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légalement remis à ses soins, l'Etat est un commettant relativement à ces personnes, et doit répondre à ce titre des délits et des quasi-délits qui leur sont imputables?

Nous venons de dire que l'un des points de droit discutés par le défendeur pour repousser le pourvoi ne rentre pas dans cette question; il prétend en effet qu'indépendamment de l'article 1384, l'Etat est, en vertu de l'article 1582, et à raison de son propre fait, responsable des dommages éprouvés par lui, mais la Cour d'appel de Gand n'a rien décidé, ni sur ce fait, qui devant nous reste ainsi étranger au procès, ni sur le droit que le défendeur en déduit par application de l'article 1382, elle s'est bornée à constater le fait du dommage causé par l'imprudence des personnes chargées du service des transports sur le chemin de fer de l'Etat, à l'en déclarer responsable et à le condamner de ce chef; nous ne pourrions chercher la justification de son arrêt dans l'article 1382 qu'en partant de ce fait qui pour nous n'existe pas, et c'est ce qui ne nous est point permis, ou en déterminant nous-même ce fait, et c'est ce qui ne nous est pas permis davantage; nous devons en conséquence renfermer le débat dans la question que nous venons de poser; c'est celle-là seule aussi qu'ont décidée et la Cour de Liége, par l'arrêt dont l'annulation a donné lieu au renvoi de l'affaire devant la Cour de Gand, et votre première chambre, par l'arrêt qui a prononcé cette annulation et ce renvoi; elle seule également forme donc l'objet du dissentiment judiciaire qui Vous appelle à connaître de ce pourvoi, chambres réunies.

La solution qui lui a été donnée à Liége repose sur le principe absolu que l'art. 1384 du Code civil est général et concerne les administrations publiques relativement à l'Etat, comme les préposés des simples particuliers relativement à ceux-ci; la solution qui lui a été donnée dans l'arrêt d'annulation repose sur le principe contraire; elle soustrait à l'empire de cet article les fonctions publiques créées par les lois et les règlements qui ont pour objet l'intérêt général et l'administration de l'Etat.

La Cour d'appel de Gand, tout en pronon çant dans le même sens que la Cour de Liége et dans un autre sens que la Cour de cassation, semble avoir voulu tenir le milieu entre les systèmes des deux Cours et faire la part de chacun. Elle n'a pas admis que l'article 1584 du Code civil fut toujours applicable aux administrations publiques, elle

n'a pas non plus admis qu'il n'y fût jamais applicable; elle a distingué entre le cas où l'Etat pose un acte de la vie civile et le cas où il agit dans l'exercice de sa mission politique et gouvernementale; dans le premier cas, elle lui a déclaré l'article applicable; dans le second, elle le lui a déclaré inapplicable, et elle a reconnu que le premier de ces cas était celui de l'espèce.

Malgré les apparences de juste milieu que présente une semblable décision, elle ne diffère pas en principe de celle que vous avez rendue en annulant l'arrêt de la Cour de Liége; vous n'avez, en effet, point décidé que l'Etat ne pût poser par ses agents des actes de la vie civile régis dans toutes leurs conséquences par la loi civile; c'eût été nier l'évidence et méconnaître ce qui se fait tous les jours, et ce qui fréquemment et sans conteste appelle à ce titre votre intervention; vous avez décidé, et ici nous traduisons la pensée renfermée dans les termes de l'arrêt de renvoi, vous avez décidé qu'on ne pouvait considérer comme acte de la vie civile les actes essentiellement propres aux fonctions publiques instituées par les lois et les règlements dans un but d'intérêt et d'administration publics; vous avez décidé que ces actes appartenaient à la vie publique et non à la vie civile, qu'ils ne pouvaient en conséquence être régis directement par le droit civil, qu'ils ne pouvaient l'être que par le droit public, c'est-à-dire par les lois et les règlements d'administration publique, soit généraux, soit spéciaux, selon la nature de leur objet et de leurs rapports avec le public; qu'ainsi en était-il de l'exploitation du chemin de fer de l'Etat quant aux fonctionnaires institués pour opérer, diriger et surveiller le transport des personnes et des choses et quant aux actes propres à leurs fonctions.

