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»La suprématie consulaire, c'est à dire la grande main de l'administration au dedans, et de la négociation au dehors ; » Le pouvoir censorial, ou la départition des marques d'honneur, la distribution du blâme et de la louange;

» La tutelle pontificale, c'est à dire le soin des rapports sous lesquels le culte est soumis aux lois, et le sacerdoce à l'empire; » Enfin la puissance tribunitienne, ou la suprême sollicitude des intérêts populaires, soit qu'elle s'entende et s'exerce par le droit d'initiative ou par celui d'empêchement.

» L'histoire nous enseigne que le pouvoir exécutif impératoríal est incomplet et insuffisant quand il n'a pas ces cinq attributs; comme aussi qu'il est excessif et monstrueux quand il empiete sur le pouvoir judiciaire ou sur le pouvoir législatif, dont l'indépendance et la liberté doivent être entières et toujours respectées.

» Donc, pour éviter qu'aucun abus de mots n'entraîne quelque confusion dans les choses, je vous invite à charger votre commission, à laquelle je soumettrai les détails et les développemens de mon opinion, à la charger, dis-je, d'examiner s'il ne nous conviendrait pas de résigner en même temps l'appellation et les prérogatives tribunitiennes au magistrat qu'on croit devoir revêtir du nom et du pouvoir impérato

rial.

» Je ne vous propose pas d'examiner sous quel nom et en quelle forme vous continuerez à rendre à la chose publique ces services si assidus et si utiles auxquels le peuple et le gouvernement rendent un égal hommage; je ne vous proposerai point de discuter le nom de chambre d'orateurs, de parlement, de conseil des cinquante, qui tous exprimeraient vos fonctions d'une manière plus ou moins juste, plus ou moins exacte : il semblerait que vous vous occupez de vous-mêmes, et vous ne vous êtes jamais occupés que de la patrie.

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Ainsi, ô vous que nos vœux et nos besoins appellent à l'Empire, vous allez voir de toutes parts les hommes et les corps s'empresser de remettre en vos mains ces prérogatives plus onéreuses qu'honorables, qui vont bien moins ajouter à votre puissance qu'à vos devoirs! C'est d'aujourd'hui surtout que ces devoirs deviennent sévères et terribles; c'est d'aujourd'hui que vous n'existez plus pour vous-même. Sous le titre de consul, et comme agissant au nom et dans les besoins pressans du peuple, c'était pour ainsi dire lui-même qui était votre garant, qui assumait toute responsabilité; pourvu qu'il fût sauvé tout était bien; mais c'est d'aujourd'hui que vous allez surtout lui répondre, et que vous lui devrez compte d'un pouvoir définitif et constitué! Jusqu'à présent l'espérance, enchantée, n'a su que

vous admirer; aujourd'hui la raison, plus tranquille, va vous juger! Les routes pour arriver au pouvoir suprême sont diverses et infinies; il n'est qu'un moyen de s'y maintenir : vous avez égalé, surpassé la gloire des guerriers et des législateurs les plus renommés; ambitionnez, portez s'il se peut à un degré inconnu, rien ne vous est difficile, cette gloire qui est propre aux dépositaires d'un pouvoir durable et affermi!

» Vivez heureux du bonheur de la France! Il n'en est plus d'autre pour vous. Vivez heureux de vos veilles, de vos travaux, de vos sacrifices!

» Ainsi puissiez-vous fournir une carrière aussi longue que glorieuse! et nous-mêmes, atteignant les bornes que la nature a prescrites à chacun de nous, puissions-nous laisser nos enfans sous votre empire!

» Tels sont mes vœux, mes présages, mes espérances! Reconnaissez-y un hommage digne de vous, une admiration géné– reuse qui ne vous sépare point de la vertu, un amour sincère qui ne vous sépare point de la patrie, et les fermes accens d'une voix libre et pure que la licence n'égara jamais, et que la flatterie ne corrompra point! »

DISCOURS du tribun Carnot.

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an 12.

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Citoyens tribuns, parmi les orateurs qui m'ont précédé, et qui tous ont appuyé la motion d'ordre de notre collègue Curée, plusieurs ont été au devant des objections qu'on pouvait faire contre elle, et ils y ont répondu avec autant de talent que d'aménité ils ont donné l'exemple d'une modération que je tâcherai d'imiter en proposant d'autres observations qui m'ont paru leur avoir échappé. Et quant à ceux qui, parce que je combattrai leur avis, pourraient m'attribuer des motifs personnels indignes du caractère d'un homme entièrement dévoué à sa patrie, je leur livre pour toute réponse l'examen scrupuleux de ma conduite politique depuis le commencement de la révolution, et celui de ma vie privée.

