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demeurant à un individu de la famille du Corse, flagitio addit damnum. Je ne suis guère moins révolté de l'idée que ce Royaume et la Saxe puissent servir de compensation : je n'ai pas besoin de vous tracer ici mes réflexions sur un pareil oubli de toute morale publique ; mais ce que je dois me hâter de vous dire, c'est que si je ne puis empêcher cette iniquité, je veux du moins ne pas la sanctionner, et au contraire me réserver, ou à mes successeurs, la liberté de la redresser si l'occasion s'en présente.

Je ne dis, au reste, ceci que pour pousser l'hypothèse jusqu'à l'extrême; car je suis loin de désespérer du succès de la cause, si l'Angleterre s'attache fortement aux principes que lord Castlereagh nous a manifestés ici, et si l'Autriche est dans les mêmes résolutions que la Bavière.

Ce que M. de Schulembourg vous a dit de la détermination du Roi de Saxe est parfaitement vrai; ce malheureux Prince l'a mandé lui-même '.

Vous pouvez facilement juger avec quelle impatience

1 Le Roi de Saxe écrivait à Louis XVIII, le 19 septembre 1814:
« Friedrichsfeld, 19 septembre 1814.

. MONSIEUR MON FRÈRE,

La proximité de l'ouverture du Congrès de Vienne m'engage à m'adresser de nouveau à Votre Majesté pour lui recommander mes intérêts et pour lui demander son appui pour ma prompte réintégration dans mes droits. Je ne saurais imaginer que je puisse avoir à craindre d'être destitué de leur possession, ou que les puissances alliées, ou telle autre Cour de l'Europe, puissent approuver une mesure qui ressemblerait trop au système qu'on vient d'abattre. Cependant les bruits d'après lesquels j'en serais menacé retentissent de tous côtés avec une telle publicité, que je crois devoir à moimème et aux puissances contractantes du dernier traité de paix, de déclarer d'avance que si pareille idée pouvait exister, contre toute attente,

j'attends des nouvelles du Congrès, dont les opérations doivent actuellement être commencées. Sur quoi, etc.

No 5.

VI

Vienne, 13 octobre 1814.

SIRE,

J'ai envoyé dans la dépêche adressée au Département la déclaration telle qu'elle a été publiée ce matin. Elle ajourne l'ouverture du Congrès au 1er novembre; il y a été fait quelques changements, mais d'expressions seulement, sur

je ne consentirai jamais à la cession des États que j'ai hérités de mes ancêtres, ni à en accepter une compensation quelconque, aucun équivalent ne pouvant dédommager de leur perte et de la séparation d'avec un peuple que j'aime et qui m'a donné des preuves multipliées d'attachement et de fidélité. Mais, je le répète, la façon de penser noble et élevée des puissances qui concourront au Congrès, et de Votre Majesté en particulier, me rassure à cet égard, et m'est garante de l'accomplissement de mes vœux.

Veuillez agréer, Monsieur mon Frère, l'expression renouvelée de la sincère amitié et de la haute considération avec lesquelles je suis,

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lesquels les ministres se sont entendus sans se réunir, et par l'entremise de M. de Gentz. Nous n'avons point eu de conférence depuis le 8, ni par conséquent de ces discussions dont je crains bien d'avoir fatigué Votre Majesté dans mes deux dernières lettres.

Le ministre de Prusse à Londres, le vieux Jacobi-Klæst, est ici; il a été appelé au secours de M. de Humboldt; c'est un des aigles de la diplomatie prussienne. Il m'est venu voir c'est une ancienne connaissance. La conversation l'a mené promptement à me parler des grandes difficultés qui se présentaient, et dont la plus grande, selon lui, venait de l'Empereur Alexandre, qui voulait avoir le duché de Varsovie. Je lui dis que si l'Empereur Alexandre voulait avoir le duché, il se présenterait probablement avec une cession du Roi de Saxe, et qu'alors on verrait. «Pourquoi du Roi de Saxe? reprit-il tout étonné. — C'est, répondis-je, que le duché lui appartient en vertu des cessions que vous et l'Autriche lui avez faites, et de traités que vous, l'Autriche et la Russie, avez signés. » Alors, de l'air d'un homme qui vient de faire une découverte, et à qui on révèle une chose tout à fait inattendue, «C'est parbleu vrai, dit-il, le duché lui appartient. » Du moins, M. de Jacobi n'est pas de ceux qui croient que la souveraineté se perd et s'acquiert par le seul fait de la conquête.

