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DEUXIÈME PARTIE.

HISTOIRE ÉTRANGÈRE.

BELGIQUE.

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CHAPITRE PREMIER

Formation d'un tiers parti libéral, crise de 1850, le budget de la guerre, réduction des dépenses, loi organique de l'armée, démission du général Brialmont, lettre du roi à M. Rogier, dénoûment de la crise, question de confiance, le ministère l'emporte; l'impôt sur les successions directes, le serment, désaccord entre la chambre et le ministère, seconde crise, replâtrage, menées radicales; la chambre se déjuge, l'impôt adopté, le sénat le rejette, troisième crise ministérielle; dissolution du sénat, clôture de la session, élections, les villes et les campagnes, échec du ministère; réouverture de la session, discours royal, appel à la conciliation; transaction, amendement Spitaels et Dumon-Dumortier, discours de MM. d'Anethan et Dumon-Dumortier, fin du conflit; le coup d'État du 2 décembre, contre-coup en Belgique, craintes chimériques.— Budget, commerce extérieur, voies de communication, chemins de fer, canaux. Traité conclu avec la Sardaigne.

NÉERLANDE. Loi communale, historique du projet, adoption, dispositions de la loi, élections communales, esprit d'intolérance, exclusion des catholiques; assistance publique, tentative d'usurpation de la part du gouvernement sur les institutions de bienfaisance, émotion générale, opposition grave; liberté d'association et de réunion, ajournement; la chambre se proroge, question constitutionnelle, clôture de la session; ouverture de la session nouvelle, discours royal, appel à la concorde. Situation prospère des finances, budget, découverts, excédants, dette, amortissement, arriéré russe ; chemins de fer, projet d'union avec le réseau ́allemand; flotte marchande, résultat des lois de navigation; commerce extérieur; colonies. GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG. Discours duprince lieutenant du roi, adresse de la chambre des députés, rapports du grand-duché avec la Confedération germanique.

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BELGIQUE.

On se rappelle quelle était, à la fin de l'année 1850, la situation précaire du ministère belge, en face d'une minorité

toujours croissante et d'une majorité peu dévouée. Un parti intermédiaire se formait depuis quelque temps dans la chambre des représentants. La signification assez confuse de cette fraction indépendante lui avait permis en 1850 de soutenir, à son gré, ou de combattre la politique du ministère, tandis que celuici était obligé de recourir au dangereux appui du parti catholique. De là la crise de 1850 et la formation du nouveau cabinet du 12 avril, dans lequel figurait un des principaux chefs du tiers parti libéral, M. Tesch.

Le prétexte des luttes de 1850 avait été, on le sait, le budget de la guerre, dont le tiers parti voulait réduire encore les allocations, déjà diminuées par le général Chazal. L'opposition, représentée dans le cabinet par M. Tesch, demandait que le chiffre des crédits fût désormais fixé à 25 millions. Le nouveau ministre de la guerre, le général Brialmont, déclara que cette réduction nouvelle ne pouvait être opérée qu'après une étude approfondie de l'organisation militaire du pays.

Mais, pour descendre à ce chiffre, respecterait-on la loi organique de l'armée ? Ici éclatait un dissentiment dans le sein de l'administration. MM. Rogier et Frère-Orban ne reculaient pas devant une révision de la loi le ministre de la guerre ne voulait pas y consentir. Celui-ci dut céder et donner sa démission. Le 21 janvier S. M. belge avait pris parti dans la querelle par la lettre suivante, adressée à M. Rogier :

a Mon cher ministre,

« Bruxelles, 21 janvier 1851.

« Les circonstances où nous nous trouvons n'indiquent qu'une seule solution » de la difficulté ministérielle, c'est que vous vous chargiez de l'intérim du por»tefeuille de la guerre. Vous savez quelle est ma confiance en vous; je suis per» suadé que le sentiment du pays à votre égard est le même.

>> Sans sécurité nationale il n'y a pas d'existence politique; tous les intérêts >> les plus précieux, sans exception aucune, se rattachent à cette sécurité. Les » garanties les plus fortes doivent donc être données au pays et à l'armée que »> nous défendrons les éléments de cette sécurité comme notre trésor le plus pré>> cieux. Je remets ce dépôt entre vos mains courageuses et dévouées; la tâche, » je le sais, est laborieuse et difficile, mais vous défendrez le plus grand intérêt >> national.

» J'ai assez de foi dans votre dévouement et dans votre caractère pour m'en » remettre à vous de l'accomplissement d'un devoir sacré pour nous tous, et je

» vous prie de vous en charger, en vous assurant de mes sentiments les plus sin>> cèrement affectueux.

» LEOPOLD. »

La révision l'emportait à la reprise de la discussion du budget, une motion portant qu'il ne serait pas apporté de modifications à la loi organique fut rejetée par 55 voix contre 31, et la question de confiance posée par les membres restants du cabinet fut décidée en leur faveur par 56 voix contre 25 (25 janvier). Six représentants s'étaient abstenus lors de ce dernier vote. A l'occasion du premier, quelques libéraux, MM. Devaux et Lebeau, par exemple, avaient voté avec l'opposition.

Ainsi la division de la majorité survivait à la victoire du cabinet, et celui-ci se sentait entraîné de plus en plus vers le libéralisme radical. Il sacrifiait à l'opinion avancée jusqu'à ses propres opinions, car MM. Rogier et Frère-Orban s'étaient, l'année précédente, hautement déclarés contre la révision de la loi organique de l'armée.

