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CHAPITRE III.

TRAVAUX SÉRIEUX. ADMINISTRATION.

LOIS ADMINISTRATIVES. Loi relative au travail dans les prisons. - Suppression imprudente. - Les droits du travail libre. - Rapport de M. Rouher . - Système du Gouvernement et de la commission, intervention du ministère de la Guerre, MM. Baraguay-d'Hilliers et de Lamoricière, adoption du projet, ses imperfections. Question des coalitions, proposition de M. Morin, tentative de conciliation entre les patrons et les ouvriers, avortement de la proposition. L'enseignement public et M. Carnot, nouveau plan d'institutions primaires, commissions nommées par M. de Falloux, conflit élevé par MM. Repellin et Barthélemy-Saint-Hilaire, M. Dupont (de Bussac), décret sur les lois organiques, ordre du jour motivé, l'Assemblée refuse d'infliger un blâme au ministère. Organisation de l'assistance dans la ville de Paris, adoption du projet du Gouvernement.- Modification de l'art. 1781 du Code civil. — Mariage civil, publicité du contrat. — Projet de loi sur les chambres | consultatives d'agriculture, M. Tourret. - Retrait du projet de loi sur l'école d'administration, projet nouveau, l'ancien projet repris par M. Bourbean.

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L'Assemblée s'occupa, dans les premiers jours de l'année, d'une loi relative au travail dans les prisons, si imprudemment aboli par le Gouvernement provisoire. L'immoralité engendrée par le désœuvrement ne permettait pas de laisser subsister plus longtemps le décret dicté par le Luxembourg. La disposition essentielle de la loi nouvelle portait que les produits fabriqués par les détenus des maisons centrales, de force et de correction, ne pourraient pas être livrés sur le marché en concurrence avec ceux du travail libre. La conséquence de cette innovation serait d'appliquer désormais les détenus à la confection des effets d'habillement et de chaussure à leur propre usage, à celle des effets de même nature destinés à la troupe, aux hospices et aux bureaux

de bienfaisance. Les produits du travail des prisonniers seraient, autant que possible, consommés par l'État. Mais l'application de cette nouvelle législation serait graduelle et subordonnée à l'expiration des contrats qui, pour quelques années encore, liaient l'administration envers un certain nombre d'entrepreneurs.

Tel était le projet sur lequel s'ouvrit, le 4 janvier, la discussion générale. Les différents points de vue de la question furent exposés avec une remarquable lucidité par le rapporteur de la commission, M. Rouher.

L'organisation du travail dans les prisons excitait, depuis longtemps, de vives réclamations de la part de l'industrie libre, lorsqu'éclata la Révolution de Février; le Gouvernement provisoire, voulant venir en aide aux ateliers qui se fermaient de tous côtés, suspendit, par un décret du 24 mars 1848, le travail des détenus; le 28 août, le Gouvernement proposa un décret qui tendait à rétablir le travail, en laissant aux préfets le soin de déterminer la nature et les tarifs des fabrications qui pourraient être exécutées dans les prisons, et en leur donnant, en outre, la faculté d'interdire la mise en vente, dans certaines villes, des objets manufacturés.

La commission à laquelle ce projet fut renvoyé, tout en reconnaissant la nécessité de rétablir le travail dans les prisons, soit comme moyen de discipline et de moralisation, soit comme moyen d'alléger les charges de l'État, fut cependant d'avis de repousser l'expédient proposé par le Gouvernement, parce qu'il lui semblait impropre à combattre le mal auquel on voulait remédier; on ne ferait, suivant elle, que déplacer la difficulté car l'entrepreneur, ne pouvant exercer une industrie acclimatée dans le pays, organiserait une concurrence à celle d'un département plus éloigné, et, en réalité, plus digne de protection, puisque ce département ne profiterait pas des débouchés que procure le voisinage d'une maison centrale.

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Mais la commission ne se borna pas à rejeter la solution qui était proposée; elle en formula une autre qui lui parut de nature à concilier des éléments en apparence inconciliables; le moyen proposé consistait à faire consommer par l'État, et principalement par les armées de terre et de mer, les produits fabriqués dans les

maisons de force et de correction. Sans doute, par cette combinaison, la lutte cesserait entre le travail libre et le travail des prisons, le produit confectionné par le détenu ne pouvant plus être mis en vente à côté d'un article similaire confectionné par l'ouvrier libre et venir en déprécier la valeur.

Le point important était de savoir si ce nouveau système pouvait s'harmoniser avec notre organisation administrative. La commission s'entendit, à ce sujet, avec les ministres de la Guerre et de la Marine, et elle se convainquit de la possibilité de réserver aux condamnés la confection des vêtements et des chaussures destinés aux armées. Ce système présenterait, en outre, l'avantage de supprimer les compagnies hors-rang, chargées, jusqu'alors, de confectionner ces différents objets, ce qui permettrait, en rendant au service les soldats qui les composent, de diminuer l'effectif, et, par suite, le budget militaire.

Après la lecture du consciencieux rapport de M. Rouher, la discussion s'engagea (5 janvier) entre M. le ministre de la Guerre et M. le général Baraguay-d'Hilliers, qui soutint la nécessité des compagnies hors-rang pour la confection de beaucoup d'objets autres que des vêtements. La solution proposée par la commission présentait donc quelques difficultés, et M. de Lamoricière ne parvint pas à les résoudre. Aussi, M. le ministre de l'Intérieur, tout en déclarant que la pensée de faire consommer par l'État les produits du travail des détenus, était susceptible d'être appliquée dans certaines limites, s'éleva contre ce que le projet de la commission présentait d'impératif.

