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notre gloire, funeste à notre repos, ennemie de nos lois, étrangère à nos mœurs.

» Comme nos ancêtres nous avons été obligés de chercher un homme parmi nous digne de nous gouverner.

» Dans la décrépitude de la monarchie et dans la lie d'un gouvernement tout corrompu, nous ne pouvions rien trouver qui ressemblât à un pareil homme.

» Nous avons supporté avec le courage de la résignation tous les inconvéniens attachés à des gouvernemens multiples et électifs, passage triste, mais inévitable. Tous ont porté des leur naissance un germe de divisions intestines, qui s'est développé en discordes publiques; hors celui-là seul qui a fait une si glorieuse exception, qui a formé un si heureux prélude, et dans lequel nous avons trouvé l'homme digne de l'empire, et deux hommes dignes d'être ses amis, ses coopérateurs, dont la patrie n'oubliera jamais les services, les talens et les

vertus.

» Dans la fermentation de toutes les passions généreuses qu'une grande révolution exalte sans mesure, et dans une nation aussi forte, il devait sans doute se former, se montrer enfin cet homme digue d'elle!

» L'événement était infaillible; l'époque était incertaine. » Enfin il a paru.

» Vous n'attendez pas que je vous parle ici de sa personne et de sa gloire,

» Que sont les bornes d'une opinion de quelques minutes pour embrasser cette vaste renommée; pour caractériser cette supériorité si grande et si incontestable, que le plus vain ne trouve pas même qu'il y ait du mérite à la reconnaître!

» Je remarquerai seulement qu'il réunit au même point la gloire civile et la gloire militaire; concours rare, mais condition indispensable; il fallait attendre jusqu'à ce qu'elle fût remplie.

>> On le compare à Charlemagne, et je suis étonné de la persévérance de cette comparaison éternelle.

» A Dieu ne plaise que je veuille déprécier un grand conquérant et un grand législateur! mais Charlemagne devait la moitié de sa force et de sa grandeur à l'épée de Charles Martel et à celle des Pépins.

Celui-ci doit tout à lui-même, et à la génération qui a combattu, servi, commandé, administré avec lui, et c'est par ce caractère surtout qu'il nous plaît et qu'il nous convient.

» C'est par ses propres travaux et ceux des compagnons et des concitoyens qui lui défèrent l'empire qu'il a agrandi cet empire même, en dix années, de plus de provinces que la

dynastie entrere à laquelle il va succéder n'en avaît su recouvrer en plusieurs siècles.

»Je ferai encore une autre remarque que la circonstance m'iuspire; je releverai en lui et en nous un autre bonheur, puisque désormais nos avantages sont inséparables.

» Sa famille, cette famille que nous dévouons à combler ce gouffre politique où la méfiance d'une part, l'ambition de l'autre, précipiteraient toujours de nouvelles victimes tant qu'il demeurerait ouvert, cette famille dont les membres vont être les chefs et les princes de la grande famille, rendons en grâces à notre fortune, elle nous offre un noble assemblage, une réunion consolante de tous les genres de services, de vertus, de talens, de tous les titres à la faveur dont la nation veut la couvrir. Quel faisceau glorieux! Ici les palmes de l'Egypte et de l'Idumée, les lauriers de l'Italie, et ceux qui croissent sous le tropique; là le chêne de la couronne civique, les fleurs et les foudres de l'eloquence et du génie : le souvenir en est cher et récent parmi vous. (1)

>>

» C'est parmi vous aussi, après la paix du continent signée à Lunéville, qu'a retenti avec un applaudissement solennel le nom de celui sur lequel, au milieu de ce groupe auguste, une voix dont nous chérissons les oracles vient d'appeler plus particulièrement nos regards; de celui que son rang approche le plus près du rang suprême, où puisse-t-il ne monter jamais! L'olivier brille dans ses mains, l'olivier, dont il eût couvert le monde sans le crime de ce gouvernement perfide qu'il va contribuer à punir. La patrie, enchantée et incertaine, ne sait ce qu'elle doit chérir le plus en lui de la beauté de l'âme, de la solidité de l'esprit, ou de l'aménité des mœurs.

