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sentant la nation sarde, que le bey désapprouvait la conduite de son officier dans la visite illégale faite par lui à bord d'un bâtiment national, sans l'intervention du consul; que les agens subalternes qui avaient insulté le capitaine du bâtiment recevraient une punition sévère; que ce capitaine serait dédommagé de tout désagrément ou pertes qu'il aurait soufferts, soit dans sa personne, soit dans ses marchandises; enfin qu'on lui rendrait son navire, et qu'au moment où il hisserait son pavillon, en sortant du port, il serait salué de vingt-un coups de canon.

En même temps que le gouvernement sarde faisait ainsi respecter le caractère de ses sujets, il se voyait lui-même en butte aux plus graves dangers, s'il faut en juger par les mesures de rigueur qu'il prit dans cette circonstance.

Une conspiration avait été tramée sur différens points du royaume, et spécialement à Chambéry, à Alexandrie, à Nice, à Gênes et à Turin. La cour de Turin paraît y avoir vu le résultat d'une impulsion émanée des villes de la frontière de France, où séjournaient beaucoup de réfugiés polonais, et une ramification de l'émeute de Francfort (voy. p. 380). Les Polonais d'Avignon, ceux de Besançon, qui étaient entrés en Suisse, des réfugiés italiens et piémontais prêts à s'embarquer à Marseille, devaient, a-t-on dit, venir appuyer l'entreprise. Les conspirateurs, suivant le journal officiel de Turin, voulaient détruire le culte, renverser le gouvernement, établir la république. Quoi qu'il en soit, l'éveil fut donné à la police vers le milieu d'avril par quelques militaires, auprès desquels des démarches avaient été faites pour - les entraîner dans la conjuration. Aussitôt on doubla les postes dans plusieurs places, on renforça, on consigna les garnisons, et, à Gênes, les canons furent pointés sur la ville. Des arres tations, en grand nombre, furent opérées, presque toutes sur de jeunes officiers ou sous-officiers et sur des avocats. Ils comparurent devant des conseils de guerre.

A défaut de tout autre renseignement positif sur le projet

des conspirateurs, sur leurs forces, sur leurs moyens d'exécution, renseignement que la nature des formes judiciaires du Piémont ne nous permettait pas d'espérer, les arrets rendus contre les prisonniers par ces conseils ont appris au public que les uns étaient condamnés pour avoir eu dans leurs mains des écrits séditieux, pour avoir été informés de complots séditieux, et n'avoir pas révélé ces écrits et ces complots tendant à renverser le gouvernement de S. M., auquel on devait substituer un gouvernement démocratique comprenant toute l'Italie; les autres, pour avoir communiqué ces écrits à différentes personnes et avoir cherché à procurer des partisans aux susdits complots; ceux-ci, pour avoir fait partie d'une société secrète dont l'objet était de renverser le gouvernement, pour avoir cherché à suborner les soldats, soit par des offres pécuniaires, soit en leur remettant des imprimés excitant à l'insubordination et à la révolte; ceuxlà, pour avoir eu connaissance de la conjuration tendant à exciter une révolte dans la ville de Chambéry, au moment de l'arrivée en Savoie d'une bande de réfugiés et autres étrangers, et à assassiner dans leurs maisons les autorités militaires pendant que les sous-officiers auraient fait insurger les, casernes, et pour n'avoir pas révélé le complot à leurs supérieurs. Enfin, parmi les condamnés, on en remarquait qui avaient été accusés d'être notoirement hostiles au gouvernement de S. M., et d'avoir pris part aux troubles politiques de 1821; un autre était véhémentement soupçonné d'avoir été le caissier des conspirateurs et détenteur d'un écrit émané de la Jeune Italie.

Tels sont les crimes que les conseils de guerre punirent selon leur gravité, tantôt de la mort ignominieuse ou de la mort simple, c'est-à-dire que les uns furent fusillés par derrière et les autres en face, tantôt des galères ou de la prison. Les exécutions étaient précédées de la dégradation, du brûlement des habits et de l'amende honorable devant le drapeau.

Ann. hist. pour 1833.

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Il y eut des individus condamnés par contumace à la mort ignominieuse, et en conséquence déclarés exposés à la vindicte publique comme ennemis de la patrie et de l'état, pour avoir, étant à l'étranger, par suite de leurs mauvaises opinions politiques, composé, écrit ou fait imprimer, lithographier, etc., des livres, des brochures, des journauxséditieux; pour avoir favorisé leur introduction dans le royaume; enfin pour avoir machiné et tramé uneou plusieurs conspirations, lesquelles n'avaient pas éclaté parce que le gouvernement de S. M. les avait déjouées à temps.

