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C'étoit à la rentrée des classes, après qu'elles-mêmes sé seroient suspendues par les vacances d'usage, que les factieux attendoient les professeurs pour empêcher qu'elles ne fussent rouvertes. N'osant pas même encore le défendre directement, ils imaginèrent tortueusement de faire signifier par les administrateurs du district à chacun des professeurs en particulier l'ordre de ne pas reprendre ses fonctions. Ah! ce fut alors que la Sorbonne, sans rompre le silence qui lui étoit imposé, parla néanmoins véritablement d'une manière digne d'elle par la bouche de ses professeurs animés de son esprit. La lettre qu'ils écrivirent en corps, dans cette occasion, le 16 novembre 1791, étant le dernier acte de l'antique et célèbre Faculté de théologie de Paris, mérite autant d'être sauvée de l'oubli, que les décisions recueillies par l'évêque de Tulle; et comme d'ailleurs elle expose d'une manière péremptoire l'état de la question relativement à la constitution civile du clergé, nous nous faisons un devoir de la rapporter en entier.

« Il avoit plu à MM. les administrateurs du Directoire de Paris, disoient les dix professeurs à ces mêmes administrateurs, il leur avoit plu d'ordonner la clôture des écoles de théologie de Sorbonne et de Navarre. Les professeurs de ces écoles, si justement célèbres dans le monde catholique, avoient bien des raisons à opposer à un ordre qui prévenoit au moins le temps désigné par l'Assemblée Nationale. Il est vrai que l'on pouvoit prévoir combien toutes ces raisons seroient inutiles; mais elles pouvoient devenir l'occasion d'une profession de Foi et cette profession étoit un grand exemple à donner par les premiers docteurs de nos écoles: Ils ne l'ont pas laissé échapper, cette occasion: en considérant l'arrêté du département dans ses deux motifs, ils ont précisément insisté sur celui d'un refus qu'ils avoient, non pas à légitimer, mais à rendre plus authentique et plus manifeste, comme leur grand hommage à leur religion, et le dernier titre de leur gloire. C'est aussi sur cette partie de

leur lettre que nous insistons, ou plutôt c'est cette partie qu'il faut mettre tout entière sous les yeux de nos lecteurs. Ils auroient de trop justes reproches à nous faire, si nous nous permettions d'altérer un monument si précieux. Comme il n'a pas besoin d'être relevé par nos réflexions, contentonsnous aussi de le transcrire.

« L'autre motif de votre arrêté est le refus que nous avons tous fait du serment. Ah! Messieurs, après les maux incalculables que ce fatal serment a attirés sur la France, de l'aveu même de ceux qui en furent si imprudemment, dans l'origine, les moteurs et les plus ardens panégyristes, pouvionsnous croire que la non-prestation de ce serment serviroit aujourd'hui de prétexte pour nous arracher subitement à nos fonctions, tandis que nous les avions déjà paisiblement exercées depuis plus de six mois, sans la moindre réclamation de personne ; et surtout depuis qu'une loi postérieure de l'Assemblée même, sans aucune distinction entre les instituteurs publics assermentés ou non-assermentés, ordonna généralement à tous ceux qui (comme nous) étoient encore en place lors du décret, de reprendre leurs leçons jusqu'à l'organisation de l'éducation nationale?

« Un plus grand intérêt va nous occuper auprès de vous, Messieurs il est de notre devoir de rendre ici devant vous, devant toute la France, un témoignage authentique de notre Foi.

« Nous vous déclarons donc unanimement que le serment prescrit, contenant (comme il est manifeste) la constitution prétendue civile du clergé (1), notre conscience y répugne et y répugnera toujours invinciblement.

<< Pourrions-nous, en effet, oublier jamais tous les liens sacrés qui nous attachent à la Foi catholique; les vœux que nous avons faits comme chrétiens sur les fonts du baptême;

(1) Voyez le titre Ier de la Constitution française, et surtout le dernier article du titre VII. Il est évident que ce dernier article comprend tous les décrets de la constitution du clergé.

l'engagement que nous avons contracté comme prêtres entre les mains du pontife qui nous ordonna; le serment solennel que nous avons prêté depuis comme docteurs, dans l'église métropolitaine de Paris et sur l'autel des saints Martyrs, de défendre la religion (s'il le falloit) jusqu'à l'effusion de notre sang; enfin l'obligation spéciale qui nous est imposée, comme professeurs, de l'enseigner aux autres dans toute sa pureté ?

D'après ces titres dont nous nous honorerons toujours, comment aurions-nous pu souiller nos lèvres par le serment exigé?

