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doit être précédé et accompagné de ces formalités, pour que le navire soit aliéné par cet emprunt; donc, sans ces formalités, il n'y a point d'aliénation de la chose, le contrat n'est pas valide; donc il n'y a pas lieu à privilége. D'un autre côté, dans le lieu de la demeure des propriétaires, le capitaine ne peut emprunter à la grosse, ni fréter le navire sans une autorisation spéciale, etc. (art. 232); autrement, l'emprunt et l'affrétement seraient nuls à l'égard des propriétaires, et le capitaine serait seul responsable des dommages et intérêts. Pendant le cours du voyage, son pouvoir spécial consiste dans les formalités qui lui sont prescrites par l'article 234. « Pourra, dit la loi, en se faisant autoriser sur le vu du procès-verbal qui constate les » nécessités du navire. » Sans cette autorisation légale, il n'y a point d'emprunt possible.

D'un autre côté, l'art. 236 ne peut et ne doit s'entendre que du cas où le capitaine ayant, par collusion, rapporté un procès-verbal simulé et faux, et s'étant, en conséquence, fait autoriser à emprunter à la grosse, aurait ainsi compromis ses armateurs envers le prêteur, et aurait fait payer par ces derniers des sommes qui n'étaient point nécessaires pour les besoins du navire. Les formalités de la loi ayant été remplies, le contrat à la grosse était valide contre les propriétaires; mais le dol et la fraude étant découverts, alors le capitaine est responsable personnellement, envers ses armateurs, du remboursement de l'argent qu'il leur a criminellement fait payer.

Enfin, il faut que le prêt soit causé pour les nécessités du navire. Mais qu'est-ce qui constate ces nécessités? Est-ce l'assertion périlleuse du capitaine? Non, sans doute. Ce sont les formalités prescrites par l'art. 234; c'est le procès-verbal signé des principaux de l'équipage, et l'autorisation du magistrat du lieu. Il faut que le prêteur soit de bonne foi. Mais ces formalités ne servent-elles pas également à prouver la bonne foi du prêteur? Que penser, en effet, d'un prêteur qui, sans précaution, sans s'assurer de l'autorisation du capitaine, consentirait néanmoins un contrat de grosse à celui-ci ? Dès ici, les préventions les plus fortes ne s'élèveraient-elles pas contre lui? Le prêteur et le capitaine ne seraient-ils pas suspects de s'être entendus pour créer à leur profit des créances imaginaires? S'il suffisait de se dire de bonne foi et de porter dans l'acte de grosse que l'emprunt est fait pour les nécessités du navire, sans préalablement les avoir fait constater par les formalités prescrites par l'art. 234, quelle jurisprudence commode pour la mauvaise foi, et désastreuse pour la navigation! Mais la loi, qui veille pour les armateurs absens, a établi des préalables, des règles nécessaires, indispensables, pour qu'ils ne soient pas exposés à devenir les victimes de la fraude, de la collusion et des malversations des capitaines.

Il est bien vrai que, d'après l'art. 216, les propriétaires du navire sont responsables civilement des faits du capitaine; mais cela s'entend des faits du capitaine, conformément au pouvoir qui lui a été donné, soit par la loi, soit par les propriétaires. Ceux-ci ne sont pas tenus de ce qu'il a pu faire au-delà. ( Art. 1989 et 1998 du Code civil). Si le capitaine vendait son navire sans en avoir fait légalement constater l'innavigabilité, ou sans un pouvoir spécial, les propriétaires ne pourraient être forcés de tenir à cette vente, quoiqu'ils soient responsables des faits du capitaine. Il en doit être ici la même chose. Tout acte qui est fait contrairement aux règles établies par la loi pour lui donner la vie, la validité vis-à-vis des tiers, ne saurait lier ces derniers.

