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b) Une faute non intentionnelle peut-elle être reprochée à l'agent? Il faut rechercher alors si, dans le délit dont il est question, la loi punit une faute de cette nature. Si oui, l'absence d'intention, résultant de l'erreur ou de l'ignorance, ne sera pas une cause d'irresponsabilité, mais modifiera, peut-être, le caractère de l'infraction et la mesure de la culpabilité; c'est ce qui doit être décidé en cas d'empoisonnement (C. p., art. 301 et 317, § 3), ou d'homicide (C. p., art. 319); si non, est ainsi en matière de bigamie, d'adultère, de faux, de fausse l'imputabilité pénale disparaît, le dol étant incompatible avec l'erreur.

monnaie,

et il en

291. L'ignorance et l'erreur peuvent porter sur des circonstances accessoires du fait, constitutives d'une aggravation légale. Quel en est l'effet sur l'imputabilité? Deux opinions ont été soutenues: 1o Dans les idées des anciens criminalistes, l'ignorance et l'erreur ne relevaient pas, en général, le coupable de l'aggravation de peine. On considérait qu'il y avait dol déterminé quant au fait principal, dol indéterminé quant au fait accessoire. Cette opinion paraît être suivie par la jurisprudence française. Elle a été notamment appliquée à propos de la communication aux complices des circonstances aggravantes qui se rencontrent dans la personne de l'auteur principal (C. p., art. 59). En dehors même de cette solution, que paraît expliquer le système du Code pénal français sur la complicité, on trouverait d'autres applications de la même idée. Ainsi, celui qui aura commis le crime de viol sur la personne d'une enfant au-dessous de quinze ans, qu'il croyait plus âgée, subira, malgré son erreur, l'aggravation de peine établie par l'article 332 du Code pénal à raison de l'âge de la victime. 2o Dans une seconde opinion, évidemment plus juridique, l'ignorance exclue toute imputabilité intentionnelle relativement au fait ignoré. C'est la solution que consacre, par exemple, l'article 69 du Code pénal de Neuchâtel du 12 février 1891: « Si l'auteur de l'infraction. ignorait l'existence de circonstances qui en constituent le caractère délictueux, ou qui en aggravent la peine, ces circonstances ne lui seront point imputées. A l'égard des actes involontaires commis par imprudence ou négligence, cette dernière disposi

R. G.

Tome I.

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tion n'est applicable qu'autant que l'ignorance n'est pas ellemême le résultat d'une négligence ou d'une imprudence ».

292. Enfin, l'ignorance ou l'erreur peut être relative, soit à l'état, soit à l'identité de la victime.

Dans le premier cas, l'ignorance ou l'erreur doit enlever au fait la criminalité spéciale dont cet état serait constitutif et modifier la nature et la qualification de l'acte, par suite de l'absence d'intention qu'implique l'ignorance ou l'erreur. Ainsi, un individu donne la mort à une femme qu'il ignore être sa mère naturelle s'il a l'animus necandi qui caractérise le meurtrier, il n'a pas l'intention de tuer sa mère qui caractérise le parricide. Le fait qu'il aura commis, dans cet état d'esprit, ne sera done pas un parricide, mais un meurtre (C. p., art. 295 et 304).

Dans le second cas, l'erreur qui ne porte que sur la personne, sujet passif du délit, ne saurait modifier la criminalité, lorsqu'il existe une intention criminelle relativement au fait lui-même. Cette solution sera développée à propos du meurtre. Nous nous contentons de l'indiquer ici.

S XLVI. PROCÉDURE EN CE QUI CONCERNE LES CAUSES DE NON CULPABILITÉ, AUTRES QUE LA FAIBLESSE DE L'AGE

293. Règles de la procédure dans ce cas.

293. I importe, en ce qui concerne la procédure, de tenir compte des observations suivantes :

1o La culpabilité étant la condition essentielle du procès pénal, les causes qui l'excluent doivent être examinées par les juridictions d'instruction pour déclarer qu'il n'y a lieu de suivre, si elles sont fondées, comme par les juridictions de jugement pour déclarer qu'il y a lieu d'acquitter. Les questions de démence et de contrainte, l'absence d'intention criminelle se poseront, par conséquent, dans les deux phases du procès pénal, celle de l'instruction et celle du jugement (C. instr. cr., art. 128 et 229).