:

« Quoi! nous jurerions de maintenir de tout notre pouvoir une constitution évidemment HÉRÉTIQUE, puisqu'elle renverse plusieurs dogmes fondamentaux de notre Foi! Tels sont incontestablement l'autorité divine que l'Eglise a reçue de Jésus-Christ pour se gouverner elle-même : autorité qu'elle a nécessairement comme société, et sans laquelle elle ne peut ni conserver ses prérogatives essentielles, ni remplir ses glorieuses destinées; son indépendance absolue du pouvoir civil dans les choses purement spirituelles; le droit qu'elle a seule, comme juge unique et supréme de la Foi, d'en fixer la formule de profession, et de la prescrire à ses ministres nouvellement élus tels sont encore la primauté de jurisdiction que le Pape, vicaire de Jésus-Christ sur la terre et pasteur des pasteurs, a de droit divin dans toute l'Eglise, et qui se réduiroit désormais à un vain titre et à un pur fantôme de prééminence; la supériorité non moins certaine de l'évêque sur les simples prêtres que l'on voudroit néanmoins élever jusqu'à lui, en les rendant ses égaux, et souvent même ses juges; enfin la nécessité indispensable d'une mission canonique et d'une jurisdiction ordinaire ou déléguée, pour exercer licitement et validement les fonctions augustes du saint ministère. Ce n'est pas ici le lieu d'exposer les preuves décisives qui établissent chacune de ces vérités, d'après l'Ecriture même et la tradition de tous.

les siècles. C'est ce qu'ont fait, d'une manière aussi lumineuse que solide, le Chef de l'Eglise dans ses différens brefs, et nos Evêques légitimes dans leurs instructions pastorales.

« Quoi! nous jurerions à la face des autels de maintenir de tout notre pouvoir une constitution manifestement SCHISMATIQUE qui bouleverse les titres, les territoires, tous les degrés et pouvoirs de la hiérarchie; qui, d'après une autorité purement séculière, et conséquemment incompétente, ôte la mission et jurisdiction aux vrais pasteurs de l'Eglise, pour la conférer à d'autres que l'Eglise ne connoît pas; qui élève ainsi autel contre autel; rompt cette chaîne précieuse et vénérable qui nous unissoit aux apôtres, et sépare avec violence les fidèles de leurs pasteurs légitimes, et toute l'Eglise gallicane du centre de la catholicité ?

« Nous jurerions enfin, en présence de Jésus - Christ même, de maintenir de tout notre pouvoir une constitution VISIBLEMENT OPPOSÉE A L'ESPRIT DU CHRISTIANISME, dans la proscription des vœux monastiques, si conformes aux conseils de l'Evangile, toujours si honorés dans l'Eglise, et que l'on voudroit néanmoins nous faire regarder comme contraires au droit naturel? une constitution qui, sous prétexte de nous rappeler à l'ancienne discipline par une réforme salutaire, n'introduit que le désordre et des innovations déplorables? une constitution qui, sans aucun égard pour les fondations les plus respectables par leur objet même d'utilité, les supprime toutes arbitrairement, au mépris des formes canoniques? enfin, une constitution qui, établissant pour les élections un mode nouveau et tout-à-fait inouï, les confie indifféremment à tous les citoyens, fidèles, hérétiques, juifs ou idolâtres, sans la moindre influence du clergé même, contre l'exemple de tous les siècles chrétiens, et de toutes les nations policées ou barbares? Vit-on jamais un seul peuple abandonner ainsi la religion aux ennemis de sa religion?

« Tels sont en abrégé, Messieurs, les principaux motifs

qui nous ont fait repousser le serment loin de nous avec horreur. Oui ; il n'eût été à nos yeux qu'un affreux parjure, et une véritable apostasie.

« C'est dans ces principes que nous nous glorifions d'avoir eu part, comme Docteurs, à la délibération unanime de la Faculté de théologie du mois d'avril dernier. Monument précieux et authentique de son attachement inviolable à la chaire de Saint-Pierre, ainsi qu'aux pasteurs légitimes de l'Eglise de France : délibération d'autant moins suspecte, qu'on n'accusa jamais la Faculté d'avoir exagéré les droits du Saint-Siége, ou ceux de l'épiscopat.

« Si donc, déserteurs tout à la fois, et de la doctrine pure que nous avons puisée dans son sein, et de notre propre enseignement dans ses écoles, nous avions eu la coupable foiblesse de prêter le serment, c'est dans ses annales, et jusque dans nos leçons même, que nous aurions pu lire l'arrêt flétrissant de notre condamnation.

« Une si lâche défection ne nous eût-elle pas rendus indignes, et des fonctions honorables que nous exerçons en son nom, et de votre propre estime?

<< Enfin, quel scandale n'eût pas été notre chute honteuse, pour ces jeunes lévites confiés à nos soins, et d'autant plus chers à nos cœurs, qu'ils sont la plus douce espérance de l'Eglise! Non; nous pouvons le dire comme Eléazar, non, il n'étoit pas digne de nous de dissimuler nos sentimens ; et nous devions à leur jeunesse cet exemple de notre fermeté dans la Foi.

<< Notre devoir est rempli auprès de vous, Messieurs : quelle que soit, au reste, votre décision sur l'objet de notre demande, nous ne cesserons d'adresser au Ciel les vœux les plus ardens pour la paix de l'Eglise, et pour la prospérité de l'empire.-Signés, PAILLARD, professeur royal de controverse, à Navarre; SAINT-MARTIN, professeur royal de controverse, en Sorbonne; DE LA HOGUE, professeur d'Ecriture-Sainte, en Sorbonne; DIÈCHE, professeur de morale, en Sorbonne;

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