Page images
PDF
EPUB

dures dans une seule? Faut-il réunir tous les délits dans un mème débat et les soumettre au même juge?

Notre ancienne législation avait résolu cette question affirmativement. L'article 23 du titre II de l'ordonnance de 1670 portait « Si, après le procès commencé pour un crime prévôtal, il survient de nouvelles accusations, dont il n'y ait point eu de plainte en justice, pour crimes non prévôtaux, elles seront instruites conjointement et jugées prévôtalement. » Et l'article 17 de la déclaration du 5 février 1731 ajoutait, d'une autre part, que, « si les accusés se trouvent poursuivis pour des cas ordinaires et pour des cas prévôtaux, la connaissance des deux accusations appartiendra aux baillis et sénéchaux, à l'exclusion des prévôts, s'ils avaient informé avant ces derniers juges ». M. Pussort disait, en expliquant la première de ces dispositions: « Ce n'est pas qu'il n'en puisse arriver quelques inconvénients; mais il s'en trouvera de plus grands dans la séparation des accusations. Les choses unies sont plus fortes que celles qui sont divisées. Chaque crime en particulier ne saurait être puni avec la même sévérité que si toutes les accusations étaient jointes. L'on connaît mieux l'état de la vie d'un accusé et quelles peines il mérite en examinant d'une même vue tous ses crimes'. » Jousse pose en conséquence en principe que « le juge qui connaît du crime d'un accusé peut aussi connaître incidemment des autres crimes de cet accusé, quoique commis hors son ressort et quoique cet accusé ait son domicile dans une autre juridiction..... En effet, il est convenable que les crimes ne soient point divisés : le juge connaît mieux par ce moyen les mœurs de l'accusé et quelles peines il mérite, au lieu que, si les accusations étaient divisées, chaque crime en particulier ne pourrait être puni avec la même sévérité, ni avec la juste proportion que mérite la mauvaise conduite de l'accusé*. »

Cette indivisibilité des délits commis par un même agent se retrouve dans notre législation nouvelle. Les articles 7 et 8 du titre I du Code militaire du 30 septembre-19 octobre 1791 sont ainsi conçus : « Si, pour raison de deux faits, la mème personne est dans le même temps prévenue d'un délit commun et d'un délit militaire, la poursuite est portée devant les juges ordinaires. Lorsque les juges ordinaires connaissent en même temps, par 1 Procès-verbal de l'ord., p. 17.

Tom. I, p. 506,

.

:

la préférence qui leur est accordée, d'un délit commun et d'un délit militaire, ils appliqueront les peines de l'un et de l'autre si elles sont compatibles, et la plus grave si elles sont incompatibles. » L'article 98 de la loi du 28 germinal an VIII portait également « Si l'officier, sous-officier ou gendarme est accusé tout à la fois d'un délit militaire et d'un délit relatif au service. de la police générale ou judiciaire, la connaissance appartiendra au tribunal criminel. Le Code du 3 brumaire an IV portait, dans son article 233, que, « lorsque plusieurs délits sont imputės au même prévenu, le directeur du jury peut dresser un ou plusieurs actes d'accusation, suivant ce qui résulte des pièces relatives aux différentes espèces de délits ». Mais l'article 234 ajoutait « Néanmoins le directeur du jury ne peut, à peine de nullité, diviser en plusieurs actes d'accusation, à l'égard d'un seul et même individu, soit les différentes branches et circonstances d'un même délit, soit les délits connexes dont les pièces se trouvent en même temps produites devant lui. »

Notre Code n'a point reproduit ces dispositions. Il se borne à distinguer si les délits sont ou ne sont pas connexes. S'ils sont connexes, le procureur général ne peut, s'ils sont réunis dans le même acte d'accusation, en demander la séparation. S'ils ne sont pas connexes, il peut, au contraire, en provoquer la division. Lorsque l'acte d'accusation, porte l'article 308, contiendra plusieurs délits non connexes, le procureur général pourra requérir que les accusés ne soient mis en jugement quant à présent que sur l'un ou quelques-uns de ces délits, et le président pourra l'ordonner d'office. »