2o Qui aura la charge d'en faire la preuve? Une distinction s'impose. La contrainte et la démence, constituant un état excep

tionnel, puisque la plupart des hommes, arrivés à un certain âge, ont le discernement et la liberté de leurs actes, c'est à la défense qu'incombera la charge d'établir que l'accusé ou le prévenu était en état de démence ou de contrainte au temps de l'action. Quant à l'absence d'intention criminelle, elle est, au contraire, présumée, parce que l'intention est un élément ordinaire de l'infraction et que le ministère public a le devoir d'établir l'existence directe de tous les éléments qui la constituent. Toutefois, si le prévenu se prévaut d'une erreur de droit, dans les circonstances exceptionnelles où cette erreur pourrait être une cause d'irresponsabilité, il doit directement l'établir, car il a contre lui la présomption: nemo censetur ignorare legem.

3o En cour d'assises, les questions de démence, de contrainte, d'intention criminelle ne sont pas formelles et distinctes; elles sont comprises dans la question générale de culpabilité (C. instr. cr., art. 337). Ce qui n'empêche pas qu'elles ne puissent en être détachées, si la cour d'assises estime qu'il soit utile de le faire. Ce système est différent de celui de la législation antérieure. Le Code du 3 brumaire an IV, à l'exemple de la loi du 16-29 septembre 1791, décidait, dans ses articles 374 et 393, que les questions sur la moralité du fait, résultant de l'acte d'accusation, de la défense ou des débats, seraient séparées de celles concernant l'élément matériel. On sait que ce mode de procéder présentait l'inconvénient d'appeler le jury à faire des distinctions psychologiques auxquelles ses origines ne le préparaient guère. 4° Il appartient à la Cour suprème de contrôler le caractère. légal des faits, souverainement constatés, dans lesquels les juges ont cru voir la démence, la contrainte, l'absence d'intention criminelle 2.

§ XLVI. Ainsi, pour la question d'intention, virtuellement posée par la question de culpabilité: Cass., 29 juin 1889 (B. cr., n° 236). Conf. BLANCHE, op. cit., t. I, no 217.

* S'il appartient aux juges du fait de décider, d'après les circonstances, que le prévenu a agi sans intention criminelle, sa déclaration, à cet égard, tombe sous le contrôle de la Cour de cassation, lorsqu'elle est en opposition flagrante avec les constatations mêmes du jugement ou de l'arrêt : Cass., 7 mai 1857 (D. 57.1.317); 7 juill. 1859 (D. 59.1.285); 28 juin 1862 (D. 62.1. 305); 14 mai 1881 (D. 82.1.89).

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§ XLVII. DES CAUSES DE JUSTIFICATION EN GÉNÉRAL

294. Distinction entre les causes de justification et les causes de non culpabilité. 295. Causes de justification générales. Causes de justification spéciales. Il ne faut pas les confondre avec l'absence d'un élément constitutif. 296. Du consentement de la personne lésée considéré comme cause de justifi

cation.

