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publics qui donnent lieu à l'application de cette disposition sont ceux-là seuls qui changent l'état du cours d'eau en vue d'amélioration « Lorsque, y est-il dit; pour exécuter un desséchement, l'ouverture d'une nouvelle navigation, un pont, etc. » Telle ne serait point, par exemple, la nature de travaux de curage pur et simple et d'entretien effectués ou prescrits par l'administration. Ces travaux ne changent rien d'ordinaire à l'état de choses antérieur; ils le conservent. Encore bien qu'il en puisse résulter des chômages temporaires pour les usines, ils leur procurent des avantages bien supérieurs à ces inconvénients momentanés. Les travaux de simple entretien et de curage exécutés sur les cours d'eau par l'Etat, ou ses concessionnaires, ne peuvent donc pas donner ouverture à l'action en indemnité dont il est question dans l'article 48 de la loi du 16 septembre 1807 1.

366. Les dommages qui résulteraient de ces travaux doivent être, comme ces travaux mêmes, d'une nature déterminée, pour qu'ils puissent constituer une cause d'indemnité.

En premier lieu, il faut qu'ils soient matériels, qu'ils atteignent les droits exercés sur les cours d'eau, dans leur substance même. C'est ce que la loi veut indiquer en se servant des mots démolition, suppression de moulins, réduction dans l'élévation des eaux.

Il faut, de plus, que ces dommages soient directs, c'est-àdire, qu'ils aient pour cause immédiate et unique les travaux exécutés; autrement, il ne serait dû aucune indemnité. C'est ce qui a été décidé, par exemple, dans un cas où un usinier se plaignait de la déperdition des eaux motrices de son moulin, par suite de la construction d'un canal public tout proche de son bief. Le Conseil d'Etat a repoussé son action en indemnité, par le motif qu'aucune prise d'eau n'avait été faite

1 Conseil d'Etat, 3 janvier 1848 (Rousille).

ni au bief, ni au cours d'eau alimentaire, pour l'exécution du canal; que s'il y avait déperdition des eaux motrices, c'était à la perméabilité du sol qu'il fallait l'attribuer 1.

367. Parmi les dommages matériels et directs que l'exécution des travaux publics peut causer au régime hydraulique d'une usine, on distingue ceux qui ont un effet durable de ceux qui ne sont que momentanés. Le caractère légal de ces dommages n'a d'ailleurs rien de constant; c'est même là une observation d'autant plus importante, que d'elle dépend la compétence du tribunal chargé d'accorder et d'arbitrer l'indemnité.

368. Ainsi, au cas de dommages permanents, par exemple lorsque, par suite du comblement d'un bief ou d'un arrière-bief, de la démolition ou de l'abaissement d'un déversoir supérieur, ou de l'exhaussement d'un barrage situé en aval, etc., les forces motrices d'une usine se trouvent supprimées à toujours, on s'est demandé s'il ne fallait pas voir là une expropriation dans le sens de la loi du 3 mai 1841, sur l'expropriation pour cause d'utilité publique?

A cette question, il a été répondu par une distinction.

On a vu une expropriation véritable dans l'atteinte que des travaux publics feraient subir aux eaux alimentaires des usines, lorsque ces eaux sont, par exception, l'objet d'un droit de propriété privée. Or, dans cette catégorie, nous l'avons suffisamment dit, il n'y a que les eaux de sources, et certaines parties de rivières et fleuves navigables et flottables, concédées ou possédées autérieurement à 1566.

On a, au contraire, refusé de voir une expropriation dans les autres cas, puisque, quels qu'ils fussent, il ne s'y rencontrait aucune mainmise de l'administration sur une chose quelconque appartenant à des particuliers; les cours d'eau,

1 Conseil d'Etat, 20 juillet 1836 (Klein).

TOME I.

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tant ceux navigables et flottables, que ceux non navigables ni flottables, n'étant en général susceptibles que de simples usages, ou même de jouissances précaires. Il est done généralement admis qu'en pareil cas, il n'y a rien autre chose « qu'une mise en chômage permanente, par suite de la suppression de la chute d'eau 1. »

309. A plus forte raison, n'y a-t-il pas expropriation quand il ne s'agit que de dommages momentanés; par exemple, lorsque l'exécution des travaux nécessite simplement l'inter ruption plus ou moins prolongée, mais cependant temporaire du jeu de l'usine.