» Je suis loin de vouloir atténuer les louanges données au premier consul: ne dussions-nous à Bonaparte que le Code civil, son nom mériterait de passer à la postérité. Mais, quelques services qu'un citoyen ait pu rendre à sa patrie, il est des bornes que l'honneur autant que la raison imposent à la reconnaissance nationale. Si ce citoyen a restauré la liberté publique, s'il a opéré le salut de son pays, sera-ce une récompense à lui offrir que le sacrifice de cette même liberté? et ne serait-ce pas

anéantir son propre ouvrage que de faire de ce pays son patrimoine particulier ?

>> Du moment qu'il fut proposé au peuple français de voter sur la question du consulat à vie, chacun put aisément juger qu'il existait une arrière-pensée, et prévoir un but ultérieur.

» En effet, on vit se succéder rapidement une foule d'institutions évidemment monarchiques; mais à chacune d'elles on s'empressa de rassurer les esprits inquiets sur le sort de la liberté, en leur protestant que ces institutions n'étaient imaginées qu'afin de lui procurer la plus haute protection qu'on pût désirer pour elle.

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Aujourd'hui se découvre enfin d'une manière positive le terme de tant de mesures préliminaires : nous sommes appelés à nous prononcer sur la proposition formelle de rétablir le système mouarchique, et de conférer la dignité impériale et héréditaire au premier consul.

» Je votai dans le temps contre le consulat à vie; je voterai de même contre le rétablissement de la monarchie, comme je pense que ma qualité de tribun m'oblige à le faire : mais ce sera toujours avec les ménagemens nécessaires pour ne point réveil→ ler l'esprit de parti; ce sera sans personnalités, sans autre passion que celle du bien public, en demeurant toujours d'accord avec moi-même dans la défense de la cause populaire.

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» Je fis toujours profession d'être soumis aux lois existantes, même lorsqu'elles me déplaisaient le plus plus d'une fois je fus victime de mon dévouement pour elles, et ce n'est pas aujourd'hui que je commencerai à suivre une marche contraire. Je déclare donc d'abord que, tout en combattant la proposition faite, du moment qu'un nouvel ordre de choses sera établi, qu'il aura reçu l'assentiment de la masse des citoyens, je serai le premier à y conformer toutes mes actions, à donner à l'au torité suprême toutes les marques de déférence que commandera la hiérarchie constitutionnelle. Puisse chacun des membres de la grande société émettre un vœu aussi sincère et aussi désintéressé que le mien !

» Je ne me jeterai point dans la discussion de la préférence que peut mériter en général tel ou tel système de gouvernement sur tel ou tel autre; il existe sur ce sujet des volumes sans nombre je me bornerai à examiner en très peu de mots, et dans les termes les plus simples, le cas particulier où les circonstances nous ont placés.

» Tous les argumens faits jusqu'à ce jour sur le rétablissement de la monarchie en France se réduisent à dire que sans elle il ne peut exister aucun moyen d'assurer la stabilité du gouvernement et la tranquillité publique, d'échapper aux dis

cordes intestines, de se réunir contre les ennemis du dehors; qu'on a vainement essayé le système républicain de toutes les manières possibles; qu'il n'a résulté de tant d'efforts que l'anarchie, une révolution prolongée ou sans cesse renaissante, la crainte perpétuelle de nouveaux désordres, et par suite un désir universel et profond de voir rétablir l'antique gouverneinent héréditaire, en changeant seulement la dynastie. C'est à cela qu'il faut répondre.

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» J'observerai d'abord que le gouvernement d'un seul n'est rien moins qu'un gage assuré de stabilité et de tranquillité. La durée de l'empire romain ne fut pas plus longue que ne l'avait été celle de la république les troubles intérieurs y furent encore plus grands, les crimes plus multipliés; la fierté républicaine, l'héroïsme, les vertus mâles y furent remplacées par l'orgueil le plus ridicule, la plus vile adulation, la cupidité la plus effrénée, l'insouciance la plus absolue sur la prospérité nationale. A quoi eût remédié l'hérédité du trône? Ne fut-il pas regardé par le fait comme l'héritage légitime de la maison d'Auguste? Un Domitien ne fut-il pas le fils de Vespasien, un Caligula le fils de Germanicus, un Commode le fils de Marc-Aurèle?

