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Art. 2.

« A ces commissaires-juges se réuniront cinq autres commissaires non académiciens et non exposants, nommés par le directoire du département, à l'effet de procéder ensemble à la répartition des travaux d'encouragement, de la manière suivante.

Art. 3.

« Parmi les peintres d'histoire les statuaires exposants, l'assemblée des commissaires-juges nommera 16 artistes qui, à son jugement, se seront montrés les plus dignes d'encouragement.

Art. 4.

« La somme de 70,000 livres consacrée à des travaux d'encouragement pour cette classe d'artistes, par l'article 1er de la loi du 17 septembre, sera divisée en 16 portions, graduées entre elles selon l'échelle de mérite des ouvrages exposés par les 16 artistes que l'assemblée des commissairesjuges aura distingués; de manière cependant qu'aucune de ces sommes partielles ne pourra être de plus de 10,000 livres, ni de moins de 3,000 livres.

Art. 5.

L'assemblée des commissaires-juges nommera aussi 10 artistes parmi les peintres dits de genre, les architectes et les graveurs exposants qui, à son jugement, se seront montrés les plus dignes d'encouragement.

Art. 6.

« La somme de 20,000 livres qui, aux termes de la loi du 17 septembre, article 1er, est destinée à deux travaux d'encouragement pour cette classe d'artistes, sera divisée en 10 portions, pour la graduation desquelles on suivra l'échelle de mérite des ouvrages des 10 artistes distingués dans l'exposition; de manière que le maximum sera de 3,000 livres, et le minimum de 1,000 livres.

Art. 7.

« Les travaux d'encouragement seront gradués et distribués selon la même échelle que ci-dessus.

Art. 8.

"Pour la nature et les proportions des travaux ordonnés, on suivra l'usage qui a eu lieu jusqu'à présent, en tout ce qui ne sera pas contraire au présent décret.

Art. 9.

« L'Assemblée nationale déroge à loi du 17 septembre, en tout ce qui n'est point conforme au présent décret, et n'entend préjuger en rien ce qui pourra être déterminé par la suite pour l'encouragement des beaux arts. »

M. Chéron-La-Bruyère demande que l'Assemblée fixe un jour pour un rapport du comité militaire et se plaint de ce que le rapporteur prend un ton protecteur.

M. Dubois-de-Bellegarde s'élève avec force contre les assertions de M. Chéron et dément ce qui vient d'être avancé.

(Cette discussion dure quelques instants.)

M. Dubois-de-Bellegarde est deux fois rappelé à l'ordre.

M. Delacroix justifie le comité militaire du retard du rapport.

Plusieurs membres demandent l'ordre du jour. (L'Assemblée passe à l'ordre du jour.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une lettre du sieur Gumpert, commandant de l'artillerie des gardes nationales de Saint-Hippolyte. Il a reçu plusieurs coups de fusil, il a femme et enfants, est très avancé en âge et se plaint de ne pas rece voir une pension qui lui a été accordée par l'Etat. Un membre: Je fais la motion de faire payer leurs pensions aux militaires dans les lieux de leur résidence.

Un membre: Je demande que cette motion soit étendue à tous les pensionnaires en général, et je propose que le comité de liquidation soit chargé de présenter, sous huitaine, un mode pour faire payer les pensions dans chaque département.

(Cette motion, appuyée, est mise aux voix et décrétée.)

M. le Président. Une députation de la société des Inventions et découvertes, séant au Louvre, sollicite son admission à la barre pour faire hommage à l'Assemblée du fruit de son travail relativement à la fabrication des armes.

(L'Assemblée décrète qu'elle sera admise à l'instant.)

La députation est introduite.

L'orateur de la députation s'exprime ainsi :

"Messieurs,

« Des citoyens, membres de la société des inventions et découvertes, tenant ses séances au Louvre, viennent individuellement vous apporter le résultat de leur travail commun, relatif à la fabrication des armes.

