Page images
PDF
EPUB

la représentation de frais faits pour la conservation de la chose, ce qui expliquerait, comme on le verra dans le commentaire de l'art. 2102, le degré de préférence dont il jouit (1). Quoi qu'il en soit, et quelque absolues que soient les expressions de la loi du 12 novembre 1808, on devra toujours faire passer avant le privilége consacré par cette loi les frais de justice (art. 2101 C. Nap.), c'est-à-dire ici les frais de vente faits pour arriver à la réalisation du gage, et les frais de distribution par contribution, tous frais qui constituent moins un privilége qu'un prélèvement (C. proc., art. 657 et 662) (2).

IX. 54. Privilége pour droits et amendes en matière de timbre. La loi des finances du 28 avril 1816 a consacré en faveur du Trésor, par son art. 76, un privilége semblable à celui dont nous venons de parler, pour le recouvrement des droits de timbre et des amendes de contravention y relatives. Après ce que nous venons de dire, nous n'avons pas à insister, si ce n'est pour faire remarquer que le privilége dont il s'agit ici est celui que la loi du 12 novembre 1808 établit sur la généralité des meubles du redevable pour les contributions directes de la seconde catégorie, et non celui qui porte sur les fruits et revenus des immeubles, lequel est propre exclusivement à la contribution foncière.

55. Tels sont les priviléges établis à raison des droits du Trésor public, et nous pourrions arrêter là notre commentaire de l'art. 2098; mais il en existe encore d'autres qui se rattachent indirectement à l'intérêt public, et dont il convient, par conséquent, de dire ici quelques

mots.

X. 56. De quelques priviléges se rattachant à l'intérêt public. 1° Ouvriers employés par les entrepreneurs de travaux pour le compte de l'État. Un décret du 26 pluviôse an 2 crée nettement un privilége au profit des ouvriers employés par les entrepreneurs des travaux exécutés au compte de la nation et des fournisseurs de matériaux et autres objets servant à la construction des ouvrages. En effet, d'un côté, ce décret interdit, par ses art. 1, 2 et 3, aux créanciers particuliers des entrepreneurs, toute saisie-arrêt sur les fonds déposés dans les caisses des receveurs de district, pour être livrés aux entrepreneurs, et ouvre, au contraire, la voie de la saisie-arrêt aux ouvriers et fournisseurs; et, d'un autre côté, en autorisant, par son art. 4, la saisie-arrêt de la part de tous après la réception des travaux, il exige que les créances des ouvriers et fournisseurs qui auraient pratiqué des saisies-arrêts ou oppositions soient acquittées au préalable. Ce décret ne devait être que provisoire d'après son intitulé; mais en fait il s'est maintenu et n'a pas cessé de recevoir son application devant les tribunaux (3). Toutefois il a ses limites nécessaires. D'une part, le privilége ne porte que sur les sommes dues à l'entrepreneur; il n'affecte donc pas le caution

(1) Voy. M. Valette (Des Priv. et Hyp., no 101).

(2) Voy. MM. Duranton (t. XIX, no 231) et Troplong (no 33).

(3) Paris, 28 août 1816; Req., 12 déc. 1831; Poitiers, 16 mars 1838; Colmar, 1841; Lyon, 21 janv. 1846; Cass., 21 juill. 1847 (Dall., 47, 4, 396).

31 déc.

nement qu'aurait dû fournir un adjudicataire de travaux publics (1). D'une autre part, il faut, pour que les ouvriers et fournisseurs puissent invoquer le bénéfice du privilége, que les travaux auxquels ils ont été employés se distinguent par un caractère d'intérêt général. C'est sur ce fondement que repose la jurisprudence, constante aujourd'hui, d'après laquelle le privilége accordé par le décret du 26 pluviôse an 2 est inapplicable au cas de travaux communaux (2). Ces travaux n'ont, en effet, qu'un intérêt de pure localité qui n'est pas assez puissant pour donner naissance au droit de préférence que le décret consacre. Il en serait autrement dans le cas de travaux départementaux, bien que cependant le décret ne parle que des travaux faits pour le compte de l'État; mais c'est que les travaux départementaux ne se distinguent pas de ceux de l'État par un intérêt de localité, comme ceux des communes, et que, d'ailleurs, si ce décret de l'an 2 ne parle pas des travaux départementaux, c'est qu'à la date du décret l'organisation départementale n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui, et qu'en raison de l'organisation de l'époque on pouvait très-bien comprendre sous la dénomination de travaux intéressant l'État ou la nation ceux que l'on considère aujourd'hui comme ayant un but d'utilité départementale (3).