Tel est le sens de votre premier arrêt, et dans ce sens c'est moins une question de principe qu'une question d'application qui a produit une diversité de jurisprudence entre cet arrêt et celui de la Cour d'appel de Gand.

En principe ni l'un ni l'autre ne méconnait que l'Etat n'agisse tantôt à titre de gouvernement ou souverain, accomplissant d'autorité la mission que ce titre implique, et tantôt à titre de personne civile placée sur la même ligne que les personnes naturelles.

Ils ne diffèrent entre eux que dans l'appréciation des caractères distinctifs de ces deux titres et de leur rapport à la cause.

Là donc est le nœud de la question que Vous êtes appelés à résoudre.

Quels sont les caractères distinctifs de l'Etat, gouvernement, et de l'Etat, personne civile?

Auquel de ces deux titres se rapporte le transport des voyageurs sur le chemin de fer de l'Etat?

Ces deux points vérifiés, la question du pourvoi sera résolue :

L'article 1584 du Code civil sera ou ne sera pas applicable, selon que ce transport s'effectue par l'Etat à titre de personne civile ou par l'Etat à titre de gouvernement.

Dans le premier cas la matière du droit, auquel se rapporte son action, est autre que la matière du droit auquel elle se rapporte dans le second cas, et l'on ne peut substituer les règles de l'une à celles de l'autre sans contravention à celles-ci et sans fausse application de celles-là; les termes de ces règles, quelque généraux qu'ils soient, ne peuvent tirer à conséquence; ils ne sont généraux que relativement à la matière dont elles traitent, et par suite doivent s'y restreindre.

A titre de personne civile, l'Etat a la capacité civile inhérente à ce titre; il acquiert les droits civils et s'engage dans les obligations civiles qui en dérivent; cette capacité, ces droits et ces obligations sont régis par la loi dont l'essence est l'égalité entre toutes personnes et la liberté d'action pour toutes, par la loi civile, et l'article 1384 du Code civil étend en conséquence son empire sur lui.

A titre de gouvernement, il embrasse toutes personnes dans son action; il remplit d'autorité une mission vis-à-vis d'elles; sa position à leur égard n'est plus celle des dont personnes entre elles régies par la loi, l'essence est l'égalité et la liberté, par la loi civile; elle est celle du supérieur à l'inférieur, liés entre eux par l'action du premier sur le second et par les devoirs réciproques qu'elle implique. A cette position toute differente doivent correspondre des règles également différentes; si elles ne comportent pas les mêmes garanties elles en comportent d'autres non moins efficaces, et y coordonnent même au besoin les règles du droit civil dans la mesure et moyennant les précautions qui conviennent à la différence des positions; ces règles sont celles du droit public comprenant toutes les dispositions d'ordre constitutionnel et d'ordre administratif exclusives du droit civil en dehors des cas

où elles ne se le rattachent pas expressément, exclusives par conséquent, en dehors de ces cas, du principe et de la disposition de l'article 1384 du Code civil.

Quels sont les caractères distinctifs de ces deux titres? Tel est donc le premier point à vérifier pour reconnaître auquel des deux se rapportent, relativement à l'Etat, l'institution et les actes des fonctionnaires publics auxquels est confié le transport des personnes et des choses sur le chemin de fer ouvert par lui au public.

Les deux titres auxquels il agit sont essentiellement différents, malgré l'étroite affinité qui les unit; cette différence a sa source dans la nature même des choses; aussi les retrouvons-nous dans toutes les législations.

Ce que nous venons d'en dire en est presque une définition; quelques observations la compléteront et nous conduiront à en marquer les caractères respectifs.

Les nations ou sociétés civiles ont une existence nécessaire; elles l'ont reçue pour une fin non moins nécessaire aussi; cette fin est l'ordre parmi les hommes; les personnes et les choses que chaque nation ou société civile renferme dans son sein, les droits et les intérêts qui s'y rattachent en sont l'objet.

