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à posteriori, et que la perpétuité n'est que sa mesure provisoire? Ou plutôt si on ne cherche point à la limiter, à la proportionner à la perversité individuelle des récidivistes, n'estce pas parce qu'on a reconnu l'impossibilité de réaliser ce dosage en même temps que les inconvénients d'une peine à durée préfixe? C'est ce que faisait remarquer M. Léveillé (à la quatrième session de l'Union), disant que le système préconisé par les indéterministes était « actuellement celui de la législation française qui aboutit au résultat visé, mais par une autre voie ». Toute la différence consiste en ce que, au lieu d'être indéterminée, la peine est nominalement perpétuelle, mais l'analogie avec l'un des modèles que nous avons décrits est frappante si l'on considère que la loi (1) fixe d'avance la date (la sixième année) à partir de laquelle le relégué pourra introduire une demande tendant à se faire relever de la relégation.

Mais l'institution de la libération conditionnelle apparaît comme un document plus considérable encore. Depuis qu'une libération anticipée peut abréger la durée de toute peine emportant privation de la liberté, s'il est encore vrai que le juge en fixe à priori la durée, du moins n'est-ce pas définitivement et immuablement. Il dépendra du ministre de l'Intérieur, c'est-à-dire de l'Administration, de laisser à la sentence son plein effet ou d'en restreindre l'application; et, dans cette mesure où il dépend de l'autorité exécutive que l'emprisonnement continue ou qu'il cesse, la peine est réellement indéterminée ou du moins « les deux systèmes ne sont pourtant pas aussi opposés qu'on le croit en général

(1) Art. 16.

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(Léveillé). Que l'on réfléchisse en effet que la loi fixe les limites dans lesquelles l'Administration exercera son pouvoir de libérer par anticipation (après que le condamné aura subi la moitié ou les deux tiers de sa peine), et l'on trouvèra, à côté du maximum de la peine à exécuter qui est le taux fixé par le juge, un minimum qui est la durée d'emprisonnement avant l'expiration de laquelle la libération conditionnelle ne peut intervenir, ce qui constitue, dans tous ses éléments, un système de sentence relativement indéterminée, avec un maximum judiciaire et un minimum en quelque sorte légal, absolument conforme à l'un des modèles du genre.

Remarquons enfin que le Code offre certains traits d'une sentence indéterminée, dans le régime applicable au mineur de seize ans acquitté comme ayant agi sans discernement et <«< conduit dans une maison de correction, pour y être élevé et détenu pendant tel nombre d'années que le jugement déterminera, et qui toutefois ne pourra excéder l'époque où il aura accompli sa vingtième année (1) ». La durée de cette correction devant être mesurée dans la vue d'une tentative d'amendement, donc assez largement appréciée, pour permettre quelque effet à une éducation un peu tardive, ce traitement, avec le correctif de la libération conditionnelle « c'est un peu le système de la sentence indéterminée », a dit M. Rivière (2) à la Société des Prisons.

Si l'on rassemblait ces traits caractéristiques, en remarquant que ce sont les lois les plus récentes surtout qui ont

(1) Art. 66 du C. P.

(2) Bulletin 1895, p. 405.

introduit dans notre répression ce quelque-chose d'indéterminé, on pourrait conclure, avec M. Otlet (1) qu'établir « dans notre Code la réforme préconisée ne serait que coordonner et généraliser certaines dispositions éparses dans nos lois », ou encore croire, avec M. Kraepelin que « le développement historique de notre justice répressive travaille avec une force irrésistible à réaliser le but que poursuivent les partisans de la sentence indéterminée ». Ainsi la réforme nouvelle ne serait point le bouleversement complet qui pourrait ébranler l'édifice de notre répression, et l'idée d'indétermination ne serait pas une arme révolutionnaire aux mains de novateurs imprudents, pas plus qu'elle n'est une méthode surannée, copiée de la procédure inquisitoriale. Le mot d'ordre serait : évolution.

