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demandé le renvoi de la cause à huitaine pour obtenir de nouveaux renseignements et que cette exception dilatoire a été rejetée; qu'en cet état de la cause, le refus fait par le ministère public de résumer l'affaire et de donner ses conclusions n'enlevait pas au tribunal le droit de statuer sur le fond, alors surtout que le ministère public n'avait pas demandé à faire une preuve testimoniale à l'appui des procès-verbaux ou rapports. >>

Il importe, au reste, de déterminer clairement ce que la loi a entendu par le résumé et les conclusions du ministére public. Ces deux expressions indiquent que cet officier doit puiser l'opinion qu'il émet dans le débat et qu'elle doit être le résultat de la conviction que ce débat a formée en lui-même, S'il est chargé de poursuivre les contraventions, il n'est point enchaîné dans l'exercice de sa fonction; il doit suivre l'impulsion de sa conscience et l'indication de ses propres lumières; il doit scruter les preuves avec impartialité et déclarer, dans une entière indépendance, ce qu'il croit être la vérité. Il doit donc, toutes les fois qu'il juge l'action publique denuée de fondement, conclure à l'aquittement des prévenus. Nous avous développé ailleurs cette règle fondamentale des fonctions du ministère public. Ce qu'il importe de rappeler ici, c'est que ces conclusions n'emportent nullement désistement de l'action publique le ministère public, on l'a déjà vu 3, ne peut se désister de la poursuite qu'il a formée; il ne peut retirer l'action qu'il a mise en mouvement ni dessaisir le juge. Celuici, quelles que soient les conclusions, n'est donc pas lié par elles et conserve tous les droits de sa juridiction. Il doit délibérer et prononcer son jugement en connaissance de cause, d'après la loi, les faits et sa propre conscience.

C'est en expliquant cette doctrine que la Cour de cassation

1 Cass. 10 juin 1836, rapp. M. Bresson. Bull. n. 185.

2 Voy. notre t. II, p. 202 et 408.

Voy. notre t. II, p. 403.

Cass, 17 déc. 1824, rapp. M. Cardonnel, J. P,, t. XVIII, p. 1234.

a successivement décidé: 1 que le désistement du ministère public ne dispense pas le tribunal de police de l'obligation d'examiner et d'apprécier les charges existant contre chacun des prévenus: «< attendu qu'en abandonnant cette action à l'audience, en déclarant qu'il s'en désistait, l'officier du ministère public n'a pu l'en dessaisir ni l'affranchir de l'obligation d'examiner et d'apprécier si les contraventions dont il s'agit étaient constantes et si les inculpés avaient par suite encouru l'application des peines prononcées par la loi; d'où il suit qu'en les renvoyant de la poursuite par le seul motif que le ministère public s'en était désisté et l'avait abandonnée. Ce jugement dénoncé a violé les art. 153, 154, 159 et 161 du C. d'inst. cr.»; 2° que le tribunal peut appliquer une peine, quoique le ministère public ne l'ait poit réquise : « attendu qu'il suffit qu'un tribunal de répression soit saisi de la connaissance d'une infraction aux lois pénales pour qu'il soit tenu d'y appliquer les peines portées par la loi, encore que le ministère public n'ait pris aucune réquisition ; » 3o qu'à plus forte raison, l'illégalité des conclusions du ministère public n'autorise le juge ni à s'écarter des règles légales, ni a se déclarer incompétent pour y statuer '.

La loi n'a point réglé la forme du résumé et des conclusions du ministère public, Il a été jugé « que le vœu de la loi est suffisamment rempli, lorsque celui qui en exerce les fonctions s'en est rapporté à la prudence du tribunal. » Le résumé doit être présenté oralement à l'audience; les conclusions doivent être également prises oralement, mais le ministère public doit avoir la précaution de les écrire et de les signer, pour assurer leur existence et leur conservation, toutes les fois qu'il prévoit que le jugement pourrait être attaqué par l'appel ou la cassation; c'est d'ailleurs une règle prescrite en matière

4 Cass. 25 sept. 1884, rapp. M. Rives, J. P., t. XXVI, p, 949; 6 déc. 1834, rapp. M. Rives, p. 1105.

Cass. 29 fév. 1828, rapp. M. Gary. J. P., t. XXI, p. 1231.

3 Cass. 27 juin 1834, rapp. M. Rocher. J. P., 1. XXVI, p. 677, Cass. 5 mai 1808, rapp. V. Oudot, J. P., t. VI, p. 679.

criminelle par l'art. 277; elles doivent, dans tous les cas, être insérées dans le jugement 1.

II. Le droit du ministère public ainsi reconnu, appliquonsle aux conclusions qu'il prend pour demander l'admission d'une preuve; c'est le cas qui donne lieu aux plus fréquentes contestations.

S'il n'y a pas de procès-verbal faisant foi jusqu'à prouve contraire, et qu'il ait fait citer des témoins, le tribunal ne peut se dispenser de les entendre. Ce point a été consacré par plusieurs arrêts qui déclarent « que les tribunaux de police ne peuvent, suivant l'art. 154, statuer régulièrement sur la prévention dont ils sont saisis, lorsque le fait qui la constitue n'est pas établi par un procès-verbal faisant foi jusqu'à preuve contraire, qu'après avoir préalablement entendu les témoins assignés pour en déposer . » Dans cette première hypothèse, à laquelle ne s'applique pas le 2e § de l'art. 154, le droit du ministère public n'admet aucune contradiction. Ainsi, dans une espèce où le tribunal avait refusé de faire entendre, à l'appui d'un procès-verbal de gendarmerie contesté par les prévenus, les rédacteurs de ce procès-verbal proposés par le ministère public, la Cour de cassation a jugé : « que, par l'art. 154, la faculté de faire entendre des témoins est accordée au ministère public aussi bien qu'à la partie civile et à l'inculpé; que cette audition devenait d'autant plus nécessaire ct légale, que la contravention n'était pas prouvée par un procès-verbal faisant foi en justice, et que les inculpés, sans faire notifier les noms des témoins qu'ils ont produits, attaquaient, par ces témoignages, le seul élément de conviction qui avait été produit par le ministère à l'appui de la poursuite; et qu'ainsi le refus d'entendre ces témoins ne rentrait pas dans la disposition exceptionnelle et facultative de l'art. 154, d'après laquelle il est permis au juge d'écarter les témoins inutiles lors

