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peut exercer le retrait séparément pour sa portion, fans qu'on puisse l'obliger de prendre le tout. Il ne pourroit pas même, dit-il, le prendre, de concert avec les acquéreurs, sans le confentement de ses coseigneurs. (Synopsis juris feud. cap. 9, membr. 2, concl. 91, n. 2.)

Le plus grand nombre des auteurs estime avec Dumoulin, que chaque seigneur peut retirer la portion dont il a la directe, en laissant à l'acquéreur l'option de lui abandonner la totalité du domaine. Cette alternative, en confervant les droits de chaque coseigneur auquel le fait de ces copropriétaires ne doit pas pouvoir nuire, indemnife aussi complettement qu'il est possible l'acquéreur. M. de la Rocheflavin cite, fur cette question, trois arrêts du parlement de Toulouse, dont les deux derniers du moins l'ont décidé de cette manière. Le premier, qui est du 2 avril 1572, a jugé que le seigneur peut prendre la totalité de la chose

- vendue, en rendant à l'acquéreur le prix principal & les lods qu'il avoit payés à son coseigneur. Le second & le troisième, das 7 avril 1588 & 22 décembre 1601, ont jugé que fi l'acquéreur refufoit d'abandonner la totalité du fief, le seigneur pouvoit retirer sa portion en en reftituant le prix _ à l'acquéreur, suivant l'estimation au prorata de la vente. (Arrêts notables, liv. 5, chap. 13, art. 6, 17 & 18.)

Pithou cite un arrêt semblable sur l'article 27 de la coutume de Troyes.

§. VII. De la cession du retrait feigneurial. Le retrait lignager n'est point cessible, parce que c'est un privilège personnel que les coutumes attribuent

✔à la famille du vendeur, ou à certaines branches de cette famille. Au contraire, le retrait seigneurial étant un droit réel attaché à la seigneurie qui a la mouvance de l'héritage vendu, il en résulte que l'action en est cessible.

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La question a néanmoins fait des difficultés autrefois, & Dumoulin pensoit même que le retrait feigneurial n'étoit pas cessible. Mais son opinion est aujourd'hui généralement abandonnée, & avec raifon. Le retrait seigneurial a été principalement introduit, afin que le seigneur ne fût pas obligé d'admettre un vassal qui ne lui convenoit pas, & pour qu'on ne pût pas frauder les droits qui lui font dus en cas de vente, par l'expression d'un prix inférieur à la valeur du domaine, & aux véritables conventions des parties; ce but n'auroit été rempli que bien imparfaitement, si le seigneur n'eût pu rejetter l'acquéreur qu'en prenant le marché pour lui-même.

Loudunois, chap. 17, art. 4; Montargis, chap. 1, art. 5; Tours, art. 188; Vitry, art. 65, qui n'accordent le droit de retrait seigneurial que pour réunir au fief l'héritage vendu.

Quant aux pays de droit écrit, on peut confulter le §. VÌ de l'article PRÉLATION.

Dans, les coutumes du Maine & de Bourbonnois, où le fermier peut exercer le droit de retrait en vertu de la coutume seule, on a douté s'il pouvoit céder ce droit. Un arrêt du 26 avril 1636, rendu pour la coutume du Maine, & rapporté par Brodeau sur l'article 20 de Paris, n. 8, a jugé qu'il le pouvoit céder, soit qu'il fût exprimé dans son bail, ou qu'il n'eût pas été réservé. Auroux des Pommiers est du même avis sur l'article 474 de la coutume de Bourbonnois. Guyot a cru néanmoins devoir s'écarter de cette décision par deux raisons. « La première est, dit-il, que l'article 410 » de la coutume du Maine ne donne point le >> droit de retrait au fermier, mais lui permet feu>> lement de retirer au nom du seigneur comme >> présumé son mandataire; ainsi c'est pour le sei>> gneur qu'il retire: aussi, après la ferme finie, le >> seigneur, en le remboursant dans l'an, recouvré >> fon fief: or, si ce n'est pas comme ayant le >> droit dans fon bail qu'il retire, s'il ne l'exerce » pas pour lui, peut-il le céder? La seconde, c'est » qu'en le cédant il nuit au seigneur, qui, après >> la ferme finie, ne peut plus le recouvrer, fui>> vant l'article. Car ce retrait étant fait par autre » que par le fermier, au vu du seigneur, c'est >> au seigneur à l'empêcher; & s'il ne l'empêche >> pas, il est censé ne pas vouloir l'exercer, & >> approuver cette cession, au moins est-ce une >> question, ou plutôt un procès, qu'on donne au >> seigneur. Et je croirois dans les bons principes, » que dans ces coutumes dont la disposition est si >> fingulière, on ne peut étendre cette disposition, » & permettre à un fermier la cession d'un droit >> que la coutume ne lui donne pas, & qu'elle ne >> lui permet d'exercer qu'au nom du seigneur, pour, , par le seigneur, s'il veut rembourser dans l'an de la ferme finie, retirer » du fermier ». (Du retrait seigneurial, chap. 1, n. 2.)

