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Le colonel prince Worontzoff, aide de camp de S: M. l'empereur, ayant appris que Hadji-Mourad se trouvait sur la rive droite de l'Argoun, envoya au-devant de lui trois compagnies d'infanterie, avec lesquelles le plus audacieux et le plus entreprenant de tous les naïbs arriva le 20 novembre au fort de Wozdvijensk, où il fit sa soumission. L'influence de Hadji-Mourad dans les montagnes donnait une importance particulière à cet incident.

TURQUIE.

L'évacuation des provinces danubiennes terminait, cette année, une des grandes difficultés imposées au gouvernement ottoman il ne resterait de cette occupation qu'une dette de plusieurs millions fort onéreuse à la Turquie. Une autre difficulté, celle relative aux réfugiés hongrois internés à Kutayah, dans l'Asie Mineure, amena un échange de notes diplomatiques avec l'Autriche. L'empire autrichien demandait que les réfugiés ne pussent être mis en liberté sans son agrément. Le divan ne s'effraya point des menaces qui lui furent adressées : il se contenta de protester de ses bonnes intentions, et promit de surveiller la conduite des réfugiés, de manière à ne donner aucune inquiétude au cabinet de Vienne. M. Kossuth et ses compagnons n'en furent pas moins mis en liberté le 1er septembre.

Une autre affaire, qui ne faisait que commencer à la fin de l'année, celle des Lieux Saints, avait sans doute moins d'importance en elle-même que par les prétextes qu'elle pouvait fournir à la Russie, pour poser ses prétentions en qualité de représentant du schisme grec. La France ne réclamait purement et simplement que le rétablissement de ses anciens droits, conformément à l'esprit de tolérance qui règne aujourd'hui dans le monde civilisé. La question reprise énergiquement par la diplomatie française, après le coup d'Etat de décembre, devait arriver bientôt à une conclusion favorable.

La situation intérieure de l'empire ottoman commençait à de. venir plus calme. Aux différents soulèvements survenus dans les parties excentriques de l'empire ottoman, on peut opposer l'heureuse conclusion de l'insurrection de Samos. Dans les premiers

jours de février, les Samiens firent leur soumission à l'arrivée des troupes royales commandées par Mustapha-Pacha. L'autorité impériale fut rétablie sans effusion de sang et même sans conflit. A peine les bateaux à vapeur de l'Etat chargés des troupes impériales jetèrent-ils l'ancre devant Samos, que tous les habitants se soumirent spontanément aux ordres de la Sublime Porte, et reconnurent l'autorité de M. Konéménos, son représentant. Ils nommèrent des députés qui, avant toute communication de ces ordres, se rendirent auprès de Mustapha-Pacha pour lui expri mer, par écrit, la douleur et le repentir de leur conduite antérieure. Immédiatement après, Mustapha-Pacha invita ces députés à se réunir dans l'un des plus grands quartiers de Samos, Mitilinius, où il se rendit lui-même avec ses troupes pour leur lire une proclamation que suivit l'acte de soumission des habitants. Cette mesure eut pour effet d'intimider les anarchistes, dont deux des chefs s'empressèrent de se présenter aux autorités pour protester de leurs bonnes intentions, et déclarer qu'ils n'avaient jamais eu la pensée de méconnaître les ordres souverains de la Sublime Porte ni le caractère légal de M. Konéménos.

Depuis la sanglante et barbare insurrection d'Alep, le fanatisme musulman, plutôt comprimé que radouci, cherchait une occasion de revanche. On fut assez heureux pour prévenir les attaques hautement annoncées par les Turcs d'Adana; les avertissements donnés par le corps consulaire aux autorités, les mirent en demeure, et la Porte, prévenue de la conduite suspecte du Pacha d'Adana, nomma un commissaire chargé de faire une enquête sur les lieux.

Toutefois, les haines étaient toujours ardentes et vivaces; elles éclatèrent dans le pachalick de Marach par des événements déplorables.

La ville de Karpeuth, voisine des monts Taurus, avait pour saraf ou banquier du gouvernement, un Arménien dont la caisse tentait la cupidité de la populace musulmane. Un certain nombre de misérables se rendirent chez le banquier, le sommèrent de livrer les fonds déposés chez lui, et, sur son énergique refus, appuyé par un nombreux personnel de domestiques et de voi

sins, les pillards durent se retirer. Ils ne tardèrent pas à revenir avec un renfort de malfaiteurs; ils furent de nouveau repoussés. Alors leur rage se porta sur les chrétiens, coreligionnaires du saraf, et tous ceux qui furent rencontrés dans les rues périrent impitoyablement massacrés.

Un autre crime, qu'on attribuait également au fanatisme et à la barbarie, indigna les chrétiens de la Turquie d'Asie. Un prêtre catholique, le père Basile, missionnaire apostolique de l'ordre des Capucins, fut assassiné à Antioche.

En Bosnie, une révolte que soutenait secrètement la politiqueautrichienne, fut comprimée avec énergie par Omer-Pacha.

