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vertus, et ne doute pas qu'en s'y attachant avec scru pule l'homme ne parvienne à acquérir, en quelque sorte, l'esprit de prophétie.

M. Deschartres est beaucoup plus réservé; il n'a recueilli que les pronostics les plus avérés, et a pris pour guides le Père Cotte et M. de Lamark. Néanmoins on pourrait bien encore se permettre quelques observations sur ce sujet, et réduire la science des présages à des données moins nombreuses. La partie de son ouvrage relative à l'administration d'un domaine serait aussi susceptible de quelques observations. L'auteur paraît descendre dans des détails trop minutieux. Il suppose trop peu d'intelligence et de capacité à ses lecteurs. Par exemple, s'il veut convaincre de la nécessité de tenir un registre exact des travaux de la moisson, il pousse la prévoyance jusqu'à nous dresser un tableau des moissonneurs employés, avec leurs noms, prénoms, qualités, demeure et caractère. Ainsi l'on apprend que M. Deschartres a employé Claude Bertrand-Desbornes, que Bertrand a fait cinquante journées à 42 sous, mais qu'il moissonne mal et qu'il est trop âgé; qu'Etienne Maraud de Corlay est ivrogne et grand parleur; qu'André Grésil de la Vieuville est mauvais ouvrier et raisonneur, et que Bonamy-Chartier de Frague est paresseux et cabaleur. Tout cela peut être très-intéressant pour M. Deschartres, mais Bonamy-Chartier, Claude Bertrand et Etienne Maraud sont des personnages qui nous inté ressent peu, et il n'est pas de la plus haute importance pour la prospérité de l'agriculture que l'univers apprenne qu'ils boivent et parlent trop, et ne travaillent pas assez.

Les raisonnemens de M. Deschartres ne sont pas non plus d'une exactitude toujours bien conforme aux règles d'Aristote. Il se plaint, dans sa préface, de cette foule d'ouvrages sur l'agriculture qui pleuvent de toutes parts; il remarque que les femmes elles-mêmes ont voulu se faire nos précepteurs, et pour nous montrer combien leurs prétentions sont ridicules, il interroge la nature et dit: « Elles ont oublié que l'ordonnateur de l'uni P vers leur a assigné des fonctions d'un plus grand intés

» rêt; à l'époque où les individus des deux sexes sém» blent acquérir une nouvelle nature, la femme éprouve » une secousse générale ; la masse cellulaire est ébranlée, » des productions nouvelles animent les traits de son vi»sage, arrondissent le col, vont se perdre agréablement >> vers les épaules, en donnant aux bras ces contours » gracieux et déliés qui se prolongent jusqu'aux extré» mités des doigts. Cette marche de la nature ne démon»tre-t-elle point dans la femme une destination particu» lière? etc. » Il faut avouer que cette phrase ressemble un peu à celle du docteur Sganarelle, et voilà justement ce qui fait que votre fille est muetie. Si M. Deschartres eût consulté quelques amis, 'ils lui auraient sans doute indiqué quelques fautes de ce genre qui déparent trop souvent son ouvrage; mais ces taches sont légères, et le fonds de l'ouvrage n'en est pas moins bon. Un propriétaire, jaloux de s'instruire, ne peut guère manquer d'acquérir le Moniteur rural.

SALGUES,

LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.

LETTRES SUR LE GOUVERNEMENT, LES MŒURS ET LES USAGES DU PORTUGAL; par ARTHUR WILLIAM COSTIGAN, officier irlandais; traduites de l'anglais. Un vol. in-8°. -A Paris, chez Lenormant, imprimeur-libraire, rue de Seine, n° 8.

Le voyager, disait Montaigne, me semble un exercice profitable. L'ame y a une continuelle exercitation, et je ne sache point une meilleure école à façonner la vie, que de lui proposer la diversité de tant d'autres vies, fantaisies et usances (1). De cette remarque incontestablement vraie pour ceux qui savent voyager avec fruit, on peut conclure que la relation du voyage d'un observateur produirait les mêmes résultats, et que le tableau de la continuelle exercitation de l'ame serait, pour le lecteur, une bonne école, propre à façonner sa vie. Ajoutons qu'il y a entre les vies, fantaisies, usances portugaises et les nôtres si peu d'analogie, qu'il en résulte nécessairement cette diversité désirée par Montaigne.

Le gouvernement, la religion, les mœurs, les usages, ont, dans beaucoup de pays, une action et une réaction continuelles, et peut-être en Portugal plus qu'ailleurs. On pourrait en trouver la cause dans la lutte du clergé et du gouvernement, tour-à-tour victorieux et vaincu. Une contradiction singulière existait entre les mœurs des ministres de la religion (particulièrement les moines) et la morale qu'ils prêchaient, entre leur langage et leur conduite; et ce qui paraîtrait inexplicable, c'est la profonde vénération dont ils étaient l'objet, quoique cette conduite licencieuse fût connue. D'un côté ce respect aveugle, sans bornes et si peu mérité; de l'autre, cette licence, ces actions qui ne devaient produire que le mé

(1) Essais, liv. 8.

