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tairement que de se prendre soi-même pour juge de l'effet de la peine qu'on destine au meurtrier pour déterminer la mesure de cette peine ce n'est pas sur ce que vous éprouvez, ce n'est pas sur les sensations d'un citoyen paisible, mais sur celles d'un scélérat qu'elle doit être calculée.

» Les hommes à la vérité craignent tous la douleur, et si vous voulez consentir à prolonger la mort par ces tourmens raffinés que renferment les lois actuelles, peut-être parviendrez-vous à inspirer aux assassins un véritable effroi. Sans aucun doute vous rejetterez avec horreur cette idée, s'il était possible qu'elle vous fût présentée; mais par là vous décidez en même temps l'abolition de la simple peine de mort, car l'expérience a prouvé que la mort, lorsqu'elle n'est que la mort en perspective, est insuffisante pour réprimer, et qu'il faut y joindre pour cela des tortures, et cet appareil d'atrocité et de barbarie inventé coni. les esclaves lorsqu'on semblait avoir oublié qu'ils étaient des hommes.

>> Cherchons donc ailleurs des moyens de réprimer les crimes.

Je ne cesserai de la répéter cette vérité qu'on semble mépriser parce qu'elle est trop simple; le premier de ces moyens et le plus efficace c'est la justice, la douceur des lois et la probité du gouvernement.

» Le second est dans ces institutions locales établies pour prévenir chez les hommes le désespoir ou l'extrême pauvreté, source ordinaire des crimes. Je ne crains pas de le dire, tout cet appareil de peines, ces lois, ces tribunaux, tous ces remèdes qui s'appliquent aux effets ne sont rien près de ceux qui vont à la source du mal. Fournissez aux hommes du travail, et des secours à ceux qui ne peuvent travailler, vous aurez détruit les principales causes, les occasions les plus ordinaires, je dirai presque l'excuse de tous les crimes.

» Vous avez regardé avec raison l'établissement du code pénal comme un de vos principaux devoirs; mais j'ose vous déclarer que les trois quarts de ce code sont dans le travail que votre comité de mendicité doit vous présenter.

» Enfin, puisque après tous ces moyens il faut encore établir des peines pour réprimer les crimes, et puisque cette répres

sion consiste moins à prévenir l'acte matériel du crime que l'intention qui le médite et la pensée qui le calcule, tâchez d'appropriet vos ressorts à cette fin; observez pour cela l'individu dont vous voulez modifier la volonté et arrêter les desseins.

>> Un assassin est véritablement un être malade dont l'organisation viciée a corrompu toutes les affections; une humeur âcre et brûlante le consume; ce qu'il redoute le plus c'est le repos, c'est un état qui le laisse avec lui-même; c'est pour en sortir qu'il brave journellement la mort et cherche à la donner; la solitude et sa conscience, voilà son véritable supplice cela ne vous indique-t-il pas quel genre de punition vous devez lui infliger, quel est celui auquel il sera sensible? N'est-ce pas dans la nature de la maladie qu'il faut prendre le remède qui doit la guérir? C'est aussi là que vos comités l'ont puisé; telles sont les vues qui les ont déterminés : je nę les discute pas en ce moment; je me borne à conclure ici que la mort ne saurait être une peine, pnisqu'elle n'en a point le premier caractère, celui d'être répressive, et que l'infamie qu'on y attache est inutile, ou serait jointe avec plus d'avantage à un supplice vivant et durable.

» 2°, Je dois prouver davantage, et démontrer que la peine de mort a pour effet de multiplier les crimes atroces.

» La société n'est qu'une imitation de la nature; elle a le même but qu'elle, la conservation des individus et le maintien de leurs droits si leur empire a les mêmes bornes leurs agens sont aussi les mêmes, et si la société cesse de consulter la nature, si elle ose contrarier cet ordre éternel auquel l'univers entier est soumis et dont l'observation forme l'harmonie du monde, bientôt tout devient désordre et confusion; il se forme une opposition entre les mœurs et les lois; l'homme. livré à deux puissances contraires, ne reconnaît plus le fil qui doit le guider dans sa conduite; ses devoirs cessent de lui être tracés, et les limites qui séparent les vertus et les vices deviennent de plus en plus variables et incertaines.

» Les gouvernemens anciens, au milieu de beaucoup d'erreurs, avaient saisi cette importante maxime d'identifier les

lois et les mœurs en ralliant ainsi à des principes communs l'esprit et le cœur des hommes, en donnant une direction uniforme et un parfait accord à leurs opinions et à leur conduite; l'action sociale s'augmentait chez eux de l'union de ces divers ressorts; sa force était une, énergique et facile : c'est avec cette justesse de vues et cette simplicité de moyens qu'ils étaient parvenus à donner aux hommes cette élévation dans le caractère, cette dignité simple avec lesquelles contrastent si fort l'affectation, la sécheresse et la frivolité des mœurs modernes.

» Mais je reviens à la question.

» S'il est vrai que pour maintenir les droits primitifs de l'homme la société ne puisse faire mieux que d'imiter les moyens que la nature emploie, voyons quels sont ceux que celle-ci met en usage pour assurer le premier et le plus important de tous, je veux dire la conservation des individus.

