Page images
PDF
EPUB

machines à vapeur sur la même ligne que les armes et les munitions.

En est-il de même du charbon de terre? Cette question a une très grande portée, et est loin encore d'avoir reçu dans la pratique internationale une solution uniforme. En effet, la houille reçoit de nos jours des applications si multiples, soit pour les usages domestiques, soit pour les besoins industriels, soit pour l'alimentation de la marine à vapeur marchande, qui tend de plus en plus à se substituer à l'ancienne marine à voiles, qu'il n'est plus possible, sans s'exposer à léser des intérêts tout pacifiques, d'envisager ce combustible au seul point de vue des services qu'il peut rendre à la marine militaire ennemie.

La France et la plupart des Etats secondaires se sont, sous ce rapport, écartés résolument des anciens errements et ont formellement proclamé qu'ils n'entendaient pas faire rentrer la houille parmi les articles qualifiés de contrebande de guerre (1).

Quant à la Grande-Bretagne, elle procède relativement à la houille, cette vaste et fructueuse branche de son commerce d'exportation, comme elle l'a fait pour les armes et les munitions. En principe, elle classe le charbon de terre parmi les articles de commerce licite et refuse d'en interdire l'exportation quand elle n'est pas elle-même engagée dans un conflit extérieur. C'est le parti auquel elle s'est arrêtée en 1870 durant la guerre entre la France et l'Allemagne, malgré les vives réclamations élevées à ce sujet par le cabinet de Berlin. Seulement par un scrupule peut-être exagéré de ses devoirs comme puissance neutre, elle a en même temps déclaré que les expéditions de houille sortant de son territoire devaient se faire directement, à destination de ports ennemis ou neutres, par navires marchands et non par transports militaires, et qu'elles ne pourraient servir à renouveler en pleine mer les approvisionnements des escadres ou des croiseurs belligérants.

Toutes les fois, au contraire, qu'il est lui-même engagé dans une guerre, le gouvernement anglais non seulement n'hésite pas à frapper de prohibition la sortie de la houille, mais encore il se croit autorisé à qualifier le combustible minéral de contrebande accidentelle, et à ce titre, il en fait opérer la saisie par ses croiseurs, quand ils peuvent constater qu'il a une destination ennemie. C'est,

(1) Voir les notes insérées dans le Moniteur universel du 29 mai 1859, et dans le Journal officiel de 1870 lors des guerres d'Italie et d'Allemagne.

Bêtes de somme.

comme on le voit, l'application de l'ancienne règle de « l'usage douteux (usus ancipitis) » : c'est la pratique que l'escadre anglaise de la mer Noire a suivie pendant la guerre d'Orient.

Les puissances maritimes de second ordre, qui consomment plus de houille qu'elles n'en produisent elles-mêmes, ont un intérêt majeur à se guider sur ce point d'après les principes admis et proclamés par la France; mais comme clles n'ont pas eu depuis nombre d'années de grandes guerres à soutenir, elles ne se sont pas trouvées en mesure de proclamer leurs vues à cet égard et surtout de faire connaître si éventuellement elles n'exigeraient pas une réciprocité de procédés de la part des belligérants avec lesquels elles entreraient en lutte.

Quant aux Etats-Unis, dont la jurisprudence maritime a tant d'analogie et de points de contact avec celle du Royaume-Uni, on n'est guère exposé à se tromper en supposant qu'en cas de guerrc ainsi que dans une situation de complète neutralité, ils se conformeraient exactement à la pratique consacrée en Angleterre *.

§ 2750. La prohibition qui pèse sur le commerce des bêtes de trait et de somme ne comprenait à l'origine que la race chevaline. à cause de son utilité exceptionnelle pour la cavalerie et l'artillerie (1); mais de nos jours on l'a étendue aux ânes et surtout aux mulets, si fréquemment employés pour les besoins des ambulances et des transports dans les pays de montagnes.

Hautefeuille soutient qu'on ne doit pas considérer comme contrebande de guerre les animaux, quels qu'ils soient, servant au transport des marchandises **.

Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 151-154; Ortolan, Règles, t. II, p. 232; Heffter, § 160; Bluntschli, § 805; Phillimore, Com., v. III, § 266 ; Halleck, ch.XXIV, §§ 21, 22; Moseley,pp. 68, 71; Lawrence, Elem. by Wheaton, note 229; Dana, Elem. by Wheaton, § 226; Ott, Droit de Klüber, pp. 364, 365; Hall, International law, p. 581; Perels, Droit maritime, p. 276.

