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No 23. CONSEIL D'ÉTAT. - 15 Janvier 1887.

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Forêt communale. Travaux de délimitation et d'aménagement. des honoraires du géomètre.

Responsabilité de l'État.

Compétence.

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Faute de l'agent forestier.

Le conseil de préfecture est incompétent pour statuer sur une demande formée par un géomètre contre une commune en paiement d'honoraires à raison de travaux exécutés pour la délimitation et l'aménagement des bois de la commune sous la surveillance des agents forestiers de l'État, les travaux dont il s'agit n'ayant pas le caractère de travaux publics. (L. 28 pluv. an VIII, art. 4.)

Il n'appartient pas au conseil de préfecture de connaître de la demande en responsabilité formée dans le même cas par la commune contre l'État à raison des fautes qui auraient été commises par l'agent forestier chargé de surveiller les travaux. (Id.)

L'ÉTAT C. COMMUNE DE SAILLY ET GILLET.

Le Ministre de l'agriculture a formé un recours tendant à ce qu'il plût au conseil d'État annuler, pour incompétence, un arrêté du 26 avril 1884, par lequel le conseil de préfecture de la Haute-Marne avait condamné l'État à réparer le tort causé à la commune de Sailly par l'exécution défectueuse des travaux de délimitation et d'aménagement des bois communaux, opérés par M. Gillet, géomètre, sous la direction d'un agent forestier.

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LE CONSEIL D'ÉTAT: Vu la loi du 28 pluv. an VIII; Considérant que le sieur Gillet avait saisi le conseil de préfecture de la Haute-Marne de conclusions tendant à ce que la commune de Sailly fût condamnée à lui payer le solde des travaux exécutés par lui, pour la délimitation et l'aménagement des bois communaux, et que la commune de Sailly concluait d'autre part à ce que l'État, à raison des fautes commises par l'agent forestier, sous la direction duquel le sieur Gillet avait exécuté les travaux précités, fût tenu de garantir et d'indemniser la commune des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle; - Considérant, d'une part, que les travaux dont s'agit n'ont pas le caractère de travaux publics, et que, dès lors, les difficultés auxquelles pouvait doaner lieu leur exécution n'étaient pas de celles dont, aux termes de l'art. 4 de la loi du 28 pluv. an VIII, il appartenait au conseil de préfecture de connaître; Considérant, d'autre part, qu'aucune disposition de loi n'attribuait compétence audit conseil pour déclarer l'État responsable des fautes commises par un agent forestier, dans la direction des travaux de délimitation et d'aménagement d'une forêt communale; qu'il suit de là qu'à ce double point de vue le conseil de préfecture était incompétent pour statuer sur l'action portée devant lui, et que, dès lors, le ministre est fondé à deman

der l'annulation pour incompétence de l'arrêté dudit conseil, en date du 26 avril 1884; Art. 1er. L'arrêté du conseil de préfecture de la Haute-Marne, du 26 avril 1884, est annulé pour incompétence.

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Du 15 janv. 1886. — Cons. d'État. — MM. Romieu, rapp.; ChanteGrellet, comm. du gouv.

(Sirey, 1887, III, p. 44.)

OBSERVATIONS. - D'après la jurisprudence actuelle, les travaux exécutés par l'État pour l'administration de son domaine privé ne sont pas des travaux publics. Ainsi jugé pour un chemin de vidange. (Cons. d'État, 2 mai 1873; Barliac, Rép. VII, 66, et 4 avril 1884, Barthe, Rép., XII, 86. La solution devait être la même pour des travaux exécutés dans une forêt communale, ayant pour objet une délimitation ou un aménagement de cette forêt. On remarquera que l'arrêt précité, pas plus que celui de 1884, ne désigne formellement le tribunal compétent; il se borne à exclure le conseil de préfecture; nous n'y rencontrons pas cependant cette assertion équivoque de l'arrêt de 1884 qui, déclarant l'autorité administrative incompétente en semblable matière, paraît ne plus laisser d'autre voie que celle des tribunaux civils ordinaires: Avec la jurisprudence antérieure, et conformément au décret-loidu 11 juin 1806, on s'adressait, pour le contentieux des travaux de l'État, au ministre en première instance et au Conseil d'État en appel. Mais ce décret est spécial aux travaux de l'État ; quid pour les travaux communaux ? lci, avec bien plus de raison que dans l'affaire Barthe, l'attribution aux tribunaux ordinaires s'impose, et résulte de l'exclusion du conseil de préfecture.

