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supprimé toutes les juridictions de grenier à sel, et néanmoins, par l'article 6 de la même loi, elle a conservé aux huissiers établis près de ces tribunaux, le libre exercice de leurs fonctions.

On objecte encore « la nécessité de réunir le « ministère de l'avocat à celui du procureur ». Vain prétexte pour admettre entre eux une concurrence. Le procureur Dominus litis a essentiellement la plénitude des droits des parties qu'il représente. L'avocat, au contraire, n'a pas de ministère qui lui soit propre dans l'ordre judiciaire et il s'en glorifie. L'association proposée serait donc une société léonine dans laquelle les avocats prendraient tout sans y avoir rien apporté.

Il y a plus dans le projet du comité, l'homme de loi prendrait la place du procureur, et le défenseur officieux celle de l'avocat il n'y aurait que les noms de changés. Quant à la prétendue réunion, comme elle est peut-être impossible au fond, elle ne serait qu'idéale.

Mais, dit-on, « la finance des offices est le principe des droits attribués aux officiers ».

Si cette considération n'a pas empêché les comités de conclure à la conservation des charges des notaires, pourquoi deviendrait-elle un moyen de proscription contre celles des procureurs? Les droits sont, pour les uns comme pour les autres, le prix du travail, et les finances seulement un gage de responsabilité.

La sûreté que semble présenter la finance, nous réplique-t-on, est insuffisante. »

Mais les finances des procureurs, si l'on excepte Paris, sont à peu près égales à celles des notaires. Si donc les comités trouvent dans cellesci une caution rassurante, pourquoi ne se contenteraient-ils pas de celles-là? D'ailleurs c'est moins la finance que l'hérédité, qui, dans l'état actuel, sert de gage aux parties. L'officier, qui sait pouvoir transmettre son état, a soin de le conserver et de l'améliorer pour en tirer un parti plus avantageux. La finance de sa charge offre un privilège à ses clients, mais son état est le principal garant de sa gestion. Enfin quelque modique qu'on suppose un nantissement, ce n'est pas par sa suppression qu'on peut jamais donner au créancier plus de certitude de payement.

Et qu'on n'insiste pas sur ce que les procureurs des justices seigneuriales et les avocats n'avaient pas de finance! La discipline pour ceux-ci et la révocabilité pour ceux-là en tenaient lieu et répondaient de leur conduite.

On oppose encore « ia diminution des procès et la simplification prochaine de la procédure ». A la bonne heure! Mais, en attendant, les formes actuelles, la division des biens nationaux, la justice gratuite, ne laisseront pas tarir subitement la force des procès. Au fait, si ce qu'il doit y avoir encore de contestations et de formes à remplir pour leur instruction, peut alimenter les hommes de loi qu'on se propose de substituer aux procureurs, pourquoi ceux-ci ne profiteraient-ils pas plutôt que des intrus, de ces restes, de ces fragments de leur ancien état?

On objecte enfin que « plusieurs communautés de procureurs demandent leur suppression ». Mais on ne dit pas quelles sont ces communautés. Or, il est de notoriété que ce sont celles qui se trouvaient près des cours supprimées sans remplacement, ou que si quelques autres, en très petit nombre, ont présenté des adresses de ce genre, elles ont eu pour base une erreur de fait, la fausse interprétation des décrets sur l'ordre judiciaire du reste, la majorité des officiers ministériels, qui trouvent dans les tribunaux re

constitués les sièges auxquels ils étaient attachés, ont conjuré l'Assemblée nationale de leur conserver leur état, et peut-être a-t-on lieu d'être surpris qu'il n'ait été rendu aucun compte de leurs pétitions et des motifs sur lesquels elles sont fondées.

Maintenant, après avoir parcouru les divers prétextes dont est étayé le projet de suppression des officiers ministériels, sans y avoir trouvé cette utilité publique, seule cause pour laquelle un citoyen puisse être exproprié, cherchons du moins quel intérêt particulier a pu inspirer cette idée au comité de Constitution, ou plutôt, pour ne pas nous livrer, à cet égard, à des conjectures que l'on pourrait croire insdiscrètes, laissons parier les faits.

