des motions et des applaudissements dans les clubs, ils cherchaient à gagner quelques chefs populaires, comme Danton; mais tout cela tournait contre eux, et ils n'avaient qu'un moyen efficace d'embarrasser la révolution, les troubles religieux. «Les prêtres et surtout les évêques, dit Ferrières, employaient toutes les ressources du fanatisme pour soulever le peuple des campagnes et des villes contre la constitution civile du clergé. On répandait des instructions destinées au peuple, où l'on disait qu'on ne pouvait s'adresser, pour les sacrements, aux prêtres intrus: que tous ceux qui y participaient devenaient coupables de péché mortel; que ceux qui se feraient marier par les prêtres intrus ne seraient pas mariés... Ces écrits produisirent l'effet qu'en attendaient les évêques: des troubles éclatèrent de toutes parts. » Dans le Gévaudan, le Poitou, la Bretagne, pays où la classe moyenne était peu nombreuse, les villes petites, les campagnes dépendantes de la noblesse, les paysans se portèrent à des violences contre les prêtres constitutionnels et les chassèrent des églises. La guerre civile devint imminente. A l'extérieur, la conduite des royalistes était encore plus hostile et menaçante. Léopold et Frédéric, ayant vu l'empressement de Louis XVI à accepter la constitution, étaient restés immobiles, et ils protestaient même de leurs intentions pacifiques; l'Angleterre paraissait résolue à garder la neutralité; il n'y avait que l'Espagne, la Suède et la Russie qui témoignassent une malveillance peu redoutable. Mais les émigrés n'en continuaient pas moins leurs apprêts de guerre; les frères du roi avaient protesté contre l'acceptation de la constitution, qu'ils disaient n'être pas sincère, protestation qui avait fait grand bruit et encouragé l'émigration; les journaux royalistes se vantaient follement des deux mille officiers qui avaient déjà abandonné l'armée, des quinze mille gentilshommes rassemblés à Coblentz, des quatre cent mille étrangers qui s'apprêtaient à les soutenir. Louis désirait ardemment le « retour des émigrés, qui aurait fait revivre le parti royaliste entièrement désorganisé; » il sentait tout le danger de leurs bravades; il voyait le peuple qui était plein de défiance, les journaux et les clubs qui parlaient déjà de trahison, l'Assemblée qui allait être entraînée à des lois de rigueur qu'il était résolu d'avance à ne pas sanctionner. Il fit donc une proclamation aux réfugiés de Coblentz [1791, 14 octobre], pour les assurer de son adhésion libre et sincère à la constitution et les engager à revenir en France. Cette proclamation ne fut pas écoutée des émigrés, qui étaient convenus de regarder comme forcées toutes les démarches du roi, sans s'inquiéter de la position périlleuse où ils le mettaient en le taxant ainsi de mensonge. Les princes eux-mêmes s'en étaient expliqués à Louis en ces termes : « Si l'on nous parle de la part de ces genslà (l'Assemblée), nous n'écouterons rien; si c'est de la vôtre, nous écouterons, mais nous irons droit notre chemin. Ainsi, si l'on veut que vous nous fassiez dire quelque chose, ne vous gênez pas (1).» En face des manœuvres royalistes à l'intérieur et à l'extérieur, l'Assemblée dut commencer la tâche que lui avait laissée l'Assemblée constituante, c'est-à-dire préparer la guerre; et, pour cela, elle prit sur-le-champ une position nettement révolutionnaire et sortit des voies constitutionnelles, qu'elle trouvait insuffisantes. D'ailleurs, comme elle voyait le roi entouré de prêtres réfractaires et qu'elle soupçonnait sa correspondance secrète avec Coblentz (2), elle voulait savoir ce qu'elle pourrait attendre ou craindre de lui dans la lutte qu'elle engageait. Elle s'occupa d'abord de l'extérieur, et décréta [9 novembre]: 1o que le comte de Provence était sommé de rentrer dans le royaume avant deux mois, sous peine de perdre son droit éventuel à la régence; 2o que les Français rassemblés au delà du Rhin étaient suspects de conjuration; que s'ils étaient encore en état de rassemblement au 1er janvier prochain, ils seraient poursuivis comme coupables et punis de mort; les