De là, cette mission dont nous parlions tantôt, qui lui appartient à leur égard, qui lui appartient d'autorité, et qui suppose en elle un être distinct de toute personne et de toute chose; et partant de toute capacité, de tout droit et de tout intérêt civils; cet être est l'Etat, agissant à titre de souverain ou gouvernement, régi par le droit propre à ce titre, le droit public.

La mission qui lui appartient, il ne se l'est point donnée, il ne peut la restreindre ou l'étendre à son gré, il l'a reçue avec la vie, se restreignant ou s'étendant avec elle selon les progrès de la civilisation, et il ne peut la négliger ou se refuser à la remplir sans tout à la fois et manquer aux lois de son existence et en abandonner la fin, et apporter ruine, dépérissement ou souffrance aux personnes et aux choses, aux droits et aux intérêts, qui en sont l'objet.

Mais il serait impuissant à la remplir, et son action s'arrêterait s'il n'avait à sa disposition des moyens matériels en rapport avec elle et avec son objet : ces moyens ne sont autres que des choses mobilières ou immobilières acquises ou à acquérir, constituées en propriété dans ce but, formant avec ce but ce que fictivement l'on nomme en

droit une personne juridique, existant à l'instar des personnes naturelles, et, dans cette existence abstraite, ayant la même capacité, susceptible des mêmes obligations et des mèmes droits, et régie comme elles par le droit des personnes et des choses, le droit civil. Cette personne juridique, moyen d'action de l'Etat, gouvernement, soumise comme toutes personnes et toutes choses aux lois qui en émanent, forme par cela même un être distinct de lui, et ses procédés ni ses actes ne peuvent être confondus avec les siens; cet être est l'Etat agissant à titre de personne civile, la plus importante des personnes juridiques, pour nous servir de l'expression de Savigni, parlant dans son Traité de droit romain de l'Etat considéré comme capable de propriélé privée, chap. 2, § 86. L'affinité qui les unit peut bien parfois jeter quelque obscurité sur les limites qui les séparent, mais il suffit pour les reconnaître et marquer les caractères de l'un et de l'autre de considérer attentivement les procédés et les actes de chacun; ces procédés et ces actes, par leur principe comme par leur but, repoussent toute confusion et marquent les caractères distinctifs des deux êtres auxquels ils sont respectivement propres, et dont l'un n'est que l'accessoire de l'autre.

Les procédés et les actes de celui-ci, de l'Etat, gouvernement, ont leur principe dans la mission dont les nations ou sociétés civiles ont été investies par la nécessité de leur existence et de la fin pour laquelle elles l'ont reçue; ils ont leur but dans cette fin même et dans ce qui en est l'objet, dans les personnes et les choses, les droits et les intérêts qui s'y rattachent; en principe et en but ces procédés et ces actes sont désintéressés quant à l'Etat, gouvernement, qui les pose.

D'un autre côté, les procédés et les actes de l'Etat, personne civile, ont leur principe dans la nature même de la propriété par laquelle et pour laquelle toute personne civile est constituée; ils ont leur but dans la plus fructueuse exploitation possible de cette propriété; en principe et en but ils sont intéressés quant à la personne civile qui les pose; certes l'intérêt en profite à l'Etat, gouvernement, et de ce profit, qui fait leur affinité, on pourrait être conduit à confondre les actes de l'un avec ceux de l'autre, mais il ne lui profite qu'indirectement, il lui profite parce que la personne civile de l'Etat est constituée comme moyen d'action pour l'Etat, gouvernement, il ne lui profite nullement comme but de ses

propres acles, c'est-à-dire, des actes qui rentrent dans les termes de sa mission et tendent à sa fin; ceux dont il provient sont absolument étrangers à l'une et à l'autre ; nonobstant le profit indirect qu'il en peut retirer sous ce double rapport, la distinction reste donc entière entre lui et sa personne civile comme entre les actes de chacun d'eux. Quelques développements sur le principe et le but de ces actes achèveront de faire ressortir les caractères de cette distinction.

