu'un père qui, dans un moment d'égarement et de rage, a conçu des projets... (Murmures.) Plusieurs membres: Vous êtes bien avide de sang!

M. Lasource. J'entends dire à mes côtés : Il ya, dans l'Assemblée, des membres bien avides de sang. Non, je ne suis point avide de sang; mais je ne veux point attendre, dans une apathique indolence, le fer des assassins. (Applaudissements.) Non, je ne suis point avide de sang, mais je suis avide du salut de ma patrie menacée. (Bravo! bravo! Vifs applaudissements.) Je ne veux pas m'endormir dans une basse stupeur, et je veux que, quand le crime se manifeste, la patrie se venge et punisse ceux qui cherchent à devenir ses assassins. (Applaudissements.) Le fils est parti avec la lettre pour M. Calonne. Qu'on me dise où il allait, puisque cette lettre est adressée à un un chef de conjurés. Je conclus formellement à ce que le décret d'accusation soit porté contre Delattre père, et contre Delattre fils. (Applaudissements.)

Plusieurs membres: Fermez la discussion!

M. Barris fils. Lorsqu'il s'agit de prononcer que deux citoyens seront envoyés à l'échafaud... (Murmures.)

Plusieurs membres Il ne s'agit pas de cela; nous ne jugeons pas !

M. Barris fils. En matière criminelle, il n'est pas permis de juger sur des indices, d'argumen

ter d'après des possibilités; il faut juger le fait en lui-même, et faire l'application de la loi. Or, d'après cette loi, est-il possible de porter un décret d'accusation? Vous ne pouvez le prononcer que quand vous voyez un attentat direct, un complot décidé de conspiration. Le fils a-t-il été à Coblentz ; a-t-il commis un attentat? non. (Murmures prolongés.) Je conclus à ce qu'il ne soit pas porté de décret d'accusation contre Delattre fils.

M. Goujon. C'est la loi pénale d'une main et les pièces de l'autre, que nous devons examiner dans le calme le délit qui nous est dénoncé. Quel crime existe et quels sont les coupables, car il en est plus d'un que nous devons constituer en état d'accusation. D'après le Code pénal, il est bien certain que toute manoeuvre, toute intelligence avec des révoltés, tous crimes qui attentent ǎ la sûreté intérieure ou extérieure du royaume doivent être punis de mort. Le crime dont il s'agit est très caractérisé. Quant aux accusés, la lettre m'indique trois personnages. (Applaudissements.) L'auteur de la lettre, M. Delattre père, le porteur de la lettre, M. Delattre fils, et M. de Cafonne à qui la lettre était écrite. (Applaudissements.)

M. Delattre père correspond avec M. de Calonne. L'intelligence est ici le crime de deux; vous ne pouvez pas accuser l'un sans accuser l'autre. (Applaudissements.) En conséquence, je conclus au décret d'accusation contre M. de Calonne et contre M. Delattre père. Quant au sieur Delattre fils, envoyé ou parti spontanément, il n'a point consommé le crime; il n'existe aucun acte de sa part. Par cette raison, je combats l'amendement, et je conclus qu'il n'y a pas lieu à accusation contre lui.

Plusieurs membres : La discussion fermée!

M. Merlin. Je demande à faire une motion d'ordre. Je propose que la discussion soit continuée, mais cette discussion donne le temps de faire enlever les papiers du prévenu. Je demande donc que, pendant la discussion, M. le Président ordonne au juge de paix d'apposer les scellés chez le sieur Delattre.

Plusieurs membres : Non! non! La discussion fermée!

M. Voysin-de-Gartempe. Je m'oppose àlla clôture de la discussion. Lorsqu'il est question de porter un décret d'accusation contre un citoyên, l'Assemblée doit conserver le calme qui lui convient. Que reprochez-vous à M. Delattre? Une lettre, il est vrai, pleine d'incivisme, une lettre infernale; mais est-elle un motif suffisant? Y at-il un acte de sa part qui puisse le faire constituer en état d'accusation? (Murmures.)

Plusieurs membres : Fermez la discussion!