revenus des contumaces devaient être perçus au profit de la nation, sans préjudice des droits des femmes et des enfants. Le roi sanctionna le premier décret et opposa son veto sur le second. Pour atténuer l'effet de ce veto, il fit une nouvelle proclamation aux émigrés, les engageant à faire cesser les défiances par leur retour, leur prouvant sa liberté par son veto, les menaçant de mesures sévères. Cela ne ramena ni les émigrés, qui continuèrent leurs rassemblements, ni le peuple, qui conclut sur-le-champ qu'il était impossible au roi de ne pas faire cause commune avec les ennemis de la révolution. « En refusant de sanctionner le décret contre les émigrants, dit Camille Desmou lins, le roi sanctionne leurs criminels projets... Avant peu la. nation se trouvera placée entre la nécessité de se laisser égorger ou celle de désobéir, c'est-à-dire entre la servitude et l'insurrection... La prétendue sincérité du roi est une dérision. » L'Assemblée fut très-irritée du veto royal; mais elle persista dans la voie qu'elle suivait, et elle chercha à se garantir de la guerre civile par des mesures extra-légales contre les prêtres réfractaires. Aucune considération religieuse ne pouvait l'arrêter car elle était, plus encore que l'Assemblée précédente, imbue d'idées voltairiennes, et les Girondins disaient hautement: << Notre Dieu c'est la loi, nous n'en connaissons pas d'autre. » Elle décréta [29 nov.]: que les prêtres insermentés seraient privés de la pension qui leur avait été donnée en indemnité de la vente de leurs biens; qu'ils ne pourraient plus excercer le culte, même dans des maisons particulières; qu'ils étaient déclarés suspects de révolte et mis sous la surveillance des autorités. S'il survenait des troubles religieux dans la commune qu'habitait un réfractaire, celui-ci pouvait être changé de résidence par les autorités départementales, lesquelles devaient envoyer à l'Assemblée la liste des prêtres insermentés. Ces mesures iniques, étaient réellement de la persécution. Tout le parti constitutionnel se souleva contre elles; le directoire de Paris supplia le roi de les empêcher, et Louis y mit son veto en disant: « On m'ôtera plutôt la vie que de sanctionner un tel décret. » Il était parfaitement dans la constitution en s'opposant à des lois qui en violaient tous les principes; mais il n'était pas dans la révolution: son veto sur les émigrés et sur les prêtres apportait, pour ainsi dire, la guerre étrangère et la guerre civile; et dès lors tout fut rompu entre lui et le peuple. Ce n'était pas la force légale qui lui manquait, c'était le force d'opinion: son pouvoir, quelque absurdement restreint qu'il fût, aurait peut-être suffi dans des temps ordinaires; mais la situation était tellement révolutionnaire, qu'en faisant un légitime usage de sa prérogative, il passait pour traître. Le peuple s'inquiétait peu si les mesures proposées étaient constitutionnelles: il était envers les royalistes ce que nous l'avons vu au seizième siècle envers les protestants, plein de défiance et de fureur, voulant lier les mains à ses ennemis, croyant tout juste et bon contre eux, criant à la trahison contre le pouvoir qui n'avait pas toutes ses passions. Pour obtenir sa confiance, il eût fallu se montrer aussi révolutionnaire que lui, se mettre en avant de tous ses désirs, satisfaire à toutes ses haines; et Louis XVI, depuis le commencement de son règne, n'avait jamais cédé aux exigences populaires qu'avec répugnance et par crainte aussi se trouvait-il toujours en arrière de ces exigences, et il s'ensuivait que, plus il perdait, plus il était obligé de perdre. Maintenant encore, résigné à la position qu'on lui avait donnée, il croyait faire tout son devoir en se tenant dans les limites de la constitution; mais le peuple voulait de la passion et non de la résignation; d'ailleurs il ne pouvait estimer cette résignation sincère : il se souvenait du voyage de Varennes; il s'épouvantait de voir la défense de la révolution aux mains d'un homme qui en était l'ennemi naturel; il regrettait toutes les armes qu'on avait données au roi contre la nation : le veto, 