Le 22 décembre 1789, ont été arrêtés et classés les décrets sur la formation des assemblées primaires et des corps administratifs.

Le 7 janvier suivant, on rassure les procureurs sur leur état, on rejette comme anticonstitutionnelle l'idée aujourd'hui si constitutionnelle de leur destruction, et les journaux leur portent dans tout l'Empire des paroles trompeuses qui les

rassurent.

Alors, et dès le lendemain 8, on provoque la sanction des décrets du 22 décembre; elle est accordée, les assemblées se forment et les procureurs, qui se croient certains de leur sort, sont loin d'aspirer aux fonctions administratives.

Les corps administratifs étant organisés, on engage la discussion sur l'ordre judiciaire, et l'on garde sur les offices ministériels le silence le plus absolu.

Cependant la première condition qu'on exige pour l'éligibilité aux places de judicature est la qualité d'homme de loi.

Mais que sera-ce qu'un homme de loi? Les procureurs seront-ils compris dans cette classe? En vain demande-t-on à plusieurs reprises au rapporteur du comité de Constitution ce qu'il entend par cette nouvelle dénomination? Toujours il élude de répondre à cette question; et ce n'est qu'à la fin du travail sur cette partie de la Constitution qu'il fait décréter, on ne sait comment, que, pour cette fois, on entendra par hommes de loi, les avocats, les juges et les officiers des justices seigneuriales, gradués avant le 4 août 1789.

Ainsi les procureurs exclus de fait des places d'administration, le sont de droit des fonctions de judicature, non seulement en faveur des avocats, mais même au profit de simples praticiens étudiants en droit, et parvenus depuis un an aux équivoques honneurs du baccalauréat, dans l'Université de Reins. Voilà les hommes que l'on préfère aux officiers ministériels les plus expérimentés.

On les exclut ensuite des places de juges de paix, ou du moins, on les déclare incompatibles avec leur profession, et cela par de simples décisions du comité de Constitution.

Enfin, seuls dans l'Etat, ils ne pourront défendre les citoyens dans le tribunal de paix où il leur est interdit de s'asseoir.

Et c'est lorsqu'on les a réduits aussi strictement à leur état, lorsque, soit dans l'ordre administratif, soit dans l'ordre judiciaire, toutes les places sont remplies, lorsque plus de dix mille avocats sont employés dans les municipalités, dans les cantons, dans les directoires, dans les tribunaux de district, et dans les départements, et qu'il reste à tous ceux qui ne le sont pas, leur état primitif, celui de défenseurs officieux, c'est

alors, disons-nous, que le comité de Constitution, revenant sur l'assurance qu'il avait donnée solennellement à ces officiers pour la conservation de leurs charges, assurances fondées sur des décrets antérieurs de l'Assemblée nationale, et qu'elle a depuis ratifiée, nous propose de soumettre ces malheureux procureurs à une élection et de faire concourir cette fois avec eux ces avocats avec lesquels ils étaient indignes de rivaliser eux-mêmes un mois auparavant, pour toutes les places d'administration ou de judicature.

Mais les avocats, vraiment dignes de ce titre, ne rejetteraient-ils pas eux-mêmes avec horreur les avantages qu'on leur présente? Déjà, comme nous venons de le dire, les fonctions administratives et judiciaires out fourni des emplois honorables et lucratifs à ceux qui, soit par leurs lumières, soit par leur patriotisme, avaient acquis des droits à la reconnaissance publique; et parmi le petit nombre des jurisconsultes estimables sur lesquels les suffrages du peuple ne se sont pas réunis, les uns n'aspirent qu'au repos et les autres, éloignés par délicatesse d'une profession dont ils n'obtiendraint l'exercice qu'aux dépens de la propriété d'autrui, aimeront mieux, remplis du noble orgueil que leur inspirera l'ancienne gloire des fonctions brillantes dont ils étaient chargés, se consacrer à la défense officieuse.

Quels seraient donc les avocats qui aspireraient aux dépouilles qu'on veut leur attribuer? Des individus sans confiance, sans aveu, qui, s'honorant d'un titre qu'ils déshonorent, sont la charge inutile, quand ils ne sont pas les fléaux, de la société.