Le journal officiel de Turin annonça, vers le milieu de septembre, que depuis le 22 avril, jour où les arrestations avaient commencé, jusqu'à cette époque, le nombre des accusés s'était élevé à soixante-sept. Trente-deux avaient été condamnés à mort, dont douze exécutés ; neuf avaient eu leur peine commuée; onze étaient contumaces; deux avaient été condamnés à la prison perpétuelle, et vingt-huit autres à plus ou moins d'années de galères ou de prison. Cinq accusés, déclarés non convaincus, avaient été absous. Quelques nouvelles condamnations furent encore prononcées avant la la fin de l'année.

On a yu quel rôle important les livres, les journaux et les brochures ont joué dans cette conspiration, et que, parmi les moyens employés pour séduire les militaires, ils figurent au premier rang. De là sans doute est venu un édit royal du 20 mai punissant, outre les peines prescrites par les lois générales et particulières, de la prison ou des fers depuis un an jusqu'à trois, l'introduction en Sardaigne de livres, journaux ou autres écrits, de dessins quelconques, tant imprimés que manuscrits, contraires aux principes de la religion, de la morale et de la monarchie. La peine pourrait s'étendre aux galères depuis un an jusqu'à cinq, lorsque, par le nombre des exemplaires ou par d'autres circonstances, il paraîtrait qu'ils ont été destinés à être répandus. Quiconque en recevrait par la poste ou par une autre voie, même

LUCQUES.

sans sa participation, serait tenu de les remettre immédiatement à l'autorité, sous peine pour les contrevenans d'un emprisonnement qui pourrait durer deux ans. La moitié de l'amende de cent écus, portée par les lois en pareil cas, serait donnée à celui qui découvrirait ou dénoncerait la contravention, et le secret lui était promis.

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Dans le duché de Modène, des bruits de complots, suivis d'arrestations, comme à l'ordinaire, n'ont fait qu'attester que le peuple et le gouvernement ducal continuaient à nourrir une défiance mutuelle.

Un système de conduite tout opposé a produit de meilleurs résultats dans le duché de Lucques. Après trois ans de voyages dans divers pays, le duc de Lucques a signalé son retour en accordant, même contre l'opinion de son conseil, une amnistie générale pour délits politiques. Cette tournure des affaires, d'autant plus inattendue que les sentimens bien connus des ministres avaient dû donner lieu de craindre tout le contraire, prépara à la ville un véritable jour de fête. De toutes parts on se livra à une joie sincère et complète. Le duc fut accueilli avec toutes les marques du plus vif enthousiasme. La réforme de son ministère et l'institution d'une garde nationale, dont il s'est déclaré lui-même colonel-commandant, ont achevé de consolider sa popu

larité.

Une amnistie générale a aussi été accordée, en Toscane, à tous les condamnés à l'amende et à la prison, à l'occasion du mariage du grand-duc avec la princesse Maria-Antonia des Deux-Siciles; mais cet acte, qui n'avait aucune portée politique, n'en a pas moins laissé subsister des mécontentemens suscités par la suppression des meilleurs journaux littéraires du pays.

ÉTATS ROMAINS.

La situation de ce pays ne s'était nullement améliorée : les prisons regorgeaient de suspects et les arrestations ne discontinuaient pas; des collisions sanglantes éclataient à chaque instant, soit entre les citoyens et les soldats, soit entre les Autrichiens et les troupes pontificales, et parmi celles-ci, centurions, volontaires, Suisses, poussés par une antipathie réciproque, engageaient parfois des rixes violentes qui rendaient la position de ces derniers extrêmement difficile. On peut juger, à ces désordres, de ceux qui naîtraient probablement, si la double occupation étrangère qui pèse toujours sur les légations venait à cesser.

Cependant le gouvernement romain, rassuré par la présence des Autrichiens, s'était cru assez fort pour rétablir dans leur état primitif, différens impôts qui avaient été abolis à la suite des événemens de 1831, sur le motif que les complots tramés contre l'autel et le trône, l'avaient forcé de lever de nouvelles troupes et de prendre des régimens étrangers à sa solde. Au fait, les finances de la cour de Rome n'étaient pas prospères, et, avant la fin de l'année, il lui fallut encore recourir à un emprunt.

Au dehors, les affaires de l'église ne se présentaient pas sous un aspect plus favorable : elle voyait avec douleur les changemens survenus en Espagne et surtout en Portugal. Dans un consistoire secret, tenu le 30 septembre, le souverain pontife adressa aux cardinaux un discours, qui fut ensuite imprimé et communiqué au corps diplomatique, pour se plaindre avec une profonde tristesse de tous les actes << pleins d'impiété et d'audace, que le gouvernement établi à Lisbonne, vers la fin de juillet », s'était permis contre le Saint-Siége. Il déclara que cette manière d'agir amenerait la ruine totale de l'église, dans un royaume soumis jusqu'alors à des rois que distinguait le titre de trèsfidèle.

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