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chée du premier vers et montrant dès le second une forme de versification que ce Boileau, que l'auteur indique par l'image d'un grand fleuve, n'a jamais employée. L'embarras vient des deux et du second, et du quatrième vers, et de la phrase incidente du second, que l'on ne sait si l'on doit rapporter à ce qui précède ou à ce qui suit. Il y a aussi de l'impropriété dans le mot il délaisse du cinquième vers. On délaisse ou on quitte ce qu'on a occupé ou possédé ; et le dé ajouté au mot laisse, exprime ce mouvement. Cela voudrait donc dire que le fleuve se détourne de son cours, et que des rives et des campagnes qu'il parcourait auparavant, il les abandonne, il les délaisse. Je crois que il néglige rendrait mieux la pensée de M. Chaussard. Ce fleuve se partage en vingt canaux qui répandent l'abondance; il oublie, il néglige une rive agréable qui se plaint, etc. et cela exprime précisément ce qu'a fait Boileau dans son Art poétique; il a négligé quelque genres de poésie, et l'auteur se propose de réparer cette négligence ou cet oubli.

Après une invocation adressée à Boileau lui-même, il commence par l'Epître.

Ce genre ingénieux est souple dans son style
Plaît sans art, suit les pas d'un caprice fertile ;
Son tour facile et vif, heureux négligemment,
Respire l'abandon, la grâce et l'enjouement.

Horace, Despréaux et Voltaire sont les meilleurs modèles de ce genre aimable et varié. Les deux premiers sur-tout gardèrent une mesure que le troisième passa quelquefois. Suivons de ces auteurs les pas judicieux :

L'un et l'autre ils ont su, railleurs ingénieux,
Blâmer, même en louant, rire, narrer, décrire,
Et donner à l'Epître un faux air de Satire.
Que le trait délicat n'effleure qu'en passant;
Le sarcasme est coupable, et le rire innocent.
Le poison de l'aigreur, que ne puis-je le taire?
Gâte quelques discours de Pope et de Voltaire;
Cette tache se perd dans l'éclat radieux
Dont, sur le Pinde assis, brillent ces demi-dieux,

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Quelquefois l'Epître hausse le ton, et s'élève jusqu'à celui de l'épopée. Boileau sur-tout en offre un exemple célèbre qui est ici rappelé poétiquement.

On dit qu'Homère, un jour, de sa couronne épique
Lui-même détachant une branche héroïque,

La posa sur le front du chantre du Lutrin :

Achille revivait dans le vainqueur du Rhin.

A l'imitation de Boileau, M. Chaussard coupe ainsi
quelquefois et les préceptes et les exemples par de
Courtes fictions. Il se sert du même tour pour amener le
Conte après l'Epître.

Une fée eut pitié de la faiblesse humaine.
Un jour elle appela ses plus aimables fils :
Obéissez, dit-elle, ô mes sylphes chéris!
Soit raison, soit folie, allez, je vous envoie
Semer sur l'univers les Contes et la joie.

De là les contes arabes, et les romans grecs d'Héliodore et de Longus, et toutes ces fables nées dans l'aimable Ionie.

C'est là que sur des fleurs languissamment couché
L'Amour même dicta la fable de Psyché.

il en

En peignant les jeux de l'amour et de la volupté, sachez éviter la licence. Pétrone et Boccace allèrent trop loin, mais accusons-en leur siècle. Rabelais a été plus loin encore, et paraît n'avoir point d'excuse; il en a une cependant, aurait pu observer l'auteur, a une pour la folie dont il fallait bien que sa raison trop forte et trop hardie empruntât le masque, mais il n'en a aucune pour les saletés dégoûtantes dont il l'a trop souvent barbouillé. Faudra-t-il proscrire de même la reine de Navarre, La Fontaine, Voltaire? non, sans doute, et c'est d'après leurs charmans ouvrages que le Poëte paraît tracer les préceptes convenables à ce genre libre, mais cependant soumis, comme tous les genres avoués par le goût, à des convenances et à des règles. Ces préceptes ramènent à celui de nos poëtes qui les a le mieux observées ou devinées, à La Fontaine, et La Fontaine qui est chez nous le modèle du Conte est pour toutes

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les nations comme pour nous celui de la Fable. Cette
transition naturelle conduit à traiter de l'Apologue, de
son histoire, des poëtes qui s'y sont distingués, du ca-
ractère neuf et vraiment créé que lui a donné La Fon-
taine. Ce n'est pas tout de l'admirer, même de l'aimer,
M. Chaussard veut, et a grande raison de vouloir qu'on
le
prenne pour maître et pour guide; il se représente lui
même entraîné par ce charme irrésistible, et son style
dans ce morceau, en parait en quelque sorte pénétré.
A ce guide attrayant abandonnons nos pas;

Il conduit aux vertus par une penté douce.
La pointe du reproche entre ses mains s'émousse ;
La Fontaine est pour nous le véritable ami.
L'enfant, dans sa carrière encor mal affermi,
Sur le bras du Bonhomme ingénûment s'appuie;
Le sage qui termine une innocente vie

Redit ces mots touchans : c'est le soir d'un beau jour.
Heureux amans, il est votre maître en amour.
C'est lui qui du lettré charme la solitude;
Au politique même il fournit une étude.
Ah! puisse de ses vers l'instructive douceur
Des esprits à jamais bannir la sombre erreur
La folle ambition, la stupide avarice,
Et des simples vertus leur faire un pur délice !
O champs! ô doux loisirs! 6 médiocrité !
Plaisir de ne rien faire ! aimable liberté!

