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RESPONSABILITÉ DES PROPRIÉTAIRES DE NAVIRES.

Je crois avoir établi que le projet de loi adopté par les chambres n'est pas mieux justifié que celui de l'année dernière ; qu'en réalité il sacrifie les intérêts des chargeurs nationaux, comme ceux des prêteurs étrangers, en faveur des armateurs. C'est sans doute un exemple étrange que dans un pays comme la France, où depuis quarante années l'industrie et le commerce ont pris un développement si prodigieux, la navigation nationale ne les ait pas suivis du même pas, et qu'elle soit restée en arrière de leurs besoins communs. Mais faut-il rappeler que cet essor a été imprimé aux premiers par le système territorial de Napoléon, tandis que dans ce système la marine se trouvait frappée d'une immobilité complète, et que l'Angleterre et les États-Unis tenaient le monopole des mers? Si l'état de choses actuel n'est pas normal, si, quoique les armements aient doublé en France depuis dix ans, il convient de changer quelque partie de la législation existante, c'est sans contredit à la matière des assurances qu'il faut toucher; il faut lever des prohibitions devenues inutiles et qui n'existent point chez les autres nations. S'agit-il d'appeler les capitaux vers les armements maritimes, il faut favoriser l'esprit d'association, et régler ces sortes de communautés d'une manière plus large que ne l'a fait le Code de 1808; les auteurs, dans le silence de la loi, ont établi une solidarité qui doit nécessairement empêcher la formation fréquente de ces associations. C'est en organisant des institutions dont l'influence décisive ne s'est manifestée qu'à notre époque, plutôt qu'en touchant aux principes fondamentaux du droit maritime, que l'intervention du législateur peut se montrer aujourd'hui efficace et salutaire.

J. BERGSON.

XLIII. Loi belge du 25 mars 1841 sur la compétence en matière civile et commerciale.

Par M. DELBOUILLE, avocat à la cour d'appel à Liége. La constitution de 1830 promettait à la Belgique une prompte révision de sa législation civile, criminelle et commerciale. La préoccupation de la politique extérieure, la création de nouvelles institutions provinciales et communales, l'organisation des moyens administratifs et financiers, le développement de l'industrie, les soins donnés aux intérêts matériels du pays, ont ajourné une révision dont la France, depuis 1830, nous a donné l'exemple pour plusieurs parties de sa législation. Ce n'est pas à dire cependant que rien ne soit fait; outre les lois d'une grande importance actuellement obligatoires, un nouveau système hypothécaire complet, un projet de code pénal entier reposent dans les cartons de la chambre des représentants, n'attendant, pour être produits à la tribune, que le résultat de la lutte engagée entre les catholiques et les libéraux, question qui, pour le moment, domine toutes les autres. La dernière session de la chambre des représentants a donné le jour à une loi sur la compétence civile et commerciale, promulguée le 25 mars 1841 et rédigée d'après les principes qui ont présidé à la confection de la loi française du 25 mai 1838; nouvelle preuve de l'utilité que présente l'étude des législations comparées.

Une courte analyse des principes exposés et des opiaions qui ont été émises dans le cours de la discussion, servira sans doute à faire connaître quel est le but principal de la nouvelle loi, quel en est le véritable esprit. C'est ce que nous allons faire en quelques mots.

Tous savent que cette matière était régie par la loi

du 24 août 1790, œuvre de cette immortelle assemblée constituante à qui revient l'honneur d'avoir posé les bases d'une nouvelle organisation politique et sociale. La nouvelle législation en respecte tous les principes, elle les étend plus qu'elle ne les modifie; elle fait aussi passer en forme de loi quelques décisions de la jurisprudence, source toujours abondante en perfectionnements législatifs. La loi du 25 mars 1841 embrasse, dans son ensemble, la compétence des justices de paix, des tribunaux de première instance et de commerce.

