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un séparatisme politique et même commercial à peu près complet; c'est une position franche et noble qui pourrait avoir ses avantages si elle ne faisait courir à l'indépendance de cet État, trop faible par lui-même, des dangers réels dans le cas où il surviendrait des complications politiques sérieuses au sein de l'Allemagne. Quant aux autres petits Etats de troisième et quatrième ordre, ils sont menacés d'être médiatisés par la Prusse, sans espoir de contribuer efficacement à fonder l'unité fédérale de l'Allemagne entière.

Telle est, au début de l'année, la situation à laquelle ont abouti tant d'efforts, de projets, de discussions sur l'union politique et commerciale allemande.

Rappelons brièvement les phases diverses de la lutte engagée depuis 1848 sur le terrain de l'unité politique. Ce projet de réunir l'Allemagne en un État fédératif était né avec l'assemblée révolutionnaire de Francfort. Il avait été poursuivi avec obstination mais sans succès, tant par les représentants de la théorie démocratique que par l'ambition de la monarchie prussienne, jusqu'à la dissolution de l'assemblée dite nationale, et la conclusion du traité entre la Prusse, la Saxe et le Hanovre, le 26 mai 1849. Ce traité avait commencé une seconde époque remplie par des négociations et des conférences dans lesquelles, à l'État fédératif restreint de la Prusse, l'Autriche opposait l'union de la Grande-Allemagne. Cette époque avait fini à la convention signée par l'Autriche et la Prusse, le 30 septembre 1849. En vertu de cette convention, une commission fédérale provisoire avait été composée de plénipotentiaires autrichiens et prussiens, et elle était entrée en fonctions le 20 décembre, jour auquel le vicaire général de l'empire avait déposé ses pouvoirs à Francfort.

A côté de cette commission, qui était censée représenter la fédération entière, la Prusse n'en continuait pas moins l'édifice de P'État fédératif restreint, fondé par le traité du 26 mai. Elle avait défendu cette œuvre mal assise contre les protestations de l'Autriche, contre les propositions de la même puissance tendant à former une union douanière avec l'Allemagne. On le voit, les situations étaient bien changées depuis la fin de 1848. Il ne s'agissait plus de rejeter l'Autriche hors de la confédération prussienne,

il s'agissait de savoir quelle serait celle des deux puissances qui ferait prévaloir son influence en Allemagne. L'intérim créé par le traité du 30 septembre 1849 était une première victoire pour l'Autriche.

La situation générale de l'Allemagne et de l'Europe vint doubler les chances de l'Autriche. Aux violentes entreprises de la démagogie avait succédé le calme et une réaction en faveur des idées conservatrices: la Hongrie et l'Italie vaincues ne réclamaient plus l'emploi de toutes les forces autrichiennes; la Prusse n'était plus le seul bras disponible pour la répression et on commençait à se souvenir qu'avant de combattre la démocratie militante, elle l'avait encouragée. Ainsi, lorsque, le 5 octobre 1849, la Prusse croyait obtenir de ses alliés du 25 mai la convocation d'un parlement à Erfurt, la Saxe et le Hanovre rappelèrent que les signataires du traité du 26 mai n'étaient pas toute l'Allemagne, qu'il y avait aussi une Allemagne du sud et que la coopération de cette Allemagne était indispensable pour la formation d'un nouvel État fédéral. Ce n'était là qu'un prélude. Bientôt la Saxe, qui n'avait accédé à l'alliance de mai que par reconnaissance pour les armes prussiennes, la Saxe, qui avait vu dans ce traité, bien plus une garantie contre le désordre qu'un jalon posé pour une organisation fédérale, la Saxe, qui avait fait en signant des réserves en faveur de l'Autriche et de la Bavière, refusa de se mettre plus longtemps au service de l'ambition prussienne. L'Autriche et la Bavière protestaient contre la convocation du parlement d'Erfurt: le 28 novembre et le 8 décembre 1849, la Saxe accéda à ces protestations, sans toutefois se considérer encoré comme dégagée envers la Prusse. Le Hanovre alla plus loin: le 30 décembre, il sortit de l'union restreinte.