Cependant, au milieu de la sorte de concurrence qu'on daigne accorder cette fois aux procureurs avec ces espèces de proxénètes, qu'il me répugne d'appeler avocats, la chance est entièrement à l'avantage de ces derniers; c'est à cinq personnes seulement qu'on défère le choix des hommes de loi,et de ces suffragants deux seront membres du tribunal, et trois du directoire; or, présumer que, d'après les précautions prises pour ne mettre que des avocats dans les tribunaux et dans les corps administratifs, il y aura, sur ces cinq électeurs, au moins trois avocats, qui ne donneront leurs voix qu'à leurs confrères, ce n'est pas faire une supposition invraisemblable. Autant et mieux aurait-il donc valu dire franchement qu'on voulait sacrifier absolument les procureurs, pour enrichir de leurs dépouilles les avocats et les avocats les moins dignes de cette honorable qualité ? Et la tendresse du comité, pour cette espèce d'avocats, n'est pas encore rassurée par les précautions qu'il a prises pour leur sauver les risques de la concurrence; il veut encore; il veut que, pour cette fois, les hommes de loi n'aient pour électeurs que des juges, c'est-à-dire des avocats.

Mais que les procureurs se rassurent contre cette haine que semblent leur avoir vouée des hommes qui leur devaient peut-être d'autres sentiments. Plus l'Assemblée nationale compte de jurisconsultes au nombre de ses membres, et moins ils voudront eux-mêmes qu'on puisse attribuer à l'intérêt personnel ou à l'esprit de corps un décret qui, comme tout autre, ne doit avoir pour base que l'intérêt général. Le caractère des hommes de bien est de prendre les intérêts des absents. Celui des vrais avocats est de défendre avec toute l'énergie du courage et la force de l'éloquence ceux de la justice. En toute occasion leur cri de ralliement est équité.

Non, Messieurs; tandis que, délivrés des fléaux dont les accablait le despotisme, on va voir

l'agriculture, le commerce, les arts prendre un nouvel essor, quand les créanciers de l'Etat sont assurés de leur fortune, lorsque de nombreux ateliers s'ouvrent de toutes parts à l'indigence laborieuse, à l'époque enfin où tous les Français vont jouir des fruits de la nouvelle Constitution, elle ne sera pas pour les officiers ministériels une occasion légitime de plainte. Non, la misère de ceux que le peuple avait honorés de sa confiance, et qui lui avaient consacré leurs études et leurs veilles, ne viendra pas affliger ses regards. Non, seuls dans l'Empire, les officiers ministériels ne payeront pas de leur existence entière une Révolution à laquelle chacun ne doit et ne paye sans murmure que des sacrifices indispensables; et, dès qu'il est démontré que la suppression des offices ministériels grèverait le Trésor public de remboursements énormes, enlèverait aux plaideurs leurs sûretés, et à des milliers de citoyens des états qu'ils ont acquis par les plus grandes dépenses, le tout sans autre intérêt que celui d'une caste particulière déjà si prodigieusement favorisée, l'Assemblée nationale, fidèle à ses principes, maintiendra sans doute la propriété de ces offices, comme elle a consacré toutes les autres.

On ne peut néanmoins se dissimuler que la division actuelle du royaume, la circonscription nouvelle des ressorts, le morcellement des uns et l'accroissement des autres nécessiteront une différente répartition des officiers ministériels. Mais nous allons montrer qu'elle est facile à faire; et l'Assemblée pèsera, dans sa sagesse, un projet que ses comités ont vainement tenté de combattre.

Ce mode, que j'ai concerté avec les députés de la plupart des anciens bailliages du royaume, est, en effet, aussi frappant dans sa théorie, que facile dans son exécution.

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« Il consiste à déterminer, pour l'avenir, le « nombre des procureurs, et à conserver leurs " offices jusqu'à concurrence du nombre fixé; cependant, tous continueraient leurs fonctions dans leurs tribunaux de remplacement, à « moins qu'ils ne préférassent une indemnité et leur remboursement. Trois mois seraient fixés pour cette option; et l'on attendrait des décès « ou des démissions successives, la réduction dé«finitive des titulaires, dont, en ces cas, l'indem«nité serait réduite à moitié. »

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Ce projet simple, sert à la fois, la convenance des localités et la convenance des particuliers. Il fait sortir le bien public de l'application des principes, qui sont mauvais quand ils n'ont pas le bien public pour objet unique.

