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défense ou la vengeance. Et, tandis que, entre particuliers, c'est une règle que nul ne se fait justice à soi-même, entre nations, le principe est renversé, faute d'un pouvoir supérieur à l'oppresseur et à l'opprimé pour garantir, par la force coercitive, les conditions de l'ordre international. Ce qui manque donc c'est la force, c'est-à-dire la vie, car là où est la vie, là est la force, et le droit positif ne peut être séparé de cet élément qui est son principe vital. b) Le droit public interne s'occupe de l'organisation des pouvoirs publics, et des rapports des individus avec ces pouvoirs. Or, toute infraction impliquant un rapport entre le coupable, qui est poursuivi, jugé et puni, et le pouvoir, au nom de qui la poursuite est intentée, le jugement prononcé et la peine infligée, il faut reconnaître que le droit criminel n'est qu'une des branches du droit public d'un peuple, qui se subdivise ainsi en droit constitutionnel, droit administratif et droit criminel.

Le droit criminel fait partie du droit public national à un double point de vue :

1o La peine est infligée, non seulement dans l'intérêt du particulier, offensé par le délit, mais dans l'intérêt public. Quiconque attaque le droit individuel ou le droit social entre en conflit avec l'État qui, dans toute société civilisée, est considéré comme l'organe du droit.

2° L'État lui-même a l'administration de la justice pénale. C'est en son nom que la poursuite est intentée contre le délinquant; c'est en son nom que le délinquant est jugé; en son nom que la peine est infligée; en son nom qu'elle est exécutée. Dans nos sociétés modernes, l'État monopolise la justice pénale: punir est une de ses prérogatives les moins contestées et les moins contestables.

27. L'objet propre du droit criminel est de sanctionner l'observation des préceptes du droit positif, en menaçant d'une

2 Ce qu'on appelle assez inexactement « Droit pénal international », comprend l'étude : 1o des délits commis à l'étranger; 2o des délits commis en France par ou contre les étrangers; 3o de l'extradition; 4° des communications internationales d'instructions ou de renseignements (commissions rogatoires, casiers, etc.).

peine ceux qui enfreignent ces préceptes (prévention), et en organisant des moyens propres à réaliser cette menace (répression). On a dit souvent, à raison même de ce caractère, en paraphrasant une idée de J.-J. Rousseau3, que le droit criminel n'était qu'une face de tous les autres droits, qui trouvaient en lui leur sanction. Mais cette idée est trop absolue, et, par cela même, inexacle; car, si on rencontre, dans toutes les branches du droit, un certain nombre de règles qui sont sanctionnées par des peines proprement dites et rentrent ainsi dans le droit criminel, il est vrai de dire que le droit civil, le droit commercial, le droit administratif ont, pour la plupart de leurs prescriptions, des sanctions particulières qui leur sont propres et qui leur suffisent, telles que les nullités d'actes, les réparations pécuniaires, les diverses saisies, etc.. Le droit criminel est donc distinct des autres espèces de droit: il forme l'objet d'une science autonome.

28. Ce moyen suprême de sanction, qui consiste à infliger une souffrance à l'auteur d'une violation de droit, a été pratiqué de tout temps et partout. L'existence des peines est contemporaine de l'existence des sociétés régulières. C'est un fait que l'histoire démontre".

Mais ce fait est-il légitime? et s'il est légitime, quel en est le fondement?

Comment ce fait s'est-il produit dans les sociétés, et avec quel caractère?

Ce sont là deux questions préliminaires, qui dominent le droit criminel et l'expliquent la réponse à la première nous servira

3 Contrat social, livre II, ch. XII. Telle est également la manière de voir de Bentham qui, dans le chap. III de son ouvrage, intitulé: Vue générale d'un corps complet de législation, arrive à formuler les propositions suivantes, sur les rapports du droit civil et du droit pénal, « créer les droits et les obligations c'est créer des délits », « chaque loi civile forme un titre particulier qui doit enfin aboutir à une loi pénale ».

Comp. sur ce point: ORTOLAN, Cours de législation pénale comparée, Introd. phil., p. 61.

5 Comp. PESSINA, Elementi di diritto penale (4o éd., Naples, 1880), § 1; Franz von LISZT, Lehrbuch des deutschen Strafrechts, § 4, p. 9.

d'Introduction philosophique, la réponse à la seconde, d'Introduction historique à l'étude de notre législation criminelle.

S V.

LE DROIT. SES ORIGINES. DROIT CIVIL ET DROIT CRIMINEL

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29. Loi morale. Libre arbitre. 30. Individu. Société. 31. Limites de l'intervention du pouvoir. Modes d'intervention. 32. Droit civil. Droit pénal.

29. Les sciences sociales1 ont pour sujet l'homme, la société est le milieu où elles le placent; et ce qu'elles étudient, ce sont les relations sociales, considérées sous les aspects divers et complexes qu'elles embrassent. Toute science, qui a pour objet et pour sujet l'homme, doit prendre, comme point de départ de ses recherches, l'observation de l'homme. Or, un fait frappe tout d'abord quand on observe l'homme tandis que

tous les autres êtres sont soumis à des lois fatales, l'homme, au contraire, paraît libre de ses actions. L'homme paraît libre: estce à dire qu'il ne soit soumis à aucune loi? Non, cette liberté, dont nous avons conscience, n'a pas et ne saurait avoir cette étendue. Tout être a sa loi, l'homme, comme les autres êtres, c'est-à-dire que tout être a un but à atteindre, une fin à accomplir parti d'un point, il doit arriver à un autre, et la loi n'est que le principe de direction qui préside à ce mouvement 2.