Après plusieurs aperçus qu'on vous a donnés Messieurs, on vous a dit en définitive (et on vous a trompés) que les usines de Saint-Etienne, de Charleville, de Maubeuge et de Tulle ne pouvaient fournir ensemble, et par an, plus de quarantequatre mille fusils.

"

S'il est permis de se tromper, ce ne peut pas être d'une manière aussi grossière. Les quatre usines peuvent fournir, dans l'état où elles sont, 200,000 fusils; Saint-Etienne seul, lors des guerres de Flandre, en fournit 60,000; Saint-Etienne, disons-nous, si on voulait supprimer les ouvrages de quincaillerie, donnerait même les 200,000 fusils, car il y a dans cette fabrique 4,600 forges, 47 meules à canon, et 581 meules qui servent aux ouvrages de quincaillerie, et qu'on pourrait employer à ôter le trop de fer des armes, et aux foreries nécessaires.

« Vous serez convaincus, Messieurs, de cette vérité, lorsque vous saurez que pour avoir 48 fusils par jour, il ne faut que 50 forges 6 meules et 256 ouvriers pris en masse.

Si 256 ouvriers donnent par jour 48 fusils, nous aurons par an (l'année prise pour 300 jours). 14,400 fusils.

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Si 256 ouvriers donnent par an 14.400 fusils, 20,000 ouvriers donneront 1,123,200 fusils.

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Si on porte maintenant le nombre des ouvriers à 30,000, ce qui sera facile, soit en faisant des augmentations aux usines dont nous venons de parler, soit en se servant généralement de tous les moyens de fabrication qui sont dans toutes les villes du royaume, nous aurons par an 1,684,800 fusils, et sans faire de grands efforts,

on pourrait en avoir 2 millions, quantité bien différente de celle de 200,000.

« Nous laissons à l'Assemblée nationale les conséquences à tirer de la conduite qu'on a tenue à son égard, et nous ajouterons que puisqu'on a voulu paralyser les ressources de la nation en écrasant son industrie, il est bon de faire voir aux malveillants que si les hommes ne peuvent pas se mettre à l'abri des persécutions, ils savent au moins compter.

« Il y a dans le royaume, sans exagérer, 4,000 arquebusiers, fabricants ou marchands; il n'en est pas qui ne puissent fournir des fusils de munition; nous portons le nombre, l'un dans l'autre, à 20; 4,000 arquebusiers fourniront donc à l'instant 80,000 fusils.

"

Plus, si nous faisons servir les fusils qui ne sont pas de calibre (car, Messieurs, il vaut mieux avoir ceux-là, que de ne pas en avoir du tout), nous aurons de plus 40 à 50,000 fusils, qui, forés ou réunis en masse, auraient des cartouches particulières: on donnerait ces fusils aux gardes nationales intérieures, en échange des leurs qui sont de calibre, et on ferait passer ceux-ci (avec soin) sur les frontières.

« Il est encore beaucoup de citoyens, et surtout dans les grandes villes qui ont deux fusils; ce serait de les engager à n'en conserver qu'un, et vous verriez bientôt, Messieurs, du sein de la détresse, éclore l'abondance.

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Enfin, Messieurs, un moyen tout à fait puissant, ce serait de décréter, le plus promptement possible, une somme que vous fixeriez pour être distribuée, par forme de prime, après le complet de 400,000 fusils, à tous les marchands, arquebusiers ou fabricants qui, dans le délai de six mois, ou avant, auraient concouru en plus ou en moins à cette fourniture, laquelle serait rendue publique, éprouvée et conforme au modèle de 1777.

« C'est ainsi, Messieurs, que, provoquant le zèle et l'intelligence du Français, vous verrez ce que peut son industrie, lorsque la justice se plait à lui accorder une récompense.

