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CHAPITRE VII.

GRANDE-BRETAGNE.

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Bill des titres ecclésiastiques, scandales popu laires, crise ministérielle, abandon des clauses les plus importantes du bill, vote; oppositions, protestation en Irlande, création d'un nouveau siége épiscopal, progrès du catholicisme, faiblesse de l'établissement anglican. Situation des finances et de l'industrie; exposition universelle, ses résultats; exposé financier, abandon de la taxe sur les fenêtres, excédant de recettes ; le revenu public; le budget; les chemins de fer. - Questions extérieures; les réfugiés; encouragements à la révolution en Europe; chute de lord Palmerston ; terreurs britanniques. AMÉRIQUE. États-Unis Soixante-seizième anniversaire de la déclaration d'indépendance; pose de la première pierre du nouveau Capitole à Washington; discours de M. Webster; progrès immenses de l'Union; importations et exportations; navigation; Californie, son avenir; influence de la découverte de l'or sur la civilisation générale. Relations extérieures; le principe d'intervention; querelle avec l'Autriche; réception de M. Kossuth; expédition contre Cuba. Brésil. - État général du pays; ouverture de la session législative; discours impérial; les partis et les hommes; les adresses; les ministères, finances, guerre, marine, affaires intérieures, justice, Eglise; la traite et la colonisation; travaux publics. Questions extérieures; affaires de la Plata; intervention; origines de la question; la diplomatie européenne, ses résultats; le traité Leprédour; entrée en campagne des forces brésiliennes et d'Urquiza; défaite d'Oribe; prise de Montévidéo; traités signés avec l'Uruguay et le Paraguay; rôle nouveau du Brésil dans l'Amérique du sud.

États de la Plata.

Chili.

Finances; intervention brésilienne.

Modifications à la législation maritime; négociations commerciales avec la France.

GRANDE-BRETAGNE.

Au milieu du mouvement de progrès matériel qui entraîne les forces productives de la Grande-Bretagne, un événement moral d'une haute portée est venu tout à coup révéler la faiblesse de cette organisation, si puissante en apparence, du Royaume-Uni. On se rappelle quelles colères avaient accueilli dans le protestan

tisme la bulle par laquelle le saint-père avait institué dans la Grande-Bretagne des circonscriptions diocésaines. Excité par une lettre de lord John Russell, lettre écrite à l'évêque de Durham et dans laquelle un ministre anglais insultait à la religion d'une partie considérable de la nation, le fanatisme anglican avait organisé des démonstrations populaires dignes du moyen âge. C'est par des scènes honteuses que le protestantisme avait célébré, l'année précédente, l'anniversaire du 5 novembre. Cette année, au milieu du calme qui avait succédé à l'agitation antipapale, des orgies non moins scandaleuses eurent lieu dans la plupart des villes de province. On ne saurait croire, si on ne les avait vues, à ces saturnales tolérées par le gouvernement d'une nation civilisée. Ce n'était pas assez d'insulter dans le saint-père un monarque de l'Europe, on blasphémait de la manière la plus hideuse la mère de Dieu.

Quelques sages esprits s'effrayaient de ces violences. Vous excitez le peuple, disaient-ils, à crier: No popery! qui vous dit que bientôt il n'en arrivera pas à crier: No church! après: A bas le Pape! A bas l'Eglise ! Et pense-t-on qu'après ces deux triomphes, la populace ameutée s'arrêtera en si beau chemin? Dans un pays où l'Eglise officielle est si intimement unie à l'Etat, ne craignez-vous pas que l'ébranlement de l'établissement religieux ne cause celui de l'édifice politique? Tous les respects se commandent et se tiennent. Qui détruit l'un, détruit les autres. Et quand on a déchaîné les populations contre cette autorité, il ne faut pas s'étonner si elle se tourne contre cette autre.