Si, sous l'ancienne jurisprudence, on admettait quelquefois l'action du prêteur en faveur de

sa bonne foi, c'est que l'Ordonnance était plus consultative qu'impérative; c'est qu'alors on avait besoin de favoriser les contrats à la grosse. Mais aujourd'hui, que le systême des assurances a répandu de plus grands bienfaits sur la navigation, la jurisprudence doit être plus sévère sur les contrats à la grosse. C'est pourquoi la loi nouvelle exige formellement que ces sortes d'actes soient le résultat des formalités qu'elle prescrit, et sans lesquelles les prêteurs ne peuvent avoir de droits ni contre les armateurs, ni sur le navire ou son fret. Ces principes du nouveau Code sont d'ailleurs basés sur l'esprit de la loi Lucius Titius 7, ff de exercit. act., qui veut que du moins celui qui prête son argent au capitaine apporte en la chose quelque diligence, la prudence commune; et ce n'est pas apporter quelque diligence que de prêter sans précaution. Le défaut de précaution est une preuve, ou du moins une présomption légale qui s'élève contre sa bonne foi. Si le prêteur a usé de négligence, c'est sa faute; il doit en supporter les résul tats; il n'est pas excusable de ne s'être pas assuré de l'étendue et de la réalité des pouvoirs de l'emprunteur. -(Argument de l'art. 1997 du Code civil; Pothier, des obligations, tom. 1, n°. 76).

En dernière analyse, celui qui, pendant le cours du voyage, prêterait de l'argent à un capitaine qui n'aurait point fait constater les besoins du navire, d'après les dispositions de l'art. 234, et qui ne se serait point fait autoriser à emprunter; celui qui ne constaterait pas avoir prêté d'après les formalités de la loi remplies, n'aurait d'action que vers le capitaine dont il aurait seulement suivi la foi. Il ne pourrait pas dire, avec la loi 5, § 15, ff de tribut. act., qu'il a suivi la foi de la chose plutôt que celle de la personne. Malgré toute allégation possible de bonne foi, il ne serait réputé par la loi n'avoir prêté qu'au capitaine, et non pas au navire. Le capitaine est alors le débiteur direct et unique du prêteur, sauf à celui-ci à exercer les actions du capitaine contre ses armateurs, s'il en a à exercer.

Du reste, celui qui, dans le cours de la navigation, a prêté de l'argent au capitaine pour les nécessités du navire, dûment autorisé par les magistrats des lieux, n'est pas obligé de suivre ses deniers, ni d'en prouver l'utile emploi. Il ne peut être garant de la fidélité du capitaine, ou plutôt l'infidélité de celui-ci ne peut nuire au prêteur, qui a contracté de bonne foi sur les pièces légales prouvant la nécessité de l'emprunt. Cependant, la stricte observation de toutes les formalités exigées par l'art. 234, n'excuserait pas le prêteur de mauvaise foi, qui, par exemple, connaissant l'abus que le capitaine devait faire de la somme prêtée, y aurait participé. Mais dans ce cas, c'est aux propriétaires du navire à prouver la collusion et la mauvaise foi du prêteur.

Il n'y a plus de doute aujourd'hui que le capitaine ne puisse emprunter par lettre de change. Mais soit que le prêt ait été fait par lettre de change, soit qu'il ait été fait par contrat à la grosse, les armateurs ne peuvent refuser d'acquitter les engagemens pris pour les nécessités du navire, et avec les précautions exigées par l'art. 234, sous prétexte qu'ils entendent contester ce qu'a fait le capitaine; à moins qu'ils ne prouvent à la fois et sa fraude, et la complicité du prêteur.(Voyez au surplus notre Cours de droit commercial maritime, tom. 2, til. 4, sect. 14, et tom. 3, tit. 9, sect. 1, voyez aussi la conférence ci-après, sur la sect. 8 de ce chapitre).

JURISPRUDENCE.

Est nul, à l'égard du propriétaire du navire, le contrat à la grosse passé avec le capitaine,

s'il y a simulation. Cependant, le capitaine reste obligé envers le prêteur. ( Arrêt de cassation, du 17 février 1824; Dalloz, 1824, 1". part., pag. 512). 111**

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Diverses questions au sujet des points qui ont été traités dans les trois sections précédentes.

