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de grandeur; mais, il faut encore l'avouer, le peuple, après ce mouvement sublime qui le plaça le premier parmi les peuples héroïques, se reposait déjà dans son illustration; les comices, abandonnées de la majorité saine des citoyens, në portaient plus au gouvernement de la République que l'incapacité ou l'intrigue, et dans cet interrègne de la majesté du peuple les ennemis de la liberté osaient espérer des succès. Tout régime, excepté l'ancien, convenait alors aux Français, pourvu qu'il leur procurât une glorieuse tranquillité. Ici commence cet épisode éclatant qui commandera à la postérité l'admiration et les respects déjà acquis à la révolution même.

En arrêtant la marche de l'esprit humain vers la perfectibilité politique, Bonaparte reconnut la nécessité de précipiter les progrès des arts et des sciences: il fit prendre aux peuples une autre route que celle qu'ils avaient choisie, et dans laquelle ils étaient prêts à s'égarer. Le but sera le même; là contre-révolution était et sera toujours impossible: Bonaparte n'en conçut pas même la pensée ; il sentait trop bien qu'un opprobre éternel attend quiconque osera jamais aider à ses sanglantes invasions.

Napoléon rétablira cependant une monarchie en France; mais l'effroi qu'inspirera d'abord cette seule dénomination se dissipera bientôt par l'admirable fusion qu'il saura opérer des intérêts du peuple avec les intérêts du trône; il règuera glorieux, puissant et respecté, parce qu'il mettra en commun avec la nation et sa gloire, et sa puissance, et sa propre félicité. Il se montrera prince à la cour, mais citoyen parmi le peuple, qu'il s'attachera surtout à ne jamais humilier; et il parviendra tellement à rajeunir et honorer les formules du pouvoir, que lorsqu'il dira nous les Français croiront avoir été consultés ; pendant longtemps ils ne verront dans ses décrets que l'expression de leurs vœux. Tant de confiance réciproque justifie à toujours et les sujets et le maître.

Le secret de son gouvernement se révèle en quelques mots: c'est le propre du génie de se montrer à nu à tous les yeux. Bonaparte brisa les rouages inutiles dont les théories embarrassent le jeu des machines politiques; il marcha droit des

causes aux résultats. Ainsi l'agriculture, le commerce et l'industrie sont la source directe de la prospérité d'un état ; il leur donna tous les développemens possibles. Les impôts, quelque forts qu'ils soient, se paient sans murmure quand ils sont en rapport avec les revenus des contribuables, et visiblement appliqués aux besoins de la chose commune: Napoléon accusait les richesses publiques dans la splendeur des cités, et procurait même à la veuve la faculté de doubler son denier. Jamais avant lui un ordre plus parfait n'avait éclairé les finances; la recette et l'emploi de plusieurs milliards se justifiaient avec autant d'exactitude et de facilité que la recette et l'emploi de la moindre des sommes. La perte du régime municipal était nécessairement entrée dans celle des droits et des libertés publiques : Napoléon créa une chaîne administrative vigoureuse et facile, qui embrassait toute la France, et dont les deux extrémités étaient retenues dans ses mains, tandis que d'un coup d'œil il en parcourait sans effort tous les anneaux ; chef-d'œuvre de centralisation, qui serait pourtant un malheur avec tout autre que son auteur; il faudrait pouvoir, comme lui, confondre dans une même pensée l'intérêt général et les intérêts de localité. La diplomatie est l'art des gouvernemens faibles et réduits à l'hypocrisie : Napoléon parla aux rois avec l'indépendance de la force et la franchise du bon droit. Il saura prendre aussi la dignité du malheur.

C'est injustement que les épithètes de tyran et de despote lui seront données dans leur acception ordinaire : Bonaparte ne sera pas tyran, car il ne régnera ni par l'injustice ni par la cruauté; et quel est le desposte qui pour conserver son autorité proscrirait l'ignorance, et tiendrait allumé le flambeau de l'instruction?

Mais, reproche éternel, il a voilé les libertés publiques; le devait-il ? L'ombre du grand Montesquieu répond affirmativement. Elles étaient devenues un danger entre les mains des ennemis du peuple. Après les orages nécessaires de la révolution, dans l'orgueil de tous les genres de succès, dans le tumulte et la rivalité des opinions et même des dévouemens une dictature était le besoin de la France; et cette dictature Bonaparte la rendit d'abord trop brillante pour qu'elle ne

reçût pas l'assentiment national. Premier consul, et même consul à vie, il réunit toutes les opinions, il mérita tous les hommages; par lui la République française fut saluée de l'Europe entière.

Empereur, il comparaîtra devant le tribunal des générations; mais là aussi le suivront enchaînés ceux dont les insinuations perfides l'ont entraîné à cesser d'être lui pour se cacher sous des titres surannés et fantastiques, à reconstruire au lieu d'édifier, enfin à remettre en honneur ces orgueilleuses chimères et ces impostures sacrées que la philosophie avait proscrites; et lorsqu'à l'aspect même de ce redoutable tribunal on verra s'anéantir les petites ambitions qui seules exploitaient tant de maux, Napoléon, resté seul avec sa véritable gloire, désarmera ses accusateurs et ses juges; ils diront: c'était lui!

