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pensé que la justice républicaine devait traiter les ouvriers de la même manière que les patrons, et il avait proposé l'abrogation des articles 444 et 415 du Code pénal, qui ne sont ni conformes à l'égalité, ni efficaces dans la pratique ; et qui sont dans nos lois comme une provocation permanente à la haine des ouvriers envers les chefs d'entreprise et aux coalitions soutenues par la violence.

Deux comités s'étaient occupés de la proposition de M. Morin. Le comité du travail avait voulu maintenir le délit de coalition; seulement il avait cherché à traiter également les ouvriers et les maîtres se coalisant, comme dit l'art. 414, pour influer injustement et abusivement sur le taux des salaires.

L'Assemblée ayant compris que les tribunaux, pour appliquer une pareille loi, seraient obligés de décider que tel ou tel salaire est plus juste et moins abusif que tel ou tel autre, renvoya le projet au comité de législation.

Celui-ci, après avoir bien cherché, ne vit de solution que dans la liberté, et ne modifia la proposition de M. Morin, que pour assimiler aux cas de violence, menaces, ou intimidation, seuls punissables, le fait de la part des patrons, d'avoir renvoyé les ouvriers, et, de la part des ouvriers, d'avoir abandonné les ateliers, sans observer respectivement les délais d'avertissement et de congé qui sont établis, soit par la convention des parties, soit par les règlements et usages. Cet essai de conciliation, tenté par le comité de législation, donnait, dans sa pensée, des garanties à la sécurité de l'industrie sans constituer les magistrats arbitres du taux des salaires.

Mais le comité de législation effaçait de notre législation le délit de coalition, en sorte que toute coalition devenait immédiatement licite. M. Léon Faucher n'eut point de peine à montrer tout le danger de cette innovation; il fut soutenu énergiquement par MM. Baroche et Rouher.

M. Corbon insista pour défendre la proposition du comité de législation. M. le ministre de l'Intérieur remonta à la tribune, et dans une rapide argumentation, il établit qu'il y avait contradiction complète entre les conclusions du comité de législation et celles du comité des travailleurs ; que l'Assemblée était en réalité

placée non pas en face d'un projet de loi, mais en présence de deux propositions diamétralement contraires. Il conclut à ce que la proposition fût renvoyée à l'examen des bureaux, qui nommeraient une commission spéciale chargée de faire un rapport et de formuler un projet de loi.

L'Assemblée donna gain de cause à M. Léon Faucher en votant le renvoi aux bureaux.

M. Carnot avait saisi, le 50 juin 1848, l'Assemblée nationale d'un nouveau plan d'institutions primaires; mais ce projet de loi avait soulevé les plus graves objections. Il était à la fois trop vaste et trop restreint; au point de vue financier, il dépassait de beaucoup les ressources du Trésor; au point de vue des principes sociaux, il substituait arbitrairement l'État au père de famille, et la centralisation purement administrative à l'autorité de la commune. Aussi, M. de Falloux crut-il devoir charger trois commissions de préparer des lois relatives à différentes branches de l'enseignement. En même temps, le ministre retira la loi présentée par M. Carnot (4 janvier).

Sur cette déclaration, M. Barthélemy-Saint-Hilaire, président et rapporteur de la commission chargée d'examiner le projet de décret relatif à l'enseignement primaire, exprima le regret qu'un travail de quatre mois, accompli par la commission parlementaire dont il était membre, se trouvât perdu par suite du retrait de la loi. Et pourtant, ajoutait M. Barthélemy-Saint-Hilaire, le projet amendé ne laissait rien survivre du projet primitif. M. de Falloux chercha à rassurer l'orateur en répondant que le travail de la commission resterait comme document précieux, et peutêtre comme guide.

Mais ici s'éleva un conflit. M. Repellin, s'appuyant sur le décret relatif aux lois organiques, lequel comprenait la loi sur l'enseignement, contesta au Gouvernement le droit, sinon de retirer la loi dont l'Assemblée était saisie, au moins de nommer des commissions administratives chargées d'étudier cette matière. Selon lui, et selon M. Dupont (de Bussac), qui vint développer la même thèse, le décret sur les lois organiques avait fait de la loi sur l'enseignement le monopole de l'Assemblée. Aussi, M. Repellin proposait-il, pour donner une leçon au ministère, de voter

la mise à l'ordre du jour suivant de la nomination d'une commission chargée de préparer la loi organique sur l'enseigne

ment.

M. Odilon Barrot exposa, en réponse à cette déclaration de guerre, les difficultés de la situation exceptionnelle du Pouvoir vis-à-vis de l'Assemblée, et fit appel, pour les applanir, aux sentiments de justice et de concorde. Une situation aualogue pourrait se reproduire, lorsqu'il y aurait des assemblées chargées de réviser la Constitution. Mais la Constitution elle-même avait prévu cette anomalie inévitable, et elle avait cherché à l'amoindrir, en lui assignant des limites de temps très-étroites. M. Odilon Barrot demandait par là à la Chambre de s'inspirer de sa propre sagesse, en limitant sa propre durée.