» Un homme rencontre son ennemi seul ; il est le plus fort; il ne sera pas vu; qui le détourne d'attenter à sa vie?..... Qui maintient notre existence au milieu de tant de haines, de vengeances, de passions sans cesse exaltées? Pensez-vous que ce soient vos prohibitions légales ou la crainte de vos peines ? Non, mais cette prohibition plus forte que la nature a gravée dans le cœur des hommes, mais cette voix qui crie à tous les êtres de ne pas attaquer leurs semblables, de ne pas attaquer un être sans défense, de ne pas attaquer quiconque ne les attaque pas c'est sous cette garantie profonde, c'est à l'abri de ces sentimens que les individus vivent tranquilles, et que la société ne présente pas un spectacle continuel de violences et de carnage. On fait en général trop d'honneur aux lois en leur attribuant l'ordre et l'harmonie qui règuent dans un état civilisé; le gouvernement y peut beaucoup, mais c'est moins par les règles qu'il prescrit aux individus que par le caractère et les sentimens qu'il leur inspire; le reste appartient à la nature, qui, ayant voulu notre conservation, nous a doués des affections nécessaires à ce but, je veux dire la compassion et l'humanité : voilà ce que fait la nature. En succédant à ses droits vous avez contracté les mêmes obligations; voyons si vous saurez aussi bien les remplir; voyons

si les moyens qu'elle emploie se sont affaiblis ou renforcés dans vos mains.

>> Comme elle vous défendez le meurtre... Mais au milieu de la place publique et du peuple qui s'y assemble je vois un homme massacré de sang froid par votre ordre; mes yeux, ces organes qui transmettent au dedans des sensations si vives et si puissantes, ont été offensés de ce spectacle ! L'homme qu'on fait mourir a, dites-voue, assassiné son semblable... Mais l'idée éloignée de son crime s'absorbe et se perd dans la sensation présente et bien plus vive de son supplice; le spectateur, celui même que l'indignation contre le coupable a conduit à le voir périr, au moment de l'exécution lui pardonne son crime; il ne vous pardonne pas votre tranquille cruauté; son cœur sympathise secrètement avec le supplicié contre vous; les lois de son pays lui paraissent moins chères et moins respectables en ce moment, où elles blessent et révoltent ses plus intimes sentimens, et en se retirant il emporte avec lui, suivant son caractère, des impressions de cruauté ou de compassion, toutes différentes de celles que la loi cherchait à lui inspirer; il se forme au mépris non de sa propre vie, sentiment presque toujours généreux, mais de celle de ses semblables; si quelquefois il a médité de se défaire de son ennemi ou d'assassiner un citoyen cette horrible entreprise lui paraît plus simple et plus facile; elle fatigue moins ses sens depuis qu'il a vu la société elle-même se permettre l'homicide.

» Ainsi donc une peine qui n'est point répressive pour l'assassin devient encore dangereuse et corruptrice pour le spectateur; elle est à la fois inutile et funeste; et vous, loin de favoriser la nature dans les moyens qu'elle emploie pour la conservation des individus, vous atténuez ces moyens vous multipliez ainsi les crimes en détruisant leur plus grand obstacle, je veux dire l'horreur du meurtre et de l'effusion du sang.

et

» Au dessus de vos lois et avant vos conventions il existe des causes et des agens que vous ne pouvez dénaturer ou contrarier sans danger. Ce n'est pas l'injustice du meurtre que la nature a proscrite, c'est le meurtre lui-même toutes

les fois qu'il est volontaire; ce qu'elle repousse avec horreur c'est que plusieurs hommes de sang froid en massacrent un seul sans défense: voilà le plus grand crime à ses yeux; ce qui le prouve c'est qu'il révolte à la fois toutes les sensations humaines. Eh! ne pouvez-vous punir les hommes sans corrompre chez eux les habitudes et les mœurs?

>> Maintenaut mettons en balance vos moyens et ceux de la nature, et comparons le résultat. Elle défend, je le répète, le meurtre volontaire, et sa défense s'exprime par cet instinct primitif qu'il ne faudrait plus que renforcer et raffermir pour en rendre l'effet certain et invincible.

» Vous aussi vous défendez le meurtre..... Mais vous vous en réservez l'exclusif usage; ce n'est pas l'homicide que vous improuvez,, mais seulement l'illégalité de cette action; vous altérez des agens doux et directs de l'humanité et de confiance, et vous mettez à la place des agens indirects, des peines à la fois cruelles et sans effets! Les bases de la moralité des actions ne sont plus les mêmes : cet instinct que vous avez affaibli agissait sur tous les hommes dans toutes les situations; la défense légale, au contraire, n'a lieu que lorsqu'il craint d'être vu ou qu'il n'espère pas d'échapper d'autre part celui qui hésite encore dans cette horrible résolution du crime se sent moins retenu par la prohibition de la loi, par les idées métaphysiques qui en dérivent, que par les avertissemens actuels et physiques que la nature lui donne. Que doit-on chercher? C'est que la nature soit la lus forte dans cette lutte que l'assassin lui livre lorsqu'il veut commettre un crime : au lieu de cela vous déplacez le lieu du combat; vous donnez à l'esprit à décider ce qui appartenait à l'âme ; vous soumettez au calcul ce qu'il fallait laisser au sentiment; le meurtre cesse d'être une action atroce puisque vous vous le permettez ; il n'est plus qu'une action illégale ; ce n'est plus qu'une simple formalité qui sépare l'assassin et le bourreau; c'est cette formalité qui devient toute la garantie que vous donnez à chaque individu de sa conservation! Vous avez affaibli ces motifs puissans et actuels de nos actions, qui nous viennent de la nature et de notre organisation, pour y substituer des principes métaphysiques et artificiels dont l'effet,

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