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Quant à nous, notre opinion, qui ne diffère pas sensiblement de celle de notre honorable confrère, est demeurée conforme à notre impression première. Nous croyons que le notariat tout entier est trop douloureusement atteint, chaque fois qu'il compte un membre indigne, pour qu'il puisse regretter le langage tenu par le Ministre. Si ce langage comporte certaines critiques de détail, et s'il est essentiel surtout d'en bien déterminer le caractère, pour qu'on n'en exagère pas les conséquences, le notariat ne doit y répondre qu'en manifestant son bon vouloir et son ardent désir de voir porter un remède au mal. Toute autre attitude, du moment que certaines questions qui touchent à sa considération sont en jeu, serait indigne de lui.

Ce n'est pas, cependant, que l'apparition de la circulaire du 19 octobre n'ait soulevé une vive émotion dans ce corps notarial si sensible à tout ce qui touche à son honneur. On a vu particulièrement avec un assez vif déplaisir la publicité doanée officielle ment à la circulaire. Le procès-verbal du Comité des notaires des départements porte la trace de cette impression, et nous croyons savoir que la Chambre de Paris, plus à même que toute autre dese faire entendre de M. le Garde des sceaux, lui a porté ses doléances dans une récente démarche à la chancellerie. Il devait en être ainsi. Mais le notariat est assez fort de la considération légitime qui l'entoure; ses traditions, ses habitudes parlent asse haut en sa faveur, pour qu'au milieu de désastres qui n'ont rien épargné, il ait à dissimuler le contre-coup qu'il en a subi. Dans une corporation qui compte près de 9,500 membres, à la suite de la crise la plus terrible, éclatant soudainement au milieu d'une société livrée peut-être à bien des entraînements funestes, les ruines se sont multipliées parmi les notaires. Cela est vrai. Le nombre des destitutions, qui était de 12 annuellement, s'est élevé subitement à 20, et une année même, il est monté jusqu'à 28. Il y a eu, ainsi, en cinq ans, un peu plus de 100 destitutions, c'est-à-dire par an un peu plus de deux pour mille. C'est beaucoup trop assurément, et il y a là un mal que tous les efforts doivent tendre à faire disparaître. Mais, en ces dernières années, quelle est l'institution qui n'ait été ébranlée sur le sol de notre malheureux pays? Quelle est celle peut-être où les liens du devoir professionnel ne se soient affaiblis, sous l'influence de causes qu'il est inutile de rechercher ici? Que l'on compare toutefois, si l'on veut être juste, les reproches encourus par le notariat dans son état actuel, qui, malgré les faits signalés, n'a jamais été atteint, en définitive,

que par des fautes individuelles, et les abus bien plus profonds où l'on s'est laissé entraîner ailleurs, et l'on verra si le parallèle n'est pas en sa faveur!

La publicité donnée par M. le Ministre à sa circulaire ne peut modifier ce sentiment. Cette publicité a eu un autre effet. Les passions qu'excite, dans le monde marron des affaires, la confiance dont jouissent les notaires, et qui, à certaines époques, ont toujours leur écho dans une autre sphère, n'auraient pas manqué de se faire une arme de ces faits pour calomnier l'institution. En publiant toute la vérité, le Ministre a coupé court à ces attaques, et, chose digne de remarque, l'excellence de l'organisation notariale s'est trouvée si clairement démontrée, qu'au milieu d'une époque aussi tourmentée, où l'on s'est attaqué à tant de choses, elle n'a plus été mise en question, comme en 1830, en 1848 et plus tard, et qu'on sollicite même aujourd'hui des pouvoirs législatifs l'extension à l'Algérie du régime des offices de la métropole.

A tout prendre, le notariat doit donc peu regretter que M. le Garde des sceaux ait recouru à la publicité de l'Officiel, pour dénoncer le mal qui, sous l'influence de bien des causes, s'est étendu jusqu'au notariat. M. le Ministre le devait peut-être, dans l'intérêt de sa responsabilité et dans l'intérêt du notariat luimême; car les procédés occultes ne conviennent ni à une institution que recommandent journellement tant de services rendus, ni à une administration qui se respecte. On l'oublie trop, d'ailleurs la publicité, qui est la défense la meilleure contre certaines attaques intéressées, est encore la garantie la plus sûre contre l'arbitraire administratif, dont il faut bien se préoccuper cependant, puisqu'il s'agit des défaillances du pouvoir de discipline intérieure, paralysé en plus d'une circonstance par l'administration elle-même.