Le principe des actes de l'Etat, gouvernement ou souverain, sont, nous l'avons vu, dans la mission des sociétés civiles; le but de ces actes est dans la fin même pour laquelle elles ont reçu l'existence et dans l'objet de cette fin, les personnes et les choses, les droits et les intérêts qui s'y rattachent. La fin des sociétés civiles est, nous l'avons vu aussi, l'ordre parmi les hommes, et quand nous disons l'ordre, il faut entendre l'ordre dans les intérêts matériels non moins que dans les intérêts moraux; les uns et les autres appartenant à une créature complexe telle que l'homme, sont intimement liés entre eux. Dans l'ordre ainsi entendu est donc toute la mission de l'Etat, gouvernement, il en marque l'étendue; il détermine par conséquent et caractérise ses procédés et ses actes comme il en est le but, et il les distingue des procédés et des actes de l'Etat, personne civile, comme il distingue leur auteur, l'Etat, gouvernement, de cette personne elle-même.

L'ordre parmi les hommes, embrassant toute personne et toute chose, les droits et les intérêts qui s'y rattachent, se présente sous deux points de vue divers : sous le point de vue des hommes individuellement con-sidérés, et sous le point de vue des hommes considérés dans leur généralité.

Sous le premier de ces deux points de vue l'ordre consiste dans la protection de tous les droits et de tous les intérêts particuliers des personnes, soit naturelles, soit civiles, et celle protection s'effectue par la règle, par la justice et par le commandement, laissant d'ailleurs à chacun la libre gestion et la libre disposition de sa personne et de sa chose.

Sous le second point de vue l'ordre consiste dans la protection des droits et des intérêts de la généralité, c'est-à-dire, de cette classe d'intérêts communs à tous, et qui, soit absolument, en tout temps, en tout lieu, et dans tout état social, soit relativement,

selon les temps et les lieux, selon l'état de civilisation et l'état économique des nations, ne peuvent, sans dépérir où sans s'altérer gravement, et par conséquent ne peuvent, sans que l'ordre en soit troublé, être laissés à la libre gestion et à la libre disposition des individus isolés ou volontairement associés. La protection s'effectue par ce qui peut seul suppléer à cette gestion et à cette disposi tion pour la sauvegarde, condition d'ordre, des intérêts qu'elle concerne, elle s'effectue par la gestion, que l'Etat s'en attribue et en accomplit d'autorité pour le service de lous.

Soit donc que par la règle, la justice et le commandement il protége les droits et les intérêts particuliers de tous, soit que par la gestion, qu'il s'en est attribuée et qu'il accomplit d'autorité, il protége les droits et les intérêts communs à tous, l'Etat remplit

la mission dont les nations ont été investies par la nécessité de leur existence et de la fin pour laquelle elles l'ont reçue; il agit donc à titre de souverain ou gouvernement, distinct des personnes et des choses et de tout ce qui leur est propre.

Cette double protection, principe et but de ses actes, marque ainsi le caractère qui

le distingue.

Elle lui imprime en outre cet autre caractère, que nous signalions tantôt, le désintéressement; par elle en effet il applique son action non à ce qui lui est propre, mais à ce qui est propre aux personnes, soit à chacune en particulier, soit à toutes en commun; sa sollicitude, sous ce double rapport, embrasse exclusivement leurs intérêts, et il n'a de propre que la mission, qu'il remplit d'autorité à leur égard.

Rien de pareil ne peut se dire de l'Etat, personne civile; à ce titre ses actes ont un principe tout autre et tendent vers un but tout différent. Cette fiction du droit est une propriété de choses mobilières acquises et à acquérir, qui a son existence, sa capacité et ses droits à l'instar des personnes naturelles, qui dans la mesure du droit civil, sa règle, et par l'intermédiaire des personnes y préposées pour la représenter, ne consulte que son intérêt, ne s'inquiète point de l'intérêt des autres personnes, agit concurremment avec elles, sous l'empire d'une même loi d'égalité et de liberté, et a rempli sa mission quand elle s'est conservée et développée selon ses forces et ses besoins; à ce titre l'Etat ne commande ni ne règle d'autorité, il ne pourvoit pas à l'ordre parmi les hommes, il ne s'occupe de l'ordre que PASIC., 1852.