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ce fief des mains

Ces observations peuvent rendre la question problématique. Ne peut-on pas répondre néanmoins que les coutumes du Maine & de Bourbonnois n'ont attribué le retrait seigneurial au fermier, que parce qu'elles ont regardé que c'étoit un droit utile de la seigneurie, & dès-lors ne doit-il pas avoir le droit d'en disposer comme du surplus des autres objets compris dans sa ferine, dès que ce droit est reconnu cessible ? C'est le seul moyen de le lui rendre véritablement aussi avantageux qu'au seigneur, aux droits duquel les coutumes ont entendu le fubroger.

Aufsi la jurisprudence est-elle bien constante à ce sujet, du moins dans le reffort du parlement de Paris, & dans tous les autres parlemens des pays coutumiers. Il en faut excepter le parlement de Normandie, qui a rejetté la ceffion du retrait par l'article 116 du réglement de 1666, & dans §. VIII. De la concurrence du retrait seigneurial le ressort même du parlement de Paris, un petit avec le retrait lignager. Il y a à cet égard, une nombre de coutumes, telles que Chartres, art. 65; I oppofition abfolue entre les pays de droit écrit

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& les pays coutumiers. Dans les pays de droit écrit, le droit de prélation est incontestablement préférable au retrait lignager, lorsque ce dernier y est admis. Dans les pays coutumiers au contraire, le retrait lignager est toujours préféré au retrait féodal.

On objecteroit vainement que le retrait lignager n'étant qu'une grace de la coutume, il devroit céder au retrait seigneurial, qui est renfermé dans le droit de directe, qui appartient au seigneur ; les loix, lorsqu'elles accordent des graces, étant toujours cenfées les accorder fans préjudice du droit des tiers. La raison de décider, dit Pothier, est que par la nature de l'inféodation & de l'investiture, le seigneur, en concédant son héritage à titre de fief, ou en recevant en foi un acquéreur, est cenfé lui concéder le fief pour lui & pour toute sa parenté. C'est pourquoi il ne peut refuser d'en accorder le renouvellement d'investiture à ceux de cette parenté, ni par conféquent exercer fur eux le retrait féodal, qui consiste dans le refus d'investiture. (Traité des retraits, n. 539.)

Par la même raison, lorsque le seigneur a prévenu les lignagers dans l'exercice du retrait, ou même lorsqu'il a acheté directement l'héritage, les lignagers peuvent exercer le retrait fur lui. Les coutumes de Blois, art. 208; de Chartres, art. 70; de Montargis, chap. 16, art. 11 & 18; d'Orléans, art. 365, & quelques autres, le décident expreffément.

Tout au contraire, si l'acquéreur est lignager du vendeur, le seigneur de fief est exclu du retrait, parce que l'héritage n'est point sorti de la famille, & que l'acquéreur, comme lignager, lui seroit préféré, si la chose avoit été vendue à un étranger; la coutume de Poitou le décide expressément dans l'article 346; & c'est-là le droit commun.

L'article 361 de cette coutume décide encore la même chose dans le cas où le mari acquiert, durant le mariage, un héritage des parens & lignagers de fa femme. Car c'est autant, dit-il, que's'il avoit été vendu à ladite femme, qui peut avoir le domaine ainsi que ses héritiers, par le retrait de midenier.