Il réduit naturellement le nombre des officiers ministériels à la mesure de l'utilité publique; et cette réduction s'opère sans convulsion par la volonté même de ceux qui en sont l'objet.

Dans cette hypothèse, en effet, les officiers que l'âge détermine à la retraite, donneront dès à présent leur démission pour obtenir l'entière indemnité; le même motif décidera également la démission de ceux que leur fortune affranchit du besoin de leur état, et de ceux qui craindront de ne pas trouver, en le continuant, un produit qui puisse les dédoa mager de la moitié d'indemnité qu'ils risqueraient en le conservant. Le nombre de ces démissions sera d'ailleurs proportionné dans chaque tribunal à l'étendue du nouveau ressort agrandi ou diminué, aussi bien qu'à la réduction des affaires, parce que l'intérêt personnel ordonnera des démissions partout où elles seront nécessaires; elles se feront,

M. Vieillard fait lecture de cette adresse dont voici l'extrait :

De Cahors, 7 décembre 1790.

En acceptant les places auxquelles la confiance publique nous a élevés, nous ne nous sommes pas dissimulé les peines et les dangers de nos fonctions; et ni peines, ni dangers ne nous ont retenus quand il a fallu remplir nos devoirs; mais aujourd'hui nous serions découragés si nous n'étions sûrs de ne pas recourir vainement au pouvoir qui repose entre vos maius. Dès le mois de septembre nous vous avions instruits de nos efforts pour assurer le payement des rentes dues aux ci-devant seigneurs, de la résistance des censitaires, des signes d'insurrection, des potences, des mais élevés pour effrayer ceux qui voudraient payer... Sur la demande du district de Gourdon et de quelques municipalités, le conseil général du département requit cent hommes d'infanterie et deux brigades de maréchaussée de se rendre à Gourdoň. Le directoire du district se servit de ces troupes pour rétablir l'ordre; il fit abattre les potences, les mais; il fit informer contre les principaux auteurs de l'insurrection.

"Le calme se rétablissait; mais aux approches du village de Saint-Germain on sonne le tocsin. Les paysans se rassemblent en armes; les communautés voisines se joignent à eux, attaquent les troupes qui se replient sur Gourdon, et les poursuivent jusqu'aux portes de cette ville. Un chef, M. Joseph Linard, se met à la tête des séditieux, au nombre de quatre mille cinq cents. Il se conduit en général d'armée; il fait des propositions de paix à la municipalité; il obtient l'entrée de la ville et agit en conquérant. Il va à la maison commune; il demande les ordres qui avaient été donnés par le directoire de district; il se fait remettre toutes les pièces; il rédige luimême le procès-verbal; il ouvre les prisons; il promet que toutes les troupes seront congédiées, la maréchaussée anéantie, et il annonce qu'il va se retirer, lui et ses gens, en bon ordre.

a

« Il se retire en effet, mais c'est le moment du pillage. La tête des administrateurs est mise à prix; leurs maisons sont les premières dévastées, toutes les maisons des citoyens riches sont mises au pillage; il en est de même des châteaux et des maisons de campagne qui annoucent quelque aisance. M. Linard écrit au département pour annoncer ses exploits; il exalte son patriotisme; il se déclare protecteur du peuple du district de Gourdon contre le directoire de ce district. Suivant le procès-verbal, en date du 3 décembre, dressé par M. Linard, et la lettre adressée par lui au département, les causes ou les prétextes de l'insurrection sont les doutes répandus sur les décrets. On a cherché à persuader au peuple qu'ils étaient l'ouvrage des ci-devant seigneurs et qu'ils n'avaient point été rendus par l'Assemblée nationale. Les gardes nationales composées de censitaires, bien loin d'agir pour l'exécution des décrets, favorisent le refus du payement des rentes. Depuis l'événement de Gourdon les marques d'insurrection ont été rétablies. Nous avons pris, pour essayer de faire cesser les désordres, les mesures dont nous allons vous rendre compte. Notre garnison, autrefois de trois cents hommes, est affaiblie par des détachements. Nous avons requis cent cinquante hommes du régiment de Poitou cavalerie, et une partie du premier bataillon du régiment de Languedoc, et nous avons appelé près de nous MM. Esparbès et Puy-Montbrun pour

