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par une méditation qui duroit une heure; après quoi elles récitoient en commun l'office de la Sainte-Vierge, et ensuite celui de la messe. A sept heures, elles prenoient un peu de nourriture; et à huit, elles disoient les Litanies des Saints, Quand cette prière attendrissante étoit achevée, chacune de ces religieuses faisoit à haute voix la confession de ses fautes, et se disposoit à la réception intentionnelle du saint viatique, Lorsque l'heure où elles pouvoient être appelées au tribunal approchoit, elles disoient les prières de l'extrême onction, renouveloient les vœux de leur baptême, et ensuite ceux de leur profession. « O mon Dieu, s'écrioient-elles avec transport, oui, mon Dieu, nous sommes religieuses, et nous avons une grande joie de l'être ! Seigneur, nous vous remercions de nous avoir accordé cette grâce ».

C'étoit à neuf heures que se faisoit ordinairement l'appel des religieuses qui devoient comparoître devant les juges. Comme elles ne furent pas toutes appelées le même jour, celles qui ne l'étoient pas, envioient le sort de celles qui l'étoient, et ressentoient une sorte de peine de tarder à le partager, tant étoit vif leur désir de donner leur vie pour Jésus-Christ. Elles ne revoyoient plus celles que le tribunal avoit condamnées à la mort, parce qu'il les faisoit jeter, avec d'autres victimes condamnées avec elles, dans une cour appelée le Cirque (1), en attendant l'heure de l'exécution, qui avoit lieu le même jour. Leur condamnation n'étant plus douteuse pour les religieuses qui restoient dans la prison, celles-ci récitoient alors à genoux les prières des agonisans, les Litanies de la Sainte-Vierge, et les dernières paroles de Jésus-Christ sur la croix. Ensuite, à cinq heures, elles achevoient de psalmodier leur office.

Lorsqu'à six heures du soir, le bruit sinistre du tambour,

(1) Cette cour avoit, dit-on, fait partie d'un cirque romain, où sous les Néron et les Maxence, beaucoup de chrétiens avoient donné leur vie pour J. C

et les cris épouvantables de « Vive la nation! vive la république »>! dont étoit précédé le départ des victimes pour l'échafaud, retentissoient autour de la prison, et y annonçoient la prochaine exécution des religieuses condamnées, leurs sœurs prosternées répétoient les prières des agonisans, auxquelles succédoient celles de la recommandation de l'âme, et ensuite un profond silence qu'elles gardoient, en restant toujours à genoux, jusqu'à ce qu'elles présumassent que leurs compagnes avoient subi leur jugement. Alors elles se levoient, en se félicitant de ce qu'il en étoit déjà quelques unes d'entre elles qui avoient été admises aux noces de l'agneau sans tache; et elles chantoient avec joie le Te Deum laudamus et le psaume Laudate Dominum omnes gentes. Après cette action de grâces pour la sainte mort qu'avoient faite leurs compagnes, elles se séparoient en s'exhortant mutuellement à mourir de même le lendemain.

La prison étant pour elles comme un cloître, animé de la plus grande ferveur, tous les exercices de la profession religieuse y étoient remplis sans aucune distraction, et avec une ponctualité parfaite. Un jour que deux d'entre elles appelées plus tard au tribunal, ne le furent que dans l'après-midi, l'une d'elles s'écrioit avec autant de regret que de candeur : « Eh! mais..... nous n'avons pas encore dit nos vêpres! » Sa compagne lui répliqua sur-le-champ : « Nous les dirons dans le ciel ».

Joignant à des exemples si touchans et si persuasifs, une sorte d'apostolat, ces saintes filles contribuèrent autant que les saints prêtres, prisonniers avec elles, à ramener au Seigneur, et les personnes séculières qui, partageant leur sort, n'avoient presque jusqu'alors vécu que pour le monde, et quelques ecclésiastiques coupables du serment de la constitution civile du clergé, qu'on avoit aussi renfermés dans la même prison. Ceux-ci ne tardoient pas à se repentir; et on les voyoit bientôt se jeter aux pieds des ministres fidèles qui pouvoient recevoir leur rétractation, et les absoudre.

Quand ils voyoient quelqu'une de ces saintes filles appe lées au tribunal, et marcher par cela même au martyre, ils se prosternoient devant elles comme pour leur demander un de ces billets d'indulgence que, dans le beau siècle de saint Cyprien, les confesseurs de la Foi accordoient aux pénitens publics en allant au supplice. Ils disoient à ces célestes filles, avec toute la vivacité du repentir le plus sincère : « Nous avons reconnu notre erreur, et nous l'abjurons de nouveau à vos pieds: pardon, mille fois pardon; pardon des scandales que nous avons donnés aux foibles; nous voulons mourir comme vous, non seulement dans le sein de la religion catholique, apostolique et romaine, mais encore pour la Foi qu'elle professe ». Une joie douce succédoit à l'amertume du repentir dans l'âme de ces prêtres, Relevés comme sainte Bibliade et les neuf autres tombés lors du martyre de saint Pothin (1), ils montroient la même résignation, le même héroïsme devant les juges, quand ceuxci leur demandoient le serment qui devoit servir à racheter leur vie. Ils le refusoient avec la même fermeté que ceux de leurs vertueux confrères qui n'avoient jamais chancelé, et que les saintes religieuses de qui on l'exigeoit aussi, Ils marchoient au supplice avec autant de courage, comme avec autant de Foi, que ceux de qui ils avoient obtenu la grâce de la réconciliation. Les gendarmes qui conduisoient les uns et les autres à l'échafaud, ne remarquoient aucune différence entre eux, lorsqu'ils disoient avec un dépit infernal: « Ces misérables-là meurent tous en riant ».