« La Société des Inventions et Découvertes, dont le titre seul vous annonce le mérite des hommes qui la composent (nous devons le dire toujours individuellement), n'a pas la prétention Messieurs, comme ces corporations encore académiques, d'avoir le privilège exclusif de penser. Essentiellement occupée de la chose publique, elle ne fait en cela que son devoir. En ce moment, la fabrication des assignats est l'objet de ses recherches.

"Nous espérons, Messieurs, vous apporter hientôt le fruit de quelques inventions à cet égard, et nous croyons qu'elles seront aussi dignes d'honorer de bons patriotes, que de tranquilliser et d'assurer la confiance publique. (Applaudissements.)

« Paris, le 3 décembre 1791.

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(L'Assemblée décrète l'insertion de cette adresse au procès-verbal et le renvoi au comité militaire.)

M. Rouyer. Je demande la parole pour faire une dénonciation contre M. Duportail, ministre de la guerre, démissionnaire.

M. le Président. Vous avez la parole.

M. Rouyer. Le ministre de la guerre vient de donner sa démission; mais, avant de la donner, s'est-il comporté comme il le devait, et laisse-t-il la France tranquille sur son administration? Je jette un coup d'oeil rapide sur les opérations de son ministère, et je vois qu'il n'a pas craint d'abuser hautement l'Assemblée nationale. Il n'a pas craint de vous dire, dans un rapport qu'il vous a fait, qu'il n'y avait que 60,000 fusils en France dans les arsenaux, et qu'il n'avait pu remplacer les armes qui avaient été perdues, attendu que toutes les fabriques de France ne pouvaient fournir que 40,000 fusils par an....

Plusieurs membres: Il n'a pas dit cela !

M. Rouyer..... qu'il avait cherché, en conséquence, les moyens de faire des achats dans les pays étrangers. Voilà, Messieurs, les propres expressions du ministre de la guerre. Je vous avoue que je fus indigné d'un mensonge aussi révoltant. J'écrivis sur-le-champ à un fabricant que je connaissais à Saint-Etienne pour lui proposer de faire la fourniture nécessaire: en lui recommandant expressément de chercher à vivre, et non pas à gagner en servant la patrie : ce sont les propres expressions de ma lettre. Ce digne patriote me répondit aussitôt et m'envoya en même temps 5 fusils de différents calibres pour modèles. Je les ai chez moi, avec une procuration par laquelle il me donnait pouvoir de m'engager, en son nom, à fournir à la nation tel nombre d'armes dont elle pourra avoir besoin, et à en donner 50,000 au bout de trois mois, il ne mettait pour condition que d'avoir la faculté de prendre du bois dans les ateliers de la nation.

Je demande, Messieurs, si un seul fabricant offre à la nation de fournir en trois mois 50,000 fusils, quel nombre pourraient fournir toutes les fabriques réunies du royaume en une année. Quelle foi devez-vous donc ajouter aux paroles de cet ex-ministre? Ne devez-vous pas vous empresser de le mander à la barre, de l'interroger sur l'achat des fusils qu'il a fait à l'étranger, sur ce qu'ils sont devenus, comment il les a payés, en quelles espèces et à quel prix? Vous devez d'autant plus exiger cette reddition de comptes de sa part que vous devez vous rappeler qu'il vous promit solennellement de vous le rendre lui-même sous peu de jours. Près de deux mois sont écoulés; vos écus sont peut-être partis, et les fusils ne sont pas encore prêts d'arriver (Applaudissements dans les tribunes.)

