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cer leurs fonctions sacrées que d'une manière à peu près clandestine, en manifestant toutefois le regret de ne pouvoir les exercer d'une manière plus solennelle et plus édifiante.

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Cette disposition fut mise à profit par les astucieux persécuteurs ils s'étoient formé un nouveau système de gouvernement, depuis la dissolution plus apparente que vraie de la Convention. Depuis le 25 octobre 1795, ses farouches comités étoient amplement remplacés par un Directoire exécutif, composé de cinq Dantonistes fournis par elle; et les deux tiers de ses membres la perpétuoient en quelque sorte dans les deux conseils du Corps Législatif qui lui succédoit. Ce Directoire exécutif, rugissant en secret de la résistance du clergé Belge aux déclarations et promesses exigées par les décrets que nous venons de rappeler, imagina de profiter de son impatience à reprendre l'exercice du culte extérieur pour lui tendre un nouveau piége, dans lequel il pouvoit croire que la détresse des prêtres de cette province contribueroit efficacement à entraîner leur sainte ardeur pour le culte public.

Tout ce qu'on avoit alloué pour leur subsistance aux religieux et religieuses, en les chassant de leurs cloîtres, et en leur ravissant un capital en biens-fonds d'un revenu de cinquante millions, ne consistoit qu'en de misérables papiers-monnoies, appelés bons, qui perdoient 80 pour 100 sur la valeur nominale selon laquelle ils leur étoient comptés pour leurs pensions. Par un décret que le Directoire dicta au Corps Législatif, celui-ci statua le 15 fructidor an IV (1er septembre 1796), que leurs bons pourroient être employés en acquisitions de biens nationaux, situés dans la Belgique ; et sachant que les seuls biens capables de les tenter étoient leurs temples, on voulut les forcer absolument à les acheter, car le décret ajoutoit qu'ils n'auroient pas faculté « d'aliéner ou de céder leurs bons à toute autre personne » qui auroit pu les employer à d'autres acquisitions.

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Mais leur conscience timorée craignoit qu'en consacrant ces bons à acheter quelque église, ils ne connivassent par là implicitement à l'iniquité de la confiscation qui en avoit été faite : ils hésitèrent donc à les employer à cet usage si vivement désiré par leur zèle, et attendirent une décision du Saint-Siége à cet égard.

Sur ces entrefaites, le Directoire, pour les faire céder plus promptement à ses vues, adressa, dans le courant de décembre, à ses commissaires en Belgique, l'abominable instruction si connue, qui leur disoit : « Désolez la patience des prêtres; enveloppez-les de votre surveillance; qu'elle les inquiète le jour; qu'elle les trouble dans la nuit. Ne leur donnez pas un moment de relâche; que, sans vous voir, ils vous sentent à chaque instant ».

Les commissaires avoient beau solliciter les prêtres de faire les déclarations et promesses commandées par la loi, ceux-ci persévéroient dans leurs refus; et les commissaires, croyant devoir attendre d'autres circonstances pour insister avec plus de succès, laissèrent croire aux prêtres qu'on renonçoit à tourmenter leur conscience sur ce point.

La décision du Saint-Siége, relative aux bons, en date du 4 février 1797, arriva en Belgique, et leur fut transmise authentiquement par la nonciature apostolique de Cologne : elle leur permettoit de les employer à acheter des églises; et ils firent quelques acquisitions de ce genre, Comme ces églises avoient été dépouillées de tous les objets nécessaires au service divin, de pieux laïcs se cotisèrent pour en fournir de nouveaux ; et ce fut ainsi qu'entre autres, les religieux Augustins de Bruxelles purent bientôt célébrer avec quelque décence les saints mystères dans leur ancienne église.

Dès que les commissaires virent les prêtres se livrer avec confiance au culte public, présumant avec quelque raison qu'ils ne pourroient pas s'en détacher aisément, ils leur demandèrent alors avec rigueur la déclaration et promesse

de soumission aux lois de la république. La plupart répondirent que, malgré leur éloignement de tout esprit de rébellion, et toute leur obéissance de fait, ils ne pouvoient souscrire une déclaration qui leur sembloit être l'approbation formelle de toutes ces lois. Parmi leurs réponses, on remarqua surtout celle du doyen de la cathédrale d'Anvers, et vicaire-général du diocèse, J. F. E. Werbroeck, adressée au commissaire par lequel il avoit été interpellé, non seulement de faire la déclaration, mais encore d'engager par ses exhortations tous les prêtres d'Anvers à la faire eux-mêmes.