Quant au but de la loi, il est double. M. Liedts, représentant, rapporteur de la commission, s'exprimait ainsi dans la séance du 23 janvier 1839 : « Le gouver»nement se borne à apporter aux lois sur la compé>>>tence civile les modifications que l'opinion générale » réclame le plus vivement. Ces modifications consis» tent: 1o A étendre les limites de la compétence, en >> touchant, le moins possible, au texte des lois existan» tes, qui trouvent leur commentaire naturel dans » les nombreux arrêts rendus depuis un demi-siècle ; » 2o à prendre les mesures les plus propres à prévenir >> l'encombrement des affaires dans la cour d'appel. ›

Ainsi, le but de la loi, de l'aveu du gouvernement et de la commission, est plutôt d'étendre que de modifier la législation en vigueur et de lui rendre son esprit primitif, soit en ramenant les valeurs au point où elles doivent être ramenées, car la valeur monétaire est changée depuis cinquante ans; soit en ajoutant quelques dispositions dont l'expérience a établi la nécessité, pour empêcher qu'on n'élude les dispositions relatives à la compétence; en un mot, le but principal est de mettre la législation de 1790 en rapport avec la dépréciation mo nétaire. Cette observation est précieuse pour l'inter

prétation future de la nouvelle loi. — Là est son véritable esprit.

La loi, expression d'une opinion contraire au projet primitif, dans son article premier a adopté le chiffre de 100 fr. pour taux du dernier ressort, et de 200 fr. pour celui du premier ressort dans les justices de paix. Le projet primitif proposait de tripler la compétence des juges de paix, et par analogie, celle des tribunaux de première instance et de commerce. La chambre, suivant en ce point la loi française, a adopté l'opinion de la commission, à laquelle le gouvernement s'était rallié. Elle disait, par l'organe de son rapporteur : Si l'on > examine la dépréciation du signe monétaire depuis . 1790 jusqu'à nos jours, et l'accroissement de la for» tune publique et privée, on demeure convaincu que » l'on peut, sans danger, doubler le taux du dernier > ressort fixé par la loi de 1790; en allant au delà, on • dénature l'institution, ou tout au moins, on fait un » essai qui n'est pas sans péril.

Il va de soi que ces motifs s'appliquent également à la fixation du taux du dernier ressort dans les tribunaux de première instance; et c'est avec raison que l'article 14 décide que « les tribunaux de première instance >> connaissent en dernier ressort des actions personnelles » ou mobilières jusqu'à la valeur de 2,000 fr. », double de l'ancien taux. Quant aux actions réelles immobilières, la loi de 1790 avait fixé le taux du dernier ressort, à celles dont l'objet principal est de 50 fr. de revenu déterminé, soit par prix de bail, soit en rente. La loi du 25 mars 1841 a admis, qu'en tenant compte du prix auquel les biens se vendent généralement, 75 fr. de revenu représentent assez exactement un capital de 2,000 fr. constitué en immeubles. Par ce motif, l'ar

ticle 14 ajoute que les tribunaux de première ín>> stance connaîtront des actions réelles immobilières

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jusqu'à 75 fr. de revenu déterminé, soit en rente, » soit par prix de bail. »

Si le revenu n'est déterminé ni en rente ni par prix de bail, il sera déterminé par les rôles de la contribution foncière. (Art. 14, § 2.)

Le taux de la compétence des tribunaux de commerce a été fixé d'après les mêmes principes, c'est-à-dire élevé de 1,000 à 2,000 fr. L'article 21 est ainsi conçu : << Les tribunaux de commerce jugeront, en dernier res» sort, les actions de leur compétence jusqu'à la valeur » de 2,000 fr. »>

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Cet article a donné lieu à de vives discussions. « Il a passé inaperçu, disait M. Verhaegen, mais il a une grande portée; il y a du danger à laisser le sort de >> petits marchands entre les mains des juges de com» merce, qui n'ont pas autant de connaissance du droit » et de la jurisprudence que les juges civils. » M. Raikem lui répondait que cet article était un corollaire nécessaire des principes admis dans les articles 1o et 14; que d'ailleurs, dans beaucoup de localités, ce sont les tribunaux de première instance qui jugent les matières commerciales. Le ministre de la justice ajoutait que si les juges consulaires étaient assez habiles, en 1790, pour connaître des affaires jusqu'à la concurrence de 1,000 fr., il faut bien reconnaître qu'aujourd'hui, vu l'état de l'instruction, on peut sans danger doubler leur compétence. --Leur opinion a prévalu.

La compétence a donc été fixée d'une manière rationnelle, en partant de ce principe proclamé par la commission, que depuis 1790 le signe monétaire étant considérablement déprécié, on peut élever le taux jusqu'au double.

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