qu'ils agissent sur nos réquisitions. Voici maintenant les ressources que nous sollicitons de la surveillance du roi. Nous demandons l'envoi d'un régiment complet, et que, dans tous les temps il y ait dans le chef-lieu du département une garaison d'un bataillon d'infanterie et de cent hommes de cavalerie. Nous pensons aussi qu'il est indispensable de nous laisser jusqu'au parfait rétablissement de l'ordre le régiment complet qu'on nous enverra, en le divisant entre les différents chefs-lieux de district. Nous désirons également que l'officier général qui commande dans le département soit toujours à portée de recevoir nos réquisitions.

« Nous espérons que l'Assemblée nationale voudra bien prier le roi d'accélérer les ordres nécessaires pour mettre en œuvre ces différentes mesures. Nous lui demandons aussi de nous aider de sa sagesse pour l'organisation prompte des gardes nationales et la réduction des municipalités. "

Telle est l'adresse des administrateurs du département du Lot. Le comité s'est uniquement occupé des moyens provisoires: il a pensé que l'Assemblée nationale devait prier le roi d'accorder le secours de troupes demandé, et d'ordonner l'information contre les coupables, sans indiquer le nom de personne, parce que la connaissance des coupables ne peut être que le résultat de l'information. Voici le projet de décret que je suis chargé de vous présenter:

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports sur les pétitions des administrateurs du directoire du département du Lot, décrète que son président se retirera à l'instant par-devers le roi pour le prier:

1° De donner des ordres pour que, devant les juges du tribunal de district de Gourdon, il soit incessamment informé, à la réquisition de celui chargé de l'accusation publique près dudit tribunal, contre ceux qui, par des insinuations perfides, auraient cherché à égarer le peuple et à lui persuader que les décrets de l'Assemblée nationale des 18 juin, 13 juillet et 3 août derniers n'existaient pas ou ne devaient pas être exécutés, ainsi que contre les auteurs, fauteurs et complices des désordres qui ont eu lieu à Gourdon et lieux circonvoisins pour, après l'information faite, être de suite le procès fait aux accusés;

2o De donner également les ordres les plus prompts pour qu'il soit envoyé à Cahors une quantité de troupes suffisante pour, sur la réquisition desdits commissaires civils et des corps administratifs, concourir, avec les gardes nationales et la maréchaussée, au rétablissement de l'ordre et de la tranquillité publique. »

M. Legrand. Les juges de Gourdon seraient juges et parties, puisque ce sont leurs biens qu'on a pillés.

M. de Murinais. Il faut prévoir les erreurs que vous pourriez commettre; il faut vous empêcher vous-mêmes de tomber dans la faute que vous avez déjà commise à l'égard de Nancy; il faut déclarer que l'information, une fois commencée, ne pourra jamais être annulée et sera continuée jusqu'à parfait jugement. C'est ainsi que le peuple français prendra confiance en vous en voyant que vous marchez d'un pas ferme à la punition des coupables.

M. Dupré. Je suis passé le 3 de ce mois à une lieue de Gourdon; j'ai été rencontré par vingt

de délits que les lois ne pourront jamais atteindre.

Mais à quoi bon s'arrêter à de telles difficultés? Ce que n'aura pas produit l'intérêt personnel des officiers, dans le délai fixé par le décret, leurs décès et leurs démissions ultérieures le feront; et tous ces moyens concourant ensemble, on ne tardera pas à voir le nombre des officiers au niveau des besoins des tribunaux et du public.