Mais je suspends tout jugement jusqu'à sa réponse sur ce dernier point et me renfermant dans l'esprit de la loi qui veut qu'on ne reconnaisse pour coupable que celui qui est condamné ou du moins atteint et convaincu d'un délit, je passe au délit dont je suis bien convaincu. Il est évident que le sieur Duportail vous en a imposé; il a trahí votre confiance, si quelquefois il vous en restait pour lui; quant à moi, il n'a jamais trahi la mienne, car il ne l'a jamais eue. Il a privé des citoyens français, cette partie saine et laborieuse de la population, ces braves artisans, de travailler utilement pour leur patrie; il les a privés d'un secours de travail pour aller porter

cet engrais dans un pays étranger, ou peut-être même en terre ennemie pour y faire passer vos écus, tandis que les citoyens français eussent été trop contents de travailler pour des assignats. Il n'a pas craint d'invoquer la Constitution pour servir ses desseins. Il vous a dit qu'on ne pouvait avoir plus de 40,000 fusils dans les fabriques de France, parce que, d'après la Constitution, on ne pouvait plus forcer les ouvriers, comme on le faisait sous l'ancien régime, à travailler pour 40 sols par jour. Or, chacun sait que la fabrication des fusils des gardes nationaux rapporte 7 à 8 livres par jour.

Ah! Messieurs, s'il était possible de faire une loi qui put avoir un effet rétroactif sur la responsabilité des anciens ministres, que d'horreurs vous découvrirais-je à ce sujet, et vous verriez bientôt que la sueur de ces pauvres ouvriers qu'on forçait à travailler pour 40 sols par jour, n'engressait pas le Trésor national, mais celui des ministres et de leurs vils suppots. (Vifs applaudissements dans les tribunes, et cris: Bravo! bravo!)

Pesez, Messieurs, dans votre sagesse, les vérités que je vous annonce. Si vous les voyez du même cil que je les vois moi-même, vous n'hésiterez pas un seul instant à mander demain le sieur Duportail à la barre, pour rendre compte de sa conduite. (Vifs applaudissements dans les tribunes.)

Plusieurs membres : Donnez les preuves!

M. Rouyer. J'entends à mes côtés qu'on demande des preuves...

Plusieurs membres : Oui! oui! Des preuves!
Un membre: Ce n'est pas nécessaire.

M. Rouyer. Je demande à l'Assemblée si tous les faits que j'ai avancés ne sont pas vrais. Les preuves sont dans vos procès-verbaux qui constatent les assertions du ministre. (Applaudissements dans les tribunes.) Quant à la possibilité d'une très grande fourniture, je m'en vais déposer sur le bureau l'acte de procuration en forme qui me donne le pouvoir de contracter l'obligation de fournir les 50,000 fusils. (Applaudissements dans les tribunes.)

Un membre: Je ne viens point pour défendre le ministre, mais pour vous donner des renseignements. Les pétitionnaires qui viennent de paraitre à la tribune vous ont dit une très grande vérité, c'est qu'il se fabrique réellement à SaintEtienne 60,000 fusils par année. Je vous l'ai dit moi-même l'autre jour, dans l'instant où il était question de rédiger un article sur l'exportation des armes; mais le préopinant n'est pas tout à fait bien instruit de ce qui se passe, lorsqu'il vous dit que le ministre de la guerre a ôté la subsistance aux ouvriers de Saint-Étienne, pour faire passer notre or chez l'étranger. Si M. Rouyer eut eu des renseignements surs, il vous aurait dit qu'il se fabrique effectivement 60,000 fusils à Saint-Étienne, mais sur ces 60,000 fusils il ne s'en fabrique pas un millier au calibre de guerre. Le ministre vous a dit à cet égard la vérité, parce que les fusils de guerre ne donnent à l'ouvrier que 40 sols par jour. (Murmures dans les tribunes.)

En effet, Messieurs, il y a trois sortes de fusils fabriqués à Saint-Étienne : les fusils de guerre, et ceux-là donnent 40 sous par jour à l'ouvrier, les fusils pour les gardes nationales, qui donnent 4 livres, et les fusils de chasse, qui donnent 7 à 8 livres. Autrefois, quand on avait besoin de

fusils pour l'armée, comme on avait le despotisme en main, on forçait les ouvriers à ne fabriquer de fusils que pour l'armée, et non seulement ils y étaient forcés, mais il leur était même défendu de sortir de Saint-Étienne; mais, aujourd'hui que chacun a la liberté bien juste de travailler comme il lui plaît, les ouvriers font ce qu'ils veulent, et quand on leur présente de l'ouvrage à 40 sols ou à 4 livres, ils n'en veulent pas. Voilà pourquoi vos gardes nationales et vos troupes de ligne manquent de fusils.

