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possédant pas de médecin, ou des Préfets se sont adressés à moi pour me prier de conseiller à quelque jeune médecin d'aller s'établir dans leur commune ou leur arrondissement.

Il faut avouer qu'il m'était difficile de dire à un jeune homme : « Installez-vous dans telle ville où il n'y a pas de médecin »>, alors que j'étais persuadé que le manque de ressources du pays était la seule cause de l'abstention du corps médical; aussi je demandai tout d'abord aux maires des communes et aux Préfets, si, pour avoir un médecin, ils consentiraient à établir un traitement fixe. Certains ne m'ont pas donné réponse; d'autres ont accepté ma proposition et ont donné comme redevance, soit la maison d'habitation, soit une allocation plus ou moins élevée. Dans toutes les communes où l'administration municipale a consenti quelque sacrifice, un médecin est aussitôt venu s'installer, assuré qu'il était de pouvoir vivre, en attendant de s'être fait connaître.

Ce que recherche aujourd'hui le jeune médecin, c'est d'avoir une place avec un traitement fixe, et ce n'est pas sans une certaine tristesse

que nous envisageons cette situation nouvelle. Depuis 1840, époque à laquelle se tint le Congrès général des médecins de France, ceux-ci ont toujours protesté contre le fonctionnarisme, et maintenant, à cause de la dureté du temps, chacun s'efforce de devenir titulaire d'une place, même si les émoluments sont extrêmement minimes.

Il me souvient qu'il y a quelques années, un jeune médecin du Bureau central me pria de lui prêter mon appui, pour obtenir une place de médecin attaché à la Préfecture de police. J'allai trouver le Préfet de police, lui exposai ma requête. Je vis le dossier. Pour une place, il y avait déjà 60 docteurs inscrits, parmi lesquels trois médecins du Bureau central. Or, il s'agissait de la place de médecin des balayeurs et le traitement était de 600 francs par an!

Il est à craindre que nous ne soyons pas éloignés d'un temps où il existera, non pas dans toutes les communes, du moins dans les cantons dépourvus de secours médicaux, des médecins fonctionnaires, nommés par l'Etat, les départements ou les communes, qui ne voudront pas

laisser des populations privées de soins. Nous aurons alors quelque chose d'analogue à ce qui existe en Allemagne.

Robert Koch était autrefois médecin de 3o classe dans une petite commune. A la suite d'une communication réfutant, à tort, il est vrai, les théories pastoriennes concernant le vaccin charbonneux, il fut nommé à l'Office impérial de santé.

Les considérations que je viens d'exposer montrent que la vie est cruelle pour ceux de nos confrères qui ne possèdent pas quelque avance, leur permettant d'attendre que leur clientèle se forme et cet impérieux primum vivere suffit à expliquer bien des défaillances et à les atténuer dans une certaine mesure.

Il est certainement arrivé que les principes de la déontologie médicale ont subi quelque atteinte, au moins dans les devoirs des médecins vis-à-vis les uns des autres; les jeunes ont montré quelque indifférence envers les anciens; les anciens n'ont pas vu sans déplaisir les jeunes, imbus des idées nouvelles, venir s'installer à leur porte; de là une situation tendue,

des dissentiments, des querelles ouvertes ou cachées, dans lesquelles les deux médecins ont tout à perdre et rien à gagner, et où tous deux ont trop souvent oublié le vieux précepte : « Ne faites pas à votre confrère ce que vous ne voudriez qu'il vous fit. »>

pas

C'est pour lutter contre le développement de ces mauvaises mœurs médicales que des hommes éminents ont créé un enseignement de la déontologie.

MM. Legendre et Lepage l'ont professé dans un des cours libres de la Faculté de Paris; ils ont fait paraître leurs conférences dans un volume dont je ne saurais trop recommander la lecture (1).

M. Lacassagne, à Lyon (2), a établi un parallèle entre la médecine d'autrefois et la médecine au xxe siècle.

Jusqu'à nos jours, les questions de déontologie médicale sont restées en discussion entre

(1) Legendre et Lepage, Le Médecin dans la société contemporaine.

(2) Lacassagne, La Médecine d'autrefois et la médecine au XXe siècle.

médecins ; mais, grâce à cette diffusion des problèmes médicaux, dont je parlais au début et sur laquelle j'aurai à revenir, le public se croit suffisamment autorisé et documenté pour mêler sa voix à la discussion; je citerai en exemple le discours de rentrée de la Cour d'appel de Bordeaux, par M. Maxwell, substitut du Procureur général; ce magistrat distingué a émis, sur certains points de l'exercice de la profession médicale, des théories que nous ne saurions admettre sans sérieuses réserves (1).

(1) Maxwell, De quelques cas de responsabilité médicale. (Annales d'hygiène publique et de médecine légale, 3o série, 1902, t. XLVII, p. 56). Voyez aussi Pinard, Du fæticide (Annales d'Hyg., 1902, tome XLVII, p. 234).

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