57. 2° Sous-traitants. Un décret du 12 décembre 1806 a établi, en faveur des sous-traitants, sur les sommes dues aux traitants par l'État, à raison des fournitures faites au service de la guerre, un privilége qui, d'après la jurisprudence, frappe toutes les sommes dues par l'État aux traitants, et ne peut être restreint aux sommes représentatives des fournitures faites par les sous-traitants (4). Mais le privilége ne pourrait pas être invoqué par le fournisseur ou livrancier qui a agi uniquement pour le compte du sous-traitant et a considéré ce dernier comme son obligé personnel et exclusif (5).

w

58. 3° Marais et mines. - Ceux qui ont fourni les fonds pour les recherches d'une mine, ainsi que pour les travaux de construction ou

(1) Req., 31 juill. 1849 (Dall., 49, 1, 197; S.-V., 49, 1, 747; J. Pal., 1849, t. II, p. 641). Voy. aussi Bordeaux, 21 nov. 1848 (S.-V., 49, 2, 270; J. Pal., 1849, t. II, p. 311). Mais voy. Angers, 20 déc. 1850; Paris, 16 mars 1866 (S.-V., 51, 2, 172; 66, 2, 318; J. Pal., 1852, t. II, p. 492; 1866, p. 1222; Dall., 66, 2, 76). (2) Req., 12 déc. 1831; Lyon, 21 janv. 1846 (Dall., 46, 2, 157); Rej., 12 août 1862 (Dall., 62, 1, 349; S.-V., 62, 1, 958; J. Pal., 1863, p. 57). Le privilége est également inapplicable au cas de travaux exécutés pour la liste civile, et, par exemple, de travaux faits sur des immeubles distraits du domaine de l'État pour être affectés à la dotation de la couronne (Cass., 18 déc. 1860; Amiens, 3 juill. 1862: Dall., 61, 1, 28; J. Pal., 1861, p. 526; 1863, p. 712; S.-V., 61, 1, 282; 63, 2, 34); et au cas de travaux de chemin de fer exécutés par des compagnies et non aux frais de l'État. Poitiers, 9 mars 1859; Rej., 16 juill. 1860 (Dall., 59, 2, 284; 60, 1, 387; J. Pal., 1859, p. 880; 1860, p. 788; S.-V., 60, 1, 896). Comp. Paris, 17 août 1863 (Dall., 63, 2, 150).

(3) Sic: Angers, 31 mars 1852 (Dall., 53, 2, 22; S.-V., 52, 2, 219). Mais la jurisprudence paraît s'être fixée en sens contraire. Voy. Bordeaux, 30 nov. 1858; Paris, 30 nov. 1858; Caen, 20 juin 1859; Rej., 9 août 1859 (J. Pal., 1859, p. 879 et 975; 1860, p. 1012; Dall., 59, 1, 454; 60, 2, 32; S.-V., 59, 2, 312; 60, 1, 557; 2, 51). Il a été décidé, néanmoins, que le privilége s'étend au cas où un artiste a été chargé d'une œuvre d'art pour une ville. Req., 20 août 1862 (S.-V., 63, 1, 386; J. Pal., 1863, p. 975; Dall., 63, 1, 141).

(4) Rej., 10 mars 1818; Req., 20 fév. 1828 (S.-V., 18, 1, 218; 28, 1, 308).

(5) Req., 3 janv. 1822; Metz, 2 juill. 1817 (S.-V., Coll. nouv., 5, 2, 302; 7, 1, 38).

confection de machines nécessaires à son exploitation, acquièrent, d'après la loi du 21 avril 1810, art. 20, le privilége accordé par le § 5 de l'art. 2103 du Code Napoléon, pourvu qu'ils se conforment aux obligations imposées par ledit paragraphe. Et, de même, le concessionnaire aux frais duquel s'est opéré le desséchement d'un marais a un semblable privilége, aux termes de la loi du 16 septembre 1807, titre 5, art. 23, mais à la charge de faire inscrire l'acte de concession ou l'ordonnance qui prescrit le desséchement (1).

