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Le respect dû au principe de la neutralité, de la part des États qui se sont déclarés neutres, au moment de la rupture de la paix entre deux ou plusieurs Puissances, a été porté si loin quelquefois qu'une loi rendue par le gouvernement électoral de Bavière, le 16 mai 1697, condamne à mort tout sujet bavarois qui, rompant la neutralité gardée par son souverain, fournirait des armes à l'un des belligérants.

En 1849, les États-Unis ont donné un témoignage réel de respect pour les obligations qu'impose la neutralité.

La Prusse avait acheté le steamer United States; sur le seul soupçon que cette Puissance voulait en faire usage dans la guerre contre le Danemarck, le gouvernement des États-Unis mit provisoirement l'embargo sur ce bâtiment.

Une loi aussi sévère que celle du 16 mai 1697 (Bavière) ne saurait, de nos jours, être promulguée dans aucun État chrétien; il serait désirable toutefois que dans tout État une loi pénale s'opposat formellement, à l'exportation des munitions de guerre pour une contrée qui se trouve en hostilités ouvertes avec un autre Etat, ami ou allié, et frappât d'amendes et de confiscation les négociants et les armateurs qui se mettraient en contravention à la loi; mais les libertés publiques de toute nature sont si diverses. et sont devenues si susceptibles et si exigeantes, dans notre siècle, notamment depuis la paix de 1814, qu'il serait difficile au gouvernement, dans certains pays du moins, de s'opposer d'une manière efficace au chargement d'armes et de munitions, sans destination déterminée, ou avec destination simulée, mais destinées réellement à l'ennemi de la nation dont on se dit ami et à l'égard de laquelle tous, gouvernement et sujets, devraient observer le principe de la neutralité stricte. Il faut bien le reconnaître, le commerce n'a en vue que le gain que lui promet une spéculation. Les armateurs savent dans l'occasion s'affranchir des obligations de la neutralité gardée par le pays auquel ils appartiennent. Aussi a-t-on vu, en 1844, lorsque la guerre civile faisait couler le sang en Espagne, des bâtiments marchands quitter le port de Hambourg chargés de fusils réformés des arsenaux prussiens, et que le commerce voulait livrer à l'infant Don Carlos; aussi a-t-on trouvé des tribus arabes en hostilités ouvertes contre la France, armées de fusils d'origine anglaise, etc. Ces faits ne sont pas les seuls de cette nature que nous aurions à signaler.

Emprunt de capitaux en pays neutre.

En terminant cet article, nous croyons à propos de parler de certaines circonstances qui ont trait à l'emprunt qu'une Puissance belligérante aurait la pensée de faire négocier en pays neutre; il s'agit de la Russie en 1854 peu importe que la nouvelle de l'emprunt soit vraie ou fausse; ce qu'il importe de rappeler ici c'est l'opinion ou la doctrine, conforme à la neutralité stricte, que cette nouvelle a fait émettre.

Un bâtiment français de la marine impériale, la Favorite, s'étant montré dans la rade d'Helvoetsluys, sur la côte sud de l'ile Woorn, a cinq lieues ouest de Rotterdam, son apparition dans les eaux du royaume des Pays-Bas a jeté quelqu'inquiétude dans l'esprit de divers membres des États-Genéraux. Dans un langage exagéré, auquel se laissent trop facilement aller en général, dans tous les pays à gouvernement représentatif, les membres de l'opposition, l'un d'eux a demandé au ministère s'il était vrai que des bâtiments appartenant aux Puissances en guerre contre la Russie eussent reçu des instructions pour faire la garde devant les ports de la Hollande, et visiter les navires néerlandais en pleine mer?

Le ministre des affaires étrangères, M. van Hall, a répondu que le royaume des Pays-Bas restera dans la plus stricte neutralité, qu'il n'a point d'ailleurs l'intention d'interdire l'entrée des ports néerlandais aux vaisseaux de guerre étrangers, et qu'il ne concevait pas les craintes que semblait avoir inspirées l'apparition de la Favorite.

