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Sur ce budget de 168 millions, une portion très-minime (8 millions environ) est fournie par les provinces tributaires. Les 160 millions restants représentent la quotité de l'impôt dans la Turquie proprement dite, c'est-à-dire sur une étendue de territoire qui est plus du double de la superficie de la France.

ÉGYPTE.

La question la plus grave qu'ait à traiter ce pays avec l'Empire suzerain, c'est, on se le rappelle, la question du tanzimat ou de la réforme. Les conférences continuaient, mais avec la lenteur habituelle à la diplomatie orientale. Les événements arrivés en France, à la fin de l'année, influèrent sur les dispositions déjà très-temporisatrices des négociations, et il était même probable qu'ils auraient pour résultat de leur faire subir un temps d'arrêt jusqu'au jour où la politique de l'Europe, libre des graves préoccupations actuelles, prendrait une allure plus tranchée dans les affaires de l'Orient. Pour le moment, ni la Porte, ni le vice-roi ne se montraient impatients d'en finir avec les difficultés de leur situation respective. Cette situation, quoi qu'on en dise, est toujours pleine de dangers : les concessions faites tour à tour par les deux parties sous l'empire d'influences étrangères et rivales, loin de détruire leur antagonisme naturel, l'enveniment au contraire, et servent en quelque sorte d'aliment aux intrigues qui se nouent dans l'ombre et qui ne cesseront que le jour où la volonté de l'Europe aura décidé, soit l'indépendance définitive de l'Égypte sous la garantie d'une neutralité inviolable, soit son assimilation complète aux autres provinces de l'empire ottoman. Jusque-là le sultan et son vassal continueront leur vieille lutte, tantôt sourde, tantôt ouverte, lutte accidentée de bravades et de tentatives de rapprochement, selon le bon plaisir de la puissance médiatrice prépondérante.

Tous les deux comprennent instinctivement que l'avenir leur réserve prochainement une solution dans un sens ou dans l'autre, mais une solution décisive.

Abbas-Pacha avait été vivement impressionné par la révolution

du 2 décembre; chaque jour, en quelque sorte, lui apportait la nouvelle d'un échec subi par la démagogie que patronait la politique de lord Palmerston : il voyait s'élever sur les ruines de nos quatre dernières années d'anarchie un gouvernement énergique, et cette nouvelle attitude de la France, cette vieille et puissante amie de Méhémet-Ali, qu'il croyait à jamais perdue et qu'il avait dédaignée, bouleversait toutes ses idées et le jetait dans les perplexités les plus sérieuses. Ses sympathies anglaises, déjà fortement ébranlées par l'espèce d'abandon auquel la diplomatie britannique semblait le livrer dans les négociations relatives au tanzimat, depuis la concession du chemin de fer, s'étaient sensiblement refroidies.

Une autre difficulté, née depuis quelque temps en Egypte, est relative au règlement de l'héritage de Méhémet-Ali. On sait qu'en Egypte le vice-roi est le propriétaire domanial de tout le sol. Méhémet-Ali avait, toutefois, une sorte de domaine privé qu'il s'agissait de répartir entre ses trois fils Saïd-Pacha, Halim-Pacha et Méhémet-Ali Bey et ses deux filles. Les héritiers de Méhémet-Ali avaient élevé dès l'abord leurs prétentions assez haut; ils ne demandaient rien moins que vingt millions de talaris (environ 100,000,000 fr.) Cette affaire était encore pendante à la fin de l'année mais on pensait l'arranger au moyen d'une somme beaucoup moins importante.

GRÈCE.

L'absence du roi prolongée pendant neuf mois et le cours pacifique d'une session parlementaire sans importance, ouverte par S. M. la reine, tels sont les faits que présente l'histoire de la Grèce pendant cette année. Le retour du roi fut signalé par des fêtes qui attestèrent l'attachement de la nation pour son souverain. Le président de la Chambre des députés présenta au roi, à l'occasion de son retour, l'adresse suivante, votée à l'unanimité.

<< Sire, le peuple grec éprouve une joie inexprimable du retour heureux de Votre Majesté, dans le sein de la patrie et vous témoigne, par l'organe de ses représentants, les sentiments de son dévouement.

>> La sagesse avec laquelle S. M. la reine a dirigé les affaires de l'Etat pendant votre absence, qui a duré neuf mois, augmente encore la vénération que Votre Majesté inspire au pays. Le peuple grec a pleinement justifié dans cet état des choses l'amour de Votre Majesté et il adresse du fond de son cœur des vœux au ciel pour l'affermissement de votre trône, seule garantie de son bonheur, seul symbole de son unité. »

Le roi répondit:

«< Revenu au milieu de mon peuple chéri, je me réjouis de voir ses représentants réunis autour de moi. Vous, messieurs les députés, et toute la nation que vous représentez, vous avez justifié les espérances que j'avais conçues lorsque, à mon départ, je pris congé des chambres. »

La session parlementaire de 1851, commencée sous l'impression de l'assassinat de M. Corphiotakis, ministre de l'instruction publique, ne fut marquée par aucun résultat important. Un traité conclu avec la compagnie du Lloyd autrichien, pour le service des côtes helléniques, et une convention commerciale conclue avec la Sardaigne, tels sont les seuls faits de l'ordre économique que nous ayons à signaler.