Cependant lord John Russell avait annoncé un bill pour réprimer ce qu'on appelait l'agression papale. A l'ouverture du Parlement (4 février), le discours royal déclara que le gouvernement prendrait des mesures pour défendre la suprématie anglicane, tout en respectant la liberté religieuse.

Le 8 février fut présenté, en effet, un « bill pour empêcher de prendre certains titres ecclésiastiques dans les places du RoyaumeUni. » Le bill punissait cette usurpation d'une amende, annulait tous les actes accomplis, et invalidait toutes donations et substitutions faites aux catholiques en vertu de pareils titres.

L'immense et confuse discussion qui s'engagea sur ce bill fut

tout à coup interrompue par un échec que subit le ministère à propos d'une réforme de détail proposée par M. Locke-King, sur le droit de vote des tenanciers. Le 24 février, le cabinet donna sa démission: mais en vain lord Stanley et les Peelites cherchèrent à former une administration nouvelle: il fallut que le cabinet tombé remontât au pouvoir.

A la seconde lecture, grâce à la crise ministérielle, le bill des titres ecclésiastiques s'était vu réduit à la première clause, à la moins sérieuse, c'est-à-dire à l'amende. Ainsi mutilé, ce bill qu'on avait si fièrement annoncé, passa à la majorité de 478 voix contre 95. Il fut voté à la Chambre des lords à 227 voix de majorité et reçut la sanction royale le 1er avril (voyez le texte à l'Appendice).

Des hommes considérables du parti protestant avaient fait à cette mesure dérisoire une opposition sérieuse. Le duc d'Aberdeen en avait demandé le renvoi à six mois. Sir James Graham s'était attaché à faire ressortir les équivoques, les doutes, et par suite les dangers de la première clause du bill, et avait vu dans cet article une aggravation des deux clauses abandonnées par le ministère dans le premier projet soumis à la Chambre. Si tout acte, bref, rescrit émané de Rome était nul et illégal devant les tribunaux anglais, si toute juridiction spirituelle exercée en vertu de ces brefs était nulle et illégale, l'Angleterre et l'Irlande se trouveraient, par le fait de l'adoption de la loi, privées d'évêques, si cela pouvait être. Les archevêques et évêques d'Irlande, qui avaient toujours eu des titres locaux, ainsi que les nouveaux évêques d'Angleterre, ne pourraient plus ordonner, ou, s'ils passaient outre et administraient le sacrement de l'ordre, leurs prêtres ne pourraient pas marier sans s'exposer à voir les tribunaux, sur la demande de l'une des parties, prononcer la nullité du mariage.

La première protestation contre la loi devait partir de l'Irlande, où une nouvelle association venait d'être organisée sur les bases de la célèbre association catholique qui, en 1829, emporta l'émancipation. La reine, en sanctionnant le bill, avait donné le signal d'une agitation religieuse qui allait rappeler les jours d'O'Connell. Le premier meeting de l'association eut lieu à Dublin le 6 août, jour anniversaire de la naissance du tribun qui fut

surnommé le libérateur de l'Irlande. La convocation du meeting était signée par vingt-cinq archevêques et évêques, par trente membres du Parlement et par un grand nombre de magistrats, de membres de l'aristocratie, d'hommes éminents dans toutes les professions libérales.

Au moment même où l'Angleterre protestante refusait au souverain pontife le droit d'ériger des siéges épiscopaux et de nommer des évêques dans toute l'étendue de l'empire britannique, le saint-siége répondait aux clameurs anglicanes en usant de nouveau de son droit et en exerçant l'autorité qu'on lui déniait. Le pape érigeait en Irlande un nouveau siége épiscopal. Le diocèse de Cloyne et Ross était divisé en deux, et S. S. Pie IX nommait un évêque au nouveau diocèse.

Voici maintenant quel a été le résultat inévitable de cette tentative ridicule de persécution.