SUIVANT les Jugemens d'Oléron, art. 22, et l'Ordonnance de Wisbuy, art. 35, le capitaine ne pouvait, en cours de voyage, emprunter des deniers à la grosse, que dans le cas où il ne lui était pas possible de bientôt envoyer en son pays prendre de l'argent.

Suivant la nouvelle Ordonnance de la Hanse teutonique, tit. 6, art. 2, il fallait que le capitaine, se trouvant en pays étranger, ne fût pas à portée de recevoir, de la part de ses armateurs, les secours nécessaires: In cæteris locis, ubi suorum exercitorum compos non est.

Notre Ordonnance s'est bornée à proscrire les emprunts faits par le capitaine dans le lieu de la demeure des propriétaires, sans leur consentement, et par là elle autorise, vis-à-vis du tiers qui est de bonne foi, les emprunts faits par le capitaine hors du lieu de la demeure des propriétaires, malgré le défaut de consentement de ceux-ci.

Je crois que ce mot demeure doit être entendu suivant le droit commun. Une tartane était à Antibes. Les quirataires, domiciliés à Biot et à Valauris, villages voisins, avaient fourni leur contingent. Le patron, avant de mettre à la voile, prit diverses sommes à la grosse. La tartane arriva à Marseille, où elle fut saisie à la requête des donneurs. Consulté de la part de ceux-ci, je répondis qu'on est censé présent, lorsqu'on est domicilié dans le même bailliage c'est la doctrine de Brodeau, de Duplessis et de Ferrière, sur la Coutume de Paris, art. 116), et que, par conséquent, la totalité du navire n'était pas affectée à l'emprunt dont il s'agissait.

Autre chose est, si l'emprunt a été fait dans un autre district, quoique peu éloigné. Un vaisseau, parti de Toulon, était venu prendre son chargement à Marseille. Il appartenait à trois quirataires, dont deux étaient marseillais, et l'autre était domicilié à Toulon. Le capitaine prit de François Boule une somme à la grosse sur le corps; les deux quirataires marseillais y consentirent. Le vaisseau, dans sa route, fut déclaré innavigable. Le net produit des agrès, con59

T. II.

$1.

Que doit-on en

tendre par demeure des propriétaires?

Demeure dans le même bailliage.

Demeure hors du bailliage.

$2.

Dans le lieu même

capitaine peut - il

sistant à 360 piastres, fut déposé en la chancellerie de France, à Tripoli de Syrie. Le sieur Boule réclama cette somme, en paiement de son billet de grosse. Le quirataire domicilié à Toulon s'y opposa pour la portion le concernant, attendu que, dans le principe, il avait fourni sa part de toutes les dépenses. Sentence du 9 août 1748, rendue par notre amirauté, qui donna gain de cause à Boule, en conformité de l'art. 8, titre des contrats à la grosse. Je rapporterai infrà, ch. 6, sect. 2, § 2, un arrêt qui décida la question de la même manière.

Suivant les anciens réglemens, le capitaine ne peut prendre des deniers à de l'armement, le la grosse, à la charge des armateurs, que lorsqu'il est en voyage (Ordonnance faire des emprunts de Wisbuy, art. 25), lorsqu'il a fait voile (Guidon de la mer, ch. 18, art. 4), priétaires domicilies lorsqu'il est en pays étranger (première Ordonnance de la Hanse teutonique, art. 60, etc.).

ailleurs ?

:

Notre Ordonnance a laissé sur ce point un nuage qu'il est bon d'éclaircir. En l'art. 17, titre du capitaine, elle décide que le capitaine ne pourra, dans le lieu de la demeure des propriétaires, prendre argent sur le corps, sans leur consentement. La même disposition est répétée en l'art. 8, titre des contrats à la grosse, où il est dit que ceux qui donneront deniers à la grosse au maître, dans le lieu de la demeure des propriétaires, sans leur consentement, n'auront hypothèque et privilége que sur la portion du maître d'où il suit, par la raison des contraires, que le capitaine a la faculté indéfinie de prendre deniers sur le corps dans tous les lieux où les propriétaires ne résident point, quand même le voyage n'aurait pas encore commencé. Mais l'art. 19, titre du capitaine, en déférant au maître le pouvoir de prendre des deniers à la grosse, sans le consentement des propriétaires, semble exiger que ce soit pendant le cours du voyage.

