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messes qui m'ont été faites, je purs expliquer maintenant à mes gardes quels sont les motifs qui me font révoquer mon abdication; et je verrai comment on m'arrachera le cœur de mes vieux soldats. Il est vrai que le nombre des troupes sur lesquelles je pourrai compter n'excédèra guère trente mille hommes; mais il me sera facile de les porter en peu de jours, jusqu'à cent cinquante mille hommes. Sachez que je pourrai tout aussi-bien, sans compromettre mon honneur, dire à mes gardes que, ne considérant que le repos et le bonheur de la patrie, je renonce à tous mes droits, et les exhorte à suivre, ainsi que moi, le vœu de la nation». Le général Koller le pria de lui dire en quoi les alliés avoient manqué au traité. « En ce que l'on empêche l'impératrice de m'accompagner jusqu'à Saint-Tropez, comme il étoit convenu», lui dit Napoléon. «Je vous assure reprit le général, que sa majesté n'est pas retenue; et que c'est par sa propre volonté qu'elle s'est décidée à ne pas vous accompagner. ». « Eh bien, je veux bien rester encore fidèle à ma promesse; mais, si j'ai de nouvelles raisons de me plaindre, je me verrai dégagé de tout ce que j'ai promis ».

Il étoit onze heures, et M. de Bussy, aidede camp de Napoléon, vint lui dire que le grand-maréchal (Bertrand) lui faisait annoncer

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que tout étoit prêt pour le départ. Napoléon répondit : « Le grand-maréchal ne me connoîtil donc pas? Depuis quand dois-je me régler d'après sa montre ? Je partirai quand je voudrai, et peut-être pas du tout ». Le colonel Bussy sortit, et Napoléon, se promenant en long et en large dans la chambre, parla sans cesse des injustices qu'on lui faisoit ; il accusa l'empereur d'Autriche d'être un homme sans religion, et de travailler, tant qu'il pouvoit, au divorce de sa fille; que l'empereur de Russie étoit lui seul cause que l'impératrice n'avoit pas conservé la régence; que les cabinets de la Russie et de la Prusse ont toujours été connus par leur manque de foi et leur projets astucieux; au lieu qu'avec lui, Napoléon, on pouvoit certainement compter sur tout ce qu'il promettoit, etc. Puis, chaugeant tout à coup de discours «Mais, dites-moi, général, si je ne suis pas reçu à l'île d'Elbe, que me conseillez-vous de faire? Je pense qu'il n'y a aucun motif de craindre que vous ne soyez pas reçu; d'ailleurs, dans tous les cas, le chemin de l'Angleterre vous reste toujours ouvert. C'est ce que j'ai pensé aussi; mais, comme je leur ai voulu faire tant de mal, les Anglais m'en conserveront toɩ jours du ressentiment. Comme vous n'avez pas exécuté vos plans d'anéantissement de l'Angleterre, vous n'avez rien à redouter; mais je

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vous observe que vous vous exposez à perdre tous les avantages qui vous sont assurés par le traité du 11 avril, si vous continuez à faire difficulté de partir ». Alors Napoléon congédia le général Koller, en lui disant : « Vous le savez, je n'ai jamais manqué à ma parole; ainsi je ne le ferai pas plus à présent, à moins qu'on ne m'y force par des mauvais traitemens. On me reproche de ne m'être point donné la mort : je ne vois rien de grand à finir sa vie comme quelqu'un qui a perdu toute sa fortune au jeu. Il y a beaucoup plus de courage de survivre à son malheur non mérité. Je n'ai pas craint la mort ; je l'ai prouvé dans plus d'un combat: je n'ai point de reproche à me faire. Je n'ai point été usurpateur, parce que je n'ai accepté la couronne que d'après le vœu unanime de toute la nation ; tändis que Louis XVIII l'a usurpé, n'étant appelé au trône que par un vil sénat, que j'ai gorgé d'or, de dignités, et dont plus de dix membres ont voté la mort de Louis XVI. Je n'ai jamais été la cause de la perte de qui que ce soit; quant à la guerre, c'est différent; mais j'ai dû la faire, parce que la nation vouloit que j'agrandisse la France ». Napoléon fit venir le colonel Campbell; il lui parla beaucoup de se mettre sous la protection des Anglais. Enfin, Napoléon se décide à partir.

20 AVRIL. Il descendit à midi dans la cour du château de Fontainebleau, où étoient rangés en ligne les grenadiers de sa garde; il fut aussitôt entouré de tous les officiers et des soldats; il prononça avec dignité et châleur le discours suivant : « Officiers, sous-officiers et soldats de la vieille garde, je vous fais mes adieux; depuis vingt ans que je vous commande, je suis content de vous, et je vous ai toujours trouvés sur le chemin de la gloire; les puissances alliées ont armé toute l'Europe contre moi; une partie de l'armée a trahi ses devoirs, et la France a cédé à des intérêts particuliers. Avec vous, et les braves qui me sont restés fidèles, j'aurois pu entretenir la guerre civile pendant trois ans ; mais la France eût été malheureuse; ce qui étoit contraire au but que je m'étois proposé. Je devois donc sacrifier mon intérêt personnel à son bonheur; ce que j'ai fait. Soyez fidèles au nouveau souverain que la France s'est choisi; n'abandonnez point cette chère patrie, trop long-temps malheureuse. Ne plaignez point mon sort; je serai toujours heureux quand je saurai que vous l'êtes. J'aurois pu mourir, rien ne m'étoit plus facile; mais non, je suivrai toujours le chemin de l'honneur; j'écrirai ce que nous avons fait. Je ne puis vous embrasser tous; mais je vais embrasser votre chef. Venez, général (il embrasse

le général Petit ); qu'on m'apporte l'aigle, et en l'embrassant il dit: Cher aigle, que ces baisers retentissent dans le cœur de tous les braves! Adieu, mes enfans! adieu mes braves! entourez-moi encore une fois. » Avant de monter en voiture, il pressa le général Petit dans ses bras, embrassa l'aigle impériale; et dit d'une voix entrecoupée : Adieu, mes enfans! mes vœux vous accompagneront; conservez mon souvenir..

Il donna sa main à baiser aux officiers qui l'entouroient, et monta dans sa voiture avec le grand maréchal. Le général Drouot précédoit, dans une voiture à quatre places, fermée; immédiatement après étoit la voiture de Napoléon; ensuite le général Koller; après lui le général Schuwaloff, puis le colonel Campbell, et le général de Waldbourg-Truchsess, commissaire du roi de Prusse. Il fut accompagné jusqu'à Briare par sa garde. Il partit la nuit de cet endroit; cinq de ses voitures prirent les devants; Napoléon se mit en route, vers midi, avec ses quatre autres voitures. Après un long entretien avec le général Koller, dont voici le résumé: «Eh bien! vous avez entendu hier mon discours à la vieille garde; il vous a plu; et vous avez vu l'effet qu'il a produit. Voilà comme il faut parler et agir avec eux; et si Louis XVIII ne suit pas cet exemple, il ne fera jamais rien

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