Faisons toutefois deux remarques, pour atténuer la portée de notre démonstration d'abord notre législateur n'a organisé nulle part un système qui permette de prolonger la peine fixée par le juge (il y en a un peu l'apparence dans la relégation, qui semble prononcée pour six ans, après quoi un autre tribunal prolongera). M. Otlet (2) prétend que « pour être logique, le législateur aurait dû reconnaître la possibilité de prolonger l'internement du coupable non amendé », et peut-être faut-il être de son avis, mais jusqu'ici le législateur ne l'a point fait; et il n'est pas certain que ce qui manque ainsi à la libération conditionnelle pour l'identifier avec le régime de la peine indéterminée, ce soit « vraiment peu de chose ». Quant à la mise en correction et à la relégation, il ne

(1) Journal des Tribunaux (Bruxelles), no du 16 novembre 93. (2) Article cité.

faut pas oublier que ce sont deux mesures exceptionnelles, situées un peu en dehors de notre système pénal; la relégation en particulier a eu pour but de remédier à une situation spéciale; il s'agissait d'éliminer des éléments dangereux et supposés inassimilables, on recourut à un moyen radical qui reflète les préoccupations exclusives qui le firent concevoir. L'argument qu'on tire de la libération conditionnelle est préférable sous ce rapport, parce qu'elle est la manifestation générale d'une évolution dont l'effet se fait sentir, non plus pour l'organisation d'une mesure toute spéciale, mais sur l'ensemble du système pénal traditionnel.

Mais il est à la sentence indéterminée des précédents plus curieux et plus topiques. Nous les trouvons dans le Code de 1810; la revision de 1832 les a fait disparaître, en abrogeant les art. 44, 45 et 271. Les art. 44 et 271 édictaient pour les individus placés sous la surveillance de la haute police qui ne pouvaient fournir une caution de bonne conduite; et, pour les vagabonds ou gens sans aveu légalement déclarés tels, à titre de peine complémentaire, leur mise à la disposition du gouvernement qui pouvait ordonner soit leur éloignement d'un certain lieu, soit leur résidence dans un lieu désigné, et cela, s'il s'agit des vagabonds (art. 271), «< pendant le temps qu'il déterminera eu égard à leur conduite ». La mise à la disposition était donc en réalité, dans ce dernier cas, contre les vagabonds une peine, non privative de liberté précisément, mais enfin une peine indéterminée. Mais sa suppression s'explique par trop de bonnes raisons pour qu'on en puisse tirer quelque argument sur l'indétermination : elle était une peine administrative, << arbitraire, sans définition dans la loi, véritable servage » (Rapport à la Chambre des

Pairs) (1)« qui ne pouvait plus être maintenu dans le Code ». Mais il faut noter qu'une proposition faite dans un amendement(2) de remplacer l'indétermination de la durée par une disposition qui la limitait fut rejetée, parce que «< si l'on fixait la durée, il pourrait arriver qu'à l'expiration l'individu n'offrirait pas encore de garantie ou qu'il en offrirait longtemps avant »; « dans le fait, disait-on encore, aucune réclamation sérieuse ne s'est élevée contre l'abus que pouvait faire le gouvernement de la mise à la disposition des vagabonds (3) ». - Les dispositions des art. 44 et 45 sont plus intéressantes pour notre sujet : l'art. 44 ordonnait la mise à la disposition dans certains cas, des individus sous la surveillance de la haute police; et l'art. 45 disposait qu'en cas de désobéissance à l'ordre donné pour sa résidence, le gouvernement aurait le droit de faire arrêter et détenir le condamné, durant un intervalle de temps qui pourrait s'étendre jusqu'à l'expiration du temps fixé pour l'état de la surveillance spéciale. Il s'agit d'une détention administrative, prononcée sans jugement et sans garantie, pour une durée indéterminée. C'était, dit M. Chauveau, l'une des dispositions les plus odieuses du Code; son abolition se justifie aussi par des considérations étrangères à l'indétermination.

Ainsi, les enseignements du passé sont obscurs; les symptômes d'évolution dans le présent sont moins incertains, 'semble-t-il. Il est bon de rechercher les uns et les autres et

(1) Ad. Chauveau, Code pénal progressif, p. 267.

(2) Amendement de M. Comte, p. 265.

(3) C'est cette mise à la disposition des vagabonds que la loi belge (27 novembre 1891) a transformée pour en faire un internement dans une maison de mendicité pour une durée relativement indéterminée (art. 13 et art. 14).

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