Pour que la totalité du navire soit affectée au paiement des deniers pris par le capitaine, faut-il cumulativement que le prêt ait été fait pendant le cours du voyage, et hors du lieu de la demeure des propriétaires? Ou bien suffit-il que ce soit hors du lieu de la demeure des propriétaires, quoique dans l'endroit même de l'armement?

Ce n'est que durant le voyage (dit M. Valin, art. 8, titre des contrats à » la grosse), ou lorsque le navire est équipé dans un lieu où les propriétaires » n'ont pas leur domicile (ou des correspondans), qu'il est permis au maître d'engager la totalité du navire et du fret, par un emprunt à la grosse, pour radoub et victuailles. Il oblige alors tous les propriétaires par son fait, sauf leurs recours contre lui, s'il n'a pas fait un bon usage des deniers,

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J'adopte cette décision, comme étant la plus relative au texte de l'Ordonnance, et la moins sujette à litige. Les quirataires absens sont présumés avoir donné au capitaine un mandat pour armer le navire dans l'endroit où le navire se trouve, et pour contracter à ce sujet tous les engagemens que le cas exige ou pourrait exiger.

dans sur les lieux ?

M. Valin, en l'endroit cité, et sur l'art. 9, titre des contrats à la grosse Si les propriétaires $3. dit qu'il est permis au capitaine d'engager la totalité du navire, qui se trouve ont des correspondans un lieu où les propriétaires n'ont pas leur domicile, ou des correspondans d'où il suit que s'ils y ont des correspondans, le capitaine ne doit rien faire sans l'aveu de ceux-ci.

Mais si le tiers qui fait des fournitures au capitaine (infidèle), ignore que les propriétaires ont des correspondans sur les lieux, il a action contre la totalité du navire, attendu sa bonne foi. Le capitaine avait un mandat légal. Il faut donc que le tiers soit instruit que ce mandat légal avait été révoqué, ou du moins il faut que la connaissance de la révocation soit publique dans le lieu. Au reste, les difficultés qui peuvent s'élever à ce sujet doivent être décidées par la disposition du droit commun. Loi 11, § 2, ff de inst. act. Loi 12, § 2. Loi 34, § 3. Loi 51, ff de solution. Loi 11, ff depositi, § 10, instit. de mandato. Voyez la section suivante.

CONFÉRENCE.

XXII. En effet, le mot demeure doit être entendu suivant le droit commun, c'est-à-dire dans le même arrondissement. Si l'armement était fait dans un autre arrondissement, quoique peu éloigné, l'emprunt ou l'affrétement demeurerait à la charge des propriétaires du navire. On est censé dans la même demeure quand on est dans le même district que l'armement. C'est aussi l'esprit de la loi dernière, au Code de long. temp.

Les propriétaires absens sont présumés avoir donné au capitaine un mandat pour armer ou fréter le navire dans l'endroit où le navire se trouve, et pour contracter à ce sujet tous les engagemens que le cas exige ou pourrait exiger, en observant les formalités prescrites par la loi. « Mais ce n'est que durant le voyage, dit Valin, ou lorsque le navire est équipé dans un lieu où » les propriétaires n'ont pas leur domicile ( ou des correspondans), qu'il est permis au maître » d'engager la totalité du navire et du fret, par un emprunt à la grosse, pour radoub et vic» tuailles. Il oblige alors tous les propriétaires par son fait, sauf leur recours contre lui, s'il » n'a pas fait un bon usage de ses deniers. » — -(Voyez Valin sur l'art. 5, titre des contrats à la grosse, de l'Ordonnance, et Pothier, contrats à la grosse, no. 55 ).

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