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» On ne voit pas que les meurtres qualifiés soient plus fréquens dans les pays où ils sont puris comme les meurtres ordinaires.

» En Angleterre le parricide, l'infanticide, l'empoisonnement ne conduisent qu'au gibet, et certainement ils y sont plutôt moins communs qu'ailleurs, où l'on fait subir d'affreux tourmens à ceux qui s'en rendent coupables.

» Enfin, indépendamment de l'inutilité des supplices rigoureux qui révoltent la nature et font frémir l'humanité, il n'y a point de comparaison entre l'inconvénient d'infliger une peine fixe qui soit en certain cas au dessous de ce que mériterait le délit, et celui de punir arbitrairement, parce que cet arbitraire occasionnerait fréquemment une inégalité réelle dans l'usage que les juges feraient de leur pouvoir, et une inégalité apparente à cause de la diversité qui règne presque toujours entre les opinions sur la valeur des circonstances qui caractérisent la gravité du délit.

J'admets donc la seule peine de mort, je veux dire la simple privation de la vie sans torture pour toute sorte d'homicide volontaire, et je crois avoir démontré que mes principes n'ont rien d'inconciliable avec la justice et la sévère proportion qui doit exister entre les délits et les peines.

» Je reviens aux objections particulières.

» Les sectateurs de l'opinion de vos comités disent d'abord que la peine de mort n'est appuyée par aucun droit.

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J'ai prouvé qu'elle était fondée sur la loi naturelle, qui est la première de toutes les lois, sur la violation du pacte social, sur la sûreté générale et individuelle de chaque citoyen.

» Un opinant (M. Robespierre) m'a paru vous présenter hier des idées bien étranges sur la peine de mort; il a comparé l'assassin à celui qui dans un combat ôte la vie à un autre, celui qui sans le vouloir tue son semblable.

» Voici ma réponse.

» Tuer celui que l'Etat a déclaré son ennemi n'est pas un meurtre; c'est remplir au contraire son devoir de citoyen, c'est faire un acte nécessaire, indispensable pour le salut de Ja patric.

» Donner la mort sans le vouloir ne doit pas être non plus

mis au rang des homicides; c'est quelquefois une imprudence blåmable et digne de répréhension.

» Tuer à son corps défendant pour se préserver d'un mal considérable ne saurait être équitablement envisagé comme un meurtre; c'est l'exercice d'un droit naturel et incontestable, même dans l'état de société.

» Mais exécuter totalement ou partiellement le dessein formel de tuer quelqu'un qui ne vous fait aucun mal, mais enlever la vie à un autre par des motifs de haine, de vengeance, de perfidie, de cupidité, voilà les vrais caractères de l'homicide, voilà l'idée juste de la nature du délit, voilà le crime qu'il faut punir.

» On ajoute: « des travaux pénibles passés dans la servitude. et la douleur; une prison perpétuelle, ou pour un long temps; esclave des lois dont on était protégé, exposé aux regards et au mépris de ses concitoyens; devenu l'opprobre et l'horreur de ceux dont on était l'égal, voilà des peines plus sévères que la mort, et qui font une impression plus forte que celle du supplice, dont la vye endurcit l'âme plutôt qu'elle ne la corrige...

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» Ces portraits sont bien tracés, ces images séduisantes ; mais leur éclat est trompeur et mensonger: ne nous en laissons pas éblouir; voyons les faits, interrogeons l'expérience, marchons à la lueur de son flambeau; elle est un guide assuré.

» Les travaux pénibles que l'on veut substituer à la peine de mort sont partout le partage de l'indigence, et l'on voudrait confondre le criminel avec l'indigent; l'assassin, le parricide avec l'homme poursuivi par l'infortune ou accablé par le malheur!

. L'objection, le mépris, l'opprobre de ses semblables ne sont pas une peine pour le scélérat, mais plutôt un jeu ; celui qui a eu la férocité de tremper ses mains dans le sang de son semblable a abdiqué tout sentiment d'honnêteté, de pudeur; il ne craint plus rien, excepté la mort; et si vous permettez qu'il vive, au lieu d'être frappé de l'état d'infamie auquel il sera réduit, il le regarde comme un bienfait, at presque dit comme un triomphe, parce qu'il servira

encore d'aliment à sa vengeance et à sa fureur; il osera peutêtre paraître tranquille, heureux au milieu de son forfait.

» Que l'on ne dise pas qu'on envisage souvent la mort avec un air tranquille, ferme, que le fanatisme embellit.

Je réponds que ce langage est celui de l'illusion; je soutiens que la vie passera toujours parmi les hommes pour le plus grand des biens.

La mort n'est qu'un instant, je l'avoue, mais un instant qui décide de tout, qui termine le temps et ouvre les portes de l'éternité : cet instant fait frémir la nature; il n'est pas si facile à un coupable de se familiariser avec cette idée.

>> Celui que l'on mène au gibet regarderait comme une faveur la prison la plus dure, les travaux les plus pénibles, l'esclavage perpétuel; l'idée de ces peines n'aura jamais autant de pouvoir que celle de la mort pour l'éloigner du crime.

» Demandez à ces anciens magistrats, obligés par devoir de suivre les traces des délits, d'en combiner les causes, de calculer le délire des passions, de sonder les cœurs et les consciences des accusés; ils vous répondront qu'ils se sont convaincus que la crainte de perdre la vie était pour les coupables un frein à leurs excès; que cette seule idée avait épargné bien du sang et des victimes.