En résumé, deux systèmes se trouvaient en présence.

Le premier, proposé par le Gouvernement, tendait à mettre entre les mains des préfets des pouvoirs suffisants pour empêcher les conflits entre le travail des détenus et le travail libre. Ainsi, on ne permettrait pas, dans les villes où il existe une industrie qui fait vivre une partie de la population, d'introduire cette industrie dans la maison centrale. On fixerait le salaire des détenus de telle façon qu'il ne fût pas assez abaissé pour faire une concurrence dangereuse au salaire des ouvriers libres; enfin, on interdirait la vente, dans certaines villes, des produits qui pourraient se présenter en rivalité avec les produits de l'industrie locale.'

Le second système, proposé par la commission, était plus radical: il consistait à faire consommer par l'État les produits fabriqués par les détenus dans les maisons centrales, de force et de correction; de telle sorte que ces produits ne pussent plus venir faire concurrence aux produits de l'industrie libre sur nos mar. chés.

Voici maintenant les objections que soulevait chacun de ces systèmes.

Au système du Gouvernement, la commission reprochait de déplacer le mal au lieu d'y remédier. L'économie du projet consistait surtout à pouvoir interdire la vente des objets confectionnés par les détenus, dans les localités mêmes, après avoir consulté les représentants des industries locales. On dirait à l'entrepreneur: Ce que vous fabriquerez dans la maison centrale, vous ne pourrez le vendre qu'à vingt ou trente lieues. Qu'en résulterait-il? Que l'entrepreneur serait grevé de frais de transport, qui retomberaient sur nos finances, puisqu'il devrait les faire entrer dans ses calculs; mais qu'en réalité l'industrie libre n'y gagnerait rien. Ainsi, par exemple, on fabrique de l'ébénisterie dans la maison de Poissy; les articles qui en sortent sont vendus sur le marché de la capitale; que l'on consultât les industriels de Poissy, ils ne réclameraient en aucune façon contre une fabrication qui ne lèse en aucune manière leurs intérêts, et, cependant, l'industrie parisienne continuerait à souffrir de cette concurrence.

Au système de la commission, le Gouvernement reprochait de manquer d'élasticité, et d'être trop impératif; de placer l'administration dans la nécessité de suspendre le travail, si la fabrication des objets, que l'on peut utilement confectionner dans les maisons centrales pour le compte de l'État, n'était pas reconnue suffisante pour occuper partout les détenus; enfin, de mettre obstacle à certaines améliorations qui peuvent être tentées, telles que l'application des prisonniers aux travaux agricoles, qui avait été indiquée plusieurs fois, et qui était essayée, en ce moment, à la maison centrale de Fontevrault.

Le système du Gouvernement fut défendu par M. Grellet; celui de la commission fut soutenu avec talent par M. Rouher. Un nouveau système proposé par M. Charamaule, et consistant à faire

porter le travail des détenus sur des produits destinés à l'exportation ou non encore obtenus en France, fut rejeté sur l'observation faite par M. Rouher que ce système n'irait qu'à déplacer la concurrence faite à l'industrie libre en la dirigeant contre les fabriques qui alimentent l'exportation.

Enfin, le système de la commission triompha; il fut décidé que les produits confectionnés par les détenus ne pourraient plus être apportés sur le marché en concurrence avec les produits de l'industrie libre. Toutefois, l'Assemblée, corrigeant ce que ce système avait de trop exclusif, ne voulut pas statuer que les produits du travail des détenus seraient uniquement consommés par l'État. Cette règle, d'après les amendements adoptés sur la proposition de MM. Deslongrais et Stourm, devrait être suivie autant que possible et conformément à des règlements d'administration publique; cet expédient mettait sans doute l'administration à son aise : mais comment en irait-il dans les maisons centrales? Que deviendraient les produits de la prison, entre l'article 2, portant qu'ils ne pourraient jamais être conduits sur le marché, et la restriction improvisée de l'article 3, qui donnait à l'administration la faculté de les repousser? Comment ferait le règlement d'administration publique, d'ailleurs ingénieusement inventé par M. Stourm, pour lever la contradiction flagrante qui existait entre les deux articles de la loi?

Les autres dispositions du projet n'avaient qu'un intérêt réglementaire. Elles furent successivement adoptées sans contestation sérieuse.

Malgré les imperfections de la loi, adoptée, enfin, dans son ensemble, le 9 janvier, ce qu'on pouvait trouver de mieux à dire en faveur du système consacré, c'est qu'il n'était pas une théorie pure. Il était déjà, en effet, appliqué en Hollande, en Belgique et en Bavière. Il était également adopté dans certains établissements charitables de l'Italie, notamment à Gênes.

L'Assemblée nationale aborda, le 3 janvier, mais sans la résoudre, la question des coalitions, depuis longtemps soumise à ses délibérations par l'initiative de M. Morin, représentant de la Drôme. M. Morin, qui s'est fait connaître dans le monde savant par un remarquable volume sur les questions du travail, avait

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