Page images
PDF
EPUB

lui a inspirée. C'est une solution que nous développerons à propos de l'excès de défense.

b) La crainte peut être l'effet des menaces auxquelles on a recours pour déterminer celui auquel elles sont faites à commettre un acte délictueux. Dans certaines conditions, c'est là un cas de contrainte morale de nature à amener l'impunité. La forme de menaces la plus grave est celle dans laquelle le provocateur commence l'exécution de ses menaces: par exemple, il a séquestré la personne menacée, il l'a soumise à des tortures corporelles, il a détruit ou dégradé ses propriétés, dans l'intention de continuer la contrainte jusqu'à l'exécution du délit. Lorsque, par suite de la menace, le fait délictueux est exécuté ou a reçu un commencement d'exécution, le provocateur est puni comme complice du crime ou du délit, par application de l'article 60 du Code pénal. Quant au provoqué, bien qu'auteur matériel du délit, sa culpabilité disparaît, s'il n'a pu résister à la pression exercée sur lui. C'est l'article 64 qu'il faut appliquer. Sans doute, les violences morales ne constituent past une contrainte physique ou matérielle, destructive de la liberté, c'est-à-dire du pouvoir d'exercer la volonté mais ces violences agissent sur la volonté même, par l'effet de la crainte qu'elles inspirent. La double considération, que nous avons fait valoir dans l'état de nécessité, retrouve ici son application. Il se produit un conflit d'intérêts, dans lequel la volonté, qui n'est pas héroïque, prend parti pour ses intérêts propres et leur sacrifie les intérêts d'autrui. C'est un résultat trop humain pour qu'il puisse être évité. La loi pénale est impuissante, par la menace d'une peine lointaine et éventuelle, à contrebalancer, dans l'esprit de l'agent, la menace du mal présent. Elle s'abstient donc de punir, parce que la société n'a le droit de le faire qu'en vue d'un résultat à obtenir et non en vue de l'expiation, c'est-à-dire du malum passionis propter malum actionis.

c) Enfin, il y a une contrainte qu'on appelle impropre : elle a lieu, lorsque, sans aucune menace de mal corporel imminent, une personne s'est déterminée à commettre le délit pour obéir à l'ordre d'une autre personne qui exerçait sur elle une autorité soit domestique, soit politique. Mais cette situation, qui se rat

tache aux hypothèses prévues par l'article 327 du Code pénal, dont elle dérive, sera examinée à propos des faits justificatifs.

273. La doctrine et la jurisprudence françaises sont d'accord sur deux points: 1° sur le principe que la contrainte morale est exclusive de toute culpabilité, comme la contrainte physique; 2° sur l'application de ce principe aux contraventions comme aux crimes ou aux délits 1

15

Mais il reste à se demander dans quels cas la contrainte morale est suffisante pour produire ce résultat.

L'article 64 n'exige qu'une condition, que l'agent n'ait pu résister. Le vague même des expressions légales nous indique que le législateur a voulu laisser au juge une grande latitude pour mesurer le degré et l'intensité de la contrainte 16. Si l'on analyse les circonstances dans lesquelles elle existe, on voit qu'elles supposent le concours de quatre conditions: 4° Il faut que le fait, d'où résulte la coaction, soit imprévu, et n'ait pas pu être prévenu. S'il eût été au pouvoir d'un homme prudent de l'éviter, l'agent devrait subir les conséquences d'une situation qui lui serait imputable; 2° Il faut que la crainte du mal dont l'agent est menacé soit une crainte fondée, de nature à produire, sur son esprit, une impression profonde: Vani timoris justa excusatio non est, disait un jurisconsulte romain 17. C'est, dans l'appréciation de cette condition, que le juge pénal doit tenir compte d'une règle rationnelle, écrite dans l'article 1112, § 2,

15 Le projet de révision du Code pénal, préparé par la commission, réunit, dans l'article 54, comme circonstances excluant les peines, l'état de légitime défense, l'état de démence, ou lorsque l'agent « a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister ». Aucune des questions délicates que soulève cette dernière situation ne serait donc tranchée.