L'année 1851 a vu, en Angleterre, un mouvement heureux et bien significatif de retour vers le catholicisme. Sans parler des couvents et des congrégations religieuses, dix-neuf églises nouvelles se sont élevées sur le sol de la Grande-Bretagne, et c'est par centaines qu'il faut compter le nombre des conversions, même parmi les ministres de l'Église anglicane (1).

Ainsi chancelle, sous la main si faible en apparence du chef de l'Eglise catholique, l'un des supports les plus puissants du gigantesque édifice britannique, la hiérarchie épiscopale. L'Eglise anglicane, manquant à son sommet d'une autorité spirituelle qui précise le dogme, attise la foi, entretienne la discipline, est émiettée peu à peu par le puséisme, qui ramène au catholicisme les hommes de foi, et par l'ultra-rationalisme, avec ses conséquences de scepticisme révolutionnaire.

(1) Citons, entre beaucoup d'autres, les révérends Bedford et Dodsworth, curés de l'église du Christ, le révérend Harpes, le révérend Vale, de la chapelle du palais de Buckingam: à Lieds, les révérends Rooke, Coombs et Crawley, tous trois curés de Saint-Sauveur; à Chichester, le vénérable archidiacre Manning; à Bristol, le révérend Towry Law, frère de lord Ellenborough. Parmi les convertis de distinction, on remarque M. Hope, l'un des conseillers de la reine, rédacteur du Morning-Chronicle; lord Nigel Kennedy, en Ecosse; la marquise de Lothian, lady Newry, lady Howard, lady Peat et sa famille, sir Vere de Vere et sa famille, sir J. Talbot, amiral de la flotte et grand commandeur de l'ordre du Bain, etc.

La session fut, du reste, singulièrement stérile. En dehors des questions religieuses, le Parlement n'eut guère à s'occuper que de la situation financière et de l'industrie.

Ces questions furent dominées, cette année, par un grand fait, le concours industriel de toutes les nations dans le palais de cristal d'Hyde-Park. Nous avons dit ailleurs comment la Grande-Bretagne, à la faveur de nos divisions intérieures, s'était habilement emparée de cette idée toute française. La première colonne du palais fut posée le 26 septembre 1850. L'exposition, ouverte le 1er mai 1851, fut close le 15 octobre; elle avait, durant ces cinq mois et demi, attiré sept millions de visiteurs tant du RoyaumeUni que de toutes les parties du monde, et ses recettes s'étaient élevées à une somme de plus de 13 millions de francs. C'est au moyen de ressources individuelles, sous la direction éclairée du prince Albert, que toute cette affaire avait été conduite.

Le 15 octobre, les exposants furent réunis dans le palais de cristal pour une dernière cérémonie : le vicomte Canning, président du conseil des exposants, présenta au prince Albert, président de la commission royale, les rapports du jury international, et proclama les noms des exposants que le jury avait jugés dignes de récompense.

La Grande-Bretagne comptait 9,970 exposants; la France, 1,750; le Zollverein, 1,450; l'Autriche, 750; les Etats-Unis, 600; la Belgique, 520; l'Espagne, 475; la Russie, 376; la Turquie, l'Egypte, Tunis, la Perse, la Grèce, 300; la Suisse, 280; l'Italie, 280; l'Allemagne du Nord, 170; les Etats scandinaves, 170; le Portugal, 128; la Hollande, 120; la Chine, le Brésil, le Chili, la Nouvelle-Grenade, etc., 64. Le jury international était composé de 314 membres.

Le globe tout entier avait donc répondu à l'appel. La GrandeBretagne et la France occupèrent dans ce concours des nations un rang exceptionnel; mais, peut-être, en raison de ses longues. et pacifiques prospérités, le Royaume-Uni n'avait-il pas déployé toute la puissance industrielle dont il espérait écraser le reste du monde.

L'exposition universelle paraît appelée à exercer une influence sérieuse, inattendue sur la direction industrielle de l'Angleterre.

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