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tue sur un délit ou une contravention, examine les moyens de défense des prévenus? L'appréciation du fait n'emporte-telle pas celle de toutes les circonstances qui peuvent en modifier le caractère? Ces circonstances soit qu'elles s'identifient avec ce fait lui-même, soit qu'elles constituent des actes distincts, ne peuvent en être séparées; elles forment des parties de l'infraction puisqu'elle ne peut être ni appréciée, ni jugée sans elles; elles appartiennent au juge auquel le jugement de cette infraction est déféré.

Telle est la véritable raison de cette compétence. Elle se puise à la fois dans la nature des pouvoirs de chaque juridiction et dans le système général de notre législation qui cherche dans toutes ses dispositions à prévenir la multiplicité et l'inutile involution des procédures. Mais, si l'attribution est, au point de vue théorique, et nous verrons tout à l'heure dans la législation, incontestable, elle n'est point absolue. La juridiction répressive peut connaitre de toutes les exceptions qui trouvent devant elle les conditions nécessaires à leur examen, elle ne peut connaître de celles dont l'appréciation exige des conditions spéciales qu'elle ne possède pas. A côté des droits de la juridiction, il y a les droits de la justice; à côté de la nécessité d'une prompte expédition des affaires criminelles, il y a la nécessité d'une saine et juste appréciation des faits que ces affaires soulèvent. Il y a une, classe de faits, les faits civils, les questions de propriété dont l'examen exige une capacité relative, des garanties et des formes qui ne se trouvent pas devant la justice criminelle. Les droits que ces faits et ces questions mettent en jeu ne sont pas moins précieux et ne doivent pas jouir d'une moindre protection que les intérêts que sauvegarde Ja police; ce n'est donc qu'aux tribunaux auxquels la connaissance de ces droits est dévolue, qu'il est permis de les juger, car l'examen des titres et des actes sur lesquels ils sont fondés ne peut avoir lieu que devant ces tribunaux. La compétence du juge criminel expire toutes les fois que l'exception exige pour être appréciée des conditions d'aptitude qu'il n'a pas, toutes les fois que la procédure pénale ne per

met pas son examen. Nous préciserons plus loin cette limite; nous ne faisons encore qu'en poser le principe.

Il suit de là qu'il n'est pas exact de poser en thèse que le juge de l'action est le juge de l'exception; que le juge criminel, en conséquence, connaît de toutes les questions qui se rattachent au fait de la prévention, lors même qu'il eut été incompétent pour en connaître au principal. Il faut dire simplement que le juge peut statuer sur les exceptions que les formes de la juridiction lui permet d'apprécier, et qu'il est incompétent toutes les fois que son intervention enlèverait aux droits sur lesquels ces exceptions sont fondées des garanties nécessaires à leur appréciation.

Nous arrivons maintenant aux textes de la loi.

III. Notre législation n'a point posé le principe de cette compétence; mais elle le suppose évidemment puisqu'elle a pris soin de formuler les cas où ce principe n'est pas applicable.

On trouve d'abord l'art. 12, tit. IX du décret du 15-29 sept. 1791, sur l'administration forestière :

« Art. 12. Si dans une instance en réparation de délit, il s'élève une question incidente de propriété, la partie qui en excipera sera tenue d'appeler le procureur général syndic du département de la situation des bois, et de lui fournir copie de ses pièces dans la huitaine du jour où elle aura proposé son exception, à défaut de quoi il sera provisoirement passé outre au jugement du délit, la question de propriété demeurant réservée. »

Il est curieux de remarquer que cette disposition n'a jamais été appliquée qu'aux matières forestières : en dehors de ces matières, la jurisprudence ne l'a point invoquée et n'y a point vu l'expression d'une règle générale qui dominait toutes les

1 Cass. 24 vent. an xi, rapp. M. Minier. J. P., t. IV, p. 445; 12 juill. 1816, rapp. M. Basire, t. XIII, p. 540; 24 oct. 1817, rapp. M. Basire, t. XIV, P. 488.

matières. Ainsi, ce n'est point sur cet article que se fondent tous les arrêts qui, jusqu'en 1827, prononcent en toute autre matière qu'en matière forestière, le renvoi à fins civiles des questions préjudicielles de propriété ; ils se bornent à déclarer « qu'un tribunal de police est incompétent pour statuer sur une question de propriété 1, » — « qu'en principe général, le juge du délit est juge de l'exception proposée contre la poursuite dont ce délit est l'objet; mais que la loi déroge à ce principe, lorsque le prévenu allègue pour sa défense une propriété immobilière ou un droit réel qui ne peut être légalement apprécié que par le juge auquel appartient la connaissance des questions de propriété; que la propriété des immeubles étant dans le domaine des tribunaux civils, le prévenu qui propose pour défense une exception de cette nature, doit obtenir un sursis à l'action 2, » — « que la connaissance et le jugement des questions de propriété d'objets immobiliers sont hors des attributions de la juridiction criminelle, correctionnelle et de police, et n'appartiennent qu'à la juridiction civile ; que, quand un prévenu de délit ou de contravention allègue pour défense l'exception de propriété, et qu'il n'y a contravention ou délit que selon qu'il est cru qu'il n'est pas propriétaire, il doit nécessairement être sursis au jugement de l'action jusqu'à ce qu'il ait été statué par l'autorité compétente sur cette exception préjudicielle de propriété 3. »

Telle fut la jurisprudence jusqu'à la promulgation du Code forestier. La Cour de cassation décide constamment que les questions de propriété immobilière doivent être renvoyées aux tribunaux civils, mais elle ne donne aucun motif à l'appui

'Cass. 5 brum. an v, rapp. M. Regnier. J. P., t. I, p. 128; 7 pluv. an VII, rapp. M. Gauthier-Biauzat, p. 317; 2 therm. an 11, rapp. M. Schwendt, t. III, p. 376; 7 niv. an XII, rapp. M. Poriquet, p. 555.