1 Décret 18 juin 1814, art. 58.

2 Cass. 15 avril 1841, rapp. M. Rives, Bull. n. 95.

que les faits sont suffisamment établis et lorsque cette audition n'a plus pour effet que d'entraver le cours de la justice'. »

S'il y a procès-verbal faisant foi jusqu'à preuve contraire, le tribunal ne peut se dispenser d'admettre la preuve offerte par le ministère public: 1° lorsque le procès-verbal est irrégulier ou insuffisant; 2° lorsque les prévenus ont opposé une preuve quelconque à la preuve résultant du procèsverbal.

Dans la première hypothèse, le droit du ministère public est incontestable; il est la stricte conséquence de l'art. 154, qui admet les preuves pour suppléer les procès-verbaux, et de l'art. 408, qui veut qu'il soit fait droit aux réquisitions tendant à user d'une faculté accordée par la loi. Un arrêt déclare en conséquence « qu'en cas de dénégation des faits. constatés au procès-verbal ou de nullité de ce procès-verbal, le ministère public a demandé acte de ce qu'il offrait surabondamment de les prouver; qu'en déclarant cette offre non pertinente ni concluante, en même temps qu'il renvoyait l'in-. culpé de la poursuite, le jugement attaqué a violé l'art. 408'. » Un autre arrêt décide encore « que l'art. 154 autorise la preuve par témoins des contraventions et admet nécessairemént dès lors ce genre de preuve à l'appui des procès-verbaux ou rapports irréguliers ou insuffisants; qu'aux termes des art. 408 et 413, il y a lieu à cassation lorsqu'il a été omis ou refusé de statuer sur une réquisition du ministère public, tendant à user d'un droit accordé par la loi; que cependant le jugement dénoncé a repoussé les réquisitions du ministère public et refusé d'entendre les témoins appelés pour prouver la contravention, sur le motif que le rapport du garde était insuffisant et nul, et que la loi ne pouvait pas vouloir que des témoignages à l'appui d'un acte vicié ou insuffisant pussent

Cass. 4 août 1837, rapp. M. Isambert, Bull. n. 223.

Cass. 25 juill. 1846, rapp. M. Isambert. Bull. ». 199; 9 mars 1835, rapp. M. Rives, n. 78.

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relever cet acte des nullités dont il est entaché; en quoi ledit jugement a expressément violé la loi '. »

Dans la deuxième hypothèse, le droit du ministère public est, en général, non moins assuré et se fonde sur le mème motif. Un grand nombre d'arrêts ont prononcé l'annulation de jugements qui n'avaient pas fait droit à des conclusions tendant à la remise de la cause à une autre audience pour opposer à la preuve faite par les prévenus une autre preuve 2. Mais ce droit trouve néanmoins quelques limites qu'il faut examiner.

Il est clair, en premier lieu, que lorsque le juge déclare tenir pour constants les faits constatés par le procès-verbal et que la preuve offerte ne porte que sur ces faits, il doit la rejeter, parce qu'elle devient complétement inutile. Ce point a été reconnu par plusieurs arrêts, qui disposent « que la nécessité d'entendre les témoins régulièrement produits n'existe qu'autant, d'une part, que les faits résultant du procès-verbal ne seraient pas tenus pour constants, et d'autre part, que le ministère public annoncerait l'intention d'appuyer la prévention poursuivie sur des circonstances de fait autres que celles que le procès-verbal aurait relevées 3. >>

Le juge doit encore écarter la preuve lorsque son admission serait la violation d'une disposition de la loi : par exemple, si les personnes assignées se trouvent dans l'un des cas prévus par l'art. 156 du C. d'inst. cr. 4, ou si le témoin, au

Cass. 8 nov. 1849, rapp. M. Jacquinot. Bull, n. 294; 15 mai 1851, rapp. M. Rives, n. 183.

2 Cass. 9 janv. 1834, rapp. M. Rives. J. P., t. XXVI, p. 1240; 14 mars 1834, rapp. M. Rives, t. XXVI, p. 291; 9 janv, et 19 mars 1835, rapp. MM. Rives et de Crouseilhes. Bull. n. 45 et J. P., t. XXVII, p. 4488; 8 oct. 1836, rapp. M. Rives. Bull. n. 335; 26 août 1843, rapp. M. Jacquinot, n. 224; 19 juin 1846, rapp. M. Rives, n. 156; 26 fév. 1847, rapp. M. Jacquinot, n. 44; 15 mai 1851, rapp. M. Rives, n. 183; 24 janv. et 15 avril 1852, rapp. MM. de Glos et Nouguier, n. 35 et 123; 30 nov. 1854, rapp. M. Foucher, n. 327; 1er déc. 1855, n. 385.

Cass. 18 mars 4854, rapp. M. Nouguier, Bull, n. 77; 12 avril 1855, rapp. M. Foucher, n. 124.

Cass. 12 avril 1885, cité dans la note qui précède.

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