M. Rouyer. Je réponds au préopinant que je sais mieux que lui ce qui se passe à Saint-Etienne: il n'y a pas huit mois que j'y ai fait faire trois mille fusils de guerre et en très peu de temps. Je lui observe que les fusils que j'ai pour modèle sont des fusils de guerre et que ce ne sont ni des fusils de chasse, ni des petits fusils.

Plusieurs membres : A quel prix?

M. Rouyer. A quel prix ? vous ne le saurez pas parce que je veux auparavant savoir celui de M. Duportail. (Applaudissements dans les tribunes.) Le préopinant avait dit en commençant qu'il ne défendrait pas le ministre et cependant vous voyez que son discours n'a pas d'autre intention. (Applaudissements.) Je réitère la motion que j'ai faite que M. Duportail rende compte personnellement ou par écrit des fusils qu'il a dit à l'Assemblée avoir fait fabriquer en pays étranger, au détriment des manufactures françaises.

Voix diverses: Le renvoi au comité militaire! L'ordre du jour!

Un membre: L'ordre du jour? et vous laisserez partir vos ministres !

M. Lasource. L'Assemblée devrait s'occuper de principes plus généraux sur la responsabilité pour faire rendre compte aux ministres. S'ils donnent leur démission sans avoir rempli cette formalité, ce sont des comptables qui partent sans avoir rendu leurs comptes. On a décrété que M. Duportail rendrait compte de toute son administration; il faut qu'il le fasse. Il peut avoir manqué aux lois: il peut les avoir exécutées avec négligence, ou autrement qu'il ne doit les exécuter. Je demande qu'il soit tenu de répondre aux imputations faites contre lui, et de rendre compte de sa conduite et de la manière dont il a exécuté les lois. (Applaudissements à gauche et dans les tribunes.)

Un membre: Si vous ne vous y prenez pas ainsi, Messieurs, vous laisserez passer vos ministres comme des ombres chinoises. (Rires.) Vous n'aurez aucun fonds de responsabilité, si vous n'avez au moins la tête d'un coupable, et vous n'en avez pas encore. (Murmures dans l'Assemblée. - Vifs applaudissements dans les tribunes.)

M. Delacroix. Je fais la motion expresse que tout ministre qui partira sans avoir rendu ses comptes, soit déclaré banqueroutier frauduleux et poursuivi comme tel (Vifs applaudissements et acclamations prolongées dans les tribunes.)

Un membre: Je demande que M. Duportail ne puisse sortir de Paris sans avoir rendu ses comptes. (Applaudissements.)

Un membre: Je demande l'ordre du jour, parce que vous avez rendu hier un décret qui ordonne aux ministres de rendre leurs comptes. (Mur

mures).

M. Rouyer. Je dis que non... M. Delacroix. C'est ça.

M. Rouyer... et j'ajoute que la motion de M. Delacroix n'est point détruite. (Applaudissements.)

M. Thuriot. Je demande la parole pour rétablir un fait très intéressant. Un des préopinants a prétendu, Messieurs, que vous aviez rendu un décret portant que le ministre de la guerre rendrait ses comptes. C'est une erreur; on a bien fait cette motion, mais elle n'a pas été appuyée; on a seulement décrété que le comité de législation ferait, sans délai, son rapport sur le mode de reddition de compte des ministres. Quant à moi je ne suis pas d'avis de poursuivre les ministres dans l'hypothèse proposée par M. Delacroix, c'est à-dire comme banqueroutiers frauduleux, mais comme des ministres prévaricateurs qui méritent la mort. (Vifs applaudissements.)