Reconnaissant le droit de visite des Puissances belligérantes en pleine mer, M. van Hall a exprimé la conviction que le commerce hollandais ne s'exposerait pas à transporter des objets de contrebande de guerre.

Ce qui a pu contribuer à inspirer les craintes que M. van Hall a combattues, c'est probablement la pensée que la France et l'Angleterre ne sauraient consentir, quand les Pays-Bas ont déclaré vouloir rester neutres, à ce que les négociants néerlandais acceptâssent la négociation d'un emprunt que le souverain de la Russie se proposait (disait-on), de former en Hollande. La stricte neutralité que le gouvernement des Pays-Bas a déclaré vouloir garder, ne saurait permettre, en effet, que, par l'intermédiaire de ses négociants, des ressources financières fussent fournies à l'une des Puissances belligérantes.

La publication qui a été faite par le consul général de S. M.

britannique à Hambourg autorise tout-à-fait à admettre que des communications analogues ont été faites à La Haye, par les gouvernements de France et d'Angleterre.

Voici cette publication, sous forme de circulaire adressée aux vice-consuls anglais dans les Villes anséatiques.

« Monsieur,

« Hambourg, 30 juin 1854.

<< Le gouvernement de S. M. ayant consulté les jurisconsultes de la couronne sur la nature du crime que commettrait ct sur la peine qu'encourrait un sujet anglais qui contribuait à l'emprunt que l'empereur de Russie se propose de contracter, je suis chargé par le comte de Clarendon de vous faire savoir que tout sujet anglais qui prendrait part à un emprunt contracté par une Puissance en guerre avec l'Angleterre serait considéré comme coupable de haute trahison pour avoir pris le parti des ennemis de S. M.

« Je vous prie de faire connaître cette décision dans tout le ressort de votre vice-consulat.

« Je suis, etc.

Signé LLOYD HODGES. »>

Lord Clarendon a donné aux divers agents diplomatiques et consulaires de S. M. la reine de la Grande-Bretagne dans les pays neutres où un emprunt russe pourrait être négocié, communication de l'avis des jurisconsultes de la couronne. 1)

Dans le mois d'août 1854, la chambre des communes a adopté un bill ainsi conçu:

« Tout sujet anglais qui pendant la durée des hostilités entre S. M. et l'empereur de Russie, acquerrait sciemment, dans quelque pays que ce soit, des titres d'emprunts russes sous quelque forme que ce soit, émis depuis le 29 mars 1854 ou qui pourraient être émis jusqu'à la fin de la guerre, que l'acquisition ait lieu directement ou par intermédiaire, sera regardé comme coupable d'un délit et sera puni d'un emprisonnement de trois mois au moins. Sont exceptés de cette disposition ceux qui acquerraient des titres d'emprunts russes par succession ou comme créanciers d'une faillite. >>

En présence de la déclaration des jurisconsultes de la couronne, et du bill adopté par la chambre des communes, concernant uniquement, il est vrai, les sujets anglais, on peut croire que le cabinet de St.-James considérerait comme une atteinte portée à la neutralité stricte toute participation que prendraient à un emprunt russe les sujets des gouvernements neutres.

1) Ceci résulte des paroles du duc de Newcastle dans la séance du 9 août 1854 de la chambre des Lords.

Au § 10, 2o section du titre III, Livre I, nous avons placé les déclarations émanées de divers gouvernements, en 1854, en ce qui concerne la neutralité qu'ils veulent observer et les prises qui seraient conduites dans les ports de leur domination par les bâtiments de guerre des États belligérants. 1)

CHAPITRE XXXIII.

DES PRISONNIERS DE GUERRE.

DES CORSAIRES BARBARESQUES.

Prisonniers de guerre.

Evasion des prisonniers.

§ 1.

Pontons anglais et espagnols.

Captivité en France de l'amiral

anglais Sir W. Sidney Smith.

Nous l'avons fait remarquer plus haut (Livre I, titre III, §§ 21 et 32), les lois de la guerre, aussi bien que celles de l'humanité, défendent de tuer et même de maltraiter les prisonniers de guerre.