Il lui répondoit en ces termes, le 2 mai 1797 : « Je vous écris franchement, et avec toute la candeur qu'il faut mettre dans toutes ses démarches vis-à-vis de l'autorité publique, surtout lorsqu'il est question de la foi qu'on professe. Je vous avouerai donc, avant tout, que je respecte profondément l'autorité civile; que j'ai à son égard toute la soumission, toute l'obéissance que Dieu, dans ses saintes Ecritures, ordonne aux hommes par rapport aux puissances de la terre. Mais les lois civiles sont l'ouvrage des hommes; elles peuvent se trouver en contradiction avec les lois de Dieu; et, dans un tel cas, il nous est ordonné d'obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. Or, parmi les lois de la république déjà émanées, il y en a, je ne vous le cacherai pas, sur lesquelles ma conscience, après l'examen le plus mûr, ne peut aucunement se rassurer. Je ne puis donc moi-même satisfaire à ce que vous exigez de moi; et par conséquent il ne m'est pas permis d'induire les autres à y déférer; car ce seroit là abuser grossièrement et indignement de l'estime publique, si toutefois j'ai pu m'en attirer, comme encore du caractère dont je suis revêtu. Je ne puis conséquemment donner l'exemple que vous me demandez: au contraire, mon exemple doit affermir tous ceux qui, dans l'ordre de la hiérarchie établie par Jésus-Christ dans son Eglise, me sont soumis. Si, après les démarches que nous allons faire près les autorités supérieures, vous croyez de votre devoir de sévir contre des

innocens, je remets dès à présent mon corps et mes biens entre vos mains, mais mon âme entre celles de son créateur, qui est en état, s'il lui plaît, de me délivrer de toute poursuite ».

Dans le même temps, le clergé d'Anvers comme ceux de Liége et de Bruxelles, voyant le Corps Législatif amélioré par le renouvellement de son tiers à cette époque, lui faisoit parvenir d'humbles remontrances, dans lesquelles, exposant que la déclaration exigée inquiétoit leur conscience, ils demandoient que la loi du 7 vendémiaire an IV ne fût pas exécutée, sans leur donner le temps de recevoir à cet égard les décisions du chef de l'Eglise (1); et, dans l'attente du résultat de ce recours, les prêtres Belges, pleins de cette confiance que donne la droiture du cœur, croyoient pouvoir en sûreté continuer l'exercice du culte public sans avoir fait l'acte de déclaration.

Par là, ils fournissoient aux commissaires du Directoire une trop belle occasion de « désoler leur patience », pour que ceux-ci n'en profitassent pas. La fureur anti-sacerdotale du Directoire, encore plus irritée par ce recours, et crai

(1) Ceci donna lieu à une intrigue imaginée sans doute par le Directoire, et dans laquelle intervinrent quelques uns de ceux qui avoient souscrit la décla→ ration. On fit circuler dans la Belgique un faux bref de Pie VI, par lequel ce pontife sembloit désapprouver, au moins comme précipitée, une Instruction du savant Asseline, évêque de Boulogne, contre cette déclaration. (Voy. Lois et TRIBUNAUX RÉVOLUTIONNAIRES, §. III, pag. 269, et DISCOURS prélimin., page 52, note 2.) L'on y ajoutoit l'avis contradictoire d'un autre évêque d'une autorité moindre, qui alléguoit que « le chef de l'Eglise avoit décidé formellement que, dans la position des choses, on devoit obéissance au gouvernement existant ». Mais ce n'étoit point là l'objet de la question, comme on peut en juger par la lettre de M. Verbroeck. Ce que nous pouvons affirmer aujourd'hui avec certitude, le sachant par un témoin de ce qui se passa près de Pie VI en cette occasion, c'est que la prudence du S. Père ne crut pas néces→ saire de prononcer sur ce point, et que jamais aucune décision semblable n'émana de Rome. Le Directoire ne se dissimuloit pas que, s'il en venoit une, elle ne pourroit qu'être contraire à la déclaration : son arrêté du 26 floréal en est la preuve.

gnant que la décision du chef de l'Eglise ne vînt augmenter la fermeté des prêtres, se hâta d'envoyer à ses agens, le 26 floréal (1 5mai), un arrêté par lequel il « défendit aux administrations comme à eux-mêmes de laisser circuler aucun bref du pape, et leur ordonna de poursuivre les prêtres avec la dernière rigueur, conformément aux lois de la Convention ».

Dès lors, tous ceux qu'on put enlever furent livrés aux tribunaux correctionnels qui les condamnèrent à de graves peines, telles que trois ou quatre mois de prison, et une amende de 500 francs, qui, impossible à payer, vu leur dénûment, devoit nécessairement éterniser leur détention. L'un des deux curés qui, pour une telle cause, furent traduits devant les juges de Liége, le 16 mai, leur disoit, en terminant sa noble défense : « Deux voix parloient contradictoirement à ma conscience celle de Dieu et celle des lois humaines. J'ai abandonné la seconde pour suivre la première. Ma conscience est à Dieu : je vous abandonne mon corps; faites-en ce qu'il vous plaira ». Comme les assistans émus par ce discours s'écrièrent alors, par un sentiment d'admiration qu'ils ne pouvoient retenir : « Vive le curé, vive la religion!» l'accusateur public, transporté de colère et de vengeance, fit crier par ses affidés, après la condamnation : « Vive la nation, vive la république! » ce qui montroit assez clairement que la perte des prêtres étoit encore ardemment voulue par cette horde qu'on appeloit la nation; et que la destruction de la religion étoit toujours le but que se proposoit le monstrueux gouvernement qu'on nommoit république. Un autre prêtre, au sortir du tribunal qui venoit de le condamner, étoit insulté par un de ces hommes de la soi-disant nation; cette audace indigna un vieillard honnête et sensible qui en étoit témoin. Il ne put s'abstenir d'en faire quelques reproches à ce monstre; et celui-ci, bien sûr d'être protégé, d'autant mieux qu'il étoit assisté de plusieurs

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