16 Je ne veux pas dire par là que les décisions du juge du fait sur la détermination des caractères légaux de la contrainte échappent au contrôle de la Cour de cassation. C'est le contraire qui est vrai. La loi exige, en effet, pour que la responsabilité disparaisse, une force à laquelle l'agent n'a pu résister. C'est donc méconnaître la loi que d'attribuer ce caractère à des faits de coaction qui laissent à l'agent la possibilité de résister. Aussi, la Cour suprême s'est toujours reconnue le droit de contrôler les caractères légaux de cette cause de non culpabilité. Cfr. Cass., 28 févr. 1861 (D. 61.1.141); 28 avr. 1865 (D. 65.1.245); 2 déc. 1871 (D. 71.1.366).

17 Celsus, loi 184, De regulis juris.

du Code civil, à propos des effets de la violence sur la validité des conventions. Ce texte exprime, en effet, ce principe de bon sens qu'on doit juger humainement les choses humaines et ne point exiger d'une personne plus de fermeté qu'elle n'en peut avoir étant donné le milieu où elle vit on doit donc apprécier le degré et l'intensité de la contrainte, en ayant égard à l'âge, au sexe et à la condition des personnes; 3° Il faut que le mal dont l'agent est menacé soit grave et ne paraisse pas moindre que celui que doit causer l'acte illicite lui-même 18; 4° Il faut, enfin, que ce mal soit présent, imminent, injuste, et que l'agent ne puisse l'éviter qu'en exécutant l'acte qui lui est reproché. S'il s'agissait d'un mal qu'on n'aurait à subir que dans l'avenir, on pourrait recourir à la protection de l'autorité.

274. Peut-on invoquer, comme cause d'irresponsabilité pénale, la nécessité de donner satisfaction au besoin de se nourrir, de se vêtir? La soustraction d'aliments, de vêtements, estelle pénalement imputable, dans le cas d'extrême misère? Il n'est pas, au moyen âge, un seul auteur qui ait considéré comme punissable le vol commis par nécessité; tous se basent, par exemple, non sur la nécessité même, mais sur un principe spécial de communauté de biens en cas de nécessité 19. La situation. que nous prévoyons rentrerait, aujourd'hui, dans les termes de l'article 64 du Code pénal, tel que nous l'avons interprété. En vain, dira-t-on, que l'état de nécessité doit résulter d'une force étrangère à l'agent et non pas d'une cause interne qui lui est plus ou moins imputable car la misère qui place l'agent dans l'alternative de voler ou de mourir de faim ou de froid suspend l'application des lois ordinaires, parce que les lois ordinaires ne sont pas faites pour les cas exceptionnels, et qu'elles ne peuvent obliger, sous une sanction pénale, à respecter la propriété d'autrui jusqu'au sacrifice de sa propre vie.

18 Il n'y a donc pas à distinguer, comme on le fait parfois, si le danger d'où est venu la contrainte menaçait l'agent qui l'invoque dans sa personne ou dans ses biens. Il est nécessaire, mais il suffit, que, se plaçant dans les circonstances de la cause, le juge compare le mal commis avec celui que l'agent a voulu éviter.

19 V. sur ce point: MORIAUD, op. cit., p. 88 et suiv.

§ XLII. DE L'INTENTION CRIMINELLE'.