Un nouveau ministère avait été nommé au retour du roi. Il était ainsi composé aux finances, M. Christidès; à la marine, avec présidence du conseil, l'amiral Kriezis; aux affaires extérieures, M. Païkos; à la guerre, M. Epito-Milios; à la justice, M. Damiano; à l'instruction publique et aux cultes, M. Barbōglou; à l'intérieur, M. Méletopoulos.

CHAPITRE V.

SUISSE. Les réfugiés, le droit d'asile, internement et expulsion; contre-coup du coup d'État de décembre; élections; oppression du canton de Fribourg; chemins de fer; budget.

ITALIE. L'unité italienne, sa base véritable, union commerciale, projets ; l'intérêt démagogique et l'influence anglaise.

er;

Etats du Saint-Siége. Renaissance catholique dans le monde entier ; finances, travaux publics, chemins de fer, l'occupation française et les démagogues. Sardaigne. Rapporis avec le saint-siége, hostilité flagrante du gouvernement, persécutions; les démagogues avant et après le coup d'Etat en France; traités de commerce, chemins de fer.

Deux-Siciles. Conseils généraux des provinces; situation prospère de la Sicile; calomnies, procès de l'Unita Italia, clémence royale, calomnies de M. Gladstone.

Toscane. Occupation autrichienne, concordat avec le saint-siége, budget. Parme. Réaction religieuse.

SUISSE.

Le gouvernement fédéral, soit par faiblesse, soit par une déplorable accession aux doctrines subversives de l'école communiste allemande, continue à éveiller l'inquiétude des grandes puissances. La honteuse oppression exercée contre le canton de Fribourg, les réclamations énergiques de la Prusse au sujet de la principauté de Neufchâtel, par-dessus tout les dangers créés par la présence dans les cantons d'un nombre considérable de réfugiés politiques, telles étaient les questions à l'ordre du jour.

Pour répondre aux réclamations de la diplomatie, le conseil fédéral somma les gouvernements cantonaux d'échanger les réfugiés auxquels ils auraient donné asile. Mais ce n'était là encore qu'une mesure dérisoire. Dix fois déjà des avis pareils avaient été donnés sans résultat appréciable. Toujours les réfugiés arrivaient

à éluder les dispositions qui leur ordonnaient de rester à huit lieues de la frontière de leur pays. D'ailleurs, l'entente universelle établie entre les réfugiés des différents pays leur permettait de se servir mutuellement d'agents ou correspondants. Ils comptaient, en outre et non sans raison, sur la complicité des gouvernements cantonaux. Vaud, Fribourg, le Valais, Genève, BâleCampagne n'étaient-ils pas gouvernés par des radicaux? Le chef du gouvernement central n'était-il pas lui-même une des illustrations des sociétés secrètes ?

Il fallut cependant céder, à mesure que la politique française devenait plus personnelle et plus énergique. L'internement des réfugiés à huit lieues des frontières fut décrété par une circulaire du 25 février 1851. La conduite imprudente des réfugiés à la nouvelle des événements survenus en France pendant le mois de décembre, força le conseil fédéral à recourir à une mesure plus complète, l'expulsion.

Lorsque la révolution du 2 décembre fut consommée, elle eut dans toute la Suisse radicale un contre-coup immédiat et significatif. Immédiatement les cris et les chants féroces qui, en France même, étaient déjà proscrits avant le 2 décembre, et qui étaient devenus en Suisse les cris et les chants populaires cessèrent de se faire entendre, sans défense aucune, sans aucune mesure de police. On ne fut plus exposé, ni dans les rues, ni dans les auberges, ni à Berne, ni à Fribourg, ni à Genève, ni dans le canton de Vaud à ces manifestations anarchiques. Pour la première fois depuis longues années, les méchants commencèrent à trembler, et les honnêtes gens espérèrent. Le jour où l'on chantait dans toutes les paroisses un Te Deum d'actions de grâces pour la prompte et grande victoire qui délivrait la patrie des périls de 1852, les paysans de Fribourg allumèrent des feux de joie sur leurs montagnes, comme ils en avaient allumé déjà pour célébrer le rétablissement du Saint-Père dans sa capitale par les armes françaises. Le gouvernement radical et ses préfets laissèrent faire, non sans témoigner leur mauvaise humeur; mais ils n'osèrent pas en cette occasion, suivant leur coutume, jeter en prison les citoyens qui avaient ainsi donné à la France des marques de leur sympathie. Ils se contentèrent d'accueillir avec honneur les réfugiés du jour,

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