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La Poésie légère vient ensuite. Benserade et Voiture y ont joui d'une réputation usurpée; Lainez, Chapelle, Chaulieu en furent les premiers modèles. Ce genre fut inventé par Momus lui-même; et l'auteur le met en scène, comme il a mis plus haut Homère répète-t-il un peu trop ce moyen, et devient-il, au e une fée; peut-être C G

moins à cet égard, uniforme en cherchant la variété. Voltaire et Gresset ont donné chacun une couleur qui leur est propre à ce genre vraiment français, et dans lequel le premier sur-tout excelle; ils montrent ce qu'il faut faire, et Dorat ce qu'on doit fuir. Le naturel vaut mieux que tant d'art ou plutôt d'artifice. L'auteur n'oublie pas l'heureux quatrain du vieux Saint-Aulaires jusque-là, il a entièrement raison; mais on regrette de le voir finir cet éloge du naturel par un vers aussi entor¬ tillé et aussi peu naturel que celui-ci :

La nature c'est l'art ; le bon sens est l'esprit.

Si quelqu'un entend ce vers, j'avouerai franchement que ce n'est pas moi.

En parlant de l'Inscription, M. Chaussard veut que les nôtres soient composées en notre langue; et il n'est pas le premier à donner ce conseil, qu'il a au reste répété en très-bons vers; nulle objection contre la théorie; la difficulté n'est que dans l'exécution. On parvient bien à s'affranchir, comme il l'exige, du tour académique et de tout ce qui sent l'emphase; mais lorsqu'il veut que nous soyons

Naïvement profonds, simples, concis et vrais,

concis sur-tout, n'oublie-t-il pas un peu les formes prolixes dont notre phrase est presque inévitablement enchevêtrée?

A la place des mots laissons briller les faits.

Oui, si par les mots vous entendez les mots vides, le verbiage; mais si la plupart de nos mots marchent accompagnés de particules, de prépositions, d'articles, d'auxiliaires, si l'on n'en peut intervertir ni sous-entendre presque aucun comment remplir votre précepte? pour rendre les faits savez-vous un autre moyen que les mots? Un célèbre chanteur italien était devenu riche par l'exercice de son art. Il fit bâtir une jolie maison, et y mit pour inscription ces quatre mots latins: Amphion Thebas, Ego domum: essayez de la rendre par quatre mots français.

L'auteur a réservé pour la fin les deux genres les plus

importans, le Poëme didactique et l'Epopée badine; il les traite l'un et l'autre avec plus d'étendue, et suit à leur égard la même méthode d'entremêler les règles avec les exemples, et de présenter des modèles, en proposant des lois. Un des principaux écueils de l'Epopée badine est la licence: en prescrivant de la bannir il cite les heureux exemples du Lutrin, de la Boucle de Cheveux, et du Vert-Vert. Il ajoute encore ici une nouvelle fiction par laquelle il termine toute la partie didactique de son épître, ou plutôt de son essai, car pourquoi appeler épître un petit poëme qui n'est adressé à personne, qui a une exposition, une invocation, qui n'a en un mot aucun des caractères de l'épître ? Finissons nous-mêmes cet extrait en citant cette espèce de fable, terminée par un arrêt qui casse un jugement bien célèbre dans le monde, et regardé jusqu'à présent comme sans appel. La Muse est une vierge, et sa prompte rougeur Vous dit: ah! respectez la divine Pudeur ! Ecoutez ce récit que m'a fait la Sagesse. Du Berger de l'Ida l'impétueuse ivresse Avait livré la pomme aux appas de Cypris ; Junon tonnait; Pallas redemandait le prix; L'Amour en souriant, et les Grâces fidelles Rassemblaient les atours de ces trois immortelles, Quand Diane au front pur, et reine de ces bois, Apparut l'arc en main, sur l'épaule un carquois. Sa sauvage fierté brillait de mille charmes; Farouche, elle essayait la pointe de ses armes Quel spectacle ! elle a vu trois nobles déités, Sans pudeur, sans amour, révéler leurs beautés! L'orgueil étala seul leur nudité rivale. Diane, de ton sein l'écharpe virginale

Se soulève; ton front et s'indigne et rougit.

Dans les airs aussitôt une voix retentit:

« Beauté devient plus belle alors qu'elle est modeste;
Rendez la pomme d'or à la Pudeur céleste.»

Citer m'a paru la meilleure manière de faire connaître cette production dont la hardiesse me paraîtrait justifiée, quand bien même elle ne contiendrait pas d'autres bons vers que ceux que j'en ai tirés; mais quoiqu'ils ne soient.

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