Poquet de Livonière pense que cette décision de la coutume de Poitou doit être étendue à toutes les autres, qui n'ont rien de contraire, à cause de l'étroite union qui est entre le mari & la femme, & qui fait qu'un des conjoints jouit des droits de l'autre, fuivant la disposition des coutumes d'Anjou, art. 396, & du Maine, art. 407. Enfin, cet auteur ajoute que le seigneur ne peut pas retirer sur Pétranger qui a des enfans lignagers, c'est-à-dire, nés d'une mère lignagère, qui est prédécédée, parce qu'il y a lieu d'espérer que les héritages acquis retourneront un jour dans la ligne d'où ils font procédés par la succession du père, qui est naturellement destinée aux enfans.

tivement, « que quand celui qui n'est en ligne >> a des enfans, qui font en ligne, retrait n'a lieu ». M. Tiraqueau prouve aussi, par plufieurs autorités, dans son traité du retrait lignager, §. 20, que l'article 361 de la coutume de Poitou, doit être étendu à d'autres cas semblables.

Il est vrai que cet auteur & l'article 156 de la coutume de Paris ne parlent que du retrait lignager. Mais la décision doit être suivie à plus forte raifon pour le retrait feigneurial, qui, comme on vient de le voir, ne marche à cet égard qu'après le retrait lignager.

Cette préférence du retrait lignager sur le retrait féodal, fouffre quelques exceptions.

La première auroit lieu, fi le seigneur, par le contrat d'inféodation, s'étoit réservé, en cas d'alie nation, la préférence du retrait sur les lignagers. Cette clause, qui est l'une des conditions de l'inféodation, forme la loi des parties. Mais le retrait que le seigneur exerce est alors un retrait conventionnel, plutôt qu'un retrait seigneurial, comme Dumoulin l'a établi fur la coutume de Paris, §. 78, glof. 1, n. 144 & suiv.

a

eut

Une seconde exception, qui concerne plus proprement le retrait seigneurial, a lieu lorsque sur la demande en retrait lignager qu'un parent a formée pour les choses de fa ligne, l'acquéreur qui les acquises avec d'autres biens qui ne font pas de cette ligne, offre de le connoître au retrait pour le tout. Dans ce cas, le seigneur de fief exercer le retrait pour les chofes qui ne font pas de la ligne du parent auquel elles ont été délaislées Il doit être préféré au parent, suivant l'avis de du Pineau & de Livonière. Mais ce dernier auteur observe avec raison, qu'on peut bien dire dans cette espèce que le seigneur est préféré au parent, mais non pas le retrait seigneurial au retrait lignager; « parce que le retrait lignager n'a lieu en chotes >> qui sont de la ligne que par accident, & par >> la volonté de l'acquéreur ».

§. IX. Du temps dans lequel le retrait seigneurial doit être exercé. L'article 20 de la coutume de Paris, qu'on fuit dans les coutumes qui n'ont pas de difpositions contraires, porte que le seigneur doit exercer le retrait seigneurial « dans les quarante >> jours, après qu'on lui a notifié la vente & exhibé » les contrats, & d'iceux baillé copie ».

L'article 49 de la coutume d'Orléans veut que le seigneur exerce le retrait dans les quarante jours depuis les offres de foi. Elle n'oblige l'acheteur, après avoir notifié son acquifition à celui à qui ce droit de retrait appartient, qu'à l'affigner pour voir dire qu'il fera tenu d'exercer, fi bon lui femble, dans le temps qui lui sera fixé par le juge, le retrait qu'il a droit d'exercer, finon que, faute par lui de l'exercer dans ledit temps, il en demeurera de plein droit déchu pour cette fois.

Les coutumes d'Anjou, art. 347, & du Maine, art. 359, étendent le temps du retrait jusqu'à l'an L'article 156 de la coutume de Paris, dit effec. 1 & jour de la prise de possession, comme le retrait

lignager; d'autres, comme la coutume de Tours, art. 34, limitent le terme de cette action à quinze jours. La coutume de Loudun, tit. 17, art. 1, n'accorde au seigneur que huit jours, à compter de celui où on lui aura exhibé le contrat, en lui laissant l'original, c'est-à-dire, la grosse, ou le double collationné à l'original, en sa présence ou celle de fon juge & procureur. La coutume de Poitou a des dispositions peu différentes dans les articles 23 & 25.

Toutes ces variétés doivent être observées dans le territoire de chaque coutume.