D'un autre côté, il y a une vérité qui est incontestable, c'est que M. Duportail ne peut pas, par aucun motif plausible, se refuser à rendre compte de l'achat qu'il dit avoir fait de 60,000 fusils chez l'étranger. Je demande qu'il ne puisse sortir de Paris avant d'avoir rendu ce compte. (Applaudissements.)

M. Delacroix. J'observe que M. Duportail a fait passer au comité militaire quatre marchés d'où il résulte qu'il a traité avec l'étranger pour l'achat de 180,000 fusils; mais les fusils ne sont pas encore arrivés.

Un grand nombre de membres : Que ne le disiezvous plus tôt.

M. Delacroix. Je n'avais pas la parole.

M. Thuriot. Il ne suffit pas que M. Duportail ait fait passer au comité militaire copie des marchés dont il nous a parlé, il faut qu'il prouve que ces fusils sont entrés en France et n'ont point été livrés aux contre-révolutionnaires.

M. Daverhoult. Il est absolument certain que le ministre a fait à l'étranger des achats considérables de fusils. Je le dis parce que je le sais, et je puis vous assurer que, depuis quinze jours ou trois semaines, on est occupé à recevoir les armes que le ministre à fait acheter à Liège. Il est si peu vrai que ces fusils aillent servir à nos ennemis, comme plusieurs opinants ont voulu le faire entendre, qu'il y a maintenant, à Givet, quatre officiers d'artillerie qui ne sont occupés qu'à recevoir les armes. Déjà même il y en a beaucoup dans les magasins ainsi que me l'ont appris des lettres que j'ai recues de Givet. La proposition de M. Thuriot est donc parfaitement inutile. Je demande, afin que l'Assemblée ne se compromette pas, que toutes les questions soient renvoyées au comité militaire. (Murmures prolongés.)

M. Taillefer (assis au banc des ministres). Si vous ne preniez pas des précautions, le ministre pourrait s'en aller.

M. le Président. Ce n'est pas votre place, Monsieur Taillefer, c'est celle des ministres allez prendre la vôtre, elle est sur les bancs de l'Assemblée.

M. Lasource. La loi de la surveillance ne doit pas être marquée au coin de la prévention; elle doit être dictée par la justice. Il faut faire une loi générale qui astreigne les ministres à rendre leurs comptes avant de sortir de place. Rien n'est plus juste. En effet, lorsqu'un ministre est obligé par la Constitution à rendre un compte quand il est en place, il ne doit pas sortir de fonctions sans l'avoir rendu; ou bien, s'il est sorti de fonctions sans avoir rendu ce compte, il doit, avant

de quitter la capitale, tranquilliser l'opinion. II lui importe d'ailleurs de prouver qu'il a rempli ses devoirs avec droiture et exactitude. Je demande donc que les motions soient réduites dans un projet que je conçois ainsi :

«Les sieurs Montmorin et Duportail ayant donné leur démission sans avoir rendu leurs comptes, ne pourront sortir de la capitale qu'ils n'aient auparavant satisfait à cette obligation, a peine d'être prévenus, par leur fuite, de prévarication dans leur administration. » (Applaudissements dans les tribunes.)

Plusieurs membres : La discussion fermée! (L'Assemblée ferme la discussion.)

M. Couthon. Le sieur Duportail vous a annoncé hier qu'il avait donné sa démission et vous a fait part en même temps de son intention obligeante de donner à son successeur tous les renseignements nécessaires. Il aurait dû plutôt songer à sa responsabilité. Les ministres sont des agents publics qui n'ont été revêtus d'un grand pouvoir que sous deux conditions: d'être comptables et d'être responsables. S'ils ont la faculté de s'évader, il est évident que ces mots de comptabilité et de responsabilité seront des mots perpétuellement nuls dont ils pourront se jouer impunément. (Murmures.)

Plusieurs membres : Le discussion est fermée! M. Couthon. Je conçois que ce que je dis là peut trouver des improbateurs, mais je parle principe (Applaudissements dans les tribunes) et cela ne m'empêchera pas...