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Le notariat a traversé d'autres temps que celui-ci. Les circulaires ministérielles n'étaient pas alors insérées au Journal offi. ciel, mais elles n'en arrivaient pas moins à la publicité, et elles profitaient du secret qui entourait leur envoi pour soutenir, dans le langage le plus autoritaire, les prétentions les moins justifiées, et qui parfois ne tendaient à rien moins qu'à mettre en question l'indépendance et la dignité de la profession.

Ici même, nous nous sommes élevés contre un de ces documents, daté de 1862 (Art. 17520 et 17454 J. N.), qui prétendait interdire aux assemblées et aux chambres le droit de se faire entendre dans des questions de législation où leur compétence

était le plus incontestable, et qui n'avait en réalité pour objet que de faire taire l'opposition à de certaines réformes qui n'eussent jamais dû depuis être rendues nécessaires. La circulaire non publiée d'alors allait jusqu'à le déclarer : elle n'admettait pas de la part des corporations la production de leurs opinions sans contrôle !

Combien est différent le langage tenu par l'administration actuelle dans la circulaire qui a paru à l'Officiel! On ne saurait trop mettre en lumière ce trait caractéristique: elle ne s'adresse plus cette fois aux assemblées ou aux chambres pour étouffer leur initiative; c'est à ces dernières qu'elle fait appel au contraire pour seconder l'œuvre du gouvernement, qui d'ailleurs répond aux intérêts du notariat autant qu'aux besoins de tous.

C'est aux chambres qui représentent dans tous les arrondissements les compagnies de notaires qu'elle s'adresse, pour indiquer le remède ou prévenir le mal. Pour cela, en effet, le notariat a en lui-même les ressources les plus efficaces. Il ne s'agit que de le laisser se gouverner lui-même en réformant, ou plutôt en amélorant sa discipline. Le Ministre l'a compris. Il convient d'en prendre acte, car ce sont là les vrais principes, ceux que nous n'avons jamais cessé d'enseigner, et qui résultent des sages prescriptions de la loi de ventôse et de celles de l'arrêté de nivôse, développées depuis par l'ordonnance de 1843.

Aussi, devant l'hommage qui leur est rendu, les chambres, une fois la première émotion passée, ont-elles compris de toutes parts qu'elles ne devaient ménager à l'administration, dans cette voie, ni leur concours, ni leur appui.

Le but de la circulaire étant ainsi déterminé, il est assez difficile de comprendre cependant pourquoi la Chancellerie n'a pas fait plus explicitement appel au pouvoir règlementaire des assemblées générales, surtout à la veille du jour où ces assemblées allaient se réunir.

Ce ne sont pas, en effet, les chambres, malgré les ambiguïtés de l'ordonnance, plus apparentes que réelles, qui ont plénitude de compétence pour arrêter ou réviser les règlements. Dans ces petits gouvernements de famille que forment les communautés, où chacun a des droits égaux, des intérêts semblables, pour être obéi, il faut être consenti, et il importe, en conséquence, que les prescriptions disciplinaires prennent naissance dans les délibérations collectives de la corporation. C'était donc surtout au notariat assemblé dans ses comices, que M. le Garde des sceaux devait faire appel. Il n'y a d'ailleurs que dans les assem

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blées générales qu'on puisse arriver à combiner une réglementation complète, rationnelle et pratique, sur une pareille matière. Les avis de tous ne sont pas superflus, pour une œuvre qui est avant tout une œuvre de détail et d'expérience journalière.

M. le ministre prend à ce sujet l'initiative de recommander sur ce point à l'attention des chambres (il eut dû dire des assemblées) l'adoption de plusieurs mesures dont il signale les avantages. C'est, en première ligne, l'affichage de l'art. 12 de l'ordonnance de 1843 dans les études, la constitution d'une comptabilité régulière, le règlement des recouvrements. Nous allons examiner tour à tour ces diverses mesures.

II.