(1) Cependant il y a des traités qui ne défendent pas le commerce des chevaux entre les neutres et les belligérants. On peut citer celui du 20 juin 1766 entre l'Angleterre et la Russie (Wenck, t. III, p. 572; Martens, 1re édit., p. 141; 2 édit., t. I, p. 390); ceux de 1780-82 entre la Russie, la Suède, le Danemark, le Portugal, la Prusse, l'Autriche et la Hollande (Martens, 1re édit., t. II, pp. 103, 110, 117, 130, 208; t. IV, pp. 357, 375, 404; 2e édit., t. III, pp. 189, 198, 215, 245, 252, 263; Neumann, t. I, p. 273; Castro, t. III, p. 310); et celui du 30 septembre entre la France et les Etats-Unis (De Clercq, t. I, p. 400; Elliot, v. I, p. 83; Martens, 1re édit., t. VII, p. 484; 2 édit., t. VII, p. 96; State papers, v. VIII, p. 463; Bulletin des lois, an X, n° 139); Hautefeuille, Des droits, t. II, p. 155.

[ocr errors]

Bluntschli, § 805; Hautefeuille, Des droits, t. II, pp. 154-157; Galiani,

Armes et munitions du

§ 2751. Si, comme cela est universellement admis, les objets qui peuvent servir à la fois à la guerre et à des usages pacifiques guerre, sont considérés comme sujets à capture, qui pourrait contester le droit de confisquer les objets destinés uniquement et directement à la guerre ? Il n'y a donc pas à s'appesantir longuement sur ce sujet pour affirmer que les armes et les munitions de guerre ont toujours été regardées comme étant de commerce illicite. Cette prohibition s'étend à tous les articles de la pyrotechnie militaire *.

§ 2752. D'après quel critérium peut-on, au point de vue du droit de saisie, déterminer le véritable caractère des produits bruts ou manufacturés susceptibles d'être à volonté utilisés dans un but pacifique ou appropriés aux besoins de la guerre? A défaut de règle précise et absolue, on a été amené à prendre en considération les circonstances dans lesquelles le produit atteint le territoire ennemi, en d'autres termes son point de destination. Lorsque, par exemple, l'objet est transporté dans un port marchand, dans un de ces grands centres de commerce servant d'entrepôt aux villes industrielles situées dans l'intérieur du pays, tels que Liverpool par rapport à Manchester et le Havre par rapport à Rouen ou à Elbeuf, on admet volontiers la présomption qu'il conservera une destination purement pacifique ou civile. Au contraire, la supposition qu'il sera affecté aux besoins de la guerre et employé à des usages hostiles s'impose naturellement à l'esprit, lorsqu'on voit ce même produit. dirigé sur un port militaire, sur un arsenal maritime principalement adonné aux armements de la marine militaire, tels que Portsmouth en Angleterre, le Ferrol et Carthagène en Espagne,

pp. 333, 335; Hubner, t. I, pte. 2, ch. 1, § 5; Manning, pp. 284, 285; Hall, Int. law, p. 579; Desjardins, Droit com. maritime, t. I, § 24, p. 59; Perels, Droit maritime, p. 276.

V.

* Grotius, Le droit, liv. III, ch. 1, §5; Vattel, Le droit, liv. III, ch. IX, $112; Bynkershoek, Quæst., lib. I, cap. x; Wheaton, Elém., pte. 4, ch. 1, § 24; Hautefeuille, Des droits, t. II, p. 127 ; Cauchy, t. II, pp. 192, 193; Massé, t. II, §207; Ortolan, Règles, t. II, liv. III, ch. vi; Phillimore, Com., v. III, § 229; Duer, v. I, lect. 7, § 12; Twiss, War, §§ 121 et seq.; Kent, Com., v. I, pp. 138 et seq.; Halleck, ch. XXIV, § 20; Manning, pp. 281 et seq.; Wildman, II, p. 211; Heffter, § 160; Gessner, pp. 70 et seq.; Klüber, Droit, § 288; Martens, Précis, § 318; Fiore, t II, pp. 440 et seq.; Pistoye et Duverdy, Trailé, t. II, pp. 396 et seq.; Garden, Traité, t. II, pp. 358, 359; Bello, pte. 2, cap. vII. § 4; Riquelme, lib. I, tit. 2, cap. xv; Lampredi, ptc. 1, § 9; Cussy, Phases, liv. I, tit. 3, $14; Moseley, pp. 41 et seq.; Polson, p. 61; Hosack, p. 16; Dalloz, Repertoire, tit. Prises maritimes, sect. 3, art. 2; Boeck, Propriété privée, $615.

Determination du carac

marchandise

la

tère de
par le lien de

Ra destina

tion.

Contrebande accidentelle,

Brest en France, Kiel en Prusse, Pola en Autriche, ou Norfolk aux Etats-Unis. L'induction tirée du caractère militaire des ports de destination peut parfois acquérir la valeur d'une certitude morale, quand le belligérant a connaissance de projets d'armements que les produits suspects ou de nature mixte seraient propres à faciliter ; mais il faut bien reconnaître que les nations qui, à l'exemple de l'Angleterre et des Etats-Unis, érigent ce calcul de probabilités en règle générale de conduite et capturent sous pavillon neutre ce qu'elles appellent la contrebande de guerre accidentelle, cèdent à de regrettables inspirations d'arbitraire et s'exposent à léser des intérêts très respectables, à compromettre des spéculations parfaitement licites et pacifiques.