» Où m'égare un sentiment que vous partagez, mes collegues! et que puis-je espérer d'ajouter à l'éloge de celui que Napoléon a loué devant les sages? (2)

» C'est assez s'abandonner aux doux mouvemens de la joie et de l'espérance, et saluer la brillante aurore de notre bonheur politique.

>> Tournons de ce côté où il ne fait pas jour encore; chassons ces nuages, dissipons ces fantômes; répondons à ces murmures, à ces craintes vraies ou affectées; réfutons les

(1) Le général Louis Bonaparte, compagnon du consul en Italie, en Afrique, en Asie, etc. Jérome Bonaparte, officier de marine, etc. Lucien Bonaparte, président des Cinq Cents, ministre, ambassadeur, tribun, etc., etc., etc. »

(2) « Message du premier consul au Sénat pour lui annoncer que Joseph Bonaparte était nommé colonel, etc., etc. »

1

préjugés, les objections, le silence même de ceux que noś opinions étonnent, ou qui se refusent à partager nos sentimens. » Sans doute il est des hommes estimables, de bons citoyens que gênent encore et qu'embarrassent la puissance de certains noms, l'habitude de certains souvenirs; il est des Français dont l'hésitation tient moins à la malveillance qu'à la pusillanimité: esprits faibles ou blessés, qu'il ne faut point effaroucher par des reproches, mais ramener par des raisons.

» Dans des temps ordinaires et calmes, leur dirais-je s'ils daignaient m'écouter; aux époques peu fécondes en événemens, quand la société présente une surface monotone et uniforme; lorsqu'enfin les grands vices et les grandes vertus dorment également dans leur germe, alors la puissance des souvenirs, la magie des noms exercent un légitime empire; car enfin, après les grandes actions, il n'y a rien de mieux que la mémoire des grandes actions.

» Mais quand les tempêtes politiques ont soufflé; quand les crises se sont prolongées; quand tout a été porté à l'excès, le bien et le mal, la gloire et la honte, la générosité et la tyrannie, l'audace et la patience, alors il est simple que les hauts faits éclipsent les grands noms.

» Ceux qui préparent avec une vigueur extraordinaire des souvenirs pour l'histoire prévalent sans injustice sur ceux qui portent avec un mérite ordinaire les souvenirs de l'histoire. » La multitude est lente à apercevoir ces nouveaux rapports. Beaucoup d'esprits frivoles et routiniers, ou opiniâtres et aveugles, se refusent à l'évidence. C'est ce qui leur inspire de si fausses démarches, ce qui les poussé si follement à menacer la patrie et à se perdre eux mêmes.

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Cependant du sein des révolutions, et appuyés sur elles, sortent l'homme et la famille, les hommes et les familles dont l'élévation doit être la garantie de ces révolutions et de tous les intérêts qu'elles ont créés.

» Dans toutes les régénérations des empires et des pouvoirs, on est toujours parti des bases primitives; on s'est toujours pour ainsi dire retrempé dans les principes et dans les sources; toujours dans ces grandes époques, tous les monumens en font foi, on reconnaît, on stipule, on consacre :

» Et cette égalité naturelle entre les hommes, que sont tentées de nier et de méconnaître les vieilles dynasties, abreuvées de longues illusions, et cette souveraineté des nations, qu'un abus immémorial du pouvoir parvient à réduire en problème;

» Et l'origine, les conditions, les pénibles devoirs qu'impose le rang suprême, et qu'une jouissance trop facile met souvent en oubli;

» Et enfin le châtiment qui inenace, le sort qui attend les chefs des empires quand ils perdent de vue ou qu'ils méconnaissent et cette égalité primitive, et cette souveraineté incontestable, et cette origine certaine, et ces conditions rigoureuses, et ces indispensables devoirs.

>> On a beaucoup cité, au commencement de la révolution, un monument remarquable de ces contrats solennels passés dans ces grandes circonstances; je veux parler de ce fameux serment des Cortès de la vieille Espagne, qui, si j'en crois l'histoire, fut longtemps prêté et reçu par mes propres ancêtres. (1)

1

» La formule est frappante en effet, et surtout aujourd'hui, que nous avons vu en action tout ce qu'elle renferme en si peu de paroles.

