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la qualité de membre titulaire de l'une des cinq academies de l'Institut, et les grands services reconnus par une récompense nationale, décernée nominativement et par une loi, sont encore une source élevée où la royauté peut puiser la dignité de la pairie (1).

La loi exige comme sanction de ces conditions d'admissibilité que les ordonnances de nomination soient individuelles, mentionnent les services et indiquent les titres sur lesquels sera fondée la nomination.

Plus d'hérédité, plus de dotations à venir à titre de majorats, nomination par le roi dans certaines classes de notabilités, inamovibilité de la pairie, telles sont les conditions sur lesquelles repose la formation de la chambre des pairs. Il existe une seule exception: dans l'ancienne monarchie les princes du sang royal étaient de plein droit pairs du royaume; les princes du sang sont maintenus dans cette qualité : ils sont pairs de naissance et par droit d'hérédité. L'exception se rattache aux intérêts du pays et à l'hérédité de la couronne. Les princes du sang peuvent être appelés à régner un jour, et leur participation aux travaux de la chambre des pairs les initie à la science et à la pratique constitutionnelle.

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2° Participation législative. - La participation de la chambre des pairs à la puissance législative est semblable à celle de la chambre des députés, sauf l'importante matière des impôts, dont le vote par priorité appartient à la chambre élective. Cette différence est très-grave dans ses conséquences, car le vote annuel du budget appelle l'examen général de l'action exécutive: la priorité de discussion donne, pour ainsi dire, toute la discussion. Les patientes investigations, la revue critique de tous les services ont dans la chambre des députés le temps de se produire et le temps, ce grand levier de la puissance du contrôle, man

(1) Loi du 29 décembre 1831, remplaçant l'art. 23 de la Charte, et rendue en exécution de l'art. 68. Une ordonnance royale du 26 oct. 1832 ayant rétabli dans le sein de l'Institut l'ancienne classe des sciences morales et politiques organisée par la loi du 3 brumaire an IV et supprimée par l'arrêté du 3 pluviôse an XI, il n'y a plus seulement, comme le dit la loi de 1831, quatre, mais cinq académies dont les membres soient admissibles à la pairie.

que

à l'examen de la chambre qui vient en seconde ligne.

3° L'organisation de la chambre des pairs a ses règles spéciales la chambre ne nomme pas son président; elle est présidée par le chancelier, ou, en son absence, par un pair que désigne le roi. Elle enregistre les ordonnances de nomination à la pairie; elle se partage en bureaux et en commissions pour la préparation de ses travaux; elle fait ou modifie son règlement intérieur; la publicité, longtemps appelée par les vœux d'un ancien pair, M. de Chateaubriand, a été accordée à ses séances par la Charte de 1830.

4o Le privilége de ses membres est plus étendu que le privilége personnel des députés. Un pair ne peut être arrêté que de l'autorité de la chambre, et ne peut être jugé que par elle en matière criminelle. La constitution a eu foi dans le sentiment de dignité d'un corps inamovible; chaque pair défend sa dignité propre en réprouvant celui qui s'est abaissé au dessous de son rang. Le même caractère d'inviolabilité, dont la loi de 1822 a couvert l'existence morale et les débats de la chambre élective, protége l'existence morale et les débats de la chambre inamovible. La chambre a le droit d'appeler les journalistes à sa barre, et de punir qui l'outrage directement ou dans le compte infidèle de ses discussions. Le droit de se garantir contre la mauvaise foi possible de quelques organes de la presse n'est pas un privilége exclusif en faveur des chambres législatives: il appartient aux cours et tribunaux, il fait partie de cette haute police que les corps délibérans ou judiciaires exercent comme leur droit de défense légitime : attaquer leur dignité, c'est attaquer leur vie.

5o Cour des pairs. « Quoiqu'en général, dit Montes« quieu, la puissance de juger ne doive être unie à au«< cune partie de la législative, cela est sujet à trois ex«< ceptions (1). »

Ces trois exceptions, dans notre droit public, sont:

(1) Esprit des lois, liv. II, chap. 6, sur la constitution d'Angleterre.

1o Le cas déjà indiqué d'une poursuite criminelle contre un membre même de la chambre des pairs;

2o Le cas de crimes de haute trahison et d'attentats à la sûreté de l'État;

3o Le cas où les ministres sont poursuivis comme responsables, et accusés par la chambre des députés.

La première attribution est justifiée par cette observation de Montesquieu: « Les grands sont toujours exposés à l'envie, et s'ils étaient jugés par le peuple, ils pourraient «< être en danger, et ne jouiraient pas du privilége qu'a le « moindre des citoyens, dans un État libre, d'être jugé par << ses pairs. >>

La deuxième attribution est expliquée par cet autre passage de l'Esprit de lois : « Il peut arriver que quelque ci«toyen, dans les affaires publiques, viole les droits du «peuple et fasse des crimes que les magistrats établis ne « sauraient ou ne voudraient pas punir. »>>