M. Voysin-de-Gartempe. La loi ne prononce rien contre les intentions: On voit dans cette lettre, on y retrouve un citoyen qui n'aime pas la Constitution, qui regrette l'ancien ordre de choses; mais... (Les murmures et les cris couvrent la voix de l'orateur.) Laloi, d'ailleurs, ne permet pas de mettre un homme en état d'accusation qu'il n'ait été entendu par lui-même ou par son conseil. (Murmures.)

Plusieurs membres: Fermez la discussion!
M. Delacroix veut prendre la parole.

M. le Président. Monsieur Delacroix, je vous rappelle à l'ordre ; la parole est à M. Lemontey.

M. Lemontey. Un mot seulement, Messieurs.

Dans les fonctions pénibles que vous remplissez, me serait-il permis de vous citer l'exemple d'un peuple libre? Avant de condamner, le juge anglais... (Murmures) demande à l'Assemblée si personne ne veut parler en faveur de l'accusé. Ici, Messieurs, le public témoin de la discussion doit être convaincu que vous ne cherchez pas à trouver des coupables et que vous ne cédez qu'à l'évidence du crime. Je vous supplie, au nom de l'honneur de l'Assemblée, avant de fermer la discussion, de décréter que dans un silence auguste, M. le Président demandera : « Quelqu'un dans l'Assemblée veut-il encore parler pour l'accusé?» (Vifs applaudissements.)

Plusieurs membres: Appuyé! appuyé!

(L'Assemblée, consultée, décrète la proposition de M. Lemontey.)

M. le Président. Quelqu'un dans l'Assemblée veut-il encore parler pour défendre M. Delattre? M. Adam. Je demande à parler pour l'accusé. M. le Président. Vous avez la parole.

M. Adam. Je n'entreprendrai_point comme particulier de défendre le sieur Delattre et son fils; mais je tâcherai, et même j'ose dire je prouverai que comme législateurs vous ne pouvez rendre le décret d'accusation. (Murmures.)

Je vous le demande, Messieurs, si les sieurs Delattre père et fils avaient émigré, que vous eussiez été convaincus de leurs intentions, pourriez-vous prononcer des peines contre eux? Non, ou vous seriez en contradiction avec vousmêmes. Je soutiens que la lettre écrite par le sieur Delattre n'est qu'un acte privé, qu'il ne peut faire charge contre lui; tout ce que vous pouvez faire, c'est d'ordonner au sieur Delattre père de ne point désemparer de la ville dans un délai que vous lui prescrirez.

M. Pastoret. Je crois qu'il me suffit de rappeler les faits et les principes. Il y a une lettre écrite. Dans cette lettre sont exprimés des vœux coupables. Il faut des preuves, et des preuves évidentes pour condamner; mais il ne faut pas de preuves évidentes pour déclarer un citoyen prévenu. Il suffit qu'il s'élève contre lui de fortes présomptions. A présent, j'examine si ces présomptions s'établissent également contre le père et contre le fils; je ne crois pas qu'elles existent contre le fils. En effet, d'où naissent les présomptions?

Si je ne me trompe, M. Delattre dit dans sa lettre que son âge ne lui permettant pas d'aller servir ce qu'il appelle la bonne cause, il envoie son fils à M. de Calonne, ou au parti dont il est l'âme. Je dis que cette action est coupable; je dis que les vœux qui terminent la lettre le sont aussi; mais tout est l'ouvrage du père. Qu'a fait le fils? Il a été porteur de cette lettre. S'il l'avait portée à Coblentz, sa faute commencerait là; mais il n'y est point allé; il n'a pas quitté la France et est resté dans un de nos départements. Quels que soient les motifs qui l'ont animé, ce ne sont pas sur ces motifs, mais sur le résultat de ses actions que nous devons le juger. Enfin, Messieurs, je vous supplie de peser cette observation. Quand même il s'élèverait une preuve contre le fils, ou du moins une présomption assez forte pour le déclarer prévenu, cette présomption ne pourrait résulter que de la lettre du père; or, vous savez que chez tous les peuples dans toutes les législations, même dans cette législation présente, on n'a jamais puisé des preuves contre un accusé dans un écrit de son père; et certainement ce

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