D'un autre côté, si l'on considère notre projet dans ses rapports avec les finances de l'Etat, quels avantages n'offre-t-il pas ? En conservant dans les tribunaux de leurs domiciles, tous les officiers nécessaires, sans aucun remboursement, ni indemnité, en transférant une partie des autres dans les tribunaux incomplets sans remboursement, et avec moitié seulement de l'indemnité, en n'accordant non plus que moitié de l'indemnité à ceux dont les démissions seront postérieures au délai fixé, la nation ne se trouvera chargée que d'un dixième au plus, des compensations qu'elle aurait à payer dans le système contraire.

Alors elle pourra se montrer plus généreuse dans la fixation des indemnités, dont la quotité même peut contribuer encore à hâter la réduction des offices.

Elle pourra surtout dédommager honorablement les officiers des cours et des tribunaux d'exception, qui, n'ayant pas, comme les autres, une clientèle directe et réunie dans un même lieu, et n'ayant jamais exercé leurs fonctions que sur des appels ou des matières qui feront la moindre partie de l'occupation des nouveaux tribunaux, n'ont de droit et de ressource que dans les indemnités pécuniaires qui leur seront accordées.

Ce moyen avantageux et facile de répartir les officiers ministériels dans les nouveaux tribunaux, doit donc écarter tout prétexte de les dépouiller de leurs propriétés et de leur état, et les considérations puissantes, les moyens victorieux que nous avons fait valoir contre ce projet d'expropriation, aussi contraire à l'intérêt des finances qu'à celui d'une bonne administration de la justice, reçoivent une nouvelle force de ce principe, que la violation des propriétés est surtout odieuse quand on peut pourvoir à l'utilité publique, sans porter atteinte à ce droit sacré.

Voici, d'après cela, Messieurs, le projet de décret que j'ai l'honneur de vous proposer:

«Art. 1er Les officiers ministériels, établis près des cours supérieures, tribunaux d'exception et autres sièges supprimés sans remplacement, seront remboursés et indemnisés de la manière qui sera déterminée par l'article 4 ci-après.

Art. 2. A l'égard des officiers ministériels créés auprès des tribunaux supprimés, mais rétablis sous d'autres formes et dénominations, ils continuerout leurs fonctions auprès des tribunaux de remplacement, ainsi qu'ii suit:

« Art. 3. L'Assemblée nationale réduira pour l'avenir, d'après l'avis des tribunaux, le nombre des officiers ministériels nécessaires dans chacun d'eux, à raison de leurs populations respectives, et ces officiers demeureront en titre d'office jusqu'à concurrence du nombre qui sera déterminé.

« Art. 4. L'Assemblée nationale laisse néanmoins, quant à présent, à tous les officiers ministériels des juridictions territoriales, actuellement pourvus en titre d'office, la faculté de continuer leurs fonctions dans le ressort des tribunaux, qui, dans les villes de leurs domiciles, auront remplacé les juridictions dans lesquelles

ils postulaient ci-devant, si mieux ils n'aiment recevoir dès à présent le remboursement de leurs offices avec la totalité des indemnités qui seront fixées par le Corps législatif, d'après les avis des directoires de département, lesquels prendront ceux des directoires de districts sur la valeur commerciale qu'avaient leurs offices et leurs pratiques au premier janvier 1789. Les officiers ministériels seront tenus de faire cette option dans trois mois du jour de la publication du présent décret, sinon ils seront réputés avoir préféré la conservation de leur état.

« Art. 5. Dans le cas où le nombre des démissions réduirait celui des officiers restants à un nombre inférieur à celui fixé, les titulaires se démettant, ne seront remboursés et indeninisés, conformément à l'article précédent, que jusqu'à concurrence du nombre excédant celui fixé ; et seront en ce cas préférés d'abord ceux qui auront les premiers donné leur démission; ensuite les plus anciens en exercice, et les plus anciens d'âge en cas d'égalité.

