Page images
PDF
EPUB

« Enfin, Monfieur, Dieu nous a dépouil lées de peres, de fœurs, & d'enfans. Son faint Nom foit béni. La douleur eft céans, mais la paix y eft auffi dans une foumiffion entiere a fa divine volonté. Nous fommes perfuadées que cette vifite eft une grande miféricorde de Dieu fur nous, & qu'elle nous étoit abfolument néceffaire, pour nous purifier & nous difpofer à faire un faint ufage de fes graces que nous avons reçûes avec tant d'abondance. Car croïez-moi, fi Dieu daigne avoir fur nous de plus grands deffeins de miféricorde, la perfécution ira plus avant. Humilions-nous de tout notre cœur, pour nous rendre dignes de ses faveurs fi véritables & fi inconnues aux homnes. Pour vous, je vous fupplie d'être le plus folitaire que vous pourrez, & de parler fort peu, fur-tout de nous. Ne racontez point ce qui fe paffe, fi l'on ne vous en parle. Écoutez, & répondez le moins que vous pourrez. Souvenez-vous de cette excellente remarque de M. de S. Cyran, que l'Evangile & la Paffion de Jefus Chrift eft écrite dans une trèsgrande fimplicité & fans aucune exagération. L'orgueil, la vanité, & l'amour-propre fe mêlent par-tout, & puifque Dieu nous a unies par la fainte charité, il faut que nous le fervions dans l'humilité. Le plus grand fruit de la perfécution, c'est l'humiliation; l'humilité fe conferve dans le filence. Gardons-le donc aux pieds de Notre-Seigneur, & attendons de fa bonté notre force & notre Coutien. C'eft dans ce même efprit qu'elle répondit un jour à quelques Sœurs qui lui demandoient ce qu'elle penfoit qu'elles deviendroient toutes, & fi on ne leur rendroit

[ocr errors]

point leurs Novices & leurs Penfionnaires : « Mes filles, ne vous tourmentez point de tout cela; je ne fuis pas en peine, fi on vous rendra vos Novices & vos Penfionnaires; mais je fuis en peine fi l'efprit de la retraite, de la fimplicité, & de la pauvreté fe confervera parmi vous. Pourvû que ces chofes fubfiftent, mocquez- vous de tout le refte. »

Il n'y avoit prefque point de jour, qu'on XXXVII. ne lui vînt annoncer quelques nouvelles af- Elle écrit fligeantes. Tantôt on lui difoit que le Lieu- à la Reine tenant-Civil étoit dans la clôture avec des mere pour

que ce

calomnies des enne

Maçons pour faire murer jufqu'aux portes détruire les par où entroient les charrois. Tantôt Magiftrat faifoit avec des archers des per- mis de Portquifitions dans les maifons voisines, pour Roïal. voir fi quelques-uns des Confeffeurs n'y feroient point cachés. Une autre fois, qu'on viendroit enlever & difperfer toutes les Religieufes. Mais elle demeuroit toujours dans le calme, ne permettant jamais qu'on fe plaignit même des Jefuites, & difant toujours: Prions Dieu, & pour eux & pour nous. Cependant comme il étoit aifé de juger par tous ces traitemens extraordinaires qu'il falloit qu'on eût étrangement prévenu l'efprit du Roi contre la maifon, on crut devoir faire un dernier effort pour détromper Sa Majefté. Toute la Communauté s'adreffa donc à la Mere Angelique, & on l'obligea d'écrire à la Reine mere dont elle étoit connue, & qui avoit toujours conservé beaucoup de bonté pour M. d'Andilli fon frere. Comme cette Lettre a été imprimée, nous n'en rapporterons ici que la fubftance. Elle y repréfentoit une partie des bénédictions

XXXVIII.

que Dieu avoit répandues fur elle & fur fon Monaftere, & entr'autres le bonheur qu'elle avoit eu d'avoir S. François de Sales pour directeur, & la bienheureuse Mere de Chantal pour intime amie. Elle rappelloit enfuite toutes les calomnies dont on l'avoit déchirée, elle & fes Religieufes, la protection que leur innocence avoit trouvée auprès de feu M. de Gondi leur Archevêque & leur Supérieur, & les cenfures dont il avoit flétri les infâmes libelles de leurs accufateurs, qui n'avoient pas laiffé de continuer leurs impoftures. Elle rapportoit les témoignages que ce Prélat & tous les Supérieurs qu'il leur avoit donnés, avoient rendu de la pureté de leur Foi, de leur foumiffion au Pape & à l'Eglife, & de l'entiere ignorance où on les avoit toujours entretenues touchant les matieres contestées, jufques-là qu'on ne leur laiffoit pas lire le livre de la Frequente Communion, à cause des difputes aufquelles il avoit donné occafion. Elle faifoit fouvenir la Reine de la maniere miraculeufe dont Dieu s'étoit déclaré pour elles, & la fupplioit enfin de leur accorder la même protection, que Philippe II Roi d'Efpagne fon aïeul avoit accordée à Sainte Thérefe, qui malgré fon éminente fainteté, s'étoit vûe calomniée auffi-bien que les Peres de fon ordre, & noircie auprès du Pape, par les mêmes accufations d'hérefie dont on chargeoit les Religieufes de Port-Roïal & leurs Directeurs.