Un membre: Monsieur, ne me désignez pas. M. Couthon. Je ne désigne jamais personne. Plusieurs membres: Vous désignez au moins les ministres.

M. Couthon. Je dis, Messieurs, que le principe rigoureux veut que le devoir vous commande d'exiger un compte du sieur Duportail. Je vais même plus loin, et par un second principe qui veut que tout comptable soit présumé reliquataire jusqu'à l'apurement de son compte, je dis que vous devez exiger que le sieur Duportail ne puisse pas sortir de Paris, qu'il ne l'ait rendu. Et combien de reproches n'auriez-vous pas à vous faire, combien de reproches vos commettants ne vous feraient-ils pas, si le sieur Duportail, véritablement coupable, ce que je ne dis être encore, s'éloignait, s'il s'échappait et qu'il fût démontré qu'il a joué la nation, vous seriez blamables de de ne lui avoir pas fait rendre compte, surtout dans le moment où il a donné une démission affectée.

Ainsi, je demande qu'il soit décrété sur-le-champ que le sieur Duportail rendra compte de toutes les parties de son administration, et que, jusqu'à ce qu'il ait rendu ce compte, il ne pourra pas sortir de Paris. (Vifs applaudissements.)

Plusieurs membres : Appuyé! appuyé!

Un membre: On perd de vue que vous avez déjà décrété que le ministre rendrait compte: à tel point qu'il vous a écrit hier qu'il l'avait rendu, ce que je ne crois pas. Vous ne pouvez donc rendre un second décrét qu'autant que le premier serait insuffisant. Vous n'avez pas encore entendu votre comité militaire, et, dans le moment actuel, l'Assemblée n'est pas suffisamment instruite. (Murmures dans les tribunes.) Il n'y a que le comité militaire qui puisse faire son rapport. Il faut donc l'attendre. Il n'y a plus qu'une question à décider, celle de savoir si vous êtes

assurés de la présence du ministre. Pour éviter toute détermination à cet égard, je demande que le rapport du comité militaire soit ajourné à demain matin.

Plusieurs membres: La question préalable!

Un membre: J'observe à l'Assemblée que nous ne pouvons pas prononcer avant le rapport du comité et qu'il nous est impossible sur de simples soupçons... (Les huées des tribunes couvrent la voix de l'orateur.)

Un membre: M. Lafon-Ladebat a entre les mains le compte du ministre.

Un membre: Je demande la levée de la séance, attendu que nous ne sommes pas en nombre suffisant.

Un membre: Je demande que l'Assemblée veuille bien mettre en question si, dans de telles conditions, nous pouvons accepter la démission du ministre.

Un grand nombre de membres se levant : L'ajournement à demain!

M. Merlet. J'observe à l'Assemblée qu'elle délibère depuis longtemps sur une hypothèse, puisqu'il s'agit de contraindre M. Duportail à rester à Paris, s'il n'a pas rendu son compte. Or, je prie l'Assemblée de vouloir bien se rappeler que M. Duportail, en vous annonçant sa démission, vous a envoyé un mémoire très volumineux, que je crois bien être la reddition de son compte.

est entre les mains du rapporteur du comité qui est près de moi et qui ne peut vous en parler parce qu'il a un grand mal de gorge. (Rires.)

M. Lafon-Ladebat, rapporteur du comité militaire. Le voilà, ce mémoire, je l'ai entre les mains; mon rapport est prêt; demain, j'en rendrai compte.

M. Merlet. Alors, la question change de nature. Il s'agit maintenant de savoir si le ministre peut être empêché dans ses actions, après avoir rémis son compte, jusqu'à ce que ce compte ait été accepté par l'Assemblée. Je crois que l'affaire est d'une telle importance, que l'Assemblée ne peut prendre, dans ce moment, un parti définitif. Avant de rien décréter, vous devez entendre le rapporteur qui ne vous demande qu'un court délai. Mais, dit-on, le ministre partira. Est-ce sur ces soupçons que vous devez prendre une détermination?...