La seconde question posée dans cet arrêt est relative à la responsabilité de l'État, à raison des fautes qui auraient été commises par l'agent forestier chargé de surveiller les travaux. L'appréciation de cette responsabilité ne peut appartenir au conseil de préfecture, puisqu'aucun texte ne lui attribue compétence en pareille matière. Il résulte de la jurisprudence la plus récente que cette compétence appartiendrait à la juridiction administrative ordinaire, ministre et Conseil d'État. (Conflits, 20 mai 1882, de Devaine et du Roux; Cons. d'État, 12 juillet 1882, Cordier; - 7 juillet 1883, Desjours, etc.)

Mais, dans l'espèce, y avait-il lieu à responsabilité? Notre arrêt ne décide pas ce point, et les faits ne nous étant pas suffisamment connus, il est difficile de prévoir quelle serait à cet égard la solution juridique. En principe, la responsabilité de l'État n'est engagée que si les agents ont agi en qualité de mandataires de l'État, pour des faits se rattachant

directement à l'exercice de leurs fonctions. Il en est autrement si les faits, bien que s'étant produits dans le cours des fonctions administratives, peuvent être considérés comme essentiellement personnels à l'agent: alors cet agent répond personnellement de ses actes et l'autorité judiciaire est compétente. (Cass. req., 3 juin 76, Godard.) Distinction délicate et pour laquelle on ne peut ériger aucun principe général : la solution dépend des faits et des circonstances.

N° 24.

TRIBUNAL CIVIL DE LA SEINE. 23 Novembre 1886.

Chasse. Bail. Tacite reconduction.

Usage des lieux.

Lorsque l'acte de bail ne s'explique pas sur la valeur des termes employés pour fixer la durée du contrat, on doit suivre à cet égard l'usage des lieux: l'année de chasse ne peut être considérée comme expirée qu'après la fermeture de la chasse.

La tacite reconduction s'opère, pour un bail de chasse, comme pour un bail rural ordinaire 1.

CHEVALIER DRU ET BONDUEL C. JACQUEMART ET ROLLAND

Au mois d'avril 1883, MM. Chevalier et Dru louaient de M. Jacquemart la chasse du Ronçay, appartenant à son beau-père, M. MulotMoureau, et la chasse de terre et bois adjacents appartenant à des tiers. Dans le bail, il était dit « qu'en cas de vente les conventions seraient << résiliées de plein droit, sans indemnité à l'expiration de l'année de «< chasse alors en cours », et d'autre part que « M. Jacquemart louait à partir du 1er septembre 1883, ou du jour de l'ouverture de la chasse, si elle était fixée avant cette époque ». La durée était de trois ou six ans, au choix des preneurs. MM. Chevalier et Dru installèrent leur garde dès le mois d'avril, chassaient en 1883 et 1884; puis, voulant éviter toute difficulté relative à l'interprétation de leur bail, ils écrivaient successivement à M. Jacquemart et à M. Mulot-Moureau qui, tous deux, leur répondaient en 1885 et en 1886 que l'année de chasse devait se compter de fermeture à fermeture. Cependant, au mois d'août 1886, MM. Che

1. On peut assimiler, d'une manière générale, le bail de chasse à un bail rural; il en résulte l'application des art. 1774-1776 du Code civil. V. dans ce sens, Gireaudeau, no 16.

vallier et Dru recevaient une sommation d'avoir à abandonner leur chasse, la propriété du Ronçay ayant été vendue sur saisie le 29 juillet, et l'acquéreur entendant entrer en jouissance immédiate de la chasse par interprétation du bail de 1883 inséré au cahier des charges. De là procès.

M. Rolland, l'acquéreur, invoquait tout d'abord les termes de la location pour soutenir que l'année de chasse expirait au 1er septembre. Puis, changeant de système, il soutenait que MM. Chevalier et Dru n'étaient plus locataires depuis novembre 1885, le bail fait à Jacquemart, leur auteur, étant expiré depuis cette époque, et ils demandaient l'expulsion immédiate.

MM. Chevalier et Dru répondaient que l'année de chasse devait s'entendre de fermeture à fermeture, et ce, d'après l'usage général, qui veut qu'on récolte ce qu'on a semé, y compris le gibier, d'après l'usage des lieux et la volonté des parties attestée par des lettres et des faits. Ils ajoutaient qu'à défaut du bail de 1883 ainsi interprété et que l'on prétendait inexistant depuis novembre 1885, il y aurait eu, tout au moins, tacite reconduction jusqu'à la fermeture de la chasse, et ainsi de suite par année. Par conséquent, M. Rolland, tenu par le cahier des charges de respecter les locations verbales, devait tenlr compte des droits ainsi établis en leur faveur jusqu'à la fermeture de 1887.