Lorsqu'on a compris dans un seul marché, plufieurs domaines qui ne relèvent pas du même seigneur, ou qui ne font pas tous sujets au retrait feigneurial envers lui; par exemple, si les uns relèvent de lui en fief, & les autres en roture, dans les coutumes où le retrait censuel n'est pas admis, il faut nécessairement faire une ventilation pour mettre le seigneur à portée de percevoir ses droits de mutation, ou d'opter le retrait. Le terme fatal pour l'exercice de ce droit ne peut donc pas courir jusqu'à ce qu'elle soit faite. Voyez au surplus Particle NOTIFICATION.

Suivant le droit commun, lorsque l'acquéreur n'a pas exhibé son contrat cu rempli les autres formalités qui font courir le temps du retrait feineurial, le seigneur peut retirer, dans les trente ans de la date du contrat. C'est la disposition expresse des coutumes d'Anjou, art. 391; du Maine, art. 401; de Poitou, art. 26, & de plufieurs autres. La coutume de Paris même porte, dans l'article 20, que les quarante jours pour le retrait féodal, ne courent que du jour de la notification & exhibition du contrat; & comme il s'agit ici d'une charge réelle, que l'acquéreur ne pouvoit pas ignorer, les commentateurs ont conclu de-là qu'à défaut d'exhibition, le temps du retrait duroit trente années.

Cependant les coutumes de Tours, art. 36, & de Loudun, tit. 17, art. 3, comprennent le droit de retrait seigneurial dans la prescription qu'opère le tenement de dix ans.

Le Proust de Beaulieu, dans son commentaire fur la coutume de Loudun, paroît croire que ce temps de dix années ne doit être compté que du jour de l'exhibition, ou du jour que le contrat a été notifié au seigneur. Il invoque à cet égard les règles du droit commun, prefcrites par la coutume de Paris. Livonière & Guyot font, avec raison, d'un avis contraire; il est évident que le Proust confond ici le délai qui a lieu avant l'exhibition avec celui qui a lieu à défaut d'exhibition. C'est ce dernier qui se prescrit par le tenement de dix ans. Il ne faut donc pas attendre l'exhibition pour le faire courir.

Guyot ajoute que ce tenement court à compter du jour du contrat. Mais n'est-il pas plus naturel de dire qu'il ne doit courir qu'à compter du jour où l'acquéreur est entré en poffeffion?

Guyot reconnoît lui-même, d'après Sainxon, qu'il faut excepter le cas de fraude, & qu'il est nécessaire, pour que le tenement ait lieu, que l'acquéreur ait joui publiquement. C'est ce que la coutume de Loudunois indique en difant que le seigneur n'est exclu du retrait par tenement continuel de sujet, moins de dix ans.

Au reste, ce tenement de dix années, qui opère la prescription du retrait, n'empêche pas que le seigneur ne puisse demander les lods & ventes pendant trente ans, suivant l'article 146 de la coutume de Tours.

Quelle que foit d'ailleurs l'étendue du délai fixé par les coutumes pour l'exercice du retrait après l'exhibition, il est bien certain qu'il court contre les personnes privilégiées, telles que l'église, les mineurs, &c. On l'observe ainsi pour toutes ces prescriptions à court terme, qui, fans cela, ne seroient presque d'aucun usage. En est-il de même de la prescription de trente ans, ou de tel autre temps que les coutumes accordent au seigneur à défaut d'exhibition? La question pourroit faire de la difficulté dans ces dernières coutumes, si l'on y suivoit la distinction triviale entre les prescriptions coutumières ou ftatutaires & les prescriptions légales. On prétend que les premières courent contre les mineurs comme contre les majeurs.

Il est même véritable que le retrait lignager se prescrit par trente ans contre toutes fortes de personnes. Les coutumes de Paris, art. 131; d'Anjou, art. 456; du Maine, art. 464; de Poitou, art. 362; de Tours, art. 197, &c. le décident expressément.

Aussi Poquet de Livonière, liv. 5, chap. 6, n'a-t-il pas balancé à d'étendre cette décision au retrait féodal. Il suppose que les coutumes qu'on vient de citer le règlent de cette manière. Mais elles ne parlent que du retrait lignager, & seulement de la prescription d'an & jour. Il faut en excepter celle du Maine, qui dit en général que la prescription ne court contre les mineurs, fors en matière de retrait.