La nécessité d'une réforme financière en Turquie ne saurait être contestée. Le gouvernement l'a compris, et, l'année dernière, une commission a été nommée dans le but de rechercher par quels moyens on pourrait accroître les ressources du Trésor, soit en réalisant des économies sur le budget des dépenses, soit en élargissant les bases de l'impôt de manière à augmenter le budget des recettes. A quoi aboutirait le travail de cette commission, qui comptait dans son sein les hommes les plus capables en matière de finances, et les plus versés dans la pratique des affaires? Oserait-elle envisager le mal dans toute son étendue et appliquer partout énergiquement le remède, ou bien se bornerait-elle encore à quelqu'une de ces demi-mesures qui ajournent les crises sans les empêcher, et par lesquelles on se croit quitte envers l'avenir, parce qu' on a réussi à sauver le présent? Malheureusement ces sortes d'atermoiements, ces compromis passés avec la nécessité sont trop dans les habitudes des Osmanlis, en général, pour qu'une réforme prompte et radicale, telle que la situation la demande, soit à espérer.

Néanmoins plusieurs questions importantes, après avoir attiré tout d'abord l'attention de la commission, pouvaient être regardées, dès à présent, comme résolues en principe, et dans le sens le plus favorable à la réforme. De ce nombre est la question du haradj, qui doit être supprimé aussitôt que les difficultés relatives à l'application aux populations chrétiennes de l'empire de la loi sur le recrutement auront été aplanies. Les 40 millions que cet impôt rapporte à l'Etat seront aisément compensés par une addition au vergu.

C'est dans les mesures de prévoyance et d'utilité générale que le gouvernement turc a besoin d'innover et de progresser; il semble, à certains endroits, attaqué d'une faiblesse ou d'une apathie incurables, comme un corps dont la vie et le mouvement ne circuleraient point dans quelques-uns des membres. atrophiés. Ainsi, tandis qu'il met sa flotte et son armée de terre sur un pied respectable et qu'il construit de somptueux édifices, il néglige le pavage des rues et commence à peine à s'occuper d'ouvrir des voies de communication dans l'Empire. Aux portes de la capitale, il n'existe pas une seule grande route digne de figurer à côté du moindre de nos chemins vicinaux. A tel endroit, le piéton et le cheval choppent dans les ornières qui, depuis des années, menacent les jambes et le cou des passants, et, néanmoins, il suffirait d'étendre la main pour prendre les pierres qui combleraient l'abîme. Chaque jour, les inventions de la vapeur sont appliquées à la marine turque, et pourtant le gouvernement laisse des compagnies anglaises et autrichiennes exploiter la navigation lucrative du Bosphore et de la mer Noire. La police de Constantinople devient, il est vrai, plus vigilante et plus active; mais les corsaires reparaissent dans l'Archipel et les brigands sur les grands chemins.

Les revenus ordinaires de la Turquie varient, depuis quelques années, entre 650 et 750 millions de piastres (de 150 à 172 millions de francs). Suivant un travail récent publié par une personne à qui son titre officiel permet de puiser ses indications aux meilleures sources, ils se décomposeraient ainsi en moyenne :

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Sur ce budget de 168 millions, une portion très-minime (8 millions environ) est fournie par les provinces tributaires. Les 160 millions restants représentent la quotité de l'impôt dans la Turquie proprement dite, c'est-à-dire sur une étendue de territoire qui est plus du double de la superficie de la France.

ÉGYPTE.

La question la plus grave qu'ait à traiter ce pays avec l'Empire Buzerain, c'est, on se le rappelle, la question du tanzimat ou de la réforme. Les conférences continuaient, mais avec la lenteur habituelle à la diplomatie orientale. Les événements arrivés en France, à la fin de l'année, influèrent sur les dispositions déjà très-temporisatrices des négociations, et il était même probable qu'ils auraient pour résultat de leur faire subir un temps d'arrêt jusqu'au jour où la politique de l'Europe, libre des graves préoccupations actuelles, prendrait une allure plus tranchée dans les affaires de l'Orient. Pour le moment, ni la Porte, ni le vice-roi ne se montraient impatients d'en finir avec les difficultés de leur situation respective. Cette situation, quoi qu'on en dise, est toujours pleine de dangers : les concessions faites tour à tour par les deux parties sous l'empire d'influences étrangères et rivales, loin de détruire leur antagonisme naturel, l'enveniment au contraire, et servent en quelque sorte d'aliment aux intrigues qui se nouent dans l'ombre et qui ne cesseront que le jour où la volonté de l'Europe aura décidé, soit l'indépendance définitive de l'Égypte sous la garantie d'une neutralité inviolable, soit son assimilation complète aux autres provinces de l'empire ottoman. Jusque-là le sultan et son vassal continueront leur vieille lutte, tantôt scurde, tantôt ouverte, lutte accidentée de bravades et de tentatives de rapprochement, selon le bon plaisir de la puissance médiatrice prépondérante.

Tous les deux comprennent instinctivement que l'avenir leur réserve prochainement une solution dans un sens ou dans l'autre, mais une solution décisive.

Abbas-Pacha avait été vivement impressionné par la révolution

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