275. Position de la question. 276. Double problème.

275. La culpabilité pénale suppose le concours de l'intelligence et de la volonté dans l'acte particulier dont on veut rendre l'agent responsable. Sur la nécessité de ces conditions comme éléments moraux du délit, aucun doute ne s'élève : l'absence de l'une ou de l'autre, quelle que soit le caractère de l'infraction, quelque minime qu'en soit la peine, a pour conséquence de faire disparaître le crime, le délit ou la contravention, parce qu'elle a pour conséquence de faire disparaître toute faute, et qu'il ne peut y avoir de coupable sans une violation de droit imputable. Ainsi, démontrer que l'agent n'a pas pu comprendre ce qu'il faisait ou qu'il n'a pas été libre de le faire ou de ne pas le faire, c'est réduire la violation de la loi à une violation purement matérielle et accidentelle dont on ne peut demander compte à l'agent pour lui en faire subir les conséquences. Mais ces conditions suffisent-elles? L'agent ne peut-il pas prétendre qu'il était de « bonne foi », qu'il n'avait pas l'«< intention » de commettre l'infraction, et, en le prouvant, établir, par cela même, qu'il n'est pas « coupable »? C'est se demander quel rôle joue l'absence d'intention, la bonne foi, dans le problème de la responsabilité pénale.

276. Cette question se dédouble: 1° Il faut, en effet, déterminer et préciser d'abord en quoi consiste l'intention criminelle; 2o Il faut ensuite examiner si l'imputabilité peut exister en l'absence de cette intention.

1

§ XLII. BIBLIOGRAPHIE VILLEY, De l'intention en matière pénale (La France judiciaire, 1876, t. I, p. 1 et 313); LE SELLYER, De l'intention en matière pénale (ibid., t. I, p. 111); A. LABORDE, De l'élément moral dans les infractions non intentionnelles (Rev. crit., 1885, p. 256 à 258); ORTOLAN, t. I, nos 247 à 236; 378 à 409; HAUS, t. I, nos 298 à 329, 702 à 713; LAINÉ, nos 196 à 207. Voy. surtout: ALIMENA, op. cit., t. I, p. 407 à 521.

§ XLIII. EN QUOI CONSISTE L'INTENTION CRIMINELLE.

277. En quoi l'intention est distincte de la volonté. 278. La faute intentionnelle et la faute inintentionnelle. 279. La faute intentionnelle. Division.

280. De l'intention criminelle ordinaire. De l'intention spéciale, plus spéciale. Les motifs et le but comparés à l'intention. Intention réfléchie. Intention irréfléchie. Préméditation. - 281. Intention déterminée, indéterminée ou éventuelle. 282. De la faute. Pourquoi elle est punissable. Distinction des degrés de la faute. 283. De l'application de la causalité en matière de faute. Cause directe. Cause indirecte.

277. L'intention, dans le sens étymologique du mot, exprime la direction de la volonté vers un but (in tendere); en matière pénale, c'est la direction de la volonté vers l'action ou l'omission incriminée. En prenant ce mot dans cette acception, il est vrai de dire que « il n'y a pas de délit sans intention »>, que <«< c'est l'intention qui fait le délit », que tout délit se compose «du fait et de l'intention », car l'intention se confond alors avec la volonté, et le caractère volontaire du fait (volontarieta del fatto) est précisément ce qui distingue l'acte de l'homme de l'acte d'un être quelconque ou d'un événement fortuit. En effet, toute action ou toute omission ne peut être l'objet d'une imputabilité pénale qu'à la condition d'être l'œuvre de la volonté humaine1. Mais on conçoit que cette direction de la volonté soit de deux natures et qu'elle puisse avoir, en quelque sorte, un double degré d'intensité.

a) Le plus souvent, l'agent, ayant conscience de l'immoralité, de l'illégalité de l'acte qu'il commet, ou mieux des conséquences dommageables qu'il peut avoir sur les biens protégés par la loi,

§ XLIII. Il n'est permis à aucune école philosophique ou juridique de croire ou de faire croire qu'un homme puisse être puni à raison d'une action ou d'une omission qui serait l'effet d'un cas fortuit. Or, la « volonté », ou mieux la «< volition » est reconnue et admise par la conscience de tous les hommes comme la cause immédiate de nos actions. De là l'idée de faire de la volontarieta del fatto la base de la responsabilité délictuelle. C'est le système consacré par le Code pénal italien, dans l'article 46, déjà cité, suprà, p. 433, note 5. Voy. ALIMENA, op. cit., t. I, p. 419 et suiv.

« PreviousContinue »