La discussion d'un projet d'impôt sur les successions amena une crise nouvelle. Cette fois, le désaccord était entre le ministère et la chambre. Il s'agissait du serment auquel une des dispositions de la loi soumettait tout héritier collatéral pour la déclaration des valeurs mobilières. La section centrale chargée d'examiner cette disposition la rejetait, parce qu'à ses yeux le serment, aboli en 1830, avait contre lui l'instinct du pays tout entier. Elle rejetait encore, mais sans pensée hostile au ministère, le droit de 1 pour cent dont le projet frappait les biens acquis en ligne directe. Elle voyait pourtant dans cette disposition un écho des doctrines démoralisatrices prêchées dans un pays voisin. Et, en effet, ce projet déjà présenté en 1849 (19 mars), et ajourné après une discussion irritante (27 mars), n'avait été exhumé cette année que sous l'impulsion du parti radical.

Le 2 mai, le ministre des finances avait donc présenté de nouveau le malencontreux projet. Mais le cabinet, comprenant où le menait l'impôt sur les biens acquis en ligne directe, déclara, dès l'abord, y renoncer, maintenant seulement la disposition relative au serment. C'était mécontenter tout le monde. Le 16 mai, le

serment fut repoussé par 52 voix contre 39 et le cabinet tout entier donna sa démission.

La crise dura trois semaines et finit par un replâtrage. On s'ertendit pour ne voir dans l'échec ministériel qu'un fait financier, sans aucune signification politique. C'est que le tiers parti libéral n'était pas assez puissant pour fournir les éléments d'un ministère et que ses membres eussent été forcés de s'appuyer sur l'opposition catholique.

En offrant sa démission au roi, le ministère avait espéré une manifestation politique en sa faveur; il avait compté sur une espèce de soulèvement de l'opinion publique contre les chambres, et sur des embarras tels que les libéraux modérés se seraient empressés de solliciter son maintien aux affaires. Rentré ainsi en vainqueur dans un parlement maté, le ministère aurait dominé la situation et obtenu de la représentation nationale les trois choses. qu'il désirait le plus vivement l'impôt sur les successions direc tes, la dérivation de la Meuse et le chemin de fer du Luxembourg.

Ce calcul fut déjoué. L'agitation populaire se borna à une sorte de réunion bavarde; la chambre ne fit pas les démarches humiliantes qu'on attendait d'elle, les fonds haussèrent au lieu de baisser.

Le cabinet se retrouvait donc en face des mêmes difficultés, sans plus de ressources pour les vaincre. Il lui fallait persister dans la présentation de son projet d'impôt; il lui fallait demander une rétractation à la chambre. Le projet reparut donc, avec quelques modifications qui n'en atteignaient pas le principe et le ministère posa de nouveau la question de cabinet. Malgré les protestations du parti catholique contre ce jeu immoral, si contraire à la dignité de la chambre, le principe de l'impôt sur les successions en ligne directe fut adopté, le 28 juin, par 61 voix contre 31.

La chambre des députés s'était déjugée, mais ce n'était pas assez. Il fallait encore obtenir le vote du sénat. Rien ne fut négligé. Pendant quinze jours, la presse ministérielle menaça, chaque matin, le sénat, non-seulement d'une dissolution, mais encore d'une suppression complète, s'il refusait de se rallier au vœu du gouvernement. Le sénat ne tint compte de ces menaces. Il rejeta la loi (2 septembre).

Pour se sauver, le ministère avait fait présenter par M. le comte de Marnix, grand maréchal du palais, un amendement dans le but de ne donner à la loi qu'un caractère temporaire. Un certain nombre de sénateurs avaient donné dans le piége et acceptaient ce moyen terme. Néanmoins il fut repoussé au scrutin par 27 voix contre 24. L'art. 1er du projet qui entraînait tout le reste de la loi et qui lui donnait un caractère permanent fut rejeté ensuite par 33 voix contre 18.

Le lendemain, 3 septembre, la session était déclarée close, et, quelque jours après, le sénat était dissous.

Il fallait en appeler au pays par des élections nouvelles. Le parti libéral l'emporta à Bruxelles, à Gand, à Liége, à Anvers, c'est-àdire dans les grands centres de populations plus accessibles aux idées subversives, plus travaillés par les principes désorganisateurs de la société moderne. Mais l'esprit conservateur éclata dans les campagnes, dans les centres agricoles.

Sans doute le parti ministériel put s'enorgueillir de l'absence de MM. Dindal, de Waha, de Chestret et Vergauwen, mais il n'en fut pas moins obligé de reconnaître qu'il avait perdu les trois quarts des batailles engagées, qu'il avait été battu à Bruges, à Ypres, à Courtray, à Routers, à Ecloo, à Audenarde, à Alost, à Saint-Nicolas, à Tournay, à Thuin, à Philippeville, à Namur, à Dinanit, à Louvain, à Hasselt, à Tongres, à Wazemme, à Verviers, sans parler de Thielt, de Malines, de Turnhout et de Thermonde, où il n'avait pas même osé combattre.

Le seul succès réel qu'il eût remporté, c'était l'élimination de deux hommes aussi modérés que capables, MM. Cogels et de Baillet, sénateurs d'Anvers. Liége comptait à peine, car la dérivation de la Meuse étant impliquée dans le problème électoral à résoudre, cette ville était particulièrement intéressée au triomphe de l'impôt sur les successions. Les clubs despotiques de Bruxelles et de Gand y avaient assuré facilement la victoire au ministère.

Parmi les succès que l'opinion conservatrice et indépendante avait obtenus, plusieurs avaient une signification capitale. Elle avait littéralement écrasé le parti ministériel dans toutes les villes qui représentent le pays agricole et modéré.

Sur dix-huit sénateurs qui avaient voté l'impôt sur les succes

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