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devoir aux citoyens qui ont été témoins de certains crimes. Elle ne devient criminelle, elle ne prend le caractère d'un délit que lorsqu'elle est faite pour servir, non les intérêts de la justice, mais les haines et les passions de son auteur; lorsqu'au lieu d'aider aux recherches judiciaires en révélant un acte coupable et vrai, elle a pour but de les égarer en imputant à un tiers un acte mensonger. « Si une dénonciation calomnieuse, disait l'orateur du Corps législatif, est faite par écrit aux officiers de justice ou aux officiers de police administrative ou judiciaire, cette dénonciation, quoique privée, acquiert un degré de gravité par sa clandestinité même, par le caractère des fonctionnaires auxquels elle est adressée, , par la possibilité d'en faire un instrument de persécution ou de poursuites criminelles contre l'innocence; et c'est avec toute justice que le projet de loi soumet à une peine particulière le dénonciateur qui, sans cette disposition, échapperait aux mesures générales contre la calomnie. »

La dénonciation calomnieuse, en effet, diffère de la diffamation, d'abord en ce que la diffamation n'existe pas moins lorsque l'imputation qui en fait l'objet est vraie, tandis que la dénonciation suppose nécessairement la fausseté du fait imputé; ensuite, en ce que la diffamation exige la publicité de l'imputation, tandis que la dénonciation lance ses traits dans l'ombre et clandestinement. Elle diffère également du faux témoignage en ce que celui-ci altère la vérité en face de la justice et sous la foi du serment, tandis que la dénonciation, quoique également

mensongère, a pour effet d'égarer les recherches de la justice plutôt que ses jugements, et ne sanctionne pas son mensonge par la violation d'un serment.

La dénonciation calomnieuse est un délit complexe dont les différents caractères doivent être examinés et constatés avec soin.

La première condition de son existence est que l'acte révélateur soit une dénonciation. Il faut donc qu'il en ait le caractère et la forme.

Le caractère essentiel de toute dénonciation est la spontanéité lorsqu'une personne, en révélant un fait, répond à un interrogatoire, transmet des renseignements qu'elle est requise de donner, ses déclarations ne constituent point une dénonciation; car autre chose est de déclarer les faits qui sont à sa connaissance à l'autorité qui demande cette déclaration, autre chose de provoquer par un avis secret l'action de l'administration ou de la justice qui les ignore. Or c'est cette provocation de la poursuite, cet avis d'un fait inconnu, cette instigation secrète, qui forment le caractère distinctif de la dénonciation elle doit être à la fois l'expression spontanée de la volonté du dénonciateur et la cause déterminante de l'action criminelle ou disciplinaire dont elle provoque l'exercice. Cette règle a été pleinement consacrée par la Cour de cassation, qui a déclaré en principe: «< qu'il est nécessaire, pour qu'une dénonciation soit déclarée calomnieuse, qu'elle ait été le résultat d'une volonté libre et spontanée de la part de son auteur(1); » et qui, dans une autre espèce, (1) Arr cass. 29 juin 1838 (Journ, du dr. crim. 1839, p. 185).

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a annulé une condamnation prononcée pour délit de dénonciation calomnieuse : « Attendu qu'il est déclaré dans le procès-verbal que le prévenu ne s'est présenté devant le maire que sur le désir que celuici en avait témoigné, ce qui exclut la spontanéité, qui est un des caractères essentiels et nécessaires de la dénonciation (1). »

La forme de la dénonciation n'est qu'imparfaitement déterminée par le Code pénal : l'article 373 exige seulement qu'elle soit faite par écrit. Cette condition était essentielle, puisque l'acte de la dénonciation, lorsqu'elle est reconnue calomnieuse, forme le corps même du délit; il faut donc que cet acte puisse être représenté. Comment, en effet, prendre pour objet d'une poursuite criminelle une déclaration verbale, quelques paroles fugitives qui ont pu être mal comprises par l'officier qui les a recueillies ? Comment incriminer une pensée dont les expressions n'ont point été fixées par son auteur? Comment distinguer, d'après un indice aussi vague, si l'agent avait l'intention de faire une dénonciation préjudiciable, ou si sa démarche n'a été que le résultat de l'imprudence et de l'irréflexion? La dénonciation écrite peut seule être incriminée, parce que seule elle atteste une œuvre réfléchie, parce que seule elle permet d'apprécier le degré de culpabilité de son auteur, parce qu'enfin, offrant une garantie plus grande aux officiers auxquels elle est adressée, elle menace d'un plus grand péril la personne qui en est l'objet.