Art. 6. Dans les villes où le nombre actuel des officiers ministériels n'égalerait pas le nombre nouvellement fixé, ou s'il n'y en avait aucun, ceux qui auront donné leur démission dans d'autres villes, pourront s'établir dans celles-ci jusqu'à concurrence du nombre fixé; auquel cas le remboursement de leur office ne sera pas effectué, ou sera restitué par eux s'il y a lieu, et leurs indemnités seront restreintes à moitié. S'il se présentait un nombre d'officiers excédant celui des places à remplir, on préférera d'abord ceux dont l'ancien ressort comprendrait tout ou partie de celui du nouveau tribunal dans lequel ils voudraient s'établir, ensuite ceux du département où ce tribunal se trouvera placé; et si les concurrents se trouvent dans une position égale, les plus anciens en exercice auront la préférence qui sera accordée aux plus âgés, quand l'ancienneté sera la même.

"Art. 7. Si les translations et les démissions, qui auront eu lieu dans le délai de trois mois, ne réduisent pas le nombre des officiers ministé riels à celui qui aura été fixé pour les tribunaux de chaque ville, les réductions qui resteront à faire s'opéreront progressivement au fur et à mesure des démissions et des décès ultérieurs des titulaires; et les titulaires ou leurs héritiers ne recevront alors, avec le remboursement de leurs offices, que la moitié de l'indemnité qu'ils auraient eue, s'ils s'en fussent démis dans le délai fixé pour les démissions actuelles. »

Divers membres demandent l'impression du rapport de M. Dinocheau.

D'autres membres demandent que le plan de M. Guillaume soit également imprimé. (Ces deux propositions sont adoptées.)

M. Vieillard (de Coutances). Le comité des rapports vous prie d'interrompre la discussion sur les offices, afin qu'il puisse vous rendre compte immédiatement de troubles survenus dans le département du Lot.

(L'Assemblée décide que M. Vieillard sera entendu.)

M. Vieillard. Je suis chargé de vous rendre compte d'une affaire apportée ce matin à votre comité des rapports par un courrier extraordinaire des administrateurs du département du Lot. Votre comité a pensé qu'il suffirait de vous lire l'adresse de ces administrateurs.

M. Vieillard fait lecture de cette adresse dont voici l'extrait :

• De Cahors, 7 décembre 1790.

En acceptant les places auxquelles la confiance publique nous a élevés, nous ne nous sommes pas dissimulé les peines et les dangers de nos fonctions; et ni peines, ni dangers ne nous ont retenus quand il a fallu remplir nos devoirs; mais aujourd'hui nous serions découragés si nous n'étions sùrs de ne pas recourir vainement au pouvoir qui repose entre vos maius. Dès le mois de septembre nous vous avions instruits de nos efforts pour assurer le payement des rentes dues aux ci-devant seigneurs, de la résistance des censitaires, des signes d'insurrection, des potences, des mais élevés pour effrayer ceux qui voudraient payer... Sur la demande du district de Gourdon et de quelques municipalités, le conseil général du département requit cent hommes d'infanterie et deux brigades de maréchaussée de se rendre à Gourdon. Le directoire du district se servit de ces troupes pour rétablir l'ordre; il fit abattre les potences, les mais; il fit informer contre les principaux auteurs de l'insurrection.

"Le calme se rétablissait; mais aux approches du village de Saint-Germain on sonne le tocsin. Les paysans se rassemblent en armes; les communautés voisines se joignent à eux, attaquent les troupes qui se replient sur Gourdon, et les poursuivent jusqu'aux portes de cette ville. Un chef, M. Joseph Linard, se met à la tête des séditieux, au nombre de quatre mille cinq cents. Il se conduit en général d'armée; il fait des propositions de paix à la municipalité; il obtient l'entrée de la ville et agit en conquérant. Il va à la maison commune; il demande les ordres qui avaient été donnés par le directoire de district; il se fait remettre toutes les pièces; il rédige luimême le procès-verbal; il ouvre les prisons; il promet que toutes les troupes seront congédiées, la maréchaussée anéantie, et il annonce qu'il va se retirer, lui et ses gens, en bon ordre.