L'affichage de l'ordonnance a déjà été mis en pratique dans certains arrondissements, et il est évident que la mesure va se généraliser. Les conseils de M. le Garde des sceaux sur ce point paraissent n'avoir rencontré aucune résistance. Mais, pour qu'ils portent leurs fruits, il faut, nous le répétons, que toutes les assemblées en délibèrent, fassent des additions à leurs règlements en conséquence, et que la chancellerie homologue à son tour les dispositions qui seront adoptées. On sait, en effet, d'une part, que la jurisprudence ne considère comme susceptibles de sanction-que les prescriptions des règlements approuvés, et, d'autre part, on ne songera certainement pas à soutenir que les simples recommandations de la circulaire, si elles ne passaient point dans un article des règlements, puissent devenir ultérieurement le principe d'une action disciplinaire contre les notaires qui ne les auraient point observées.

Y aurait-il lieu d'exiger plus encore que l'affichage de l'ordonnance dans les études, pour généraliser la notoriété qui doit s'attacher à ses sages prescriptions? Faudrait-il recourir à des affiches dans les communes, ou en prescrire l'impression d'une façon permanente en marge des correspondances d'études? On a réclamé ces deux mesures dans quelques assemblées. Nous avouons que l'affichage dans les communes nous paraîtrait de nature à donner lieu aux plus fausses interprétations. Loin d'en faire honneur au notariat, on y verrait probablement un acte de défiance et de précaution de l'autorité contre lui. Les agents d'affaires seraient les premiers à semer et à entretenir cette croyance parmi les populations peu éclairées des campagnes;

aussi ne saurions-nous approuver une pareille disposition. Quant au rappel de l'art. 12 de l'ordonnance en marge des correspondances, sans aller jusqu'à engager d'une façon absolue les assemblées à le prescrire, nous croyons du moins que cette seconde mesure n'aurait pas les inconvénients de la première et qu'elle aurait sans nul doute plus d'efficacité.

La proposition qui en a été faite a excité, il est vrai, quelques susceptibilités; on a vu dans cette nécessité de réserver à la marge des correspondances une place au rappel de l'ordonnance, une servitude qui aurait quelque chose d'injurieux. Ces scrupules ne sont-ils pas exagérés ? La mesure dont il s'agit, émanant de la libre initiative des assemblées, n'aurait à coup sûr rien de blessant pour ceux qui s'y soumettraient, car elle n'aurait rien de personnel. En faisant suivre, d'ailleurs, cette insertion de la mention et de la date de la délibération commune qui l'aurait prescrite, chaque notaire ne témoignerait-il pas du désir qu'il a de voir respecter les règles fondamentales de la profession? Quoi de plus honorable! N'est-il pas absolument dans l'esprit du notariat de surenchérir, en quelque sorte, sur les prescriptions légales, chaque fois qu'il s'agit de l'intérêt des parties? A ceux qui seraient tentés de critiquer comme une observance trop minutieuse cette prescription, nous répondrons que lorsqu'on entreprend une réforme, il faut toujours appeler les habitudes au secours de la loi. Quelques notaires ont pu enfreindre d'eux-mêmes l'ordonnance; mais combien plus en est-il qui ont été entraînés à le faire par les sollicitations de leurs clients. Dans combien de localités, cédant à une confiance bien naturelle, éloignées d'ailleurs de tout établissement de crédit, les parties ne sont-elles pas venues spontanément apporter leurs fonds dans les études, et supplier l'officier public de les accepter! L'officier public a cédé une première fois; on l'a su; d'autres sont venus; l'abus s'est engendré, et c'est ainsi qu'à un moment donné, les situations les meilleures se sont trouvées compromises.

Mais pour abandonner ces points de détail, quelle que soit leur importance, au profit d'aperçus plus généraux, n'y aurait-il pas lieu d'examiner à ce sujet si, comme on en a émis l'idée, le développement de la fortune mobilière n'impose pas aujourd'hui la nécessité, dans une quantité de localités, dénuées de toute caisse où se puissent faire les dépôts et l'emploi des capitaux, d'ouvrir aux notaires le moyen de satisfaire aux besoins de leur clientèle? Ils sont les correspondants du Crédit foncier. Le gouvernement ne pourrait-il les constituer partout, au moyen de certains avan

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