30 millions, l'initiative de la guerre, etc. § III. APPRÊTS de guerre. MINISTÈRE GIRONDIN. - DÉCLARATION DE GUERRE. Cependant les souverains étrangers, excités, soit par la lutte du roi et de l'Assemblée, soit par les sollicitations de la cour, avaient repris leurs projets hostiles : les ambassadeurs français étaient partout maltraités, les voyageurs français proscrits; l'Autriche, la Prusse, le Piémont levaient des troupes; l'Espagne et la Russie menaçaient; le roi de Suède, glorieux de la victoire qu'il avait remportée sur sa noblesse, voulait conduire la croisade des rois contre la révolution française. Les alarmes des patriotes et leurs défiances contre le pouvoir exécutif devinrent plus vives, et Louis XVI essaya de les apaiser. Il signifia [20 déc.] aux électeurs de Trèves et de Mayence que, s'ils n'empêchaient les rassemblements des émigrés, ils seraient considérés comme ennemis de la France; il écrivit à l'empereur pour qu'il interposât son autorité auprès de ces deux princes; enfin il déclara à l'Assemblée que, dans le cas où il n'aurait pas satisfaction, il ne lui resterait plus qu'à proposer la guerre. Les électeurs ne dissipèrent pas les rassemblements; la diète de Ratisbonne demanda la réintégration des princes possessionnés en Alsace; l'empereur déclara que, si les électeurs étaient attaqués, il les soutiendrait. Louis fit dire à l'Assemblée que si, au 15 janvier, les rassemblements n'étaient pas dispersés, il emploierait la force des armes. L'Assemblée applaudit à ce langage: elle décréta d'accusation les frères du roi et le prince de Condé, et priva le comte de Provence de ses droits à la régence. Trois armées furent formées sous le commandement de Luckner, La Fayette et Rochambeau, les seuls généraux qui n'eussent pas émigré. Rochambeau avait quarante-huit mille hommes de Dunkerque à Philippeville; La Fayette, cinquante-deux mille de Philippeville à Lauterbourg; Luckner, quarante-deux mille de Lauterbourg à Bâle. Une quatrième armée, commandée par Montesquiou, devait observer les Alpes. Mais toutes les troupes étaient désorganisées et sans discipline, les officiers mal disposés, les places désarmées, les arsenaux vides. Cependant on fit, avec beaucoup d'ardeur et un peu de confusion, d'immenses apprêts; la guerre devint la pensée universelle: elle était demandée par les Feuillants pour qu'elle rendît du crédit au gouvernement, et par les Girondins pour que la révolution y trouvât un dénoûment. Les Montagnards seuls la blâmaient, parce que, inquiets des troubles intérieurs, ils se défiaient d'une guerre qui serait proposée par Louis XVI, préparée par les Feuillants, dirigée par La Fayette. Les hostilités devenaient imminentes; mais le roi, étant le but unique des projets de l'étranger, n'avait pas regagné la confiance populaire: ses démonstrations de dévouement passaient pour des manoeuvres perfides; ses deux veto laissaient toujours la révolution sans défense contre ses ennemis; ses ministres étaient accusés d'intrigues contre la constitution, ou de correspondance avec les étrangers. Un seul avait la confiance de l'Assemblée : c'était le jeune Narbonne, qui avait été récemment porté au ministère de la guerre par les Feuillants, et qui réorganisait l'armée avec la plus grande activité; mais il n'était pas aimé du roi, qui se voyait ainsi dominé par les constitutionnels et contraint à la guerre. Cependant il était impossible à l'Assemblée de laisser la conduite des opérations à un gouvernement suspect de trahison, et les Girondins auraient voulu envahir le ministère, pour surveiller, dominer, enchaîner le roi, et sauver ainsi légalement la révolution. Ils s'élevaient avec violence contre Bertrand de Molleville, ministre de la marine, et Delessart, ministre des affaires étrangères, qui avaient, disait-on, suscité la coalition pour effrayer la France, et ils soutenaient Narbonne, qui était en lutte avec ces deux ministres. Narbonne fut destitué. Les Girondins accusèrent de trahison Bertrand et Delessart. Le premier était l'homme de confiance de la reine; il essayait habilement de faire la contre-révolution |