[ocr errors]

Nous pensons qu'en général il convient de grouper dans une même accusation les différents faits qui sont imputės à un même prévenu le juge appréciera plus exactement la moralité de cet agent et les dangers qu'il peut occasionner à l'ordre public quand il connaitra tous les actes de sa vie, les circonstances qui l'ont entraîné d'une faute à une autre faute, le lien moral qui peut enchaîner ces différents délits et le caractère particulier de chacun d'eux; il établira plus facilement le rapport de tous ces faits avec la peine qui doit être appliquée au coupable lorsque tous les éléments de sa criminalité seront devant ses yeux. Telle a été aussi la pensée de la loi l'article 308, en autorisant le procureur général à requérir, quand il le juge utile, la disjonction des

délits non connexes contenus dans le même acte d'accusation, suppose par là même que ces délits, quoique non connexes, ont pu être joints; et l'article 365 suppose également cette jonction quand il dispose, en termes généraux, que, « en cas de conviction de plusieurs crimes ou délits, la peine la plus forte sera seule prononcée ». Ainsi la Cour de cassation a dû rejeter un pourvoi fondé sur la jonction de plusieurs procédures non connexes dirigées pour crimes distincts contre le même accusé, « attendu que la cour, en joignant les causes dans l'intérêt de la prompte et bonne administration de la justice, a usé d'un droit qui lui appartenait et n'a point nui au droit de défense 1».

Ce n'est pas qu'il y ait lieu d'assimiler le cas où plusieurs délits sont commis par un même agent au cas où plusieurs agents ont participé au même délit. Dans cette dernière hypothèse, la procédure est indivisible, parce qu'elle a pour objet un seul fait; dans l'autre, au contraire, elle peut être divisée, puisqu'elle a pour objet des faits distincts et non connexes. Dans un cas, tous les auteurs du même délit ont droit à un jugement commun; dans l'autre, l'agent n'a aucun droit à être jugé à la fois sur tous ses méfaits, s'ils sont justiciables de juges différents; car le concours de ces délits ne peut lui créer une position qu'il n'aurait pas s'il les avait commis successivement. L'intérêt de la bonne administration de la justice demande la jonction des délits, mais c'est là le seul motif qui puisse être invoqué, et tel est le motif qui a sans doute porté la loi, dans cette hypothèse, à ouvrir une simple faculté au juge soit pour la jonction, soit pour la disjonction des préventions.

Mais il suffit que le concours des délits, même non connexes, puisse motiver leur réunion dans une même procédure; il suffit que la loi, loin de proscrire cette réunion, l'ait implicitement autorisée dans tous les cas où le ministère public et le président de la juridiction saisie ne s'y opposent pas pour qu'il en résulte une exception facultative aux lois générales de la compétence: la juridiction saisie de l'un des délits peut envelopper les autres délits commis par le même prévenu, lors même qu'ils ont été commis dans un autre territoire; et dès lors le précepte de la compétence ratione loci peut se trouver modifié la jonction 1 Cass. 7 févr. 1828 (J. P., tom. XXI, p. 1141).

2 Ayrault, liv. II, 4e part., n. 49.

:

des délits concomitants dessaisit les juges des lieux où ils ont été commis. Nous examinerons tout à l'heure quel est celui de ces différents juges qui doit demeurer saisi : nous nè constatons encore que la prorogation de compétence.

§ II. De la prorogation de juridiction à raison de la connexité des délits.