» En France, à la vérité, la dernière dynastie s'est soutenue pendant huit cents ans; mais le peuple fut-il moins tourmenté? Que de dissensions intestines! que de guerres entreprises au dehors pour des prétentions, des droits de succession, que faisaient naître les alliances de cette dynastie avec les puissances étrangères! Du moment qu'une nation entière épouse les intérêts particuliers d'une famille, elle est obligée d'intervenir dans une multitude d'événemens qui sans cela lui seraient de la plus parfaite indifférence.

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» Nous n'avons pu établir parmi nous le régime républicain, quoique nous l'ayons essayé sous diverses formes plus ou moins démocratiques... Mais il faut observer que, de toutes les constitutions qui ont été successivement éprouvées sans succès, n'en est aucune qui ne fût née au sein des factions, et qui ne fût l'ouvrage de circonstances aussi impérieuses que fugitives: voilà pourquoi toutes ont été vicieuses. Mais depuis le 18 brumaire il s'est trouvé une époque, unique peut-être dans les annales du monde, pour niéditer à l'abri des orages, pour fonder la liberté sur des bases solides, avouées par l'expérience et par la raison. Après la paix d'Amiens Bonaparte a pu choisir entre le système républicain et le système monarchique : il eût fait tout ce qu'il eût voulu ; il n'eût pas rencontré la plus légère opposition. Le dépôt de la liberté lui était confié; il avait jure de la défendre en tenant sa promesse il eût rempli l'attente de la nation, qui l'avait jugé seul capable de résoudre

le grand problème de la liberté publique dans les vastes états; il se fût couvert d'une gloire incomparable. Au lieu de cela, que fait-on aujourd'hui? On propose de lui faire une propriété absolue et héréditaire d'un pouvoir dont il n'avait reçu que l'administration. Est-ce là l'intérêt bien entendu du premier consul lui-même ? Je ne le crois pas.

» Il est très vrai qu'avant le 18 brumaire l'Etat tombait en dissolution, et que le pouvoir absolu l'a retiré des bords de l'abîme; mais que conclure de là? Ce que tout le monde sait; que les corps politiques sont sujets à des maladies qu'on ne saurait guérir que par des remèdes violens; qu'une dictature momentanée est quelquefois nécessaire pour sauver la liberté : les Romains, qui en étaient si jaloux, avaient pourtant reconnu la nécessité de ce pouvoir suprême par intervalles. Mais parce qu'un remède violent a sauvé un malade, doit-on lui administrer chaque jour un remède violent? Les Fabius, les Cincinnatus, les Camille sauvèrent la liberté romaine par le pouvoir absolu; mais c'est qu'ils se dessaisirent de ce pouvoir aussitôt qu'ils le purent ils l'auraient tuée par le fait même s'ils l'eussent gardé. César fut le premier quí voulut le conserver; il en fut la victime; mais la liberté fut anéantie pour jamais. Ainsi tout ce qui a été dit jusqu'à ce jour sur le pouvoir absolu prouve seulement la nécessité d'une dictature momentanée dans les crises de l'Etat, mais non celle d'un pouvoir permanent et inamovible.

» Ce n'est point par la nature de leur gouvernement que les " grandes républiques manquent de stabilité; c'est parce qu'étant improvisées au sein des tempêtes, c'est toujours l'exaltation qui préside à leur établissement. Une seule fut l'ouvrage de la philosophie, organisée dans le caline, et cette république subsiste pleine de sagesse et de vigueur ce sont les Etats-Unis de l'Amérique septentrionale qui offrent ce phénomène, et chaque jour leur prospérité reçoit des accroissemens qui étonnent les autres nations. Ainsi il était réservé au nouveau monde d'apprendre à l'ancien qu'on peut subsister paisiblement sous le régime de la liberté et de l'égalité: Oui, j'ose poser en principe que lorsqu'on peut établir un nouvel ordre de choses sans avoir à redouter l'influence des factions, comme a pu le faire le premier consul, principalement après la paix d'Amiens', comme il peut le faire encore, il est moins difficile de former une république sans anarchie qu'une monarchie sans despotisme; car comment concevoir une limitation qui ne soit point illusoire dans un gouvernement dont le chef a toute la force exécutive dans les mains, et toutes les places à donner? On a parlé d'institutions que l'on dit propres à produire cet effet =

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