Il se retire en effet, mais c'est le moment du pillage. La tête des administrateurs est mise à prix; leurs maisons sont les premières dévastées, toutes les maisons des citoyens riches sont mises au pillage; il en est de même des châteaux et des maisons de campagne qui annoucent quelque aisance. M. Linard écrit au département pour annoncer ses exploits; il exalte son patriotisme; il se déclare protecteur du peuple du district de Gourdon contre le directoire de ce district. Suivant le procès-verbal, en date du 3 décembre, dressé par M. Linard, et la lettre adressée par lui au département, les causes ou les prétextes de l'insurrection sont les doutes répandus sur les décrets. On a cherché à persuader au peuple qu'ils étaient l'ouvrage des ci-devant seigneurs et qu'ils n'avaient point été rendus par l'Assemblée nationale. Les gardes nationales composées de censitaires, bien loin d'agir pour l'exécution des décrets, favorisent le refus du payement des rentes. Depuis l'événement de Gourdon les marques d'insurrection ont été rétablies. Nous avons pris, pour essayer de faire cesser les désordres, les mesures dont nous allons vous rendre compte. Notre garnison, autrefois de trois cents hommes, est affaiblie par des détachements. Nous avons requis cent cinquante hommes du régiment de Poitou cavalerie, et une partie du premier bataillon du régiment de Languedoc, et nous avons appelé près de nous MM. Esparbès et Puy-Montbrun pour

qu'ils agissent sur nos réquisitions. Voici maintenant les ressources que nous sollicitons de la surveillance du roi. Nous demandons l'envoi d'un régiment complet, et que, dans tous les temps il y ait dans le chef-lieu du département une garnison d'un bataillon d'infanterie et de cent hommes de cavalerie. Nous pensons aussi qu'il est indispensable de nous laisser jusqu'au parfait rétablissement de l'ordre le régiment complet qu'on nous enverra, en le divisant entre les différents chefs-lieux de district. Nous désirons également que l'officier général qui commande dans le département soit toujours à portée de recevoir nos réquisitions.

« Nous espérons que l'Assemblée nationale voudra bien prier le roi d'accélérer les ordres nécessaires pour mettre en œuvre ces différentes mesures. Nous lui demandons aussi de nous aider de sa sagesse pour l'organisation prompte des gardes nationales et la réduction des municipalités.

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Telle est l'adresse des administrateurs du département du Lot. Le comité s'est uniquement occupé des moyens provisoires il a pensé que l'Assemblée nationale devait prier le roi d'accorder le secours de troupes demandé, et d'ordonner l'information contre les coupables, sans indiquer le nom de personne, parce que la connaissance des coupables ne peut être que le résultat de l'information. Voici le projet de décret que je suis chargé de vous présenter:

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports sur les pétitions des administrateurs du directoire du département du Lot, décrète que son président se retirera à l'instant par-devers le roi pour le prier :

1° De donner des ordres pour que, devant les juges du tribunal de district de Gourdon, il soit incessamment informé, à la réquisition de celui chargé de l'accusation publique près dudit tribunal, contre ceux qui, par des insinuations perfides, auraient cherché à égarer le peuple et à lui persuader que les décrets de l'Assemblée nationale des 18 juin, 13 juillet et 3 août derniers n'existaient pas ou ne devaient pas être exécutés, ainsi que contre les auteurs, fauteurs et complices des désordres qui ont eu lieu à Gourdon et lieux circonvoisins pour, après l'information faite, être de suite le procès fait aux accusés;

• 2o De donner également les ordres les plus prompts pour qu'il soit envoyé à Cahors une quantité de troupes suffisante pour, sur la réqui sition desdits commissaires civils et des corps administratifs, concourir, avec les gardes nationales et la maréchaussée, au rétablissement de l'ordre et de la tranquillité publique. »

M. Legrand. Les juges de Gourdon seraient juges et parties, puisque ce sont leurs biens qu'on a pillés.

M. de Murinais. Il faut prévoir les erreurs que vous pourriez commettre; il faut vous empêcher vous-mêmes de tomber dans la faute que Vous avez déjà commise à l'égard de Nancy; il faut déclarer que l'information, une fois commencée, ne pourra jamais être annulée et sera continuée jusqu'à parfait jugement. C'est ainsi que le peuple français prendra confiance en vous en voyant que vous marchez d'un pas ferme à la punition des coupables.

M. Dupré. Je suis passé le 3 de ce mois à une lieue de Gourdon; j'ai été rencontré par vingt

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