La troisième attribution tient et à la nature du pouvoir qui accuse, et à l'ordre des matières sur lesquelles porte l'accusation. Devant qui la chambre élective accuserat-elle?« Ira-t-elle s'abaisser, dit encore Montesquieu, de<< vant les tribunaux de la loi qui lui sont inférieurs, et « d'ailleurs composés de gens qui, étant du peuple comme «<elle, seraient entraînés par l'autorité d'un si grand accu<«<sateur? Non, il faut, pour conserver la dignité du peuple « et la sûreté du particulier, que la partie législative du << peuple accuse devant la partie législative des nobles, la« quelle n'a ni les mêmes intérêts qu'elle ni les mêmes passions. C'est l'avantage qu'a ce gouvernement sur «< la plupart des républiques anciennes où il y avait cet abus « que le peuple était en même temps et juge et accusa<< teur.» Dans l'état actuel de notre société, l'attribution spéciale de la chambre des pairs dérive de la nature intelligente d'une aristocratie qui apprécie avec calme la véritable portée des crimes politiques, et qui connaît les besoins de la société du sein de laquelle elle est récemment émanée.

Tels sont les trois élémens de la puissance législative.—

La royauté, la chambre des députés, la chambre des pairs ont, comme pouvoirs, et afin de contenir chaque branche dans ses limites constitutionnelles, leurs garanties respectives.

La garantie du roi contre la chambre des députés, c'est le droit de dissolution; contre la chambre inamovible, c'est le droit de nomination des pairs en nombre illimité; contre l'une et l'autre, c'est l'inviolabilité de sa personne : « La personne du monarque doit être sacrée, dit Montes<«< quieu, parce qu'étant nécessaire à l'État pour que le « corps législatif n'y devienne pas tyrannique, dès le mo«<<ment qu'il serait accusé ou jugé, il n'y aurait plus de «<< liberté. >>

La garantie des chambres contre tel ou tel ministre, ou même contre tous les membres du ministère, est dans le droit d'accusation par la chambre des députés, dans le droit de jugement par la chambre des pairs; et enfin la grande et dernière garantie, l'ultima ratio contre les aberrations du pouvoir exécutif, c'est le refus du budget, ressource extrême dont la possibilité seule suffit pour constituer une garantie efficace. Quel gouvernement en effet pousserait l'aveuglement assez loin pour appeler sur lui le refus du budget? Celui-là seul qui ne craindrait pas d'affronter les coups d'État et d'ouvrir la carrière aux révolutions.

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En présence des trois élémens qui constituent la puissance législative, on serait tenté de prévoir les dangers d'une lutte destructive ou d'une fatale inertie; mais le génie de Montesquieu et l'expérience nous rassurent : « Ces «< trois puissances, dit l'Esprit des lois, devraient former <«< repos ou inaction; mais comme, par le mouvement né«< cessaire des choses, elles sont contraintes d'aller, elles << seront forcées d'aller de concert. >>

S II. PUISSANCE EXÉCUTIVE.

La royauté constitutionnelle résume les principes du passé dans quatre maximes fondamentales de notre droit public: 1° la transmissibilité de la couronne de mâle en mâle, dont l'origine remonte à une disposition civile de la loi

salique et à l'application politique qui en fut faite au XIVe siècle entre Philippe de Valois et Édouard d'Angleterre; 2o la transmissibilité par ordre de primogéniture, qui vient du droit féodal; 3° l'indivisibilité du royaume de France, qui dérive aussi de l'indivisibilité primitive du droit de fief, substituée aux partages pratiqués par les rois des première et deuxième races; 4° l'inviolabilité de la personne royale, qui tenait surtout à l'idée religieuse du sacre. Ces principes d'hérédité, de primogéniture masculine, d'indivisi, bilité, d'inviolabilité, qui ont leur racine dans l'antique monarchie, reparaissent dans notre droit public avec un nouveau caractère; ils forment la base sur laquelle s'appuient la grandeur et la durée de l'État : élémens issus du droit germanique, féodal et catholique, ils se transforment pour nous en principes de droit rationnel et politique, en garantie de force et de stabilité nationale.

Au roi seul appartient la puissance exécutive : le pouvoir judiciaire, qui est une branche du pouvoir exécutif, émane aussi du roi; mais il y a entre les deux branches d'un même pouvoir cette différence essentielle dans notre constitution, que le roi exerce directement, en certains cas, la puissance exécutive, mais qu'il n'exerce jamais personnellement la puissance judiciaire proprement dite; il délègue celle-ci aux juges qui, nommés ou institués par lui, administrent la justice en son nom.

Le roi, disons-nous, exerce personnellement, en certains cas, la puissance exécutive.

En effet, il agit personnellement et comme chef suprême de l'État 1° lorsqu'il commande lui-même les forces de terre et de mer; 2° lorsqu'il convoque les chambres; 3° lorsqu'il dissout celle des députés; 4o lorsqu'il nomme ses ministres; 5o lorsqu'il fait grace soit individuellement, soit par ordonnance d'amnistie, à des personnes jugées et condamnées. Alors il use de la prérogative constitutionnelle essentiellement attachée à la couronne. Les ministres, signataires des actes relatifs à cet exercice de la prérogative royale, ne peuvent en être responsables; leur contre-seing dans ce cas n'est qu'une attestation authentique de la vo

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