LA SESSION de l'an 10 s'était terminée avec la pacification de l'Europe. Une session extraordinaire s'ouvrit dans la même année pour voir se réconcilier avec la révolution les Français qu'elle avait blessés dans leur croyance.

Le 15 germinal le conseiller d'état Portalis développa les motifs d'une convention passée entre le gouvernement français et le pape (1); et le conseiller d'état Regnault (de Saint-Jean-d'Angely) donna lecture du projet de loi organique des cultes. Le Tribunat en vota l'adoption le 17; et le 18, après avoir entendu les tribuns Lucien Bonaparte et Jaucourt, le Corps législatif en fit une loi de l'Etat, qui fut promulguée le DIMANCHE 28 germinal an 10 (18 avril 1802). Sur quatre-vingt-cing votans dans le Tribunat, le Concordat en réunit soixante-dix-huit, et dans le Corps législatif deux cent vingt-huit sur deux cent quarante-neuf. Aucun orateur ne parla contre; l'opposition ne se montra que dans les comités.

Le rétablissement du Dimanche, comme celui des quatre grandes fêtes religieuses, était une condition du Concordat; toutefois son apparition brusque à côté des dénomina

(1) Dès le 26 messidor an

tions de l'ère républicaine parut être au moins un contraste : depuis plusieurs années les actes et papiers publics n'associaient plus le vieux style au nouveau; et pendant longtemps encore les noms des jours de la semaine resteront introduits dans les mois décadaires.

La proclamation du Concordat eut lieu avec une pompe alors inconnue à beaucoup de monde. Le Sénat, le Corps législatif et le Tribunat en corps, tous les fonctionnaires publics, enfin le premier consul, entouré d'une magnificence qui n'était pas républicaine, se rendirent à la cathédrale, au bruit de salves d'artillerie réitérées ; une messe fut célébrée pontificalement, et pour la première fois le temple de Notre-Dame retentit de ces mots: Domine, salvam fac Rempublicam; Domine, salvos fac consules. Un Te Deum fut chanté, et le premier consul reçut le serment des évêques. Le programme de cette cérémonie portait qu'elle avait pour objet la paix générale et la paix de l'Eglise; tous les citoyens s'y trouvèrent ainsi appelés; et le ministre de l'intérieur, Chaptal, ouvrit en effet un concours aux artistes pour faire consacrer, par des médailles, des tableaux et des groupes en sculpture, les deux époques du traité d'Amiens et de la loi sur les cultes.

Le même jour les consuls publièrent la proclamation suivante :

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Français, du sein d'une révolution inspirée par l'amour de la patrie éclatèrent tout à coup au milieu de vous des dissensions religieuses, qui devinrent le fléau de vos familles, l'aliment des factions et l'espoir de vos ennemis.

» Une politique insensée tenta de les étouffer sous les débris des autels, sous les ruines de la religion même. A sa voix cessèrent les pieuses solennités où les citoyens s'appelaient du doux nom de frères, et se reconnaissaient tous égaux sous la main du Dieu qui les avait créés; le mourant, seul avec la douleur, n'entendit plus cette voix consolante qui appelle les chrétiens à une meilleure vie, et Dieu même sembla exilé de la nature.

» Mais la conscience publique, mais le sentiment de l'in—

dépendance des opinions se soplevèrent, et bientôt, égarés par les ennemis du dehors, leur explosion porta le ravage dans nos départemens; des Français oublierent qu'ils étaient Français, et devinrent les instrumens d'une haine étrangère.

» D'un autre côté les passions déchaînées, la morale sans appui, le malheur sans espérance dans l'avenir, tout se réunissait pour porter le désordre dans la société.

» Pour arrêter ce désordre il fallait rasseoir la religion sur sa base, et on ne pouvait le faire que par des mesures avouées par la religion même.

» C'était au souverain pontife que l'exemple des siècles et la raison commandaient de recourir pour rapprocher les opinions et réconcilier les cœurs.

» Le chef de l'Église a pesé dans sa sagesse et dans l'intérêt de l'Église les propositions que l'intérêt de l'État avait dictées ; sa voix s'est fait entendre aux pasteurs : ce qu'il approuve, le gouvernement l'a consenti, et les législateurs en ont fait une loi de la République.

» Ainsi disparaissent tous les élémens de discorde; ainsi s'évanouissent tous les scrupules qui pouvaient alarmer les consciences, et tous les obstacles que la malveillance pouvait opposer au retour de la paix intérieure.

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Ministres d'une religion de paix, que l'oubli le plus profond couvre vos dissensions, vos malheurs et vos fautes; que cette religion, qui vous unit, vous attache tous par les mêmes nœuds, par des noeuds indissolubles, aux intérêts de la patrie! Déployez pour elle tout ce que votre ministère vous donne de force et d'ascendant sur les esprits; que vos leçons. et vos exemples forment les jeunes citoyens à l'amour de nos. institutions, au respect et à l'attachement pour les autorités tutélaires qui ont été créées pour les protéger; qu'ils apprennent de vous que le Dieu de la paix est aussi le Dieu des armées, et qu'il combat avec ceux qui défendent l'indépendance et la liberté de la France!

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Citoyens qui professez les religions protestantes, la loi a également étendu sur vous sa sollicitude. Que cette morale, commune à tous les chrétiens, cette morale si sainte, si pure, si fraternelle, les unisse tous dans le même amour pour la

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