Jusque-là, presque seule, parmi les États secondaires, la Bavière avait ouvertement résisté à l'influence de Berlin: désormais, deux États considérables, la Saxe et le Hanovre, la suivraient dans cette voie. Le Wurtemberg avait aussi, dès le 26 septembre, refusé d'entrer dans l'union restreinte.

Ainsi, peu à peu, l'Allemagne s'échappait des mains de la Prusse, qui avait cru un moment la dominer tout entière: le cabinet de Berlin ne voulut pas paraître reculer. Malgré ces déser

tions significatives, il obtint, le 13 février 1850, des représentan ts des petits États, trop faibles pour se soustraire à ses volontés, la convocation, pour le 20 mars, du parlement d'Erfurt. La commission fédérale de Francfort fonctionnait toujours, mais il n'y avait pas là un point d'appui suffisant contre le parlement prussien qui allait s'ouvrir. Les États secondaires cherchèrent ce point d'appui dans une ligue déjà toute formée par les protestants contre l'État fédéral restreint. Le 27 février, la Bavière, la Saxe et le Wurtemberg signèrent, à Munich, un traité qui organisait, en face de l'union prussienne, une union particulière destinée à préparer la victoire définitive de l'Autriche. Le Hanovre se refusa à participer à cette alliance; il créait ainsi pour lui seul une situation intermédiaire entre les deux grandes influences.

Avec le traité du 27 février commençait une quatrième période de la question fédérale allemande. La confédération présentait à ce moment les combinaisons politiques suivantes :

1o La Commission fédérale provisoire de Francfort, composée de deux plénipotentiaires autrichiens et de deux prussiens, et dont les pouvoirs expiraient le 1er mai; 2o l'Etat fédératif restreint, dit aussi l'Union Allemande, formé de la Prusse et de plusieurs États secondaires ou alliés dont voici la liste: 1o Prusse, Saxe-We imar, Saxe- Meiningen, Hildburghausen, Saxe-Cobourg-Gotha, Saxe-Altenbourg, Anhalt-Dessau, Anhalt-Bernbourg, Anhalt-Cothen, Schwarzbourg, Sondershausen, Schwarzbourg-Rudolstadt, Reuss (ligne ancienne), Reuss (ligne cadette); 2° Brunswick, Mecklembourg-Schwerin, Mecklembourg-Strelitz, Oldenbourg, Lubeck, Brême, Hambourg; 3o Bade; 40 Hesse électorale, grandduché de Hesse, Nassau, Waldeck, Schaumbourg-Lippe, Lippe. Cette Union était représentée par un conseil d'administration, par un tribunal fédératif arbitral, siégeant l'un et l'autre à Erfurt, et par le Parlement de l'Union allemande, réuni le 20 mars dans la même ville; 50 la Confédération de Munich (Bavière, Saxe, Wurtemberg); 40 le Hanovre, qui gardait une position isolée; 5o l'Autriche, qui participait à la commission de Francfort et inspirait la confédération de Munich.

La confédération de Munich avait été inspirée, mais non dictée par l'Autriche. Cette ligue 'pouvait préparer le triomphe de l'in