Il y a une raison particulière pour afsujettir à la prescription de trente ans, pour le retrait lignager, les personnes privilégiées. Comme ce droit appartient à toute la famille, on ne peut pas dire que la minorité de quelques-uns de ses membres doive arrêter la prescription; si cela étoit, l'action de retrait lignager pourroit durer des siècles. Mais il n'en est pas ainsi du retrait seigneurial; comme il appartient déterminément à telle ou telle perfonne, il ne paroît pas juste d'en faire courir le délai contre les mineurs. Dumoulin l'a ainsi réfolu fur la coutume de Paris, §. 20, gl. 12, n. 1": de hac prefcriptione (tricennaria), dit-il, debent deduci omnia quæ fubducuntur de præfcriptione tricennaria, puta pupillaris ætas patroni.

Pothier est du même avis dans son traité des retraits, n. 613, & j'ai vu des confultations de jurifconfultes éclairés qui le décidoient aussi de

cette manière.

(

§. X. De la forme dans laquelle le retrait seigneurial | paiement soit fait dans les quarante jours, ou dans

doit être exercé. L'exercice du retrait feigneurial n'est point sujet à des formalités particulières comme le retrait lignager. Le seigneur peut retirer par voie d'action ou par voie d'exception.

Lorsqu'il retire par action, la demande doit être donnée dans la même forme que les demandes ordinaires. Si l'exploit de demande est déclaré nul pour quelque nullité d'ordonnance, le jugement qui le déclare nul n'emporte pas la déchéance de l'action de retrait, & le retrayant est admis à l'intenter par un nouvel exploit, s'il est encore dans le temps de l'intenter: il peut même, sans attendre le jugement, donner un nouvel exploit de demande en déclarant qu'il se désiste du premier. (Pothier, des retraits, n. 591.)

Par la même raison, les nullités d'exploit dans le retrait seigneurial n'ayant aucun trait au fond, doivent être proposées dès l'entrée de l'instance, comme dans les actions ordinaires, suivant l'article 5 du titre 5 de l'ordonnance de 1667, & fe couvrent par la litis-contestation; au lieu que dans le retrait lignager, elles peuvent être opposées jusqu'au jugement définitif, & même en cause d'appel.

Le retrait seigneurial peut aussi s'exercer par forme d'exception. Par exemple, si le seigneur a saisi féodalement à défaut d'homme, & que l'acquéreur lui fasse des offres pour les voir déclarer bonnes & valables, en demandant la main-levée de la saisie, le seigneur peut répondre qu'il entend retenir le domaine par droit de retrait seigneurial, en offrant d'indemnifer l'acquéreur. C'est même là la manière la plus naturelle d'exercer ce retrait, qui n'est, à proprement parler, de la part du seigneur, qu'un refus d'investiture. Voilà pourquoi plusieurs coutumes l'appellent retenue par puissance de fief. Celle du Maine en a une disposition expresse dans l'article 429. Il y est dit, " que le sujet qui est devant >> fon seigneur de fief est vu être en jugement >> pour besogner avec lui, & pour ce, peut ledit » seigneur, fans attendre ses plaids ou assises, faire >> le retrait féodal ».

Cette voie ne paroît pas néanmoins devoir être adoptée dans la coutume d'Anjou, qui dit expresfément dans l'article 392, que tout retrait doit être fait en jugement.

Les obligations du retrayant, en ce qui concerne le prix, les loyaux-coûts de l'acquisition & les mises dont l'acquéreur doit être remboursé, font généralement les mêmes dans le retrait feigneurial, que dans le retrait lignager. Il faut feulement observer que le délai fatal de vingt-quatre heures, ou tel autre terme prescrit par les coutumes pour le remboursement du prix dans le retrait lignager, ne peut pas être adopté pour le retrait feigneurial, fauf dans les coutumes qui, comme celles d'Anjou, art. 388, & du Maine, art. 398, décident le contraire. Si l'acquéreur n'élève pas de contestation, il paroît naturel d'exiger que le

tel autre délai prescrit par la coutume du lieu pour l'exercice du retrait seigneurial. Mais lorsqu'il y a eu contestation sur le retrait, Brodeau pense que le remboursement doit être fait dans le temps qui sera fixé par le jugement qui adjugera le retrait.