JUGEMENT :

Attendu que, par acte du 11 avril 1833, Chevalier et Dru louaient de Jacquemart, à partir du 1er septembre suivant ou du jour de l'ouverture de la chasse, si elle était fixée à cette époque, pour trois ou six années, au choix des preneurs seuls, moyennant un loyer annuel de 1.000 francs, la chasse du domaine du Ronçay, appartenant à Mulot-Moureau, beau-père de Jacquemart; Atteudu qu'il était expressément stipulé dans l'acte de bail qu'en cas de vente de la totalité, ou même de partie des propriétés sur lesquelles le droit de chasse était affermé, les conventions, objet du bail, seraient résiliées de plein droit sans indemnité à l'expiration de l'année de chasse alors en cours; Attendu que Bonduel a été, par la suite, substitué aux droits de Chevalier et Dru; -- Mais attendu que le bail cédé par Jacquemart expirait dès novembre 1885; que, par suite, les preneurs n'étaient plus, après cette époque, que les concessionnaires d'un bail qui, ayant cessé d'exister, ne pouvait plus avoir, comme tel, aucune efficacité juridique; Attendu, il est vrai, qu'un nouveau bail a été consenti par Mulot-Moureau à Jacquemart, à la date du 1er mars 1886; Mais attendu que ce bail, postérieur à celui du 11 avril 1883, ne saurait exercer une action quelconque sur ce dernier acte passé entre des parties distinctes; qu'il n'apparaît pas que, par une nouvelle cession régulière, Jacquemart ait substitué Chevalier, Dru et Bonduel dans

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le bénéfice du contrat que lui consentait Mulot-Moureau ; Attendu les que lettres versées aux débats sont sans date certaine, qu'elles ne sauraient, par conséquent, y être retenues; Attendu qu'à la date du 29 juillet 1886, le domaine du Ronçay était adjugé sur saisie à la Société Villaux aîné et Cie; qu'à son tour cette Société vendait la propriété par elle acquise à un sieur Rolland le 14 septembre 1886; Attendu que, dès le 13 août, la Société Villaux aîné et, dès le 26 août, avant même qu'il fût devenu propriétaire, Rolland, dénonçaient à Chevalier, Dru et Bonduel, leur ferme intention de résilier le bail que leur avait consenti Jacquemart et prendre possession de la chasse; Attendu que si les défendeurs ne peuvent appuyer leur jouissance ni sur le bail du 11 avril 1883, ni sur celui du 1er mars 1886, auquel ils n'ont point été parties, il n'en reste pas moins acquis qu'au moment des adjudications et vente du domaine du Ronçay à la Société Villaux aîné et à Rolland, ils avaient été maintenus en jouissance; qu'un bail verbal d'année en année, sans durée déterminée, s'était ainsi établi; - Attendu que dans l'acte d'adjudication du 29 juillet 1886 il est dit, article 5: « L'adjudicataire sera tenu d'exécuter les locations verbales existant pour le temps qui en restera à courir au moment de l'adjudication d'après l'usage des lieux; — Attendu qu'en vertu de cette clause la Société Villaux aîné à laquelle est substitué Rolland, ce dernier n'ayant pas plus de droit que sa venderesse, tous les deux se sont trouvés, au moment de leur acquisition, en présence de la jouissance de Bonduel; - Attendu que cette jouissance était, en tant que jouissance verbale, tout au moins, à ce point incontestée que Bonduel acquittait aux mains du Crédit foncier sequestre la redevance correspondant à l'année de chasse en cours; Attendu que, pour la détermination de cette année de chasse, il faut se reporter au bail du 11 avril 1883, qui a déterminé les relations entre les parties; qu'elle s'étend de la période d'ouverture à la clôture de la chasse ; qu'ainsi Bonduel a eu raison de résister aux injonctions de Rolland, aux menaces d'expulsion; qu'il a eu également raison de repousser l'offre à lui faite de restitution de l'année de location par lui payée; Par ces motifs, déclare le bail verbal fait à Chevalier, Dru et Bonduel résilié seulement à partir de la clôture de l'année de chasse de 1886-1887; - Dit qu'après cette date ils devront cesser tout acte de chasse sur le domaine du Ronçay et rendre libres les bâtiments du Ronçay qu'ils occupent actuellement ; Déclare Rolland mal fondé dans le surplus de ses demandes, fins et conclusions; l'en déboute; dit qu'il n'y a lieu de valider les offres réelles de Rolland, le condamne en tous les dépens, y compris les droits d'enregistrement s'il en était dû, etc.

Du 23 nov. 1886.

(Journal le Droit, du 12 déc. 1886.)

Trib. civil de la Seine, 3° chambre. M. Ruben de Couder, prés. ; - MMes Hamel et Tissier, plaid.

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