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MERCURE DE FRANCE, DECEMBRE 1811. 447

pris, offriraient un problème dont la solution serait très-difficile sans la sainte inquisition; mais la sainte inquisition explique beaucoup de choses: c'est l'ultima ratio des contrées où elle est établie. Notre voyageur s'applaudit de ce que sa patrie ne possède point cette institution; en partageant son bonheur, nous allons le suivre dans sa course. Commençons par donner une idée du pays et de ses habitans.

« Un écrivain portugais compare, avec assez de justesse, tout le royaume de Portugal à une araignée dont le corps énorme renferme toute la substance dans la capitale, avec des jambes longues, minces et faibles, qui atteignent à une grande distance, mais qui ne lui sont d'aucune utilité et qu'elle a bien de la peine à remuer. Les profits du commerce étranger et des vastes contrées que le souverain possédait en Afrique et au Levant, ou de celles qui lui restaient dans le sud de l'Amérique, n'ont jamais atteint le paysan portugais, si ce n'est en donnant aux habitans des deux villes principales les moyens de lui payer un peu mieux les provisions qu'il amène au marché ; et la splendeur des conquêtes étrangères n'a jamais amélioré sa situation. Le seul objet de luxe qu'il connaisse est le tabac. Un morceau de pain de blé d'Inde, avec une sardine salée ou une tête d'ail pour lui donner de la saveur, forme son plat d'ordinaire ; et s'il peut se procurer un peu de viande pour régaler sa famille aux deux principales fêtes de l'année ( Noël et Pâques), il est parvenu au comble de la félicité dans ce monde. Il faut l'avouer, tout ce qu'il pourrait posséder au-delà de cette pénurie habituelle, lui serait, d'après l'état actuel de son intelligence et l'usage qu'il en fait, bientôt enlevé ou plutôt, il s'en déferait lui-même en faveur des nombreux directeurs spirituels dont fourmille son pays, et qui lui enseignent à attendre le bonheur de cette autre vie vers laquelle ils dirigent infailliblement. On lui apprend, dès son enfance, à croire que ce bonheur arrivera, en payant fidèlement la dîme, en faisant des offrandes au couvent voisin, à la châsse d'une sainte, à l'autel du patron, aux prêtres qui le desservent; s'il lui arrive quelque malheur, c'est qu'il a manqué à

quelque pratique, c'est qu'il est tiède, c'est que son offrande est trop modique: il redouble en conséquence de ferveur et de dons. S'il possède assez d'argent pour faire de son fils un moine où de sa fille une religieuse il relève pour toujours le crédit de sa famille.

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» Les villes de Lisbonne et de Porto peuvent être regardées comme les deux yeux du Portugal: c'est là que sont toutes les richesses du pays; c'est là que se fait tout le commerce avec les nations étrangères ; c'est là que se rendent les produits des possessions dans le Brésil, dont l'existence des Portugais dépend comme peuple. »

L'auteur fait un parallèle entre les premières classes de la société en Espagne et celles du Portugal. Ce parallèle est, sous ce rapport, tout à l'avantage des Espagnols. Mais comparant ensuite les dernières classes des deux peuples, il donne la préférence au Portugais. Voici la cause à laquelle il attribue l'infériorité de la noblesse portugaise. « Indépendamment des effets mortels de la tyrannie religieuse et de la mauvaise éducation qui contribuent à rendre les hommes abjects, je suis convaincu que la composition du sang qui coule dans nos veines a la plus grande influence sur les bonnes comme sur les mauvaises qualités, et par suite sur les actions morales de l'individu. Ne pourrait-on donc pas croire avec raison que le mélange du sang juif pendant les règnes de Jean second, D. Manuel et de son fils Jean III, a totalement vicié le caractère national ? Ce qui rend ce malheur d'autant plus déplorable, c'est que les familles de rang et de distinction sont celles qui ont été le plus direc-. tement affectées et tachées par celte contagieuse connexion. >>

C'est, il nous semble, remonter un peu haut ; et l'auteur pouvait s'arrêter à l'éducation et aux opinions religieuses.

Il règne en Portugal deux usages qui s'éloignent de toutes les idées reçues dans les autres pays civilisés du monde. Le premier est celui des empenhos, mot qui se rend faiblement, dans notre langue, par celui de recommandation. L'empenho ôte aux lois toute leur force et dérobe à leur vengeance le criminel le plus atroce.

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