Si le domaine a subi successivement plusieurs mutations, sans que le seigneur ait use du retrait ou fait aucun acte qui puisse l'en exclure, Dumoulin décide avec raison sur la coutume de Paris, gl. 5, n. 44, que le seigneur peut retirer indistinctement fur toutes les ventes qui ont été ainsi faites depuis trente ans, & par conféquent ne rembourser que le prix de la moins chère de toutes. (Pothier, introduction au titre des fiefs de la coutume d'Orléans, n. 579.)

La Rocheflavin, dans son traité des droits sei. gneuriaux, tit. 13, chap. 3, n. 171, rapporte un arrêt du 3 août 1594, qui l'a ainsi jugé.

§. XI. Des fins de non-recevoir qu'on peut oppofer au retrait seigneurial. Il y a des cas où le seigneur n'est plus recevable à exercer le retrait, quoiqu'on n'ait pas rempli envers lui les formalités nécessaires, pour en faire courir le délai, ou que ce délai ne soit pas expiré.

L'art. 21 de la coutume de Paris porte que « fi >> le seigneur féodal a reçu le quint denier à lui dù, >> à cause de la vendition du fief mouvant de lui, » chevi, (c'est-à-dire compose) ou baillé fouf>> france, ledit seigneur féodal ne peut plus retenir >> ledit fief, par puissance de fief, pour l'unir & » mettre en sa table, à cause d'icelle vendition ".

Il est effectivement évident que dans les deux premiers cas la perception du quint & la chevissance, le seigneur s'est désisté de son droit de retrait, qui ne peut pas concourir avec celui du quint, & que dans les autres, il a reconnu l'acquéreur pour fon vassal. Cela est vrai, même pour la fouffrance, puisqu'elle équipolle à foi tant qu'elle dure, fuivant l'article 42 de la coutume de Paris.

Dumoulin avoit cru qu'il falloit en excepter la souffrance qui a lieu en cas de minorité, parce qu'elle est nécessaire & forcée. Le Grand a embraffe la même opinion sur l'article 27 de la coutume de Troyes, glose 9, numéro 9.

Guyot s'en est écarté & avec raison; car la fouffrance qui est due au mineur ayant besoin d'être demandée, quoiqu'elle ne puisse pas être refusée dans les cas ordinaires, le seigneur qui l'accorde au mineur est censé le reconnoître pour vaffal; il pouvoit la refuser, en déclarant qu'il vouloit exercer le retrait.

La demande que le seigneur feroit du droit de quint l'excluroit du retrait s'il avoit une connoiffance exacte du contrat, & fi l'acquéreur y acquiesçoit. Si l'acquéreur contestoit fur cette demande & refusoit de payer, le seigneur pourroit varier & revenir au retrait.

Il en seroit de même si l'acquéreur avoit commis

une fraude pour priver le seigneur du retrait; par exemple, s'il avoit reduit le prix du contrat par une contre-lettré faite avec son vendeur: la découverte de cette fraude rendroit le seigneur reftituable contre tous les actes approbatifs de la vente qu'il auroit pu faire, même contre la quittance du quint & la réception en foi. ( Molin. ad conf. Parif. §. 21, numéros 4 & 5.)

Au reste, la coutume de Normandie forme une exception aux règles qu'on vient de tracer: c'est le vendeur qui, dans cette coutume, est chargé de payer le treizième dû au seigneur en cas de vente. L'article 182 porte en conféquence, « que >> le seigneur ayant reçu le treizième d'héritage >> vendu par son vassal, peut néanmoins le retirer, » en rendant le treizième; mais s'il a reçu le relief » ou la foi & hommage, il ne le peut plus retirer, >> d'autant qu'il l'a reconnu à homme & eu pour >> agréable; toutefois si l'acheteur s'eft chargé du » treizième, & le seigneur l'a reçu de lui, par sa » main ou figné l'endos du contrat de vendition, >> il n'est plus reçu à la clameur ».

Cette disposition ne doit point être étendue aux autres coutumes, pas même à celles qui chargent aussi le vendeur de payer les droits de mutation.

On ne peut pas non plus conclure de la fin de non-recevoir qui résulte du paiement du droit de quint, ou des autres droits dus en cas de vente, que le seigneur seroit aussi privé du retrait des ro⚫tures, dans les coutumes qui l'admettent, s'il avoit reçur le paiement du cens.