(1) Arr. cass, 3 déc. 1819 (Sirey 20-1-98),

Mais suffit-il que la dénonciation soit rédigée par écrit ? Est-il nécessaire qu'elle le soit avec les formes prescrites par l'article 31 du Code d'instruction criminelle? Cet article est ainsi conçu : « Les dénonciations seront rédigées par les dénonciateurs, ou par leurs fondés de procuration spéciale, ou par le procureur du roi, s'il en est requis; elles seront toujours signées par le procureur du roi à chaque feuillet, et par les dénonciateurs ou leurs fondés de pouvoir. Si les dénonciateurs ou leurs fondés de pouvoir ne savent ou ne veulent pas signer, il en sera fait mention. La procuration demeurera toujours annexée à la dénonciation; et le dénonciateur pourra se faire délivrer, mais à ses frais, une copie de sa dénonciation. » Quel est le motif de ces précautions? C'est évidemment d'offrir à la justice et au dénonciateur lui-même la garantie que la dénonciation exprimera les faits tels qu'il a voulu les articuler; c'est dans cette vue que l'article ordonne que la dénonciation sera rédigée par le dénonciateur, ou par son fondé de pouvoir, ou par le procureur du roi, et qu'une copie pourra en être remise à celui qui l'a portée. Or, si ces formes sont utiles pour imprimer à la dénonciation une sorte d'authenticité, elles n'apportent aucun élément nouveau dans la moralité du délit, lorsqu'elle est calomnieuse; ce délit est le même, soit que l'agent se soit ou non soumis à ces formalités. Si la dénonciation doit être écrite, c'est que c'est le seul moyen d'en faire peser la responsabilité sur son auteur. Dès que cet auteur est connu, dès que ses termes sont constatés, il n'importe nulle

ment au caractère et à la gravité de l'action que la dénonciation ait été reçue avec telle ou telle forme. On doit donc penser que ce n'est point sans intention que le législateur s'est borné à exiger, dans l'article 373, que la dénonciation ait été faite par écrit, et qu'en n'énonçant aucun renvoi à l'art. 31 du Code d'instruction criminelle, il a voulu soustraire la dénonciation punissable aux formes prescrites par cet article. Cette interprétation acquiert une complète certitude, si l'on considère que les dénonciateurs se déroberaient aisément à la répression de leurs calomnies, en négligeant à dessein de remplir les formes légales, et que les plus dangereux de ces agents, les dénonciateurs anonymes, échapperaient dès lors à la peine. La Cour de cassation a adopté cette opinion; ses arrêts reconnaissent : « que l'article 373 parle d'une manière générale de toute dénonciation calomnieuse qui aurait été faite par écrit aux officiers de justice et de police administrative ou judiciaire; qu'aucune forme n'a été prescrite pour qu'une dénonciation écrite pût être réputée faite par écrit; qu'il suffit que, de quelque manière que ce soit, la dénonciation ait été présentée ou transmise par écrit à l'officier de justice ou de lice (1).»>

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La dénonciation rend donc son auteur responsable de son contenu, dès qu'elle est écrite, et quelle que soit sa forme; elle peut donc être incriminée,

(1) Arr. cass. 10 oct. 1816 (Journ. du pal., troisième édition, tom. 13, pag. 644); 29 juin 1838 (Journ. du dr. crim. 1839, p. 185); 8 décembre 1837 (ibid. 1837, p. 358 ).

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