58 bis. 4° Drainage. En affectant une somme de cent millions à des prêts destinés à faciliter les opérations de drainage, la loi du 17 juillet 1856 a créé et organisé un privilége qui porte sur les terrains drainés et sur leurs récoltes ou revenus. Aux termes des art. 3 et 4 de cette loi, il est accordé au Trésor public, pour le recouvrement de l'annuité échue et de l'annuité courante, sur les récoltes ou revenus des terrains drainés, un privilége qui prend rang immédiatement après celui des contributions publiques, sauf néanmoins la créance pour semences ou pour frais de la récolte de l'année, laquelle est payée sur le prix de la récolte avant celle du Trésor public. Le Trésor public a également, pour le recouvrement de ses prêts, un privilége qui prend rang avant tout autre sur les terrains drainés. Ce même privilége sur les terrains drainés est accordé 1o aux syndicats, pour le recouvrement de la taxe d'entretien et des prêts ou avances faits par eux; 2o aux prêteurs, pour le remboursement des prêts faits à des syndicats; 3° aux entrepreneurs, pour le payement du montant des travaux de drainage par eux exécutés; 4° à ceux qui ont prêté des deniers pour payer ou rembourser les entrepreneurs, en se conformant aux dispositions du § 5 de l'art. 2103 du Code Napoléon. Les syndicats ont, en outre, pour la taxe d'entretien de l'année échue et de l'année courante, le privilége sur les récoltes ou revenus, tel qu'il est établi par l'art. 3. Le privilége n'affecte chacun des immeubles compris dans le périmètre d'un syndicat que pour la part de cet immeuble dans la dette commune. Puis, à titre de correctif, l'art. 5 ajoute que toute personne ayant une créance privilégiée ou hypothécaire antérieure au privilége acquis en vertu de la loi a le droit, à l'époque de l'aliénation de l'immeuble, de faire réduire ce privilége à la plus-value existant à cette époque et résultant des travaux de drainage.

Les articles suivants fixent le mode de conservation du privilége. Mais c'est un point qui se rattache au commentaire des art. 2106 à 2113 de notre titre (voy. infrà, no 303 et suiv.).

[ocr errors]

2099. Les priviléges peuvent être sur les meubles ou sur les immeubles.

(1) L'autorité administrative est seule compétente pour déterminer les obligations du concessionnaire en ce qui concerne l'entretien des travaux de desséchement; mais c'est aux tribunaux qu'il appartient de connaître des contestations relatives au rang et aux effets de l'inscription prise en vertu du droit reconnu par l'autorité administrative. Conseil d'Etat, 14 déc. 1864 (S.-V., 65, 2, 245).

SOMMAIRE.

L. 59. Signification et étendue du mot meubles dans notre article, 60. Et du mot immeubles. 61. Des transformations que ces biens peuvent subir dans leur nature primitive: renvoi.

Il. 62. Quoique notre article paraisse n'indiquer que deux catégories de priviléges, il y en a trois en réalité.

I. 59. Le mot meubles dont se sert notre article doit être pris dans le sens le plus large. A la vérité, l'art. 533 du Code Napoléon dit que le mot meuble, quand il est employé seul, sans autre addition ni désignation dans les dispositions de la loi ou de l'homme, est exclusif de l'argent comptant, des pierreries, des dettes actives, des livres, des médailles, etc. Mais, d'une part, les rédacteurs du Code, même quand ils emploient le mot meubles seul, ne l'entendent eux-mêmes jamais et n'ont jamais pu l'entendre dans le sens restreint que lui prête l'art. 533 (1). D'une autre part, ce sens restreint serait d'autant moins acceptable pour notre article, que le mot meubles y est évidemment employé pár opposition au mot immeubles, comme dans l'art. 516, ce qui lui donne la signification la plus étendue, celle qu'il prend dans les art. 528, 529, 531 et 532 du Code Napoléon (2). Ainsi, dans un privilége général sur les meubles, si l'on excepte les choses énumérées aux art. 524 et 525, qui, quoique mobilières de leur nature, reçoivent de leur destination le caractère immobilier, le droit du créancier s'étend indistinctement à toutes choses qui sont meubles, soit par leur nature, soit par la détermination de la loi.