* Cass. 2 août 1821, rapp. M. Chantereyne. J. P., t. XVI, p. 821 ; 22 juill. 1819, rapp. M. Basire, t. XV, p. 424; 4 sept. 1812, rapp. M. Audier-Massillon, t. X, p. 710; 21 fév. 1811, rapp. M. Favard de Langlade, t. IX, p. 125.

* Cass, 23 août 1822, rapp. M. Aumont. J. P., t. XVII, p. 590; 24 sept. 1825, rapp. M. Chantereyne, t. XIX, p. 396.

de ce renvoi; cette règle lui parait tellement incontestable qu'elle ne pense point à la justifier. Elle ne cite aucun texte, aucune disposition de la loi, elle se borne à l'affirmer. La note de M. le président Barris, que nous ne citons que parce qu'on s'en est servi, porte également : « Si devant un tribunal dė police correctionnelle ou de police, le prévenu propose pour défense une exception de propriété qui soit nécessairement préjudicielle à l'action sur ce délit il y aura lieu de surseoir à cette action, et la question de propriété devra être renvoyée au jugement des tribunaux civils. La propriété des immeubles est essentiellement dans le domaine des tribunaux civils 1. »

L'art. 182 du Cod. for. n'a fait à peu près, en suivant la voie ouverte par l'art. 12 de la loi du 15-29 sept. 1791, que confirmer les diverses décisions de la Cour de cassation sur cette matière :

Art. 182. Si dans un instance en réparation de délit ou contravention, le prévenu excipe d'un droit de propriété ou autre droit réel, le tribunal saisi de la plainte statuera sur l'incident en se conformant aux règles suivantes : — l'exception préjudicielle ne sera admise qu'autant qu'elle sera fondée, soit sur un titre apparent, soit sur des faits de possession équivalents, personnels au prévenu et par lui articulés avec précision, et si le titre produit ou les faits articulés sont de nature, dans le cas où ils seraient reconnus par l'autorité compétente, à ôter au fait qui sert de base aux poursuites tout caractère de délit ou de contravention. Dans le cas de renvoi à fins civiles, le jugement fixera un bref délai dans lequel la partie qui aura élevé la question préjudicielle devra saisir les juges compétents de la connaissance du litige et justifier de ses diligences, sinon il sera passé outre. Toutefois, en cas de condamnation, il sera sursis à l'exécution du jugement sous le rapport de l'emprisonnement, s'il était prononcé, et le montant des amendes, restitutions et dommages-intérêts sera versé à la caise des dépôts et consignations, pour être remis à qui il sera ordonné par le tribunal qui statuera sur le fond du droit. » - L'art. 189 a étendu ces dispositions « aux poursuites exercées au nom et dans l'intérêt des particuliers pour délits et contraventions commis dans les bois et forêts qui leur appar, tiennent. »

1 Notes manuscrites du président Barris, n. 306.

L'art. 59 de la loi du 15 avril 1829 sur la pêche fluviale a reproduit textuellement l'art. 182 du Cod. for., sauf les mots personnels au prévenu, qui avaient été insérés dans la première rédaction de cet art. 59, et qui ont été supprimés. D'où il suit que le législateur semble vouloir étendre encore dans celte nouvelle disposition le droit des prévenus de demander le renvoi à fins civiles pour faire juger les questions de propriété.

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A partir de la promulgation de ces deux lois, la jurisprudence a modifié, non ses décisions, mais leurs motifs. La Cour de cassation a déclaré que les art. 182 du Cod. for. et 59 du Cod. de la pêche fluviale n'ont fait qu'appliquer et consacrer dans deux matières spéciales une règle générale applica. ble à toutes les matières; que leurs dispositions, loin d'être circonscrites aux affaires forestière et de pêche, doivent donc s'étendre au delà et régir toutes les poursuites correctionnelles et de police. Un arrêt porte que « cette règle régit toutes les matières qui sont susceptibles de son application. » Un autre arrêt ajoute que l'art. 182 du Cod. for. n'est point introductif d'un droit spécial exclusivement relatif aux matières forestières; qu'il n'est, au contraire, que la déclaration d'un principe de droit commun antérieur, fondé sur la maxime feci sed jure feci 3. » Un troisième arrêt décide enfin « que ce principe est général et absolu, qu'il s'applique, par conséquent, à tous les genres de délits et de contraventions, et à toutes les poursuites portées devant les tribunaux de répression, lors desquelles le prévenu excipe d'un droit de propriété ou autre droit réel qui serait de nature, dans le cas où il serait reconnu par l'autorité compétente, à ôter au fait qui sert de base aux poursuites tout caractère de délit ou de contravention 3. C'est donc pour violation des art. 182 du C. for. et 59 C. pêche fluviale que la Cour de cassation annule les ju

* Cass. 19 mars 1835, rapp. M. Rives. Bull. n. 100.

1 Cass. 29 déc. 1843, rapp. M. Isambert. Bull, n. 334.

* Cass. 26 déc. 1846, rapp. M, Dehaussy. Bull, n. 329; 17 janv. 1845, pp. M. Mérilhou, n. 20.

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