J'ai lieu de croire que nous obtiendrons pour le Roi d'Étrurie' Parme, Plaisance et Guastalla; mais dans ce cas il ne faut plus penser à la Toscane, à laquelle cependant il

1 Louis II (Charles-Louis de Bourbon-Parme).

aurait des droits; l'Empereur d'Autriche a déjà fait pressentir à l'Archidu chesse Marie-Louise qu'il avait peu d'espoir de lui conserver Parme.

On demande souvent autour de moi, et lord Castlereagh m'en a parlé directement, si le traité du 11 avril1 reçoit son exécution. Le silence du budget à cet égard a été remarqué par l'Empereur de Russie. M. de Metternich dit que l'Autriche ne peut être tenue d'acquitter ce qui est affecté sur le Mont-de-Milan 2, si la France n'exécute point les clauses du traité qui sont à sa charge; en tout, cette affaire se reproduit sous différentes formes et presque toujours d'une manière désagréable. Quelque pénible qu'il soit d'arrêter son esprit sur ce genre d'affaires, je ne puis. m'empêcher de dire à Votre Majesté qu'il est à désirer que

1 Traité du 11 avril, dit de Fontainebleau. Voir D'ANGEBERG, Congrès de Vienne, t. Ier, p. 148.

2 L'Empereur Napoléon Jer, en instituant des titres héréditaires, se réserva les ressources d'un domaine extraordinaire destiné, d'après le sénatus-consulte de 1810, à rémunérer les grands services civils et militaires. Ce domaine possédait, sur le Mont-de Milan, des inscriptions auxquelles étaient affectées des dotations qui, aux termes du décret du 1er février 1808, devaient être la récompense des services rendus dans les campagnes d'Ulm, d'Austerlitz, d'Iéna et de Friedland.

Les droits des titulaires de ces dotations avaient été garantis par une clause du traité de Fontainebleau; mais l'Autriche, après avoir payé en 1818 les arrérages échus jusqu'en 1814, refusa de continuer le payement. Le Gouvernement de la Restauration, ayant tenté envers l'Autriche des efforts restés impuissants, voulut accorder une satisfaction aux dotataires avec ce qui restait du domaine extraordinaire.

Aux dotations réversibles de mâle en mâle par ordre de primogéniture, la loi du 26 juillet 1821 substitua des pensions réversibles seulement sur la veuve et les enfants du premier titulaire par égales portions, avec réversibilité en faveur du dernier survivant de la veuve ou des enfants.

Ces pensions furent divisées en six classes, et le chiffre en fut fixé pour

quelque chose soit fait à cet égard. Une lettre de M. de Jaucourt' qui, par ordre de Votre Majesté, me l'apprendrait, serait certainement d'un bon effet.

On montre aussi une intention assez arrêtée d'éloigner Bonaparte de l'ile d'Elbe2. Personne n'a encore d'idée fixe sur le lieu où l'on pourrait le mettre. J'ai proposé une des Açores. C'est à cinq cents lieues d'aucune terre. Lord Castlereagh ne paraît pas éloigné de croire que les Portugais pourraient être amenés à se prêter à cet arrangement; mais dans cette discussion la question de l'argent reparaîtra. Le fils de Bonaparte n'est plus traité maintenant comme

les quatre premières à 1,000 francs, pour la cinquième à 500 francs, et pour la sixième à 250 francs.

En 1861, après la guerre d'Italie, l'Autriche et la Sardaigne, sur la réclamation de la France, mirent à sa disposition une somme de 12,500,000 francs, sur laquelle 6,250,000 francs furent attribués aux anciens dotataires du Mont-de-Milan. Cette somme fut employée à la création de rentes qui ont été distribuées proportionnellement et au marc le franc aux Français titulaires du Mont-de-Milan ou à leurs ayants droit, selon la règle de transmission fixée par le titre même de la dotation ou par les décrets, sans que le chiffre de la nouvelle inscription pût être inférieur

à 200 francs.

La rente inscrite en leur nom, indépendamment de la pension fixée en vertu de la loi de 1821, fait retour au Trésor dans le cas prévu par le titre constitutif.

(Résumé du rapport de la commission nommée par décret du 22 mai 1851. Moniteur universel, 21 octobre 1861, page 1519.)

1A peine installé en qualité d'intérimaire au Département, M. de Jaucourt écrivait à M. de Talleyrand: Ce n'est, mon cher ami, qu'avec une sorte de chagrin et de timidité que je m'assois devant cette petite table où je vous ai vu si souvent, et où les affaires se conduisaient avec tant de supériorité, et se feront en votre absence avec tâtonnement et incertitude. »

Le ministre de la guerre écrivait, le 8 octobre 1814, à M. de Talleyrand :

L'habitant de l'île d'Elbe reçoit des courriers fréquents de Naples et

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