294. L'acte, qui constitue l'infraction, n'est incriminé que s'il a eu lieu en violation du droit. La peine n'est prononcée que pour protéger la sphère juridique d'activité de chacun de nous. Or, un fait, bien que rentrant dans la définition légale d'un délit, bien qu'exécuté avec intelligence et volonté, peut n'être pas criminel, parce que l'agent avait le droit ou même le devoir de l'accomplir. Je réserve à ces circonstances, qui détruisent la criminalité même d'une action, le nom de faits justificatifs. L'agent, auquel le fait est certainement imputable, peut, en effet, répondre, si on lui reproche l'acte accompli : « Feci, sed jure feci»; et la conséquence de son moyen de défense, s'il est accueilli, sera la justification mème de l'acte. C'est ce qui arrive dans les deux cas suivants : 1o Le fait était ordonné par la loi et commandé par l'autorité légitime; 2° Le fait a été commis par l'auteur en état de légitime défense.

a) Entre les causes de non culpabilité, comme la démence, et les causes de justification, comme la légitime défense, il y a des ressemblances telles que beaucoup d'auteurs ne les distinguent pas. La loi, elle-même, dans les textes où elle s'occupe des unes et des autres, se sert, pour en caractériser les effets, d'une expression identique : « Il n'y a ni crime ni délit » (C. p., art. 64, 327, 328). Les causes de non culpabilité et les causes de justification ont la même conséquence, au point de vue de la responsabilité pénale : le renvoi de toute poursuite ou l'acquittement de l'inculpé. Les mêmes règles de procédure leur sont applicables. En cour d'assises, par exemple, le jury n'est pas davantage interrogé sur les causes de justification qu'il n'est interrogé sur les causes de non culpabilité car la question de savoir si l'accusé est coupable les embrasse toutes. De plus, les

:

juridictions d'instruction, pour se prononcer sur le point de savoir s'il y a lieu de mettre en prévention ou en accusation, doivent examiner les faits justificatifs, comme les cas de non culpabilité. Enfin, la preuve des causes de justification est à la charge de la défense, comme la preuve de la contrainte ou de la démence.

il

Il existe cependant des différences dans la situation de l'inculpé qui invoque un fait justificatif, comme la légitime défense, ou une cause de non culpabilité, comme la contrainte. 1° La légitime défense a donné à l'inculpé le droit de faire l'acte n'est responsable de cet acte, ni au point de vue pénal, ni au point de vue civil; on ne peut pas plus le punir qu'exiger de lui des dommages-intérêts'. La contrainte, au contraire, ne donne pas le droit de faire l'acte il peut subsister, par conséquent, malgré la contrainte, une certaine responsabilité à la charge de l'agent; et il n'y aurait aucune contradiction entre deux déci-. sions, dont l'une acquitterait un individu du chef de meurtre, parce qu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister, et dont l'autre le condamnerait cependant, à raison du même fait, à des dommages-intérêts. En un mot, la démence, la contrainte suppriment, dans le délit, l'élément moral, mais non

§ XLVII. Le Code pénal de 1791, en disant de l'homicide commis en état de légitime défense qu'il n'existe point de crime et qu'il n'y a lieu de prononcer aucune peine, ajoutait : « ni même aucune condamnation civile ». Ces mots ont disparu du Code pénal actuel, et avec raison, car l'irresponsabilité civile peut ne pas exister s'il y a eu excès de défense, quoique, dans ce cas, il y ait lieu, à notre avis, de prononcer un renvoi d'instance au point de vue de la responsabilité pénale. Ce sera donc une question de fait à examiner et à résoudre dans chaque espèce. Ce que je veux dire, c'est qu'il y aurait contradiction entre deux décisions, dont l'une motiverait un renvoi d'instance sur l'état de légitime défense, et dont l'autre condamnerait cependant l'inculpé à des dommages-intérêts, sans s'expliquer davantage. Il est nécessaire que les deux décisions puissent se concilier. Or, rendues dans ces termes, elles sont inconciliables. Sic, Cass., 23 févr. 1865 (B. cr., no 44, p. 71); 12 déc. 1873 (B. cr., no 308, p. 579). Cfr. Limoges, 24 juin 1884 (D. 85.2. 21), et la note; Lyon, 5 mai 1887 (Monit. judic. de Lyon, 9 juill. 1887). BIDART, Étude sur l'autorité, au civil, de la chose jugée au criminel, p. 135, examine la question avec quelques détails. Comp. LAINÉ, op. cit., p. 173, n° 230.

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