M. de Falloux vint prouver à son tour, qu'en exerçant sa prérogative, il n'avait en rien empiété sur celle du parlement. Et d'abord, l'Assemblée voulait-elle sérieusement, irrévocablement faire toutes les lois organiques portées dans le décret? Sur la seule expression de ce doute, une effroyable tempête éclata dans l'Assemblée. On demanda le rappel à l'ordre du ministre. Lorsque le silence fut enfin rétabli : « Ce n'est pas moi qu'il faut rappeler à l'ordre, dit spirituellement M. de Falloux, c'est le représentant qui a déposé une proposition tendante à réduire à cinq les lois organiques à voter par l'Assemblée. Celui-là exprimait plus qu'un doute sur l'exécution irrévocable du décret (1). »

M. Dupont (de Bussac) présenta vainement un ordre du jour motivé formulant un blâme implicite contre le ministère. La Chambre repoussa le blâme par 442 voix contre 502. Alors M. Pascal Duprat, tout en protestant avec chaleur de son dévouement pour le président de la République, proposa de mettre à l'ordre du jour suivant, la nomination d'une commission pour la loi organique de l'enseignement. L'Assemblée ayant reconnu par l'ordre du jour pur et simple le droit du Gouvernement, le Gouvernement n'avait plus à s'opposer à ce que l'Assemblée exerçât de son côté sa prérogative (4 janvier).

Le 10 janvier, l'Assemblée eut à délibérer sur un projet de loi

(1) Voyez le chapitre V.

ayant pour but de réorganiser l'administration de l'assistance dans la ville de Paris.

L'administration des établissements hospitaliers et des secours à domicile dans la capitale, embrasse un service qui, en recettes et en dépenses, ne comporte pas moins de 15 à 16 millions; il y a à Paris quinze hôpitaux recevant 90,000 malades par an, quatre grands hospices et sept maisons de retraite pour 8,000 vieillards et infirmes, une organisation des secours à domicile qui vient en aide à plus de 100,000 personnes; on comprend tout ce qu'une pareille administration présente de difficultés; confiée, au moment de la Révolution de Février, à un conseil général qui avait la direction des hôpitaux et qui en réglait le service, et en même temps à une commission administrative chargée de l'exécution des arrêtés du conseil général, il résultait de cette organisation vicieuse qu'il n'y avait pas d'unité d'action possible, et que, par cela même, toute responsabilité devenait illusoire.

Un des premiers actes du Gouvernement provisoire fut de supprimer le conseil général des hôpitaux; mais ce n'était là qu'un état de choses provisoire, qui laissait d'ailleurs subsister les mêmes inconvénients; il y avait donc nécessité de procéder sur de nouvelles bases et de réorganiser l'administration; c'est ce que fit M. Dufaure en présentant un projet de loi en huit articles, qui plaçait cette administration sous l'autorité du préfet de la Seine et du ministre de l'Intérieur, et qui la confiait à un directeur responsable sous la surveillance d'un conseil dont on déterminait les attributions.

Ce projet fut profondément modifié par la commission à laquelle il fut renvoyé ; au lieu d'un comité de surveillance appelé à contrôler le directeur, elle proposa d'établir près de lui un conseil d'administration; de plus, elle s'engagea dans le dédale des dispositions purement réglementaires; elle entreprit de définir les pouvoirs, de déterminer les attributions, le mode d'élection et la composition de ce conseil; aussi, le projet nouveau qu'elle substitua à celui du Gouvernement ne renfermait pas moins de trente-deux articles.

Le débat entre les deux projets, s'établit dès le premier article; il s'agissait de savoir si le directeur responsable serait placé

sous le contrôle d'un comité de surveillance, comme le proposait le Gouvernement, ou s'il serait assisté d'un conseil d'administration, comme le voulait la commission. L'ancien et le nouveau ministre de l'Intérieur, M. Dufaure et M. Léon Faucher, défendirent le projet du Gouvernement. M. Boulatignier présenta, dans le même sens, de judicieuses observations. Ils insistèrent notamment sur ce qu'on retomberait dans tous les inconvénients du système qu'on avait détruit, en reconstituant encore une administration collective et en divisant la responsabilité au lieu de la concentrer sur le directeur. Ces raisons obtinrent gain de cause; l'article du projet de la commission fut rejeté : la commission déclara alors qu'elle renonçait à tout le projet qu'elle avait rédigé, et l'Assemblée adopta successivement, sans débats importants, les huit articles qui composaient le projet primitif du Gouvernement (10 janvier).

L'art. 1781 du Code civil dispose qu'en cas de contestation entre un maître et son domestique, « le maître est cru sur son affirmation » en ce qui regarde la quotité des gages, le paiement du salaire de l'année échue, et les à-comptes donnés pour l'année courante. Un projet, présenté par M. Lemonnier, et modifié par le comité de législation, avait pour but de faire disparaître cette inégalité; il portait qu'à défaut de preuve écrite, toutes contestations entre le maître et les domestiques ou les ouvriers, serait décidée sur l'affirmation de celle des parties à laquelle le juge aurait cru devoir déférer le serment. L'Assemblée décida qu'elle passerait à une seconde délibération (16 janvier).

Un autre projet de l'ordre administratif portait qu'il serait fait mention dans l'acte de mariage, passé devant l'officier de l'état civil, du contrat contenant les conventions matrimoniales des époux; il s'agissait par là de mettre les tiers à même de savoir, par exemple, si le mari pourrait aliéner les biens de sa femme, si la femme pourrait disposer de sa dot en totalité ou en partie, et c'est ce qu'on proposait de faire en imposant à l'officier civil, l'obligation de faire connaitre la date du contrat, ainsi que le nom et la résidence du notaire qui l'aurait reçu.

Une seconde délibération fut décidée par la Chambre (16 janvier). Un projet de loi sur les chambres consultatives, présenté par

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