On peut, il est vrai, prendre les mesures nécessaires pour les empêcher de nuire, de s'échapper et de rejoindre l'ennemi, et, s'ils s'évadent sans avoir engagé leur parole d'honneur de ne pas chercher à le faire, et qu'ils soient repris, ils peuvent être traités avec plus de sévérité au point de vue de la surveillance, dont ils doivent devenir l'objet à l'avenir; mais cette surveillance plus grande ne doit être accompagnée d'aucune cruauté, d'aucune mesure acerbe.

A ce point de vue, nous nous plairons toujours à rendre l'hommage qui lui est dû au traité qui fut conclu le 14 juillet 4799, à Berlin, entre la Prusse et les États-Unis de l'Amérique septentrionale, art. 29. (Voir Livre I, titre III, § 32.)

L'État qui retient des prisonniers de guerre ne doit point oublier que lorsque ceux-ci ne sont point liés par leur parole d'honneur, ils restent en état de guerre avec l'ennemi au pouvoir duquel ils se trouvent, et que c'est à cet ennemi à se prémunir contre les moyens de force ou de ruse que les prisonniers, qui restent toujours ses adversaires, peuvent employer pour recouvrer

1) Achat des navires marchands des nations belligérantes: Voir note XIII du 2 vol

leur liberté ; à ce point de vue donc l'État qui retient des prisonniers de guerre doit prendre des mesures propres à empêcher les tentatives d'évasion, que ceux-ci seront conduits, par le désir de rentrer sous leur drapeau, à essayer dans ce but; mais ces mesures doivent être dictées par l'humanité; or, n'est-ce pas au mépris de tout ce que l'humanité commande d'égards et de bons traitements pour des ennemis devenus prisonniers que, pendant les longues guerres auxquelles ont mis fin les événements militaires de 1814 et les traités signés à Paris à cette époque, qu'a été établi le régime des pontons anglais, et, à leur exemple, celui plus inhumain encore des pontons espagnols, après la rupture de la paix qui suivit la captivité du roi Ferdinand VII?

<< L'aspect seul des pontons anglais », dit M. Edouard Corbière, « révélait à nu toutes les misères, toutes les souffrances dont ces sépulcres flottants étaient devenus le théâtre. Un vaisseau dégréé, sans voiles, sans artillerie, mais pourvu à tous les sabords d'énormes barreaux de fer, à travers lesquels des figures håves et amaigries cherchaient à respirer l'air qui s'exhalait des marais du rivage, tel était le spectacle sinistre qu'offrait chacun des pontons de Chatham, de Portsmouth ou de Plymouth!

« Au-dessus des ponts et des gaillards de ces vastes cachots, on avait élevé des toitures informes destinées à servir d'abri, pendant le jour, aux malheureux qui venaient demander un peu d'air, après avoir épuisé toutes leurs forces à lutter, durant la nuit, contre l'atmosphère infecte des batteries ou de la cale.

« A chaque instant, l'officier commandant le ponton faisait compter et recompter ses prisonniers pour prévenir ou constater les désertions qu'il redoutait de la part de ces infortunés toujours prêts à exposer leur vie pour tenter le moyen de fuir leurs inflexibles géoliers. D'heure en heure, les barreaux de fer des sabords étaient visités, sondés, heurtés dans tous les sens, comme dans les bagnes on heurte, on sonde l'anneau que les forçats traînent aux pieds, et qu'ils essaient sans cesse de limer ou de rompre pour échapper aux gardes qui les suivent sans cesse.» Et plus loin:

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« Les prisonniers se couchaient dans des hamacs que l'on dépendait chaque matin au coup de cloche.

<< Quatre onces de pain gluant, un peu de mauvaise viande ou de morue avariée, quelques onces de légumes secs ou de pommes de terre, composaient la nourriture de chaque captif. >>

Après cette description des pontons anglais, que les rapports de tous les prisonniers, qui y ont été retenus, montrent n'être

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