fluence impériale, mais elle avait assurément un autre but, celui de garantir l'individualité des puissances du second ordre. A ce point de vue, le traité de Munich avait un caractère tout spécial, également inacceptable pour les deux grandes ambitions allemandes. Le 13 mars, le Gouvernement impérial déclara y accéder, mais sous la réserve que les principes contenus dans les propositions de la Bavière, de la Saxe et du Wurtemberg seraient maintenus dans l'élaboration du projet de la Constitution ellemême. Cette accession, plus apparente que réelle, faite pour engager de plus en plus les Etats secondaires dans les intérêts autrichiens, n'engageait pas sérieusement l'Autriche elle-même. Elle établissait son protectorat: rien de plus. Car le projet des signataires du traité de Munich ne pouvait aboutir à un résultat positif. Ce projet, rédigé par le ministre bavarois, M. von den Pfordten soulevait des objections graves. Il supprimait la Chambre haute ou chambre des Etats, confiait uniquement l'élection de la représentation nationale aux législatures des Etats particuliers, et n'indiquait pas la nécessité d'un budget fédéral. D'après le projet, le pouvoir exécutif serait confié à un directoire fédéral composé de sept membres. Les États secondaires, la Bavière, la Saxe, le Hanovre, le Wurtemberg et les Hesses auraient chacun une voix, c'est-à-dire, autant que la Prusse et l'Autriche. Quant à la représentation nationale, elle se composerait de trois cents membres, cent pour l'Autriche, cent pour la Prusse, cent pour les États secondaires. Au fond, l'Autriche, pas plus que la Prusse, ne pouvait donner une adhésion pratique à un système dans lequel son influence ne figurerait que pour un tiers d'un côté, pour un septième de l'autre. Aussi, ne put-on voir dans la sympathie témoignée par le cabinet impérial aux principes du traité de Munich, qu'une tactique provisoire. D'ailleurs, dans sa réponse à la circulaire des signataires du traité, le gouvernement autrichien mettait en avant une idée déjà lancée par lui en diver ses occasions, l'idée de l'entrée de l'Autriche avec toutes ses provinces dans la Confédération germanique. L'Autriche associat habilement le nom de la Prusse au sien propre, pour une accession semblable.

Ainsi se dessinaient chaque jour plus nettement les traits di

vers de l'antagonisme des deux grandes puissances. C'est en vain que les États secondaires cherchaient à prendre une position indépendante entre ces deux centres d'attraction. L'un des signataires du traité de Munich fit, dans cette voie, une tentative nouvelle.

Le roi de Wurtemberg, en ouvrant, le 15 mars, l'assemblée de Stuttgard se prononça hardiment contre la chimère de l'état unitaire allemand; mais, en même temps, il repoussait toute suprêmatie, toute influence dominatrice, quel que fût son nom. «Le maintien de l'ancien droit, ajoutait S. M., c'est-à-dire du droit positif et de la fidélité aux traditions historiques qu'on ne peut méconnaître et qui finissent toujours par avoir le dessus, peut seul nous assurer force, durée et salut dans les orages de notre époque. Moi et les gouvernements qui sont mes alliés dans cette question, nous voulons conserver à la nation son droit naturel à la représentation de l'ensemble. Nous ne voulons pas élever un nouvel édifice politique des débris de notre ancien droit; nous voulons, au contraire, donner à la confédération une forme nouvelle qui soit en harmonie avec l'esprit de l'époque; nous voulons accorder les justes prétentions de la Prusse avec les intérêts généraux de l'Allemagne. Si pourtant nous voulons sacrifier nos intérêts particuliers, ce n'est pas à telle ou telle puissance, mais à l'ensemble, à la patrie. Nous ne voulons être ni Autrichiens, ni Prussiens. Nous voulons, par le Wurtemberg et avec le Wurtemberg, rester Allemands. » Ce commentaire énergique de l'union du 27 février, cette protestation contre toute pensée d'absorption. excita les colères de la Prusse. L'ambassadeur de Prusse à Stuttgard, quitta la cour de Wurtemberg, et M. le baron de Hugel, ambassadeur du roi de Wurtemberg à Berlin, fut invité à demander ses passe-ports. L'Autriche se garda bien de paraître blessée. On voit de quel côté était l'habileté politique. Le cabinet de Vienne ne risquait rien à ménager la susceptibilité des États secondaires. Il savait trop bien qu'une alliance indépendante entre ces États n'avait aucune chance de succès. Déjà même, on apprenait que les sympathies de la Russie manqueraient à la tentative de Munich.

Il résulta d'une dépêche, en date du 4 mars, adressée par M. de Nesselrode à M. de Medem, ministre de Russie près la cour de

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