Les chômages de cette dernière sorte ne méritent d'être assimilés qu'aux occupations temporaires de terrains, que l'article 55 de la loi précitée du 16 septembre 1807 autorise en vue de l'exécution des travaux publics: « Les terrains occupés pour prendre les matériaux nécessaires aux routes ou aux con. structions publiques pourront être payés aux propriétaires comme s'ils eussent été pris pour la route même, etc. >>

370. Peu importe, en effet, au point de vue du droit à l'in demnité, la durée du préjudice subi par l'usinier. Le dédommagement serait dû dès que le préjudice est constant, dès qu'il est matériel et direct, si en cette matière la loi ne tenait pas compte d'autre chose. Mais il est une seconde condition à laquelle elle subordonne avant tout le droit à l'indemnité, et qui tient au mode même dont l'établissement hydraulique existe légalement,

Après avoir dit que le prix de l'estimation serait payé par l'Etat ou ses concessionnaires, l'article 48, déjà cité, de la loi de 1807 ajoute: « Il sera d'abord examiné si l'établissement des moulins et usines est légal, ou si ce titre d'établissement ne soumet pas les propriétaires à voir démolir leurs établis

1 Conseil d'Etat, 1er février 1851 (veuve Baron).

sements sans indemnité, si l'utilité publique le requiert. »

En parlant ainsi de l'examen de ces deux circonstances, la loi en établit le caractère préalable. Elle en fait une question préjudicielle, dont la solution favorable doit nécessairement précéder l'attribution et la fixation de l'indemnité.

Voyons donc ce qui concerne cette question dans les cas divers où l'usine, que la suppression ou le chômage atteint, est située ou sur une rivière navigable et flottable, ou sur un cours d'eau non navigable ni flottable, ou sur des eaux privées.

371. Plus d'une fois, déjà, nous avons dit le caractère qu'il faut reconnaître aux établissements construits, moyennant des concessions d'eau, sur les fleuves et rivières navigables et flottables.

L'inaliénabilité, l'imprescriptibilité qui distinguent ces cours d'eau de tous les autres ne permettent pas à ces établissements de constituer autre chose que des jouissances précaires et virtuellement révocables. Tant que les concessions d'eau qui servent à les alimenter subsistent et ne sont point rapportées, il s'ensuit bien qu'ils sont présumés ne point former d'obstacles au libre cours des eaux, et que leur existence n'est point en désaccord avec les règlements sur la matière, mais voilà tout. Il n'en résulte nullement, au bénéfice des usiniers, un droit réel frappant sur les cours d'eau du domaine public. Il est donc vrai de dire, avec la jurisprudence constante du Conseil d'Etat, qu'en principe on ne peut pas avoir sur les eaux de cette sorte de titre légal à l'indemnité, dans les termes de l'article 48 de la loi de 1807, précité1. Mais ce principe comporte une triple exception.

372. La première provient de ce que les fleuves et les rivières navigables et flottables n'ont pas de tout temps été frappés d'inaliénabilité. Ceux-là même qui, parmi les cours

Conseil d'Etat, 15 mars 1826 (Gauthier); id., 8 juin 1831 (Beaugrand); id., 28 mai 1852 (veuve Ramière).

d'eau, ont offert, dès l'origine, les caractères qui les plaçaient dans le domaine de la couronne, ont été susceptibles d'aliénation jusqu'en 1566 1. Il en est d'autres qui n'ont été rendus navigables et flottables que beaucoup plus tard, par suite de travaux de canalisation, et qui, par conséquent, ne sont devenus inaliénables que depuis qu'ils ont reçu de l'art l'aptitude à la navigation que leur avait refusée la nature. Il faut donc reconnaître un véritable titre légal, dans les termes de la loi de 1807, aux établissements dont l'origine remonterait à une époque antérieure à celle où le cours d'eau sur lequel ils sont situés est tombé sous l'application du principe de l'inaliénabilité. C'est ainsi que, par exception à la règle générale, l'indemnité est constamment accordée pour les usines situées sur les cours d'eau qui dès 1566 étaient navigables et flottables, mais au sujet desquelles on peut établir, dans les termes de l'édit de 1685 précité, une origine antérieure au 1er avril 15663; pour les usines situées sur les cours d'eau qui ne sont devenus navigables ou flottables que postérieurement à 1566, mais desquelles l'existence antérieure à la domanialité de ces cours d'eau peut être établie par des actes authentiques de concession féodale ou de possession *.

Vers 1790 et pendant les années suivantes, la plupart des établissements qui, étant dans l'une de ces situations, se trouvaient avoir ainsi un droit acquis à l'indemnité, au cas de suppression ou de chômage, furent l'objet de ventes nationales. En principe, évidemment, ces établissements ont été vendus avec les droits qui y étaient attachés. Ils n'auraient pu perdre notamment celui qu'ils avaient à l'indemnité éventuelle, que

1 V. n. 234.

2 V. n. 240.

Conseil d'Etat, 14 janvier 1839 (Paris et Martin); id., 19 mars 1840 (Conqueret); id., 18 mars 1842 (Baraigues); id., 13 février 1846 (Poullet) ; id., 18 juin 1846 (de Montebello) ; id., 10 mars 1848 (Faucheux); id, 28 mai 1852 (Faucheux).

Conseil d'Etat, 29 novembre 1851 (Compagnie de la navigation du Dropt).

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