§ V. Existe-t-il une science sociale? H. SPENCER, Introduction à la science sociale, chap. 2, a très finement réfuté les objections principales qui ont été élevées à ce sujet. La première est tirée de la liberté des actions humaines, qui semble exclure la matière d'une science de ces actions, puisque les lois, auxquelles on prétendrait les soumettre, n'auraient pas un caractère nécessaire et, par conséquent, scientifique. La seconde est fondée sur l'impossibilité de formuler des règles universelles et permanentes, en ce qui concerne la plupart des intérêts collectifs des sociétés; tandis qu'il est de l'essence des vérités scientifiques de s'imposer partout et toujours. Voy. également G. de GRAEEF, Les lois sociologiques, 1893.

La question du libre arbitre domine le droit tout entier. On sait que, dans la théorie spiritualiste, les deux causes assignées à la liberté sont : 1o une cause intérieure et psychologique : l'homme est libre parce qu'il est doué de raison; 2o une cause métaphysique: l'homme est libre parce que les biens qui sollicitent sa liberté n'ont rien de nécessitant.

Mais, tandis que la loi est imposée aux autres êtres, elle est proposée à l'homme : car l'homme est libre de lui obéir; il peut suivre la direction qui lui est tracée ou s'en écarter.

Dans son sens le plus général, la loi est donc le principe de direction, qui est tantôt imposé, tantôt proposé aux êtres, dans leur développement.

Pour l'homme, cette loi a un caractère spécial maître matériellement de faire ou de ne pas faire, l'homme est asservi rationnellement; à côté de la liberté de fait dont il est doué, il existe, pour lui, des nécessités rationnelles d'action ou d'inaction. Ces nécessités d'action ou d'inaction sont ce que l'on nomme les lois de la conduite de l'homme, ou lois morales, el cette faculté, qui apprécie les motifs des actes libres, qui met en rapport l'acte qu'il s'agit d'accomplir avec ces lois rationnelles, cette faculté s'appelle le sens moral ou la conscience.

On est certainement d'accord pour constater l'existence actuelle, chez l'homme, d'un sens moral; mais on diffère profondément sur l'origine de cette faculté. A toutes les époques de l'histoire, aujourd'hui, comme aux temps anciens d'Epicure et de Platon, deux écoles antagonistes se trouvent en présence : - l'une est celle des moralistes qui pensent que le sens moral est une faculté primitive, innée, que tout homme apporte en venant au monde; que les jugements de cette faculté ont un caractère d'évidence qui ne se raisonne pas; qu'ils sont, à travers les sophismes de l'intérêt et le tumulte des passions, l'écho plus ou moins affaibli de la voix de Dieu même dans l'âme humaine; — l'autre école, sans contester l'existence actuelle du sens moral, ne voit, dans cette faculté, qu'un produit social, le résultat accumulé, chez chacun de nous, d'un travail de réflexion et d'élaboration qui se poursuivrait depuis des siècles l'homme aurait vu que tels actes lui étaient utiles dans leurs conséquences, que tels autres lui étaient préjudiciables; et ces expériences répétées d'utilité, les réflexions qu'elles auraient suggérées de générations en générations, transmises par la loi de l'hérédité, auraient constitué, à chacun de nous, un sens moral, une conscience.

Je n'ai pas à examiner sur quelles subtiles explications les

partisans de la morale inductive on dérivée, par opposition à la morale intuitionniste, fondent leur système. Ce que l'on peut affirmer, c'est que leur théorie sur l'origine du sens moral est destructive de tout droit et de toute justice: quel respect peut exiger de l'homme un droit et une justice qui ont leurs époques, qui demain peut-être cesseront d'être le droit et la justice? Si la morale n'a pas d'autre appui que cette impulsion héréditaire, cette « voix des aïeux », si elle n'a pas de réalité objective, elle n'est qu'une admirable invention de l'homme. Or, la première condition de toute morale est évidemment l'existence d'une loi impérative, loi supérieure à l'homme et dont le principe ne peut être qu'une intelligence éternelle. Sans Dieu, point d'obligation morale; et la preuve que ces deux termes s'expliquent naturellement, c'est que tous ceux qui ont nié Dieu ou qui ont dénaturé l'idée de Dieu, en niant sa personnalité, en sont venus, par la force irrésistible des choses, à nier l'obligation morale. Si l'impératif catégorique de Kant est un « vieux reste du Décalogue », comme l'a dit Schopenhauer, cela prouve tout simplement que c'est au verbe divin qu'il faut rattacher le principe de la loi dư bien et du mal et que la « Morale sans obligation ni sanction »>< est une contradiction.

Il faut du reste reconnaître, en faisant abstraction de toute conviction philosophique personnelle, que la conception du droit, chez les peuples modernes, repose sur deux faits de conscience et, comme le disent les philosophes, sur deux postulats essentiels l'existence d'une loi morale qui s'impose à l'homme comme règle de conduite, et la liberté pour l'homme d'y conformer ses actes. Du rapprochement de ces deux idées, naissent, en effet, la responsabilité, c'est-à-dire le devoir, et l'inviolabilité, c'est-à-dire le droit l'homme n'est responsable que parce qu'il est libre, et il n'est inviolable que parce qu'il est responsable; de sorte que, dans l'acceptation la plus haute du mot, le

* Voy., par exemple: HERBERT SPENCER, Les bases de la morale évolutionniste, 1880; Principes de sociologie, 1876. GAROFALO, La criminologie, p. 6. Comp. L. CARRAU, Etudes sur la théorie de l'évolution, aux points de vue psychologique, religieux et moral, 1879.

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