2359. La connexité n'est qu'une application du principe de l'indivisibilité des procédures, mais elle en diffère essentiellement. L'indivisibilité réunit tous les éléments d'un même fait la connexité rapproche des faits différents qui ont entre eux un lien commun. L'indivisibilité suppose un seul délit commis par plusieurs personnes; la connexité suppose plusieurs délits qui ont entre eux des rapports plus ou moins prochains, plus ou moins intimes. La raison des deux règles est la même : c'est la crainte d'affaiblir les preuves en divisant la cause, ou de nuire à la défense en séparant les prévenus; c'est l'intérêt de donner au jugement une base plus solide, en groupant dans le même débat tous les faits accessoires qui se rattachent au fait principal '.

Il ne paraît point que la loi romaine autorisât la prorogation d'une juridiction criminelle ratione connexitatis aucun texte, du moins, ne s'explique sur ce point, et Quintilien, en reconnaissant que dans les jugements privés un mème juge peut prononcer sur des chefs distincts, ajoute qu'il n'en est point ainsi en matière criminelle, parce que le prévenu agit d'après la formule spéciale pour chaque accusation : Quod nunc in publicis judiciis non accidit, quoniam prætor certà lege sortitur . Notre ancien droit rencontrait dans les priviléges personnels trop d'entraves pour provoquer facilement la compétence d'un juge: en général, cette prorogation n'avait lieu, sous le prétexte de la connexité, que pour amener devant le juge, déjà saisi d'une accusation, les autres accusations portées contre le même accusé ou les complices de la même accusation. La connexité servait

1 Voy., Encycl. du droit, notre article sur la connexité.

2 Voy. 1. 39, § 1, n. 19, De liber. ; Caus., l. 1, Cod. ubi de criminibus agi oporteat; et Mathæus, De crim., tit. De accusat., cap. V, 16.

3 Liv. III, cap. 10.

4 Muyart de Vouglans, Lois crim., p. 386, et Inst. crim., p. 156; Jousse, tom. I, p. 506.

encore à étendre la compétence du juge aux incidents qui s'élevaient accessoirement à l'accusation; mais on ne voit point qu'elle fut invoquée comme une cause de jonction de délits distincts. qu'un certain rapport pouvait lier entre eux.

2360. Aucune disposition de notre législation criminelle, avant notre Code, n'avait défini ce qu'il faut entendre par délits connexes. On trouve cette expression dans quelques textes, mais sans qu'elle y soit expliquée. Le Code du 3 brumaire an IV s'était borné à déclarer dans son article 234 que « le directeur du jury ne peut, à peine de nullité, diviser en plusieurs actes d'accusation à l'égard d'un seul et même individu soit les différentes branches et circonstances d'un même délit, soit les délits connexes dont les pièces se trouvent en même temps produites devant lui ».

Les articles 226 et 227 du Code d'instruction criminelle, s'ils n'ont point apporté une règle nouvelle, ont donc, du moins, donné des bases tout à fait nouvelles à la règle ancienne qu'ils ont étendue en la consacrant.

Voici le texte de ces deux articles: « Art. 226. La cour statuera, par un seul et même arrêt, sur les délits connexes dont les pièces se trouveront en même temps produites devant elles. Art. 227. Les délits sont connexes soit lorsqu'ils ont été commis en même temps par plusieurs personnes réunies, soit lorsqu'ils ont été commis par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite d'un concert formé à l'avance entre elles, soit lorsque les coupables ont commis les uns pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l'exécution ou pour en assurer l'impunité. »

Ce dernier article n'avait point été tout à fait rédigé dans ces termes actuels dans le projet du Code: ce fut la commission du Corps législatif qui en proposa la rédaction définitive. On lit dans

1 L. 6 ventôse an II.

2 Voici le texte du projet : « Les délits sont connexes soit lorsqu'ils ont été commis en même temps par les mêmes personnes, soit lorsqu'ils ont été commis par différentes personnes, mais par suite d'un concert formé à l'avance entre elles, soit lorsque les coupables ont commis les uns pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l'existence ou pour en assurer l'impunité. Locré, tom. XXV, p. 423.

« PreviousContinue »