On juge encore du caractère des marchandises et de l'usage auquel elles doivent être employées par le caractère du port où doit aboutir le navire qui les transporte. Si la destination du navire est ennemie, la destination des marchandises doit être considérée aussi comme ennemie, lors même qu'il ressort des papiers ou d'autres témoignages que les marchandises mêmes n'ont pas pour destination un port ennemi, mais sont destinées à être ultérieurement transportées au delà à un port neutre.

Par contre, si la destination du navire est neutre, la destination des marchandises à bord doit être aussi considérée comme neutre, quoiqu'il ressorte des papiers ou d'autres témoignages que les marchandises mêmes ont une destination ennemic ultérieure, qu'elles doivent atteindre au moyen d'un transbordement, d'un transport par terre ou autrement.

En principe, nous ne saurions nous rallier au système de capture fondé sur le caractère du port de destination des produits qui ne sont pas, comme les armes ou les munitions, directement et exclusivement utilisables pour la guerre. Il nous est difficile de ne pas voir là une réminiscence de l'injuste pratique des blocus sur le papier, et nous trouvons sous tous les rapports plus équitable, plus conforme à la règle du pavillon couvrant la marchandise, la jurisprudence des Cours de prises françaises, qui, du moins depuis le premier quart de ce siècle, ont repoussé la théologie anglo-américaine de la contrebande par induction et de la confiscabilité à raison des lieux de destination, que ces lieux fussent ou non bloqués. L'amirauté britannique semble toujours imbue à cet égard des idées professées par Sir W. Scott; car durant la guerre d'Orient tout en admettant que la houille ne faisait pas partie des articles dits de contrebande de guerre, elle s'était réservé le droit de con

fisquer ce produit sous pavillon neutre lorsqu'il serait saisi à proximité ou à destination d'un port russe, militaire ou marchand*.

§ 2753. L'ensemble des considérations que nous venons d'exposer montre suffisamment que le droit international n'est pas encore parvenu à établir de règle générale, universellement acceptée et respectée, en ce qui concerne le caractère distinctif de la contrebande de guerre. La difficulté à cet égard provient à la fois de ce que les rigueurs qui frappent ce genre de trafic portent atteinte à la liberté des transactions commerciales, cet irrésistible besoin des peuples modernes, et de ce que la qualification d'articles illicites pour le temps de guerre semble plutôt rentrer dans le domaine de la loi municipale que dans celui du droit des gens. On sera donc vraisemblablement réduit longtemps encore à ne pouvoir se guider en cette matière que d'après les stipulations conventionnelles arrêtées entre certaines puissances, la législation interne consacrée par d'autres, la jurisprudence émanée des Cours de prises les plus en renom, et la doctrine des publicistes qui se sont imposé la noble tache de faire progresser la science dans la voie des idées les plus libérales, les plus en harmonie avec les inspirations du droit naturel **.

§ 2754. Le droit de capturer la contrebande de guerre une fois admis, il reste à préciser les conditions de son exercice.

Caractère général de la contrebande de guerre.

Conditions qui doivent concourir pour la con

guerre.

Il ne suffit pas en effet que les objets saisis aient clairement et trebande positivement un caractère illicite; il faut encore que les Etats engagés dans la lutte, à laquelle ces objets sont supposés devoir servir d'aliment, aient légalement le droit de les appréhender, c'està-dire qu'il y ait un lien commun entre le fournisseur neutre et le destinataire belligérant, avec préméditation de nuire aux intérêts de l'autre belligérant; sans cette condition essentielle le fait de contrebande n'existe pas.

de

Consommation de l'of

§ 2755. D'après la jurisprudence généralement admise, le fait de contrebande remonte au moment même où le navire neutre entre- fense. prend son voyage pour transporter des articles illicites à destination d'un port belligérant, la présomption légale étant que l'offense

Bluntschli, § 806; Heffter, § 160; Hautefeuille, t. II, pp. 222 et seq.; Kent, Com., v. 1, p. 142; Halleck, ch. XXIV, § 23; Phillimore, Com., v. III, § 254; Duer, v. I, lect. 7, § 14; Wildman, v. II, p. 218; Riquelme, lib. I, tit. 2. cap. xv; Bulmerincq, Revue de droit int., 1878, p. 200; Desjardins, Droit com. maritime, t. I, § 24, p. 61; Testa, p. 202; Boeck, §§ 642 et seq.

Bluntschli, § 801; Heffter, § 160; Bello, pte. 2, cap. vIII, § 4; Pradier-Fodéré, Grotius, t. III, pp. 11-14.

« PreviousContinue »