Le serment que les juges demandoient aux prêtres et même aux religieuses, étoit, non plus celui de la constitution civile du clergé, ni le serment civique dans lequel elle

(1) Illos enim gaudium martyrii, spesque promissæ beatitudinis, et charitas ergà Christum, et Dei Patris spiritus recreabat....... Abhinc (Biblias priùs lapsa) christianam se esse confessa, in consortium Martyrum relata est. (Euseb. Hist. Eccles. L. V, c. 1m et seq. Edit. Valesianæ.)

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étoit comprise, mais celui de liberté-égalité (Voy. DÉPORTATION; LOIS et TRIBUNAUX RÉVOLUTIONNAIRES). Nous en trouvons une preuve irréfragable dans les Mémoires envoyés à Rome sur le meurtre de ces religieuses, par M. l'abbé Tavernier de Courtines, que Pie VI avoit institué administrateur apostolique du diocèse de Saint-Paul - TroisChâteaux, auquel appartenoit Boulène (1). On y lit, comme ailleurs, que le président du tribunal, après avoir interrogé, sur son nom, son âge et sa profession, la victime qui lui étoit livrée, lui demandoit si elle avoit fait, ou si elle vouloit faire le serment de liberté-égalité. Toutes les religieuses (comme les prêtres) répondoient successivement : « Ce serment est contraire à ma conscience; mes principes religieux me le défendent ». Souvent le président insistoit en disant à chacune d'elles avec le grossier tutoiement d'alors : « Tu es encore à temps de prêter ce serment; et tu peux, à ce prix être innocentée par nous ». Chacune d'elles répliquoit à son tour: « Je ne puis sauver ma vie aux dépens de ma Foi». Sur une telle réponse, l'arrêt de mort étoit aussitôt prononcé. Toutes allèrent au lieu du supplice avec une céleste allégresse, et « comme à un festin de noces », suivant l'expression d'un témoin oculaire : le peuple grossier ne pouvoit comprendre cette joie; et les gendarmes plus grossiers encore, ne cessoient de répéter dans leur brutal langage : « Ces b......-là meurent aussi toutes en riant ».

Nous avons dit qu'elles exercèrent un heureux apostolat envers les personnes du monde qui étoient emprisonnées avec elles; et cette particularité mérite d'être exposée avec quelques détails. Emus par la Foi et la piété de ces religieuses, ceux de leurs compagnons de captivité qui avoient le plus vécu dans l'oubli de Dieu, sentoient bientôt renaître

(1) Voy. Mémoires pour servir à l'Histoire de la Révolution française, recueillis par les ordres de N. T. S. P. Pie VI, par M. l'abbé d'Hesmivy d'Auribeau. (Rom. 1794 et 1795, pag. 536 et 1015.).

en leur âme les sentimens dont une éducation chrétienne avoit pénétré leur enfance; et bientôt ils acquéroient la même ferveur, la même résignation, la même constance que les plus héroïques d'entre ces religieuses, qui, en partant avant eux pour aller au tribunal et delà à l'échafaud, les plaignoient « de les voir destinés à leur survivre, parce que s'ils échappoient à la mort, ils resteroient exposés à mille autres dangers sur une terre, où tout n'étoit plus qu'erreur et crime ». Ceux que le tribunal n'eut pas le temps d'immoler, et qui purent retourner dans leur domicile, y ont conservé les ineffables impressions que l'apostolat de ces filles angéliques avoient faites sur leur âme. On citè parmi les éclatantes conversions qu'elles opérèrent alors, celle d'un jeune homme de la ville d'Alais, qui, entré dans la prison avec tous les goûts du siècle, et libre ensuite de retourner dans ses foyers, préféra d'aller mener dans la solitude une vie capable de lui mériter un jour la gloire de ces saintes vierges dont il avoit partagé les chaînes, sans pouvoir obtenir comme elles la palme du martyre.

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Mais combien plus leur ministère apostolique fut-il utile à ceux d'entre eux qui étoient jugés, condamnés et jetés avec elles dans ce cirque où l'on attendoit l'heure du supplice? Elles encourageoient ceux que l'aspect de la mort consternoit, et que le désespoir étoit près d'atteindre, en leur faisant concevoir des espérances plus pures, plus solides que celles de la terre. A ceux dont la séparation de leur famille, la perte des biens temporels que leur condamnation alloit causer à leurs enfans, affligeoient beaucoup trop l'âme sensible, elles montroient dans le ciel des parens, des amis plus heureux. « Il n'étoit pas rare, dit un écrivain qui en fut comme témoin; il n'étoit pas rare de voir ceux qui avoient jeté derrière eux des regards de tristesse et de regrets, reprendre des forces nouvelles à la voix consolante de ces héroïques vierges, et faire à leur exemple un généreux sacrifice de la vie temporelle, dans l'espoir d'une meil

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