60. Quant au mot immeubles, il n'a pas, dans notre article, une signification plus étendue que celle des mots biens immobiliers employés dans l'art. 2118 relatif aux hypothèques. Il comprend donc les biens immobiliers qui sont dans le commerce et leurs accessoires réputés immeubles; il comprend aussi l'usufruit des mêmes biens et accessoires pendant la durée de l'usufruit. Mais quant aux servitudes qui n'ont pas une valeur à elles propre, une valeur indépendante du fonds dominant; quant aux droits d'usage, de pâturage et autres semblables, qui ont bien une valeur propre, mais qui ne peuvent pas être aliénés; quant aux actions tendant à la revendication d'un immeuble, ou aux actions en nullité ou en rescision d'une vente, aux actions en réméré, toutes actions qui ne sont pas saisissables ni susceptibles d'expropriation forcée, le mot immeubles de notre article ne les comprend pás. Ces choses ne sont pas susceptibles d'hypothèque, comme on le verra dans notre commentaire de l'art. 2118; elles ne sont donc pas susceptibles non plus de privilége, puisque le privilége sur les immeubles est, en définitive, une hypothèque privilégiée (art. 2113). Toutefois on remarquera, par rapport aux actions dont nous venons de parler, que c'est seulement prises en elles-mêmes qu'elles ne sont pas susceptibles de

(1) Voy. Marcadé (t. II, no 390).

(2) Delvincourt (t. III, p. 263); Pigeau (t. II, p. 183); et MM. Persil (art. 2099, no 1); Zachariæ (t. II, p. 97, note 1); Troplong (no 106); Valette (no 18); Dalloz (Rép., ch. 1, sect. 1, art. 1, no 20).

privilége; car il n'y a pas, dans une action, d'assiette réelle sur laquelle le privilége puisse être établi. Mais supposons l'action exercée et son objet réalisé, il en est autrement; l'action s'est transformée, en quelque sorte, en une chose matérielle sur laquelle le privilége pourra désormais être assis sans difficulté. Par exemple, j'avais une action en réméré que j'ai cédée à Paul moyennant 10 000 francs; je n'ai pas, à raison de ce prix, un privilége sur l'action cela est de toute évidence. Mais que Paul exerce le réméré, ou encore que je l'exerce moi-même en son nom et comme son créancier, et que l'immeuble soit repris, rien ne s'opposera à ce que j'aie sur cet immeuble mon privilége à raison de la cession que j'avais faite à Paul (1).

:

61. Il arrive parfois que les meubles, et même les immeubles, subissent des changements et des transformations dans leur nature primitive. La question s'élève alors de savoir si les priviléges dont ils pouvaient être grevés s'éteignent par l'effet de ces changements ou transformations. C'est à l'occasion des priviléges spéciaux énumérés aux art. 2102 et 2103, et en particulier à l'occasion du privilége du vendeur, que la question se produit. Nous la discuterons en traitant de ce privilége (infrà, nos 153 et suiv.).

II. 62. Après nous être expliqué sur la portée des mots meubles et immeubles employés dans notre article, il nous reste à faire remarquer que les priviléges sont divisés par la loi en trois catégories. Le texte de notre article tendrait à n'en faire supposer que deux, puisqu'il nous dit que les priviléges peuvent être sur les meubles ou sur les immeubles. Mais, pour être exact, il fallait dire que les priviléges peuvent être soit sur les meubles, soit sur les immeubles, soit à la fois sur les meubles et les immeubles. Cela seul, en effet, est en rapport avec les divisions mêmes de la loi, qui, dans les trois sections qui vont suivre, nous montre qu'il y a des priviléges spéciaux sur certains meubles (art. 2102), puis des priviléges spéciaux sur certains immeubles (article 2103), et enfin des priviléges généraux portant sur tous les meubles et sur tous les immeubles (art. 2101, 2104, 2105). Toutefois, dans cette dernière catégorie, le recours sur les immeubles n'est que subsidiaire (voy. n° 44). Il se rattache à cela des conséquences que nous déduirons sous les art. 2104 et 2105 (infrà, nos 243 et suiv.).

SECTION PREMIÈRE.

DES PRIVILÉges sur les meubles.

2100. Les priviléges sont ou généraux, ou particuliers sur certains meubles.

SOMMAIRE.

I. 63. Les priviléges généraux sur les meubles sont généraux aussi sur les immeubles.

1.

63. Il n'y a pas d'observation à faire sur cette division, qui

(1) M. Persil (art. 2099, no 8).

« PreviousContinue »