» Nous autres, dit ce serment, qui valons autant que toi : voilà l'égalité native.

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nale.

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tion.

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Qui pouvons plus que toi : voilà la souveraineté natio

Nous te faisons notre chef: voilà le contrat.

Pour étre le gardien de nos intérêts: voilà la condi

Sinon, non voilà la peine qui suivra l'oubli du devoir. » Famille que la France appelle à régner, vous venez d'entendre votre titre !

» Famille que la France écarte à jamais, vous avez entendu

votre condamnation!

>>

Que l'une serve à l'autre d'un exemple vivant et salutaire! que nos neveux soient longtemps préservés du retour des mêmes fautes et des mêmes malheurs!

» Le détail des fautes comme des malheurs des derniers Bourbons appartient à l'histoire. Marquons cependant l'erreur capitale qui, entre mille autres, les a précipités du rang qu'ils occupaient, et qui, plus que tout le reste, les en éloigne sans

espoir.

>>

L'antique ignorance, les lumières nouvelles se partageaient l'Europe; depuis François Ier la France était à la tête du parti des lumières, l'alliée, la protectrice des nations qui s'élevaient sous cette moderne influence.

» Tout à coup, au milieu du dernier siècle, cette cause fut abandonnée; le gouvernement français, je ne dis pas la

(1) « Voyez les histoires d'Espagne, etc. Voici le texte du serment que prête le justitia d'Arragon : - Nos que valemos tanto como vos y que podemos mas que vos, os hacemos nuestro rey y senor', por guardar fueros ; sino, no.

XVIII.

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nation, passa du côté des ténèbres, et se trouva dans une position inférieure vis à vis la puissance rivale qui était restée à la tête de ce parti.

» La nation ne marchait pas dans le même sens que le gouvernement: la révolution signala cette séparation; quinze années ont rendu l'intervalle immense, infranchissable.

» La nation a fait des pas de géant dans la carrière. Ceux qui prétendent encore à la dominer sont restés au même point; le temps et l'expérience ne leur ont rien appris, et ne leur ont rien fait oublier: principes, idées, prétentions, langage, tout en eux est étranger, tout en eux est ennemi; et ceux-là qui se croient peut-être encore leurs partisans seraient étonnés des nombreux titres de proscription qu'ils auraient auprès

d'eux.

» Le délire de l'orgueil, de la vengeance, tous les genres de délire sont encore chez eux au même point d'exaltation.

»Et cependant que prétendent-ils, que proposent-ils? et à qui s'adresseront-ils ? que veulent-ils ?

» L'ancien territoire? Ils ne purent le garder. Les nouvelles conquêtes? On les fit malgré eux. Quelles lois vont-ils faire régner sur nous ? Les anciennes ? Les tables s'en sont brisées dans leurs mains. Nos codes nouveaux ? Ils ne les comprennent pas, et chaque article les condamne.

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» Où est leur armée ? Est-ce cette poignée de désespérés qui ont tenté vainement d'envahir des lambeaux de provinces? vétérans de la croisade révolutionnaire, dont le temps éclaircit sans cesse les rangs, que rien ne recrute! Sera-ce cette innombrable multitude tous les jours renaissante de guerriers qui les ont vaincus, ou qui ne les connaissent pas, et qui ont appris à en admirer d'autres qu'eux ?

» Ou seront leurs tribunaux ? Ceux qui les ont entraînés dans leur propre chute, ou ceux qui depuis dix ans condamnent leurs complices.

» A qui vont-ils confier l'administration? Aux restes en démence de ceux qui jadis se traînaient sous leurs ordres dans une routine méprisée, ou à ceux qui ont mis leurs biens en distribution, et foulé leurs droits aux pieds. Quels citoyens, quels propriétaires viennent-ils favoriser? Par les voeux de qui seront-ils appelés? Sera-ce par ces fonctionnaires qu'ils dévouent. avec autant de rage que d'impuissance à la mort et à l'opprobre? par ces propriétaires de biens nationaux que rend tous les jours plus nombreux la division continuelle des héritages, et qu'ils condamnent tous sans difficulté à être dépouillés, en faisant peut-être à quelques uns grâce de la vie? Par les

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