1re PARTIE.

comme toute autre personne, pour s'y conformer en tant que de besoin; il ne protége pas les intérêts propres aux personnes en particulier, ou en commun que comprend l'ordre, il est lui-même une de ces personnes; il gère sa chose, il la gère exclusivement dans l'intérêt de cette chose, contractant, acquérant, s'obligeant dans le mème intérêt; dans cet intérêt exclusif de sa chose est le but de ses actes comme le principe en est dans la propriété de cette chose fictivement personnifiée; ce principe et ce but par les conséquences qui en dérivent leur assignent, et à cette personne fictive elle-même, un caractère tranché et les distingue nettement de l'Etat, gouvernement, souverain, et des actes de celui-ci, dont il n'est que l'instrument et qui en applique les fruits à toutes les personnes et à toutes les choses à l'égard desquelles il remplit sa mission.

Aussi ne pourrait-il s'élever aucune difficulté à ce sujet, si chaque fois qu'il s'agit de reconnaître à quel titre agit l'Etat, son action était simple, c'est-à-dire, s'il agissait toujours, ou à titre de personne civile, abstraction faite de toute application spéciale du produit de ses actes au service de la mission, que remplit l'Etat à titre de gouverne

ment, ou à ce dernier titre indépendamment de semblable application; par exemple, s'il en était toujours de son action comme dans le cas d'une propriété rurale possédée par lui ou comme dans le cas d'une simple mesure de sûreté générale exécutée par des officiers publics en vertu d'une loi ou d'un règlement légal. Alors en effet le caractère de cette action se manifeste de lui-même, sans qu'aucune opération de l'esprit soit nécessaire pour discerner deux ordres de faits connexes, parce que les termes de la distinction des deux titres, auxquels agit l'Etat, ne se touchent pas et apparaissent dans toute leur simplicité; exploitant soit par agents, soit par locataire sa propriété rurale, l'Etat, personne civile, en verse les produits au trésor, et l'Etat, gouvernement, y trouve l'instrument de sa mission quand lout est consommé au titre de sa personne; les agents, qui ont agi en son nom, n'ont pas exercé des fonctions instituées par une loi dans un but d'intérêt et d'administration publics; ils n'ont agi que dans un but d'intérêt privé, ils ont agi dans l'intérêt exclusif de la propriété rurale considérée en ellemême et abstraction faite de la mission gouvernementale appartenante à la nation; il en est de même d'une simple mesure de sûreté publique, elle est indépendante de tel ou tel acte de la personne civile de l'Etat, elle