Plusieurs membres : Oui! oui!

M. Merlet. Je dis que non et je demande le renvoi de la discussion de toutes les motions après le rapport. D'ailleurs la séance n'est ni assez complète, ni l'Assemblée suffisamment éclairée, pour prendre à cette heure une décision. En conséquence, je demande à l'Assemblée qu'elle ajourne à demain, à l'ouverture de la séance. Lorsque le rapporteur vous aura mis sous les yeux le compte de M. Duportail, alors vous prononcerez en connaissance de cause.

Plusieurs membres: Fermez la discussion! (L'Assemblée ferme la discussion et ajourne la discussion sur le tout après le rapport du comité militaire qui doit être fait demain.)

(La séance est levée à dix heures et demie.)

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Séance du dimanche 4 décembre 1791. PRÉSIDENCE DE M. LEMONTEY, vice-président.

La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Grangeneuve, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du samedi 3 décembre, au matin.

Un membre La dénonciation faite hier par M. l'abbé Fauchet contre M. Delessart est si grave et porte un caractère si atroce, que je crois que l'Assemblée doit faire une exception à la règle gênérale qui s'oppose à ce que les noms des membres qui ont fait des motions, soient désignés dans le procès-verbal. Je demande, en conséquence, que le procès-verbal fasse mention que c'est M. l'abbé Fauchet qui a dénoncé M. le ministre de l'intérieur sur tel ou tel objet.

Plusieurs membres à droite: Appuyé! appuyé ! M. Fauchet. Sans doute, le préopinant n'a pu entendre ma motion, parce qu'il aurait vu qu'elle était dictée par l'honnêteté et le patriotisme. En conséquence, je demande, mais par d'autres motifs que le préopinant, que mon nom soit énoncé au procès-verbal pour cette dénonciation. Je prétends que vous et le public verront que, loin qu'il y ait de l'inhumanité dans mes principes et dans ma manière d'exposer les faits, il y a, au contraire, beaucoup d'humanité, parce que l'intérêt du peuple est pour un citoyen ce qu'il y a de plus humain et que j'ai garde toute la modération qui convient à un vrai patriote. (Rires à droite. — Applaudissements dans les tribunes.)

M. Daverhoult. Quels que soient les principes de M. Fauchet, quels qu'aient été les termes et la forme de la dénonciation qu'il a faite, il ne convient pas à l'Assemblée de déroger à une règle générale qui s'oppose à ce que les auteurs des motions soient nommés au procès-verbal. Je demande la motion préalable."

Plusieurs membres: Appuyé! appuyé!

M. Gundet. Je demande que le membre qui a fait cette motion se pénètre davantage de la dignité des fonctions qu'il doit remplir. Croit-il pouvoir, avec ces propositions insidieuses, appeler sur notre tête une responsabilité que la Constitution n'y a pas mise? Messieurs, il n'y a ni gloire, ni mépris à recueillir, lorsqu'on fait une dénonciation; il y a seulement un devoir à remplir. Je demande donc, afin que ces sortes de propositions ne se renouvellent plus, que le membre qui l'a faite soit rappelé à l'ordre, et que la question préalable soit admise sur la proposition. (Murmures à droite. — Applaudissements dans les tribunes.)

M. Grangeneuve. La motion de M. Guadet est la plus conforme aux principes. Celui qui a voulu que le nom de M. Fauchet fùt inscrit au procès-verbal, a reconnu lui-même que sa demande était contraire au règlement. Ainsi donc, lorsqu'il l'a demandé, il a cru que ce serait une peine infligée à M. Fauchet. De semblables demandes n'ont pour but que de gêner la liberté des opinions. Je demande donc que ce membre soit rappelé à l'ordre.

(Plusieurs membres demandent la parole.)

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