» D'ailleurs ces cachots, ces chaînes, ces travaux pénibles que l'on présente comme devant former des peines habituelles ne seront-ils jamais des armes impuissantes? Les hommes auxquels vous les confieriez ne se lasseront-ils pas d'en user? La pitié n'entrera-t-elle jamais dans l'âme de ces gardiens? Croyez-vous qu'ils soient assez généreux pour ne pas vendre une indulgence qui ralentirait leur cruauté et affaiblirait le pouvoir dé vos lois!

» Une considération encore bien puissante, et que vous ne devez jamais perdre de vue, est celle que beaucoup de criminels briseront leur chaînes, soit en achetant leur liberté, soit en tâchant de la conquérir par la force, par l'adresse, en un mot par mille moyens que l'on emploie, et auxquels la surveillance la plus active n'a jamais pu obvier.

>> Cette seule idée de pouvoir échapper par la fuite aux

peines qu'on veut substituer à celle de mort ranimera l'espérance des malveillans; il en est plusieurs qui dans cet espoir se livreront avec confiance au crime.

» Ceux qui échapperont à ces peines chercheront de nouvelles victimes pour les immoler à leur vengeance; le crime amène d'autres crimes, et celui qui une première fois a versé avec crainte et frayeur le sang d'un homme portera dans une récidive des mains encore meurtrières avec une brutalité féroce et tranquille.

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J'invoque ici l'autorité des exemples.

Que des juges, soit par excès d'indulgence, soit parce que la preuve d'un délit ne leur aura pas paru parfaite, aient mitigé contre un coupable la rigueur de la peine, et que celui qui méritait la mort n'ait été condamné qu'aux galères à vie, s'il brise ses chaînes, un des premiers usages qu'il fait de sa liberté est celui d'attenter encore à la vie de son semblable.

» Si ce second crime est avéré, si le coupable est repris et traduit aux tribunaux, quelle est la réponse qu'il fait à ceux que la loi appelle à juger?

» Il leur dit qu'il croyait échapper encore à la mort ; il leur avoue que s'il avait imaginé d'être privé de la vie il n'aurait pas été assassin.

D'après de tels faits, dont la certitude est notoire, je demande si la société peut sans danger conserver la vie au meurtrier; je demande si le repos public, l'utilité générale, l'humanité même n'exigent pas qu'on prononce que les jours de l'assassin ne doivent pas être respectés.

'» C'est, messieurs, la patrie qui les condamne, c'est la sûreté de tous les citoyens qui le sollicite.

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Que la mort la plus douce soit le supplice le plus cruel que puisse admettre le législateur.

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Qu'il ordonne que l'on prendra comme autrefois dans le sénat de Rome le deuil lorsqu'il faudra prononcer la mort

d'un citoyen.

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» Punissez à regret, mais punissez; le bonheur de tous Comande ce sacrifice à la nature.

" Jé conclus à ce que l'Assemblée nationale décrète :

» 1°. Que la peine de mort sera conservée, sans qu'elle puisse dans aucun cas être accompagnée de tourmens ni de tortures; » 2o. Qu'elle ne sera appliquée qu'aux crimes d'homicide, d'empoisonement, d'incendie et de haute trahison. »

Nous venons de recueillir contradictoirement quatre opinions sur la peine de mort, celle des comités, exposée par M. Lepelletier dans son rapport, et celle de MM. Prugnon, Duport et Mougins. L'opinion des comités, encore combattue par MM. Brillat-Savarin et Mercier, fut appuyée de l'extrémité gauche, qui eut pour interprètes MM. Pobespierre et Pétion; tous deux se prononcèrent avec chaleur pour la suppression de la peine de mort: néanmoins cetté opinion, que le talent de Duport paraissait devoir faire triompher, ne put réunir la majorité; Duport, selon son expression si touchante (voyez plus haut, page 384), ne put retarder la peine de mort que d'un quart d'heure... Le premier juin 1791 l'Assemblée décréta que la peine de mort serait conservée, mais qu'elle consisterait dans la simple privation de la vie, sans qu'il puisse jamais y être ajouté aucune torture, et que tout condamné aurait la tête tranchée. On ajourna le mode d'exécution.

La peine capitale détermiņa l'échelle des peines; qui fut successivement décrétée sans entraîner de débats; mais il s'en éleva lorsque le rapporteur proposa l'abolition des lettres de grâce, de rémission, de pardon, etc,, et ce fut M. l'abbé Maury qui le premier s'opposa à cette suppression.

Discussion sur le droit de grâce.

M. l'abbé Maury. ( Séance du 3 juin 1791.) » On vous propose d'abolir les lettres de grâce, de rémission, d'absolution et de commutation de peines. J'observerai que dans tous les pays où il y a un pouvoir exécutif déposé dans les mains d'un seul (ah, ah, ah!) le monarque étant l'exécuteur des lois, ou n'étant rien, a joui partout ou a dû jouir de la faculté d'accorder des grâces, et surtout des rémissions de peines...(Murmures.) C'est un des principes fondamentaux de la monarchie. Cette institution, dont il est possible d'abuser, car on abuse malheureusement de tout; on abusera des assem

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