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trouve ses moyens d'action dans les produits généraux des actes de cette personne, et le titre, auquel elle s'accomplit, n'a aucun point de contact avec le titre de celle-ci; il apparaît seul avec la mission de l'Etat, gouvernement, dont il émane, sans qu'aucun acte relatif à des intérêts privés de propriété le précèdent ou l'accompagnent; ses agents à ce titre exercent exclusivement des fonctions légalement instituées dans un but d'intérêt et d'administration publics; leur caractère frappe tout esprit attentif sans en exiger nul effort de raisonnement. Mais les choses ne se passent pas toujours avec cette simplicité; l'Etat, personne civile, et l'Etat, gouvernement, par cela même que l'un est l'accessoire, l'instrument de l'autre, se tonchent fréquemment par tant de points qu'une attention ordinaire ne suffit pas toujours à les distinguer; leurs caractères respectifs, néanmoins, conservent toujours les signes propres à chacun, et rendent toute erreur impossible pour quiconque les connaît et y applique son intelligence; nous en citerons pour exemple deux cas, auxquels il a été fait allusion dans ce débat; le cas d'un marché de fournitures passé par l'Etat pour l'habillement ou pour la nourriture de l'armée (1) et celui de la nullité d'une saisie de marchandises que la régie des douanes prétendait avoir été frauduleusement introduites; sur le premier cas, l'on a dit qu'il entrait dans la mission gouvernementale de l'Etat d'habiller et de nourrir l'armée et que pourtant des contrats de fournitures passés à cet effet étaient régis par le droit civil et l'on en a conclu qu'il ne suffisait pas d'établir qu'un acte se rapportait à la mission de l'Etat, gouvernement, pour en induire que le droit civil ne pouvait le régir; mais l'on n'a pas fait attention qu'entre ces contrats de fournitures et l'Etat, gouvernement, accomplissant sa mission à ce titre, en ce qu'il lève une armée, la tient sur pied et prend à son égard et par elle toutes les mesures nécessaires à la défense du pays, il n'y avait d'autre rapport que celui de l'instrument, du moyen à l'action même, que pour le surplus, et malgré des points de contact, les contrats de fournitures sont l'œuvre de l'Etat, personne civile; l'emploi seul de la fourniture accomplic est l'œuvre de l'Etat souverain ou gouvernement; l'Etat, en passant ces contrats de fournitures, dispose des sommes d'argent dont il est possesseur ou

() Voyez Cour d'appel de Bruxelles, 6 mai 1850.

qui doivent entrer en sa possession, n'importe de quel chef; il promet de payer ces sommes d'argent en échange des étoffes ou des denrées, dont les fournisseurs s'engagent à lui transmettre la propriété; quel que soit l'emploi qu'il en fasse ultérieurement, que l'armée en profite ou non, ce mouvement de propriétés ne s'en sera pas moins effectué; la mission de l'Etat, gouvernement, quant à l'armée, n'y peut rien, il en est tout distinct, et l'Etat ou ses agents qui passent les contrats n'ont qu'un intérêt à consulter, l'intérêt d'argent à dépenser et qu'il ne faut échanger que contre des valeurs équivalentes, et l'intérêt de ces valeurs mêmes qu'il faut n'accepter que de bonne qualité, en un mot, un intérêt de propriété à acquérir et rien autre; un pareil contrat est donc l'œuvre de l'Etat, personne civile, quelque emploi qu'en puisse faire plus tard l'Etat, gouvernement; la mission de celui-ci ne commence qu'après l'acquisition consommée, et c'est pour n'avoir pas prêté une attention raisonnée aux signes caractéristiques de deux titres momentanément rapprochés qu'on a pu les confondre; c'est ce qui arrive également dans le cas de la nu!lité d'une saisie de marchandises, que l'on prétend avoir été frauduleusement introduites; dans ce cas la loi sur les douanes, loi spéciale toutefois, et non la loi civile, chargeait l'Etat de payer, en restituant les marchandises indument saisies, un intérêt d'indemnité par mois de détention au proprié taire; et l'on a cru, considérant la saisie comme se rapportant à la perception d'un impôt, l'on a cru pouvoir en conclure, comme on l'a fait à propos des marchés de fournitures pour les armées, qu'un acte pouvait se rapporter à la mission gouvernementale de l'Etat et donner lieu à la responsabilité civile du chef de ses agents; mais outre que celle responsabilité résulte ici des dispositions expresses d'une loi toute spé ciale, de la loi même, qui règle l'action de l'Etat en matière de douanes, et non de la loi civile, il y a dans le fait d'un procès soutenu par l'Etat en validité de la saisie opérée par ses agents un acte de la personne juridique tout distinct de l'exercice de son autorité en matière d'impôt; certes quand l'Etat frappe des marchandises soit d'un impôt de douane, soit d'un droit d'entrée destiné à protéger l'industrie nationale, il fait acte de l'Etat, gouvernement, il fait également acte de gouvernement ou souverain quand d'autorité il saisit par ses agents des marchandises, que ceux-ci prétendent avoir été frauduleusement introduites, mais

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