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Tout le monde se rappelle la discussion qui a eu lieu dans les Chambres belges, à l'occasion de la dernière adresse, sur les droits de l'enseignement et la limite nécessaire de la censure épiscopale.

C'est dans cette discussion mémorable que le ministre de l'intérieur, M. de Decker, a laissé échapper à la tribune ces paroles significatives : « On dirait qu'un souffle d'intolérance a passé sur la Belgique. »

La première agression contre la liberté de conscience, et la première origine de ces débats, avaient été un mandement de Mgr l'évêque de Gand, publié le 8 septembre 1856, et dans lequel l'Université de Gand et la Société littéraire étaient attaquées avec une énergie très-voisine de la violence.

Après avoir cité les doctrines de trois professeurs de l'Université, « doctrines, disait le mandement,

ouvertement fausses, mauvaises, blasphématoires et hérétiques, » Monseigneur ajoutait : « Vous n'attendez pas de nous que nous réfutions de tels blasphèmes joints à une si profonde ignorance. Il suffit que nous vous les signalions; » et il chargeait, en effet, les curés d'avertir leurs paroissiens que d'immenses dangers attendaient leurs enfants, s'ils suivaient les cours de l'Université tant que de tels maîtres y enseigneraient la philosophie, l'histoire et le droit.

La Société littéraire était encore plus maltraitée. «L'esprit antireligieux et antisocial de cette société n'est plus un secret pour personne, disait le mandement. D'une part, elle met à la disposition de ses membres une bibliothèque pleine des livres les plus impies et les plus immoraux; de l'autre, elle leur donne de temps à autre des séances prétendûment littéraires, où des hommes sans foi développent hardiment les doctrines les plus perverses 1.

Un mandement de Mgr l'évêque de Bruges, publié à la même époque, contenait absolument les mêmes doctrines 2. L'un et l'autre se référaient à ces paroles de l'encyclique de 1832 : « La liberté des consciences et des cultes est une maxime absurde et erronée, ou plutôt un délire; — la liberté de la presse est funeste et on n'en saurait avoir trop d'horreur;

1. Voy. p. 424, le Mandement de Mgr l'évêque de Gand. 2. Voy. p. 431, le Mandement de Mgr l'évêque de Bruges.

- la liberté d'association est une nouvelle cause d'inquiétude et d'amertume pour l'Église 1. »

On ne peut s'étonner de l'animation produite par un tel langage dans un pays jaloux de ses droits, et qui regarde avec raison ses institutions libres comme la seule garantie de son indépendance nationale. A la rentrée de l'Université libre de Bruxelles, M. Verhaegen prononça un discours plein de fermeté et de modération qui a eu du retentissement dans toute l'Europe. Il rappela avec énergie les tristes prescriptions du quatrième concile de Latran, qui font de l'intolérance un devoir étroit 2. Quand vous niez les principes de 89, dit-il à ses adversaires, quand vous attaquez la constitution du pays, vous n'êtes pas une religion, mais un parti politique, un parti qui marche à l'assaut de l'État, et qui voit l'idéal de la société humaine dans l'absolutisme théocratique de Rome. » A Gand, les deux professeurs de philosophie, MM. Léon Wocquier et Callier, protestèrent avec énergie en faveur des droits méconnus de l'enseignement

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1. Voy. p. 398, l'Encyclique de 1832.

2. Le quatrième concile de Latran dura depuis le 11 novembre jusqu'au 30 novembre 1215. Le troisième canon du concile est ainsi conçu : « Les hérétiques condamnés seront abandonnés aux puissances séculières pour recevoir la punition convenable, les clercs étant auparavant dégradés. Les biens des laïques seront confisqués, et ceux des clercs appliqués aux églises dont ils recevaient leurs rétributions. Ceux qui seront seulement suspects d'hérésie, s'ils ne se justifient par une purgation convenable, seront excom

et de la libre pensée. « A quel titre monté-je dans cette chaire? dit M. Wocquier. Au nom de qui vous adressé-je la parole? messieurs, je parle au nom de la raison humaine. Le philosophe, comme tel, ne reconnaît ni ne peut reconnaître d'autre autorité sans abdiquer un titre qu'il usurpe, et sans renier la science dont il se prétend faussement le représentant.» M. Callier prononça à son tour, dans le sein de la Société littéraire, un discours plein de vigueur et d'éclat qui aurait rendu les miens parfaitement inutiles, s'il avait été plus complétement reproduit par les journaux belges.

Je demande à présent la permission de dire que M. de Kerchove, président de la Société littéraire, et, je crois, la plupart des membres de la société me regardent comme un ami, et qu'ils voulurent m'ho

muniés, et s'ils demeurent un an en cet état, condamnés comme hérétiques. Les puissances séculières seront averties, et, s'il est besoin, contraintes par censure, de prêter serment publiquement qu'elles chasseront de leurs terres tous les hérétiques notés par l'Église. Que si le seigneur temporel, étant admonesté, néglige d'en purger sa terre, il sera excommunié, et s'il ne satisfait dans l'an, on en avertira le pape, afin qu'il déclare ses vassaux absous du serment de fidélité, et qu'il expose sa terre à la conquête des catholiques pour la posséder paisiblement après en avoir chassé les hérétiques.

« Nous excommunions aussi les croyants des hérétiques, leurs recéleurs et leurs fauteurs; en sorte que, s'ils ne satisfont dans l'an depuis qu'ils auront été notés, dès lors ils seront infâmes de plein droit, et comme tels exclus de tous offices ou conseils publics, d'élire les officiers, porter témoignage, faire testament ou recevoir une succession. Personne ne sera obligé de leur répondre

norer en m'appelant à défendre au milieu d'eux des principes qui nous sont communs, et pour la défense desquels je serai prêt à tout en toute occasion. Le conseil communal et l'Université voulurent bien mettre à ma disposition la grande salle de l'Université, qui est assurément l'une des plus vastes et des plus belles du monde; et c'est ainsi que j'ai pu rappeler les droits de la raison, et prêcher la paix et la tolérance devant un auditoire de plus de trois mille personnes, toutes enflammées du même amour pour cette sainte cause. Elles me prêtaient, pour ainsi dire, leur passion, et j'étais au milieu d'elles comme un écho qui leur renvoyait leur propre pensée.

Ceux qui ont pris la peine de lire mes livres savent d'avance qu'ils ne trouveront ici aucune attaque

en justice, et ils répondront aux autres. Si c'est un juge, la sentence sera nulle, et on ne portera point de causes à son audience; s'il est avocat, il ne sera pas admis à plaider; s'il est tabellion, les actes dressés par lui seront nuls, et ainsi du reste.... Les clercs ne leur donneront ni les sacrements, ni la sépulture ecclésiastique....>> (Extrait de l'Histoire ecclésiastique de l'abbé Fleury, liv. LXXVII, chap. XLVII.)

Fleury a atténué le texte dans sa traduction. Le concile se sert par deux fois du mot exterminare : « exterminatis hæreticis. » Ce canon du concile de Latran est inséré au corps du droit canonique, Décrétales géorgiennes, liv. V, titre VI, chap. XIII.

Saint Thomas d'Aquin s'est servi de la même expression : « Hæ<< retici sæcularibus principibus exterminandi tradendi sunt. » (Summa Theolog., secunda secundæ, quæst. XI art. 3.) Il dit plus loin : « Meruerunt non solum ab Ecclesia per excommunicationem separari, sed etiam per mortem a mundo excludi. »

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