La raison de la différence est que le cens est une redevance annuelle dont l'héritage est toujours chargé, quel qu'en soit le possesseur. Il est également dû, soit qu'on jouisse à titre onéreux, lucratif, perpetuel, ou temporaire. Il ne suppose donc pas de propriété dans celui qui le paie, & bien moins encore un titre équipollent à vente.

La réception des droits de mutation ou de l'hom- mage, & les autres actes qui rendent le seigneur non-recevable dans l'exercice du retrait, n'ont -même cet effet que lorsque c'est le seigneur en 「personne, son tuteur, ou son fondé de procura

tion générale qui les a faits; s'ils ont eu lieu de la part d'autres personnes à son insu, même de la part de ceux qui pouvoient avoir droit au quint, ou qui peuvent vent recevoir l'hommage; par exemple, fi le quint a été payé au fermier, qui en avoit la conceffion dans fon bail, fi l'hommage a été reçu par les officiers de la seigneurie, le seigneur peut toujours exercer le retrait. Un arrêt célèbre du 10 mars 1717, rapporté au fixième volume du Journal des Audiences, l'a ainsi jugé dans ce dernier cas pour madame la princesse de Conty.

Cette règle reçoit néanmoins une exception pour le domaine du roi. La distance qui sépare ici les vassaux de leur seigneur, l'importance & la multiplicité des fonctions publiques dont le fouverain eft chargé, ne lui permettent guère d'exercer par lui-même celles de seigneur. Ces motifs ont fait

établir les bureaux des finances & les administrations des domaines, pour la conservation des droits des fiefs qui lui appartiennent. Dans l'espèce de partage qui attribuoit aux premiers la réception des hommages, des aveux & des autres devoirs du vasselage purement honorifiques & confervatoires, & aux derniers la perception des droits utiles, tels que les quints & autres droits de mutation, on pouvoit douter quand & comment les acquéreurs pourroient faire courir contre le domaine les délais prescrits par les coutumes pour l'exercice du retrait Seigneurial.

Pour remédier à cet inconvénient, on a introduit une formalité uniforme pour tous les objets mouvans du roi, tant en fief qu'en roture, celle de l'ensaisinement par les administrateurs du domaine. C'est ainsi qu'on interprète l'édit du mois de mai 1710, qui, après avoir prescrit la formalité de l'ensaisinement, ajoute: "voulons que les ac>> quéreurs & nouveaux possesseurs desdits fiefs, » terres, seigneuries & héritages, ne puissent >> acquérir aucune prescription qu'à compter du >> jour de l'enfaifinement & enregistrement des >> titres de leur propriété, ès registres de nofdits >>

receveurs-généraux des domaines & bois »; Tant que cet ensaisinement n'a pas eu lieu, les acquéreurs font toujours exposés au retrait, même après la réception en foi & tous les autres actes, par lesquels le roi ou ses officiers paroîtroient avoir agréé l'acquéreur. Cela a été ainsi jugé par divers arrêts de toutes les cours.

Un premier du 11 mai 1722 a été rendu au parlement en faveur de la duchesse de Richelieu, qui avoit acquis la principauté de Poix; elle s'en étoit fait ensaisiner par le receveur des domaines d'Amiens, & elle en avoit porté la foi & hommage à la chambre des comptes; le duc de la Trémoille, cessionnaire des droits de retrait, lui opposoit affez mal à propos, que cet hommage auroit dû être fait au bureau des finances d'Amiens; il ajoutoit que les lettres de cession du droit de retrait avoient une date antérieure à cette foi & hommage, quoiqu'elles eussent été enregistrées postérieurement. La duchesse de Richelieu se prévaloit de son côté, de sa qualité de veuve d'un commandeur des ordres du roi, qui lui attribuoit l'exemption des droits seigneuriaux, d'où elle concluoit à celle du retrait; mais elle observoit en même temps que les lettres de don du retrait étoient postérieures à l'enfaisi. nement; & ce moyen eut le succès qu'il devoit avoir pour faire rejetter le retrait.

On trouve deux arrêts semblables, rendus par la chambre des comptes, le 21 février 1737 & le 6 septembre 1738; l'un pour la terre de la Chefonnelle en faveur de la veuve Baudouin, l'autre pour la châtellenie de la Guerche, située dans la province du Maine, en faveur du sieur Coupert, contre M. de Vayer, maître des requêtes, qui avoit obtenu du roi la cession du retrait à ces égard.

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