La Mere Angelique dicta cette Lettre à plu Ses difpo- fieurs reprifes, étant interrompue prefque à fitions dans chaque ligne par des fyncopes, & des convulfa derniere fions violentes que caufoit fa maladie. La maladie. Lettre étant écrite, elle ne voulut plus en

tendre parler d'aucune affaire, & ne fongea plus qu'à l'éternité. Quoique depuis l'âge de 17 ans ou Dieu l'éclaira sur ses devoirs, elle eût paffé fa vie dans les exercices continuels de pénitence, & n'eût jamais fait autre chose que travaillerà fon falut & à celui des autres; elle étoit fi pénétrée de la fainteté infinie de Dieu & de fa propre indignité, qu'elle ne pouvoit penfer fans fraïeur au moment terrible où elle comparoîtroit devant lui. La fainte confiance qu'elle avoit en fa mifericorde gagna enfin le deffus. Son extrême humilité la rendit fort attentive dans ces derniers jours de fa vie à ne rien dire & à ne rien faire de trop remarquable, ni qui dɔnnât occafion de parler d'elle avec estime après la mort : & fur ce qu'on lui représentoit un jour que la Mere Marie des Anges qu'elle eftimoit, & qui étoit morte il y de mouavoit trois ans, avoit dit avant que rir beaucoup de chofes dont on fe fouvenoit avec édification, elle répondit brufquement: Cette Mere étoit fort fimple & fort humble, & moi je ne le fuis pas. Environ cinq femaines avant fa mort fes oppreffions diminuerent beaucoup, & on la crut prefque hors de péril, mais bientôt les jambes lui enflerent, & enfuite tout le corps ; & tous les maux fe changerent en une hydropifie qui fut jugée fans remede. Dans ce temps - là même, M. de Contes & M. Baïl, qui commençoient leur vifite, étant entrés dans la chambre, & M. de Contes lui aïant demandé comment elle fe trouvoit, elle lui répondit d'un fort grand fang - froid : « Comme une fille, Monfieur, qui va mourir. Hé quoi ! ma Mere, s'écria M. de Contes, vous dites

XXXIX.

cela comme une chofe indifférente : La mort ne vous étonne-t-elle point? Moi ? lui ditelle, je fuis venue ici pour me préparer à mourir; mais je n'y étois pas venue pour y voir tout ce que j'y vois ». M. de Contes à ces mots hauffant les épaules fans rien répliquer: « M. lui dit la Mere, je vous entends. Voici le jour de l'homme; mais le jour de Dieu viendra, qui découvrira bien des chofes".

Il est incroïable combien fes fouffrances Sa mort. augmentoient dans les trois dernieres feTémoigna maines de fa maladie, tant pour les douges rendus leurs de fon enflure, que parce que fon a fa faintecorps s'écorcha en plufieurs endroits. Ajouté. tez à cela un fi extrême dégoût, que la nourriture lui étoit devenue un fupplice. Elle enduroit tous ces maux avec une paix & une douceur étonnante, & ne témoigna jamais d'impatience que du trop grand foin qu'on prenoit de chercher des moïens pour la mettre plus à fon aife. » S. Benoît nous ordonne, difoit-elle, de traiter les malades comme Jesus-Chrift même ; mais cela s'entend des foulagemens nécessaires, & non pas des rafinemens pour flatter la fenfualité. On la voïoit dans un recueillement continuel, toujours les yeux levés vers le Ciel, & n'ouvrant la bouche que pour adref fer à Dieu des paroles courtes & enflammées, la plupart tirées des Pfeaumes & des autres livres de l'Ecriture. La veille de fa mort, les Médecins jugeant qu'elle ne pouvoit pas aller loin, on lui apporta pour la troifiéme fois, comme nous avons dit, le faint Viatique. Elle le reçut avec tant de marques de paix, de fermeté & d'anéantiffement, que

« PreviousContinue »